La sécurité alimentaire dans le monde sera confrontée dans l’avenir à deux défis majeurs : la satisfaction des besoins d’une population croissante tout en assurant la durabilité des ressources en eau et en sol dans un contexte climatique évolutif. En effet, la sécurité alimentaire mondiale repose sur un nombre limité d’espèces (principalement le blé, le maïs et le riz ; FAO, 2017), produisant de grandes quantités de nourriture mais ayant des impacts négatifs sur les ressources naturelles telles que l’eau, les sols et la biodiversité. Alors qu’elle contribue le moins aux facteurs qui entraînent des changements climatiques mondiaux, l’Afrique est considérée comme particulièrement vulnérable au changement climatique en raison de sa situation géographique et de son niveau de développement économique ainsi que de sa faible capacitée d’adaptation (Hope, 2009). En effet, ce continent est le plus sensible au changement climatique notamment la zone méditerranéenne identifiée comme un ‘hot-spot’ du changement climatique (Giorgi, 2006). Le changement climatique affectera et impactera à la fois les systèmes environnementaux et les secteurs socio économiques (Harrison et al., 2019). Parmi les secteurs économiques clés touchés, l’agriculture pourrait être très fortement impactée par ces changements annoncés (Schilling et al., 2020).
La sécheresse
Définition et type de sécheresse
La sécheresse est un phénomène du système terrestre qui concerne des processus météorologiques, hydrologiques et biophysiques qui peuvent avoir des implications socioéconomiques (Wilhite et Pulwarty, 2017). La sécheresse est initialement un phénomène météorologique, les périodes de déficit des précipitations peuvent entraîner une pénurie d’eau sur certains réservoirs ou dans l’ensemble du cycle hydrologique (McKee et al., 1993), qui à son tour affecte la production des cultures (Chaves et al., 2003) et divers systèmes environnementaux (Figure 2) (Vicente-Serrano et al., 2020). Contrairement à l’aridité, qui est une caractéristique permanente du climat et qui est limitée aux zones à faibles précipitations (Wilhite, 2000), une sécheresse est une aberration temporaire qui peut se produire dans toutes les conditions climatiques et toutes les zones du globe, ce phénomène a des effets néfastes très divers (Dai, 2011). On confond souvent une vague de chaleur et une sécheresse, Chang et Wallace (1987) ont souligné la distinction entre une vague de chaleur et une sécheresse, notant qu’une vague de chaleur est associée à une échelle du temps typique de l’ordre d’une semaine, alors qu’une sécheresse peut persister pendant des mois, voire des années dans des cas extrêmes. La sécheresse peut être causée aussi par des processus autres que le manque des précipitations, tel que l’augmentation de la demande atmosphérique en évaporation (Vicente-Serrano et al., 2020) ce qui amplifie le déficit hydrique. De même, les processus biophysiques peuvent être plus ou moins affectés par les déficits en eau (McDowell et al., 2008), et la réponse de la végétation aux sécheresses peut également affecter la disponibilité en eau par la modulation de l’évapotranspiration (Swann, 2018; Teuling et al., 2013). Quatre types de sécheresse sont largement définis et reconnus dans la littérature (McVicar en Jupp, 1998; Wilhite, 2000; Wilhite en Glantz, 1985) : (1) la sécheresse météorologique caractérisée par un déficit des précipitations, solides et liquides (Olukayode Oladipo, 1985; Palmer, 1965). Ainsi, il s’agit d’une période, qui peut varier du mois à l’année voire dans des cas extrêmes à plusieurs années, durant laquelle les précipitations sont inférieures à la moyenne historique ; (2) la sécheresse agricole caractérisée par un déficit lié à la réserve en eau du sol. Il s’agit d’une période pendant la saison de croissance des cultures durant laquelle l’humidité du sol est inférieure à sa valeur moyenne, ce qui a des conséquences négatives sur le développement et le rendement des cultures (Panu en Sharma, 2002). La sécheresse agricole est généralement provoquée par un cumul des précipitations inférieur à la normale (Narasimhan et Srinivasan, 2005) ou par une distribution temporelle irrégulière des précipitations. Aussi, elle peut parfois être engendrée par des taux d’évapotranspiration plus élevés (Ciais et al., 2005; Hanson, 1991; Rind et al., 1990; Vicente-Serrano et al., 2010). (3) la sécheresse hydrologique désigne les périodes de déficit du débit des cours d’eau ou du stockage des eaux souterraines. (Dracup et al., 1980; Tallaksen et al., 1997; Yevjevich, 1967). L’impact d’une sécheresse hydrologique est important sur les activités humaines, puisqu’elle va avoir de fortes conséquences sur l’irrigation, les activités touristiques, la production d’énergie hydroélectrique, les transports (dans certains pays) et l’alimentation en eau potable; (4) la sécheresse socioéconomique désigne l’effet d’une ou plusieurs des trois précédentes sur les activités humaines généralement mesurée par des indicateurs sociaux et économiques (Senay et al., 2014).
Ces différents types de sécheresse sont liés les uns aux autres et constituent ce qu’on appelle une « cascade ». En effet, les sécheresses de types agricole, hydrologique ou socio-économique sont décalées dans le temps par rapport à la sécheresse météorologique. Par exemple, il faut souvent plusieurs semaines ou mois avant que l’insuffisance des précipitations se traduise par un déficit d’humidité du sol et que les cultures, commencent à souffrir. Cette présentation reste théorique car les caractéristiques climatiques diffèrent d’une région à l’autre, tout comme la démographie, la nature des activités humaines et les moyens mis en œuvre pour lutter contre la sécheresse, éléments qui peuvent avoir des effets sur la propagation de la sécheresse. Dans ce travail, nous nous concentrerons sur la sécheresse agricole, car elle est considérée comme l’un des problèmes les plus importants qui affecte l’économie, la sécurité alimentaire et la stabilité sociale dans la majorité des pays du monde, en particulier pour ceux situés dans la région méditerranéenne (Tramblay et al., 2020). En général, la sécheresse agricole est le résultat de deux facteurs qui provoquent un déficit d’humidité du sol : (i) un manque de précipitations et/ou (ii) une augmentation de la température qui provoque une augmentation d’évapotranspiration (Figure 2). Les impacts de la sécheresse sur la production agricole dépendent du stade de croissance à laquelle elle intervient, de son intensité, de l’étendue spatiale et de sa durée (Mishra et Singh, 2010). Par exemple, si la sécheresse agricole se produit occasionnellement sur une longue période de temps, les cultures peuvent être capables d’atteindre la maturité avant que la sécheresse ne cause des impacts graves sur ces productions. Par contraste, une sécheresse de courte durée coïncidant avec des stades critiques de développement des cultures (stade de remplissage des grains par exemple pour le blé) peut avoir des conséquences graves, car les cultures ont généralement besoin d’une plus grande quantité d’eau durant cette période (Kharrou et al., 2011).
Suivi de la sécheresse agricole
La sécurité alimentaire est un vaste sujet qui nécessite le suivi de plusieurs indicateurs, tels que la croissance et le rendement des cultures, la sécheresse, l’irrigation et la propagation des maladies (FAO, 2016). Afin de développer une telle stratégie de gestion de risque liée à la sécheresse agricole, il est nécessaire de connaître son évolution. Pour ce faire, il est important de disposer d’outils et des moyens adaptés permettant de fournir des informations sur l’intensité, l’étendue et la durée de ce phénomène (WMO, 2006). Le suivi de la sécheresse agricole est une composante essentielle pour une meilleure gestion des risques liée à la sécheresse. Il comprend, le suivi et l’évaluation continue des quantités et des régimes de précipitations, des conditions d’humidité du sol et de végétation, de l’évapotranspiration et de la température pendant la saison de croissance en temps quasi réel, pour l’objectif de développer des indices/indicateurs qui permettent de déterminer l’intensité, l’étendue et la durée de sécheresse (Senay et al., 2014).
Les indices de suivi de la sécheresse agricole peuvent être divisés, selon leurs sources des données de calcul, en indices basés sur (i) les mesures in-situ, (ii) les données de télédétection et (iii) les sorties des systèmes d’assimilation des données terrestres, qui combinent les modèles de surface et les observations in-situ ou de télédétection.
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Table des matières
Introduction générale
I) Contexte sociétal et enjeux
II) Contexte scientifique et questions
III) Objectifs et approches
Chapitre I : Rendements céréaliers et sècheresses, prévision saisonnière et impact du changement climatique
I) La sécheresse
I-1) Définition et type de sécheresse
I-2) Suivi de la sécheresse agricole
I-2-1) Les indices in situ de suivi de la sécheresse agricole
I-2-2) Le suivi de la sécheresse agricole par télédétection
a) Suivi de la sécheresse par télédétection visible et proche infra-rouge
b) Suivi de la sécheresse par télédétection infrarouge thermique
c) Suivi de la sécheresse par télédétection micro-ondes
d) Suivi de la sécheresse par télédétection multi-capteurs
I-2-3) Les Land Data Assimilation Systèmes
a) Généralités
b) Le LDAS du CNRM
II) La prévision saisonnière des rendements des cultures
II-1) Prévision du rendement des cultures à l’aide des modèles agronomiques
II-2) Prévision du rendement des cultures avec la méthode statistique
II-2-1) Les approches linéaires
II-2-2) Les approches non-linéaires
a) Machines à vecteurs de support
b) Random forest
c) Extrem Gradient Boosting
III) Etude de l’impact du changement climatique sur la production
III-1) Le changement climatique
III-1-1) Définition et enjeux
III-1-2) Projections et scénarios climatiques
a) Les scénarios RCPs
b) Etablissement des projections climatiques à grande échelle
c) Descente d’échelle (Downscaling)
d) Initiative Med-CORDEX
III-2) La modélisation des agrosystèmes
III-2-1) Généralités
III-2-2) Model AquaCrop
a) Description du modèle AquaCrop
b) De l’approche Ky au modèle AquaCrop
c) Schéma de calcul
d) Données d’entrées requises
III-3) Impact du changement climatique sur la production des cultures
III-3-1) Impact d’augmentation de CO2
III-3-2) Impact de la hausse de température
IV) Conclusion
Chapitre II : La sécheresse agricole et la production des céréales au Maroc
I) Introduction
II) Résumé de l’article
III) Article
IV) Conclusion
Chapitre III : Prévision saisonnière des rendements des céréales au Maroc
I) Introduction
II) Résumé de l’article
III) Article
IV) Conclusion
Chapitre IV : Impact du changement climatique sur les rendements et les besoins en eau du blé
I) Introduction
II) Résumé de l’article
III) Article
IV) Conclusion
Conclusion générale et perspectives
Références