Définition et effets cognitifs du développement de la compétence plurilingue
Définition et caractéristiques de la compétence plurilingue
D’après Daniel Coste, la compétence plurilingue peut être définie comme «l’ensemble des connaissances et des capacités qui permettent de mobiliser les ressources d’un répertoire plurilingue et qui contribuent en outre à la construction, à l’évolution et à la reconfiguration éventuelle dudit répertoire ». La compétence plurilingue apparaît comme une compétence qui s’appuie sur des connaissances et des capacités diverses, permettant la communication. Il s’agit d’une intégration et d’une mise en relation des composantes du répertoire d’un individu. Une des particularités de la compétence plurilingue est que les éléments qui la composent sont inégalement développés et maîtrisés. Cependant, ils permettent la construction d’une compétence unique. Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (Unités des politiques linguistiques 2001 : 129) en propose la définition suivante :
« On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement possédée par un acteur qui maîtrise, à des degrés divers, plusieurs langues, et a, à des degrés divers, l’expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel. L’option majeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien existence d’une compétence plurielle, complexe, voire composite et hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles, mais qui est une en tant que répertoire disponible pour l’acteur social concerné ».
La référence à la maîtrise de plusieurs langues met alors en avant la dimension mouvante et dynamique de cette compétence plurilingue. En effet, un locuteur bi-/plurilingue est amené, au cours de sa vie, à être confronté à différentes langues et peut donc enrichir son répertoire plurilingue, autant par l’approfondissement d’une compétence dans l’une de ses langues d’apprentissage, que par l’apprentissage et le contact avec d’autres langues. Ce répertoire est donc à la disposition du locuteur plurilingue pour qu’il puisse le mobiliser dans la communication, le reconfigurer, et l’enrichir.
En contexte scolaire, il devient de plus en plus apparent dans les textes officiels que la compétence plurilingue est à développer chez les apprenants, qu’ils soient monolingues, bilingues ou plurilingues. Cependant, l’accent est encore trop peu porté sur les incidences des langues maîtrisées par les élèves dans l’acquisition et le développement d’une autre langue. En effet, lors de l’apprentissage d’une LV1, d’une LV2 ou d’une LV3, il est encore trop évident que l’on envisage la langue étrangère uniquement à travers le filtre de la langue maternelle, qui va servir d’élément de comparaison. S’il semble intéressant et nécessaire d’y recourir lors de l’apprentissage, peu de place est encore accordée aux autres langues maîtrisées par les apprenants. Les autres langues disponibles dans le répertoire des apprenants ont différentes fonctions qui peuvent contribuer à l’apprentissage. En effet, une langue, qu’elle soit maternelle ou non, peut servir de langue matrice, c’est-à-dire qui génère le cadre morphologique et syntaxique de l’énoncé dans lequel s’insère l’autre langue. Elle peut également servir de langue pivot, d’intermédiaire ou de passage entre deux langues. Enfin elle peut être utilisée comme langue ressource, c’est-à-dire comme « réservoir » lexical et formel, ou comme langue de référence, autrement dit comme norme métalangagière.
La compétence plurilingue peut donc être caractérisée comme étant complexe, plurielle et unitaire. En effet, elle se construit grâce à la mise en relation de diverses langues et compétences qui ne sont pas figées. Cette compétence est faite de composantes différentes, parfois partielles, et est donc déséquilibrée. C’est la gestion qui en est faite par le locuteur, qui va utiliser ces différentes composantes en fonction de ses besoins communicatifs, qui va lui donner un véritable statut de compétence. Si cette compétence peut être enrichie et donc évoluer au fil des années, il reste cependant à mettre en avant son importance auprès des apprenants en les éveillant au plurilinguisme. En effet, les apprenants plurilingues semblent déjà utiliser leurs différentes ressources de façon inconsciente et sont d’ores et déjà plus flexibles lors de l’apprentissage de nouvelles langues. A l’inverse, beaucoup d’apprenants monolingues ne disposent pas de cette flexibilité, car peu habitués à la mise en contact des différentes langues (autres que leur langue maternelle).
La compétence plurilingue en classe, chez les monolingues et les plurilingues
L’alternance codique s’impose alors comme pratique intégrante de la construction de la compétence plurilingue dans le contexte scolaire. Nous pouvons considérer que la classe de langue espagnole est un milieu potentiellement bilingue, dans lequel les élèves acquièrent peu à peu la culture et la langue enseignée. Pour les élèves dits « monolingues », c’est-à-dire n’ayant a priori que le français comme langue maternelle, c’est en classe de langue que s’opère la construction de leur répertoire plurilingue. En s’appuyant sur la langue maternelle, qui est déjà une ressource de leur répertoire, les apprenants construisent déjà un tremplin vers un travail d’appropriation linguistique en L1 et en L2 et acquièrent des savoirs et des savoir-faire qui pourront ensuite être réutilisés, quelles que soient les langues supports ou cibles. Le premier effet de l’alternance de la langue maternelle et de la langue cible va être un changement quant à la représentation de la langue apprise. En effet, de nombreux apprenants voient les langues étrangères comme des systèmes cloisonnés, fonctionnant indépendamment les uns des autres. Le recours à une autre langue que la langue cible permet donc de mettre en avant et d’établir des tremplins entre les langues. La représentation des langues est primordiale pour les apprenants, dans la mesure où les représentations qu’ils se font d’une langue et la distance qu’ils perçoivent entre leur système linguistique et le système cible, influencent leur réception des données linguistiques et l’apprentissage de la nouvelle langue. D’après Louise Dabène (1996, citée dans Causa 2002) « l’influence de la langue maternelle ne se limite pas à permettre aux sujets de prendre appui sur un certain nombre d’ancrages lexicaux, elle les dote d’un certain nombre d’outils heuristiques à caractère métalinguistique utilisables tout au long du parcours de déchiffrage ». La comparaison des langues est donc un premier outil dans l’acquisition de systèmes linguistiques variés. De fait, la mise en contact des langues permet de favoriser la flexibilité linguistique des apprenants.
Dans un contexte d’enseignement où de plus en plus d’élèves issus de la migration intègrent les classes, il semble intéressant de se pencher sur la gestion de leur répertoire. La majorité de ces élèves peut être qualifiée de plurilingue. En effet, ils peuvent compter dans leur répertoire leur langue maternelle, parfois une autre langue utilisée en famille, la langue du pays d’accueil et enfin les différentes langues enseignées en établissement. Les langues qui composent les répertoires des enfants plurilingues peuvent donc être nombreuses, ils sont capables de parler et de comprendre plusieurs langues et peuvent être en contact avec plusieurs systèmes d’écriture. De plus, les frontières entre les langues qui composent leur répertoire peuvent être mouvantes sur le plan linguistique, historique et symbolique. Cette diversité de langues pose alors la question des différentes stratégies mises en œuvre dans leur accès à d’autres langues.
La gestion des langues des élèves plurilingues dépend de la valeur accordée à la langue maternelle dans le cercle familial. En effet, si certaines familles décident de conserver l’héritage de la langue maternelle en continuant à parler leur langue dans le contexte privé, d’autres optent pour une éducation bilingue de façon à faciliter l’intégration scolaire de l’enfant. La langue utilisée par les enfants plurilingues peut également dépendre de leur représentation de la langue. En effet, certains vont par exemple décider de maintenir la communication en langue maternelle avec un des deux parents, mais utiliser par exemple le français pour communiquer avec l’autre. Le témoignage d’un élève plurilingue (Moore 2006 : 82), d’origine portugaise, met en avant ses différentes pratiques. Le portugais est la langue parlée à la maison, principalement à table ou à l’heure du coucher. Il parle cependant français avec sa sœur, elle aussi scolarisée, car c’est la langue qu’ils utilisent à l’école. Enfin, il parle également français dans la rue, avec sa mère. On remarque alors que la gestion de la langue dépend non seulement de la négociation qui en est faite par les interlocuteurs, mais également du lieu, ce qui donne l’impression d’une « territorialité des langues ». Le contexte extra-scolaire est d’ores et déjà propice aux alternances pour les élèves plurilingues.
Les pratiques des langues dépendent largement du contexte, mais également du réseau relationnel des locuteurs plurilingues. La possibilité d’utiliser des langues variées dans leur réseau relationnel montre l’acceptation de l’autre langue. L’usage variable que fait le locuteur des langues de son répertoire, selon les situations, les lieux et les interlocuteurs marque une figure identitaire et sa volonté d’intégration, ou non, à un groupe. Les enfants disposant d’un capital linguistique plurilingue, utilisent leurs langues pour répondre à des besoins communicationnels précis, dans des contextes sociaux définis. Par conséquent, leurs compétences dans les différentes langues ne sont pas les mêmes. Danièle Moore (Moore 2006 : 99) les répertorie ainsi :
« – capacité de produire des énoncés significatifs dans au moins deux langues
– développement de compétences linguistiques (de compréhension et/ou d’expression, orales ou écrites) possiblement différentes selon les langues considérées
– prise en compte de l’usage alterné de plusieurs langues comme une ressource discursive supplémentaire
– capacité d’interpréter les énoncés linguistiques et les contextes culturels de leur production et de s’y adapter ».
D’après cette catégorisation, on remarque une souplesse quant à l’adaptation aux différentes formes linguistiques, mais également dans l’exploitation qu’ils font naturellement, de leur répertoire, en ayant recours aux alternances des langues de façon stratégique. Dans la mesure où cette alternance répond à des besoins précis, il n’est nullement nécessaire que les compétences dans chaque langue soient développées de façon égale, le but étant, au cours de l’interaction, de maintenir la communication. Sa compétence est alors plurielle étant donné qu’il doit être capable de faire face à différentes situations d’interactions, allant d’une interaction monolingue, à une interaction bilingue où les interlocuteurs auront également recours aux alternances ou au mélange des langues qu’ils ont en commun.
Ainsi, le répertoire communicatif des enfants bi-/plurilingues est composé de compétences diverses dans différentes langues. Ils vont décider de recourir à leurs différentes compétences suivant le contexte, comme par exemple le degré de formalité des situations, les interlocuteurs, les intentions de communication ou les configurations identitaires que les discours permettent de prendre en charge localement. Les diverses compétences développées par les locuteurs plurilingues grâce au contact des différentes langues de leur répertoire vont leur donner des outils qui leur permettront d’acquérir de nouvelles langues. Au moment d’analyser une langue peu ou pas connue, les mécanismes de passage mis en place ne sont pas de simples transferts, les prises d’indices et les réinterprétations des segments linguistiques s’appuient sur une réanalyse qui va elle-même s’appuyer sur leurs connaissances dans des langues diverses. Les mécanismes vont alors agir comme des filtres et vont modeler des configurations d’accès au sens. Les locuteurs plurilingues vont utiliser leurs savoirs dans la découverte et la manipulation des faits langagiers, dans différents systèmes. Leur expérience linguistique va favoriser la formulation d’hypothèses sur le fonctionnement linguistique d’une langue. On remarque alors qu’ils sont plus ouverts et plus flexibles devant des fonctionnements différents des systèmes qu’ils connaissent habituellement. Un exemple, tiré d’une étude menée par Véronique Castellotti et Danièle Moore (Dagenais & Moore 2004 : 43-44) permet de se rendre compte des différentes ressources mobilisées par les plurilingues face à la découverte et au déchiffrage d’une langue inconnue :
« Enfants plurilingues. (Suisse romande) – Discussion collective.
1. V. […] vous avez trouvé ce que c’était que les langues là. les langues en question dans le premier document c’était quoi
2. E1 chinois c’était du chinois
3. V. du chinois ? vous êtes tous d’accord là-dessus
4. E2 non pas du chinois
5. E3 ou du japonais
6. V. ah du japonais tu crois que c’était du japonais pourquoi
7. E. ou du vietnamien
8. D. ou du vietnamien ouais pourquoi alors
9. E. une langue qui ressemble au chinois
10. D. une langue qui ressemble au chinois alors/
11. E. /coréen
12. E. parce dans notre cahier on a tous les dessins mais ça ressemble pas vraiment mais [ . . . ]
22. E. en tout cas ça pouvait pas être de l’arabe parce que l’arabe ça s’écrit de droite à gauche [ . . . ]
24. E. pis là ça s’écrit de gauche à droite
25. D. ah ? et alors comment tu sais que ça s’écrit de gauche à droite comment vous savez ça
26. E. parce qu’on voit la virgule […]
54. E. moi je dirai que c’est de l’espagnol parce que pizza c’est de l’italien mais ces mots j’arrive à les lire mais c’est pas de l’italien
57. D. et c’est marqué quoi alors ? [ . . . ]
62. L. « demande à ton papa ou à ta maman qu’il le pose dans le four pendant 10 minutes »
63. D. ah ouais et ça c’est pas de l’italien c’est pas ta langue
64. E. non
65. D. mais tu as su lire
66. E. ouais[…]
87. D. comment vous aviez fait avec le premier document . vous avez trouvé plein de choses ?oui vas-y
88. E. ben nous nous on a regardé avec les dessins
89. D. avec les dessins oui j’ai vu que vous utilisiez autre chose aussi alors c’est quoi
90. E. ben moi ça m’a pas beaucoup aidé
91. D. toi ça t’a pas beaucoup aidé y’ en avait un qui avait trouvé CLÔTURE qui c’est qui avait trouvé CLÔTURE ? alors vas-y . explique-nous comment t’as fait alors
92. E. ben j’ai regardé dans le livre pour des caractères chinois et il y en a ici et il était là
93. D. et en fait c’était dans quoi dans la porte donc on trouve clôture et porte avec le même signe hein c’est ça hein . c’est ça que vous m’avez dit
94. V. et vous vous aviez trouvé encore un autre signe ?
95. D. et oui vous aviez trouvé encore autre chose ?
96. V. dans le titre
97. E. nourriture
98. D. vous avez trouvé nourriture dans le titre, alors tout à l’heure vous avez dit ça vous a aidés à trouver que c’était une ?
99. E. une recette » .
Dans ces extraits, il est intéressant de constater que les élèves arrivent à repérer des différences morphologiques entre les langues qu’ils connaissent (sans pour autant savoir les parler) et la langue à laquelle ils sont confrontés. En effet, ils partent d’abord du système d’écriture pour éliminer l’arabe des langues possibles, en partant du principe qu’il y a une virgule et que, par conséquent, la langue proposée se lit de gauche à droite. Dans l’extrait concernant le mot « pizza », l’élève est capable de lire et comprendre la phrase, tout en reconnaissant qu’il ne s’agit pas de sa langue, l’italien. Il en déduit que la phrase est donc rédigée en espagnol, après avoir procédé à un mécanisme de rapprochement entre des langues qui présentent une proximité. Enfin, pour le dernier extrait, on remarque que les élèves commencent par regarder les dessins, avant d’aller chercher une correspondance de signes dans leur cahier. Les élèves ont tenté de dégager le titre du document, en allant au-delà des mots compris, grâce à la correspondance des signes, ainsi, le mot « nourriture » est devenu « recette ». On remarque alors que les élèves sont allés plus loin que le déchiffrage des mots et ont tenté de donner du sens aux signes, en utilisant le contexte (donné par l’image présentant une maison faite avec des ingrédients) pour déduire un titre adapté.
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Table des matières
Introduction
1.La compétence plurilingue
1.1.Définition et effets cognitifs du développement de la compétence plurilingue
1.1.1.Définition et caractéristiques de la compétence plurilingue
1.1.2.La compétence plurilingue en classe, chez les monolingues et les plurilingues
1.1.3.Quelles sont les limites de la compétence plurilingue et de son application dans une classe ?
1.2.L’alternance codique, une stratégie d’apprentissage et d’enseignement
1.2.1.Définition et fonctions de l’alternance codique
1.2.2.L’alternance codique en classe de langue étrangère
1.2.3.L’alternance codique, une stratégie d’apprentissage
1.2.4.L’alternance codique, une stratégie d’enseignement
2.Les Elèves Nouvellement Arrivés en France
2.1.Définition des Elèves Nouvellement Arrivés en France et intégration dans les classes
2.1.1.Définition des Elèves Nouvellement Arrivés en France
2.1.2.Intégration des Elèves Nouvellement Arrivés en France dans les classes
2.2.La problématique de l’apprentissage du français
2.2.1.Enseigner dans des classes hétérogènes
2.2.2.L’enseignement du français aux ENAF
2.3. L’apprentissage d’une autre langue étrangère pour les ENAF inclus en classe ordinaire
2.3.1.Comparaison des systèmes linguistiques français, anglais, espagnol, allemand pour comprendre les difficultés d’un élève allophone en classe de langues
2.3.2.Des élèves allophones généralement plurilingues
3.L’enseignant et la gestion de l’alternance dans sa classe
3.1.Quels sont les modèles adoptés en classe ?
3.1.1.Les solutions apportées par des enseignants confrontés à des élèves allophones
3.1.2.Enseigner dans des disciplines à objet non linguistique
3.1.3.Enseigner dans des disciplines linguistiques
3.2.Comment organiser l’évaluation des élèves allophones ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes