La santé est une valeur centrale de notre société. L‘évolution de la médecine moderne se fait dans le sens d’une vie plus longue ou jouissant d’une meilleure qualité. « Être malade » signifie « être soigné » et « consulter un médecin » veut souvent dire recevoir une prescription. L’ordonnance est une réponse pour le patient malade. Avec cette prescription, le pharmacien dispense une thérapie médicamenteuse. Cette médecine moderne est puissante car elle est basée sur la science et le savoir. Le système de santé ne favorise pour l’heure que peu les activités de prévention ou d’information. C’est une médecine à posteriori où l’on «attend d’être malade » pour recevoir un soin et où la prise en charge est largement basée sur les preuves par l’évidence scientifique. Une médecine segmentée, où la coordination des soins peine à gérer l’ensemble des prestations de santé que peuvent recevoir les patients. Implicitement, la prescription renvoie à la maladie et la confirme, positionnant le patient comme « malade ».
Après ses rendez-vous médicaux, le patient est souvent seul face à son traitement prescrit. Il est de sa responsabilité de « prendre » son traitement comme convenu avec les soignants. Hippocrate écrivait il y a 2000 ans : « Les médecins devraient savoir que les patients mentent fréquemment lorsqu’ils disent avoir pris les médicaments prescrits. » 2000 ans après, où en sommes-nous ? La non observance thérapeutique est un phénomène fréquent et il existe en pratique un décalage entre la prise en charge optimale et celle réellement observée : l’OMS estime que la moitié des patients ne prennent pas leur traitement comme convenu avec le prescripteur .
La persistance dans le temps de ce problème de santé publique entraîne des conséquences dramatiques pour le patient mais également pour le système de soins. Pour le patient, car la non observance est responsable d’une perte de chance largement référencée dans la littérature. Pour le système de santé, qui par manque de performance et épuisement inutile des ressources échoue dans sa mission de santé. Les enjeux de la non observance sont énormes, puisque l’OMS considère qu’améliorer l’observance des patients sous traitement chronique aurait plus d’impact sur la santé humaine que le développement de nouvelles thérapies médicales. La question de l’observance thérapeutique nous amène aussi à étudier les choix individuels et leurs conséquences collectives. Dans un système de santé collectif et solidaire, on est en droit de se questionner sur le droit et le devoir de ses acteurs. Avec le récent droit du malade au refus de soins, le patient est désormais pleinement reconnu comme un acteur responsable de sa santé. Considérer que le patient est seul responsable de son traitement est une approche dépassée. Chacun a son rôle à jouer, et plus que jamais, la coordination interprofessionnelle des soignants doit être une des réponses à un système de santé avec et vers le patient. Tout contact de ce réseau de soins avec le patient est une occasion supplémentaire de générer un comportement de santé adéquate.
L’Observance thérapeutique
Définitions et concepts : Observance ou adhérence ?
Un concept millénaire à la terminologie récente
Dans le langage courant, l’observance désigne généralement le respect de la posologie prescrite par le médecin, à savoir la dose et les modalités de la prise médicamenteuse. L’inobservance thérapeutique est une attitude fréquente du patient chronique et potentiellement sous-estimée. Les termes utilisés dans la littérature pour décrire le comportement d’un patient par rapport aux instructions médicales sont variés et ont évolué au cours du temps. Ce changement suit l’évolution du rôle du patient dans le système de soins. Aujourd’hui acteur de son traitement et du management de sa pathologie, le modèle paternaliste de soumission du patient laisse place à un modèle d’autonomie, où la responsabilisation du patient par l’information et l’atteinte d’objectifs thérapeutiques réalistes, pertinents et acceptés par le patient font évoluer le modèle de relation patient-soignant.
Observance thérapeutique : un mot-valise pour définir un comportement
Le terme d’observance provient du vieux français et se définit comme « l’observation de la règle » (2). En 1976, Sackett et Haynes, proposent une première définition de l’observance comme étant « le degré́ de coïncidence entre le comportement d’une personne et les conseils donnés par le médecin » (3). C’est à la fin des années 70 que Haynes définissait la notion d’observance thérapeutique comme « l’importance avec laquelle les comportements d’un individu (en termes de prise de médicaments, de suivi de régime ou de changement de mode de vie) coïncident avec les conseils médicaux ou de santé » (4). Cette définition décrit déjà à l’époque le respect de la prise médicamenteuse mais également les autres aspects du traitement. Le défaut d’observance concerne donc tous les gestes du traitement et ne se limite pas à la prise médicamenteuse. En 1998, le sociologue Bernard Lahire (5) propose une définition large qui permet de catégoriser le comportement du patient en 3 composantes :
• L’observance au suivi médical : se rendre aux rendez-vous, contrôle du suivi
• L’observance aux règles hygiéno-diététiques
• L’observance au traitement médicamenteux .
En 2001, Sabate et al (6) simplifient la définition en proposant la suivante : « la mesure avec laquelle les patients suivent les instructions médicales ». Deux ans plus tard, l’OMS adopte la seconde proposition de définition formulée par Sabate dans un second rapport sur l’observance : « la mesure avec laquelle les comportements d’une personne devant prendre un médicament, suivre un régime alimentaire et/ou changer de mode de vie correspondent aux recommandations convenues avec un professionnel de santé » (1). Ces définitions, même si trop centrées sur le patient, révèlent le large champ d’application de l’observance thérapeutique qui dépasse le simple fait de prendre ou non son traitement médicamenteux.
La compliance thérapeutique : un terme trop restrictif
Le terme « compliance » est un anglicisme qui apparaît pour la 1re fois en 1975 dans le thésaurus de référence MeSH de l’US National Library of Medicine (7). Sa définition stricte désigne la rigueur avec laquelle le patient suit les prescriptions médicales. Il correspond au terme français d’observance et renvoie la même notion de soumission ou « d’obéissance totale » où seule la contrainte garantie le succès de la prescription. C’est le mythe du « mauvais patient », celui qui ne veut pas prendre son traitement ou respecter les règles établies. Selon cette définition aujourd’hui obsolète, le patient seul est responsable de son choix, entre soumission et désobéissance. Son libre-arbitre ne rentre pas en compte et tout comportement qui déroge au respect de cette définition peut être qualifié de non observance. C’est sur ce constat de passivité excessive du patient que d’autres auteurs ont proposé de compléter les définitions d’observance et de compliance. Ainsi, Burner fait évoluer le sens de compliance dans les années 90 en proposant d’y ajouter le concept de confiance et de coopération par « l’obéissance liée à la confiance » (8). La confiance, basée sur une bonne communication entre un professionnel de santé et un usager va influencer l’observance, on parle d’alliance thérapeutique.
L’alliance thérapeutique : la naissance d’un lien collaboratif
L’alliance thérapeutique est le lien collaboratif qui se crée entre le patient et le professionnel de santé. La confiance, l’acceptation et l’implication du patient sont alors nécessaires. Le premier à employer ce terme a été Sigmund Freud, caractérisant l’alliance nécessaire entre un patient et son thérapeute lors d’une psychothérapie (9). Ce terme revêtait l’engagement du thérapeute dans une démarche de compréhension bienveillante et permettait de construire avec son patient une myriade d’intérêts et d’obligations communs. Principalement cantonnées à la psychiatrie avant les années 80, les recherches ont démontré que l’alliance thérapeutique est un facteur prédictif dans de nombreuses formes de traitement, dont le traitement pharmacologique. Le développement de cette alliance thérapeutique repose sur de nombreux paramètres d’influence et il est admis que cette alliance évolue au cours du temps, les premiers entretien correspondant à la phase la plus « critique » et relevant un caractère prédictif (10). L’alliance thérapeutique conceptualise une idée de relation de confiance permettant de traiter de « la meilleure manière » le patient. Dans ce schéma, les 2 partenaires construisent progressivement une relation thérapeutique aboutissant à un projet dans lequel s’engagent réciproquement le patient et le soignant, de sorte d’atteindre le but fixé ensemble .
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Table des matières
INTRODUCTION
I. L’Observance thérapeutique
A. Définitions et concepts : Observance ou adhérence ?
1. Un concept millénaire à la terminologie récente
2. À partir de « quand » parle-t-on d‘inobservance ?
B. Un intérêt croissant dans la littérature
C. Un enjeu de santé publique dans la prise en charge des maladies chroniques
1. La maladie chronique
2. Maladie chronique et observance
3. Conséquences de l’inobservance : Conséquences individuelles, mais également sociétales, épidémiologiques et économiques
II. Est-il possible de prédire les cas de non observance ?
A. L’observance, un comportement de santé multifactoriel
1. Du Health Belief Model de 1950 au Health Decision Model de 1984
2. Le modèle systémique de soins préventifs (MSSP)
3. Définir le profil patient
B. Les facteurs de l’inobservance
1. Facteurs liés au patient
2. Facteurs liés aux professionnels de santé
3. Facteurs liés à la maladie
4. Les facteurs en lien avec le traitement
5. Facteurs environnementaux
C. Les méthodes d’évaluation de l’observance
1. Méthodes indirectes
2. Méthodes directes
3. Méthodes semi-directes
4. Discussions
III. Stratégies et actions pour la promotion de l’adhérence
A. Stratégies et acteurs de l’observance
1. Une stratégie naissante sans réel objectif
2. Acteurs concernés
B. Actions pour la promotion de l’observance à travers le parcours patient
1. Avant la prescription
2. Lors du traitement
3. Durant le suivi
C. La promesse du digital dans l’accompagnement
1. La place des nouvelles technologies dans l’observance
2. Profils d’usage des technologies chez les malades chroniques
3. Freins et barrières
4. Au-delà de l’observance thérapeutique
CONCLUSION