Le champignon de Paris (Agaricus bisporus (J.E. Lange) Imbach) ainsi que les truffes constituent la majeure partie des champignons consommés dans le monde (Royse, 1996 ; Tsai et al., 2007 ; Jeong et al., 2010). Ces champignons sont une source alimentaire très appréciée pour leur propriétés médicinales et organoléptiques ainsi que pour leur richesse en protéines, en fibres, en lipides, en vitamines, en sels minéraux et en polyphénols (Braaksma et Schaap, 1996 ; Janakat et al., 2004 ; Giannenas et al., 2010 ; Jeong et al., 2010). Par rapport à la plupart des fruits et légumes, les champignons ont une durée de conservation très courte. Ils perdent leurs valeurs commerciale et nutritionnelle en quelques jours en raison de la sénescence, la perte d’eau, l’attaque microbienne et le brunissement (Whitaker et Lee, 1995 ; Jolivet et al., 1998).
Le brunissement est le plus souvent une réaction indésirable, responsable du changement de la couleur, de l’odeur et du goût désagréables du champignon (Varoquaux, 1978 ; Martinez et Whitaker, 1995). La prévention de cette réaction constitue l’un des principaux défis pour les scientifiques traitant de la conservation des produits alimentaires (Matheis, 1987). Le brunissement résulte de l’oxydation des phénols -tyrosine, dopamine, γglutaminyl-4-hydroxybenzène et γ-glutaminyl-3,4 dihydroxybenzène- catalysée principalement par la polyphénol oxydase (polyphénol oxydase (PPO), monophénol, odiphénol: oxygène oxydoréductase; EC 1. 14. 18. 1). La PPO est une métalloenzyme à cuivre largement distribuée dans la nature et détectée dans la plupart des fruits et légumes (Bertrand, 1896 ; Martinez et Whitaker, 1995 ; Mayer et Harel, 1979) et (Vámos-Vigyázό, 1981 ; Casañola-Martín et al., 2006). En présence de l’oxygène moléculaire, cette enzyme présente deux activités différentes. Elle est tout d’abord capable d’hydroxyler les monophénols en o diphénols, activité dite crésolase ou monophénolase. Ces o-diphénols, sont à leur tour oxydés pour donner des o-quinones, activité dite catécholase ou odiphénolase. Ces derniers se polymérisent pour former des pigments brun, rouge ou noir regroupé sous le terme générique de mélanine (Varoquaux, 1978 ; Arslan et Doğan, 2005 ; Kolcuoğlu et al., 2006).
La polyphénol oxydase
La polyphénol oxydase a été découverte pour la première fois en 1856 par Schoenbein dans le champignon Boletus luciferus. Il a noté que l’extrait de ce champignon catalyse l’oxydation en aérobie de certains composés en formant un pigment bleu dans les plantes (Whitaker, 1995 ; Zawistowski et al., 1991 ; Vámos Vigyázό, 1981). La première étude sérieuse de cette enzyme a suivi la production à grande échelle de la polyphénol oxydase de pomme de terre par Kubowitz (1938). C’était la première enzyme purifiée par chromatographie d’affinité (Lerch, 1981). La polyphénol était également la première enzyme connue pour son aptitude à catalyser l’incorporation de l’oxygène moléculaire à une molécule organique (phénolique), et elle fournit un exemple de ce qui s’appelle maintenant « inactivation suicide», mais qui s’est à l’origine nommé inactivation de réaction. Des recherches considérables ont été publiées sur l’enzyme depuis lors (Zawistowski et al., 1991 ; Robb, 1984 ; Escribano et al., 1989). Ces recherches ont porté d’une part sur la nature physique et chimique de l’enzyme elle-même et d’autre part sur le rôle de l’enzyme dans la respiration des végétaux inférieurs et supérieures (Bonner, 1956). Les chercheurs se sont intéressés aux PPOs de diverses sources comme : les truffes (Miranda et al., 1992 ; Miranda et al., 1996; Perez-Gilabert et al., 2001; Zarivi et al., 2003), les champignons (Frieden et Ottesen, 1959; Smith et Krueger, 1962; Duckworth et Coleman, 1970; Papa et al., 1994a,b; Gouzi et Benmansour, 2007), la banane (Palmer, 1963; Ôba et al., 1992 ; Sojo et al., 1998; Thomas et Janave, 1986), les tubercules de pomme de terre (Patil et Zucker, 1965; Matheis, 1987a,b ; Pathak et Ghole, 1994; Cho et Ahn, 1999a,b; Marri et al., 2003), les épinards (Golbeck et Cammarata, 1981), l’artichaut (Ziyan et Pekyardimc, 2003), la poire (Ziyan et Pekyardimci, 2004), le coing (Yağar et Sağiroğlu, 2002), la pêche (Wong et al.,1971), l’abricot (Chevalier et al., 1999), les feuilles de tabac (Shi et al., 200) et le cerise ( Kumar et al ., 2008). Bien que la polyphénol oxydase ait été découverte et purifiée il y a bien longtemps (Keilin et Mann, 1938 ; Schoenbein, 1856), c’est beaucoup plus récemment qu’une image claire de cette enzyme a commencé à émerger (Jolivet et al., 1998).
Définition et réactivité des polyphenol oxydases
Définition et classification
Le terme tyrosinase est habituellement adopté pour les enzymes d’origine animale et humaine, et se rapporte au substrat ‘typique’, tyrosine qui était le premier substrat expérimental. La polyphénol oxydase est peut-être la dénomination générale la plus appropriée, et sera employée sous l’acronyme PPO dans ce présent travail (Dawson et Magee, 1955 ; Rescigno et al., 2002). Plusieurs noms ont été associés à la PPO dont la tyrosinase, la crésolase, la catécholase, la diphénolase, la phénolase, la phénol oxydase, l’o-diphénol oxydase et l’acide chlorogénique oxydase. De ces derniers, c’est le nom « polyphénol oxydase » qui reflète généralement la capacité de cette enzyme à utiliser différents composés phénoliques comme substrats. Ainsi, les phénols ou les catéchols peuvent être des substrats pour l’enzyme, et les produits de réaction obtenus sont généralement des o-quinones dans les deux cas. Les noms « tyrosinase », « phénol oxydase » et « polyphénolase » sont aussi généralement employés interchangeablement avec « la polyphénol oxydase » (Zawistowski et al., 1991 ; Burton, 1994 ; Rivas et Whitaker, 1973). L’enzyme PPO est une oxygénase oxydoréductase (Papa et al., 1994). La classification et la spécificité de cette enzyme demeurent confuses et sont quelque peu ambiguës (Burton, 1994 ; Eicken et al., 1999). La commission sur les enzymes de l’Union Internationale de la Biochimie (IUB) a mis à jour la nomenclature et a placé la PPO dans deux catégories principales comme EC 1.14.18.1-monophénol monooxygénase, également connue sous le nom de tyrosinase. Cette catégorie était précédemment réservée à EC 1.10.3.1 o-diphénol oxydase et EC 1.10.3.2 p diphénol oxydase ou laccase, et aussi EC 1.10.3.2 o-diphénol : O2 oxydoréductase. Cette classification différencie seulement les deux activités crésolase et catécholase, de la même enzyme (Mayer, 1987 ; Zawistowski et al., 1991).
Réactivité
De nos jours, on accepte généralement que la PPO (PPO: monophénol, dihydroxy Lphénylalanine: oxygène oxydoréductase ; EC 1.14.18.1) est l’enzyme qui catalyse deux réactions différentes en présence d’oxygène moléculaire :
– l’hydroxylation des monophénols en o-diphénols (activité monophénolase, crésolase ou hydroxylase). Les monophénoloxydases ou monoxygénases, catalysent l’hydroxylation des monophénols en o-diphénols. Cette enzyme est appelée tyrosinase car, la L-tyrosine est le substrat monophénolique majeur dans le règne animal. Cette enzyme est également appelée crésolase, en raison de sa capacité à utiliser le crésol comme substrat. L’activité monophénoloxydase est généralement peu étudiée dans les plantes car la réaction d’hydroxylation est beaucoup plus lente que la réaction d’oxydation formant les quinones et initiant les réactions de brunissement. Elle est cependant connue depuis longtemps dans les champignons (Varoquaux, 1978).
– l’oxydation des o-diphénols aux o-quinones (activité diphénolase, catécholase ou oxydase). L’oxydation des substrats o-diphénoliques en o-quinones en présence d’oxygène est catalysée par l’activité o-diphénoloxydase également appelée catécholase ou catécholoxydase. Les o-quinones sont des composés fortement réactifs. Elles peuvent soit subir spontanément en solution aqueuse des polymérisations et cyclisations non enzymatiques donnant naissance à un pigment hétérogène, noir, brun ou rouge, généralement appelé mélanine, soit réagir avec des acides aminés et des protéines pour produire des composés colorés (Dicko et al., 2002 ; Cho et Ahn, 1999a ; Burton, 1994).
Les enzymes présentant une activité de type laccase (E.C. 1.10.3.2) sont parfois inclues dans la famille des PPOs. La laccase se caractérise par son activité pdiphénoloxydase qui s’ajoute à l’activité o-diphénoloxydase. L’oxydation des substrats phénoliques par la laccase, génère la formation d’un radical semi-quinone et s’accompagne par la réduction de l’oxygène en eau par un mécanisme dit ping-pong (Reinhammar et Malmström, 1981). Les laccases sont présentes dans de nombreux champignons phytopathogènes et dans certaines plantes. On ne les trouve pas dans les fruits et légumes, à l’exception des pêches (Harel et al., 1970) et les abricots (Dijkstra et Walker, 1991). Nous pouvons distinguer les o- des p- diphénoloxydases en fonction de leur spécificité de substrat et/ou d’inhibiteur. Un degré d’oxydation différent pour le cuivre du site actif, ainsi que des différences dans les mécanismes réactionnels de catalyse enzymatique, peuvent en partie expliquer les taux d’inhibition différents de ces deux enzymes pour le même inhibiteur. Par exemple, la laccase n’est pas inhibée par le monoxyde de carbone, la phénylhydrazine ou le 2,3-naphtalènediol (Keilin et Mann, 1940).
Caractéristiques structurales des PPOs
Architecture moléculaire globale
La structure cristallographique de la PPO n’est pas encore élucidée. Cependant, on peut supposer que la PPO, l’hémocyanine d’arthropode ou de mollusque et la catéchol oxydase de patate douce, possèdent des sites actifs de structures comparables (Claus et Decker, 2006 ; Siegbahn, 2003). En effet, ces protéines montrent des changements de valence et de conformation comparables lors de la fixation de l’oxygène (Della Longa et al., 1996). Elles possèdent des propriétés spectroscopiques et chimiques comparables (Himmelwright et al., 1980), et des similitudes de séquence primaires (Van Gelder et al., 1997). Garcia-Borron et Solano (2002) décrivent le site actif de la PPO comme une sphère hydrophile, délimitée par 4 hélices α et contenant 6 résidus imidazole. Cette sphère hydrophile, est située dans une poche hydrophobe, formée par des résidus aromatiques. La configuration du site actif des PPOs est maintenue par des interactions ioniques. Une autre caractéristique du site actif des PPOs, est la liaison covalente thio-éther entre une cystéine et un des résidus histidyl lié au cuivre du site actif (Lerch, 1982). Une telle liaison covalente cystéine-histidine est également constatée dans la catéchol oxydase de patate douce (Ipomea batatas) (Klabunde et al., 1998). Selon ces auteurs, cette structure optimise le potentiel redox du cuivre pour l’oxydation des o diphénols et permet ainsi un rapide transfert d’électrons lors des phénomènes redox. Elle est également responsable de la régulation de l’activité enzymatique (Mayer, 1987). Seule la structure cristalline de la PPO de patate douce (Ipomoea batatas) sous sa forme active a était résolue (Klabunde et al., 1998).
La PPO native du champignon de couche Agaricus bisporus, est une enzyme oligomérique de 569 acides aminés, de forme globulaire, dont la structure quaternaire est composée de deux sous-unités non identiques, de deux chaînes lourdes H, avec une masse moléculaire d’environ 43-48 kDa qui contiennent les sites catalytiques et deux chaînes polypeptidiques légères L de 13.4-14 kDa. Ils diffèrent par leur composition en acides aminés, formant une structure tétramérique de la forme H2L2 ayant un poids moléculaire apparent de 128-133 kDa et possédant 4 atomes de Cu groupés par paires. La fonction de la sous-unité L demeure inconnue. Ces sous-unités pourraient contribuer à la stabilité et/ou à l’activité de la préparation d’enzyme. En solution aqueuse, la forme prédominante (120 kDa), a la structure H2L2. Alors que la forme active de l’enzyme montrant l’activité crésolase et catécholase a la composition en sous-unités L2H. Soulignons que le poids moléculaire de la sous-unité de base de la PPO des plantes et d’autres sources s’étend entre 30 et 45 kDa (Strothkamp et al., 1976 ; Robb, 1984 ; Zawistowski et al., 1991; Whitaker, 1995 ; Solomon et al., 1996 ; Van Gelder et al., 1997; Jolivet et al., 1998 ; Fan et Flurkey, 2004). Selon Wichers et al. (1996), les sous-unités isolées H et L ne possèderaient aucune activité enzymatique. Les PPOs des bactéries, des mycètes, de plantes supérieures ou des animaux, contiennent seulement un type de sous-unité et sont souvent monomériques. Ces enzymes sont actives à l’état monomérique. Dans le cas de la PPO d’A. bisporus, la sousunité H qui est responsable des activités catalytiques peut être comparée à la sous-unité unique d’autres tyrosinases (Robb, 1984 ; Jolivet et al., 1998). Dans beaucoup de cas, les PPOs des préparations brutes ou partiellement purifiées sont présentes sous des formes multiples d’isoenzyme (Mayer et Harel, 1979 ; Anosike et Ayaebene, 1982). Ces formes d’enzyme, peuvent être différenciées par leur spécificité de substrat, leur pH optimum, leur stabilité thermique et leur réponse aux inhibiteurs.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1. Synthèse Bibliographique
1. La Polyphénol Oxydase
1.1 Introduction
1.2 Définition et réactivité des polyphenol oxydase
1.3 Caractéristiques structurales des PPOs
1.4 Source, localisation et rôle des PPOs
1.5 Extraction et purification de la PPO
1.6 Les mécanismes réactionnels de la PPO et leur étude
1.7 Les effecteurs de la PPO
2. Les biocapteurs à base de PPO
2.1 Introduction
2.2 Généralités sur les biocapteurs
2.3 Biocapteurs enzymatiques à base de PPO
2.4 Des biocapteurs aux bioréacteurs
Chapitre 2. Matériels et Méthodes
1. Matériels
1.1 Matériels biologiques
1.2 Produits chimiques
2. Méthodes biochimiques
2.1 Extraction et purification partielle de la PPO d’Agaricus bisporus
2.2 Extraction de la PPO de truffe de désert (Terfezia leonis Tul.)
2.3 Dosage des protéines par la méthode de Lowry
2.4 Mesure de l’activité PPO
2.5 Etude de la stabilité de la PPO durant le stockage à -15°C
2.6 Détermination du pH optimal
2.7 Effet de la concentration de l’enzyme
2.8 Etude de la spécificité de substrat
2.9 Détermination des paramètres cinétiques
2.10 Stabilité thermique
2.11 Effet du sodium dodécyl sulfate
2.12 Effet des inhibiteurs
2.13 Etude de la stabilité thermique de la PPO
2.14 Etude cinétique et thermodynamique de l’inactivation thermique
2.15 Purification par la méthode partage en trois phases
3. Construction d’un biocapteur optique pour le dosage de la L-dopamine
3.1 Procédé d’encapsulation
3.2 Détermination de l’activité de la PPO immobilisée
3.3 Relargage de la tyrosinase immobilisée
3.4 Effet du nombre de couches de silice-PPO
3.5 Effet du pH
3.6 Stabilité thermique
3.7 Détermination des paramètres cinétiques de la PPO immobilisée
3.8 Stabilité opérationnelle
4. Construction d’un bioréacteur à PPO pour la dégradation du phénol
4.1 Caractérisation de l’activité phénolase de la PPO soluble
4.2 Caractérisation de l’activité phénolase de la PPO immobilisée
5. Analyse des résultats expérimentaux
Chapitre 3. Extraction, Purification Partielle et Caractérisation de la PPO du Champignon de Paris (Agaricus bisporus (J.E. Lange) Imbach)
1. Extraction et purification partielle de la PPO du champignon de Paris
2. Caractérisation biochimique de la PPO du champignon de Paris
2.1 Effet du pH
2.2 Spécificité de substrat
2.3 Détermination des paramètres cinétiques
2.4 Effet de la concentration de l’enzyme
2.5 Stabilité thermique
3. Etude de l’inactivation thermique de l’activité catécholase
3.1. Etude cinétique
3.2. Analyse thermodynamique
4. Etude de l’inhibition de la PPO d’Agaricus bisporus (J.E. Lange) Imbach
4.1 Inhibition compétitive de l’activité triphénol oxydase par l’acide benzoïque et l’azide de sodium
4.2 Inhibition mixte-type I de l’activité triphénol oxydase par le fluorure de sodium .
4.3 Inhibition mixte-type II de l’activité diphénol oxydase par le fluorure de sodium
4.4 Inhibition compétitive de l’activité diphénol oxydase par l’acide benzoïque
4.5 Inhibition mixte-type I de l’activité diphénol oxydase par l’azide de sodium
4.6 Bilan
Chapitre 4. Extraction et caractérisation de la PPO de truffe de désert (Terfezia leonis Tul.)
1. Extraction de la PPO de truffe de désert (Terfezia leonis Tul.)
2. Caractérisation de la PPO
2.1 Effet de pH
2.2 Stabilité thermique
2.3 Effet de la concentration de l’enzyme
2.4 Effet de la concentration du substrat
2.4 Spécificité de substrat
2.5 Effet de la concentration de SDS
3. Etude de l’inactivation thermique de la PPO de truffe du désert
3.1. Etude cinétique
3.2. Analyse thermodynamique
4. Etude de l’inhibition de la PPO de truffe du désert
4.1 Inhibition non-compétitive par l’azide de sodium
4.2 Inhibition compétitive par l’acide benzoïque
4.3 Inhibition mixte-type I par le fluorure de sodium
4.4 Détermination des valeurs d’IC50
5. Purification par la méthode de partage en trois phases
6. Bilan
Conclusion générale
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