Les tumeurs fibreuses solitaires (TFS) sont des tumeurs d’origine mésenchymateuse initialement décrites dans la plèvre mais qui peuvent toucher tous les tissus mous, en particulier les méninges. Elles sont rares, représentant 2 à 4% des tumeurs méningées et moins de 1% des tumeurs primitives intracrâniennes. Chaque année, en France, 200 à 300 nouveaux cas sont diagnostiqués . En pratique courante, ce type de tumeur peut être révélé par des déficits neurologiques, des crises d’épilepsie ou une hypertension intracrânienne, et leur aspect en IRM fait évoquer le diagnostic alternatif, beaucoup plus fréquent, de méningiome. Bien que le traitement soit avant tout chirurgical à l’heure actuelle, leur abord est souvent hémorragique et l’exérèse totale compliquée.
Jusqu’en 2016, on différenciait les TFS méningées des hémangiopéricytomes (HPM), de plus hauts grades. Leur diagnostic est anatomopathologique et repose sur l’aspect morphologique caractéristique avec des cellules densément organisées dans une trame réticulinique, avec une vascularisation dite « en bois de cerf ». La classification OMS 2007 différencie les HPM de grade II et ceux de grade III, dits anaplasiques (>5 mitoses/10 champs et/ou nécrose associé à d’autres critères: hémorragie, atypies nucléaires, hypercellularité et invasion du cerveau)95, sans que la gravité clinique ne soit franchement corrélée au grade36. Classiquement, les marqueurs immuno-histochimiques sont CD34 (protéine endothéliale), Bcl2 (inhibiteur de l’apoptose), marqueurs cytoplasmiques présents respectivement dans au moins 95% et 50% des cas, en général de façon concomitante, et CD99 (protéine endothéliale également, transmembranaire). Le marquage par EMA (Epithelial Membrane Antigen) et S100 (protéine neuro-ectodermique) typique des méningiomes est absent55. Le Ki-67 est variable selon le grade, classiquement de 5 à 10%56 . La classification des tumeurs cérébrales OMS 2016 regroupe à présent sous le même nom TFS méningées et HPM168 , comme nous le détaillerons dans la première partie de ce travail.
Mon travail de thèse s’est effectué dans l’unité « Génétique et développement des tumeurs cérébrales » dirigée par le Pr Marc Sanson et le Pr Emmanuelle Huillard à l’Institut du Cerveau et de la Moelle (ICM) (UPMC/InsermUMR_S1127/CNRS UMR7225 ICM), sous la direction du Pr Michel Kalamarides qui dirige le groupe de recherche sur les tumeurs méningées. La spécialité de l’équipe est la description des différents mécanismes génétiques en jeu dans le développement des méningiomes avec le développement de modèles souris22,23,73,75,76,123,124,127 , à l’intersection entre l’accès clinique aux patients24,59,104,125,126,128,160,165,172 et l’exploration fondamentale de leur pathologie. L’expertise histologique et moléculaire des méninges, tant chez l’homme que chez la souris, ainsi que l’expérience passée du développement de modèles souris, ont permis de mettre en place ce projet sur les TFS méningées, avec un financement de la Fondation ARC (PJA 20151203101) et une bourse ministérielle de l’École Polytechnique (AMX 2017-2020).
NOMENCLATURE : HEMANGIOPERICYTOME OU TUMEUR FIBREUSE SOLITAIRE ?
Nous devons le nom d’« hémangiopéricytome » aux pathologistes New-Yorkais Stout et Murray qui l’ont formé en 1942 suite à leur observation de lésions des tissus mous, extracrâniennes, semblant constituées de péricytes arrangés en vaisseaux anormaux en « bois de cerfs » 149. La localisation la plus fréquente était la plèvre. Les premières tumeurs intracrâniennes de ce type ont été décrites en 1954, mais il a également été identifié rétrospectivement trois cas présentés par les Dr. Bailey, Cushing et Eisenhardt en 1928 18. Le terme de « tumeur fibreuse solitaire » a quant à lui été utilisé pour la première fois en 1931 par Klemperer et Rabin80 pour désigner des tumeurs d’origine mésenchymateuses, bénignes ou malignes, le plus souvent pleurales. Ces deux dénominations sont souvent utilisées indifféremment et une certaine confusion existe entre les deux, la définition même des hémangiopéricytomes étant parfois controversée. Le terme d’hémangiopéricytome est finalement tombé en désuétude pour toutes ces tumeurs extra-méningées, alors que les deux termes ont été conservés pour les lésions méningées52. Il est maintenant admis que tumeurs fibreuses solitaires et hémangiopéricytomes constituent les deux extrêmes d’un spectre de tumeurs de même nature .
En ce qui concerne les tumeurs cérébrales, les classifications histologiques ont évolué, jusqu’à la classification OMS 2016 en vigueur actuellement qui officialise le regroupement des deux entités. Du fait de leur similitude avec les tumeurs somatiques, et contrairement aux autres tumeurs intracrâniennes, les hémangiopéricytomes et les tumeurs fibreuses solitaires rejoignent maintenant les principes de classification en grades. Ainsi les hémangiopéricytomes, réputés agressifs, et les tumeurs fibreuses solitaires, bénignes, sont regroupés en une même entité sous le nom de « tumeurs fibreuses solitaires / hémangiopéricytomes » de grade 1, 2 ou 3 (code 8815/0, 1 ou 2)95. Pour plus de clarté, nous utiliserons invariablement le terme de tumeur fibreuse solitaire dans la suite.
TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES SOMATIQUES
Les tumeurs fibreuses solitaires sont le plus souvent extra-méningées. Elles regroupent un ensemble de tumeurs mésenchymateuses, vasculaires, touchant essentiellement les séreuses, parfois décrites comme un sous-type rare de sarcomes41. La plupart est intrathoracique, mais elles peuvent se développer partout ailleurs (au niveau de l’abdomen, du pelvis, des membres, de la thyroïde, des voies aériennes supérieures, du foie…). Elles métastasent dans 5-25% des cas, et les facteurs de risque qui ont été proposés récemment sont l’âge du patient, la taille de la tumeur, le nombre de mitoses, la présence de nécrose tumorale, et le Ki 6741,169 . Il a été observé récemment que, en dépit du regroupement des tumeurs fibreuses solitaires méningées et somatiques, les tumeurs méningées récidivent davantage que les autres localisations (pleurales ou autres) .
TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES MENINGEES CHEZ LES ANIMAUX
Malgré la rareté et la difficulté d’un tel diagnostic, il faut noter que quelques cas de tumeurs fibreuses solitaires intracrâniennes ont été rapportés chez des animaux, chez le cheval147 et le chat 21. Aucun cas chez la souris n’a été décrit.
DESCRIPTION ANATOMOPATHOLOGIQUE SELON LA CLASSIFICATION OMS 2016
Les tumeurs fibreuses solitaires sont des lésions cellulaires organisées par des travées réticuliniques, avec un aspect caractéristique de vaisseaux aplatis et ramifiés, en « bois de cerfs ». Les tumeurs de grade 1 sont riches en collagène, peu cellulaires, généralement sans mitoses, elles correspondent aux anciennes « tumeurs fibreuses solitaires » 95. Les grades 2 et 3 sont hypercellulaires, avec des cellules arrondies. Les grades 2 (anciens hémangiopéricytomes bénins) sont définis par rapport aux grades 3 (anciens hémangiopéricytomes anaplasiques) par moins de 5 mitoses pour 10 champs à fort grossissement et l’absence de nécrose95 (Figure 0.1). Dans les cas où l’aspect morphologique ne permet pas de poser le diagnostic avec certitude, il repose actuellement sur le marquage nucléaire par STAT6 (Signal Transducer and Activator of Transcription 6, facteur de transcription) en immunohistochimie, quel que soit leur organe d’origine145. La sensibilité de ce marquage est 86-100% et sa spécificité 96-100%175 . Il a également été proposé un marquage par ALDH1 et CD34, dans les cas où le marquage STAT6 ne permet pas de poser le diagnostic .
TUMORIGENESE DES TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES MENINGEES
Les tumeurs fibreuses solitaires méningées sont des tumeurs très rares, dont la physiopathologie a été peu explorée par rapport à celle des méningiomes. Par plusieurs aspects – imagerie, localisation, évolution clinique – ces tumeurs ressemblent aux méningiomes de hauts grades, en particulier les méningiomes angioblastiques, mais ils présentent aussi des aspects macroscopiques, histologiques et cliniques atypiques, qui justifient une classification à part. Ils s’en différencient de façon catégorique et objective depuis la découverte, en 2013, de la fusion spécifique de deux gènes, NAB2 et STAT6. Dans cette partie, nous présenterons d’abord les caractéristiques génétiques des tumeurs fibreuses solitaires, nous en exposerons le mécanisme oncogénique supposé, et nous décrirons ensuite la cellule progénitrice des tumeurs fibreuses solitaires méningées, qu’elles partagent probablement avec les méningiomes.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1. DEFINITION ET DESCRIPTION DES TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES
2. TUMORIGENESE DES TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES MENINGEES
PARTIE I TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES MENINGEES, ETUDE D’UNE SERIE CLINIQUE ET PREMIERE DESCRIPTION DE CAS DE TRANSFORMATIONS MALIGNES
ÉPIDEMIOLOGIE
IMAGERIE
ANALYSE RETROSPECTIVE DES CAS DE LA PITIE-SALPETRIERE
FACTEURS PRONOSTIQUES UTILISES EN PRATIQUE COURANTE – ASPECTS CLINIQUE ET HISTOLOGIQUE
TRANSFORMATION MALIGNE DE TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES DE BAS GRADES
TRAITEMENT
PARTIE II ANALYSE MOLECULAIRE DES TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES MENINGEES, EXOME ET TRANSCRIPTOME
INTRODUCTION
SEQUENÇAGE DE L’EXOME, COMPARAISON CAS PAR CAS ENTRE TUMEUR PRIMITIVE ET RECIDIVE MALIGNE
1. Patients
2. Principe des analyses
3. Recherche d’expression des gènes candidats
1. Patients et échantillons
2. Variants identifiés
ANALYSE TRANSCRIPTOMIQUE DES TFS MENINGEES
Méthode : recherche d’enrichissement du transcriptome
1. Description des échantillons
2. Agrégation de toutes les tumeurs fibreuses solitaires en UMAP
3. Agrégation non supervisée des TFS par rapport à divers prélèvements tumoraux
4. Agrégation non supervisée des TFS par rapport aux méningiomes
5. Gene Set Enrichment Analysis TFS versus méningiomes
6. GSEA sur les sous-groupes du cluster
7. Expression génique différentielle entre TFS et méningiomes
8. Etude de l’expression génique pour les variants trouvés avec le séquençage d’exons
PARTIE III CREATION D’UN MODELE SOURIS DE TUMEURS FIBREUSES SOLITAIRES MENINGEES
1. INTRODUCTION
2. METHODES
1. Prélèvement et culture d’arachnoïde et de dure-mère
2. Infection par le virus RCAS in vitro
3. Identification et tri des cellules méningées PGDS positives
4. Tests fonctionnels
1. Génération des souris porteuses de la fusion NAB2-STAT6
2. Sacrifice et analyse des souris
3. RESULTATS
Culture de cellules méningées de la base ou de la convexité et évaluation quantitative de la proportion de cellules GFP
1. Contrôle de l’infection in vitro par RCAS
2. Résultats des tests de prolifération cellulaire et d’apoptose
1. Injection in vivo : contrôle qualitatif de l’injection du RCAS et du prélèvement méningé
2. Description de la cohorte de souris infectées par les RCAS
3. Résultats de l’analyse tissulaire
4. DISCUSSION
CONCLUSION GENERALE