Les abus sexuels constituent un fléau mondial et demeurent l’un des interdits universels. C’est un phénomène qui de nos jours ne cesse de prendre de l’ampleur. Les victimes de ces actes contre-nature ne sont pas exclusivement du genre féminin; selon la littérature internationale 10 à 30 % des filles et 10 à 15% des garçons de moins de 18 ans subissent des pratiques sexuelles non désirées [42]. Aux Etats-Unis, on évalue à 250000 le nombre de nouveaux cas d’enfants victimes d’abus sexuel par an [22]. En France, 59000 enfants ont été victimes d’abus sexuel en 2001 soit 23% de plus qu’en 1999 [22]. Au Sénégal, ce phénomène concerne surtout les mineurs et son ampleur ne cesse d’augmenter au fil des années [11]. C’est un drame silencieux qui nécessite une meilleure approche en vue de son éradication. Tout médecin dans l’exercice de son art peut être confronté à un cas d’abus sexuel. Pour cette raison, la maitrise de l’anatomie de l’appareil génital de la femme, de ses variétés physiologiques ainsi qu’une bonne méthode de prise en charge s’avèrent nécessaire car permettant aussi à l’autorité judiciaire de faire appliquer la loi sans porter préjudice à qui que ce soit.
Dans la banlieue dakaroise, plusieurs cas d’abus sexuels sont signalés par les médias ; cependant, à notre connaissance, il n’existe pas d’étude faite sur ces cas d’abus sexuel permettant d’avoir une idée précise sur la fréquence de ce phénomène, son ampleur, ses conséquences néfastes sur les victimes et les problèmes liés à sa prise en charge. Ces contraintes épidémiologiques nous ont motivés à réaliser cette étude dont l’objectif général était d’apporter notre contribution dans l’étude des cas d’abus sexuels chez les filles. Les objectifs spécifiques de cette étude étaient de préciser la fréquence des abus sexuels au Centre Hospitalier National de Pikine, de décrire le profil épidémiologique des victimes des abus sexuels, de décrire le profil des agresseurs, d’apprécier les aspects cliniques des abus sexuels et enfin de décrire la prise en charge des victimes d’abus sexuel.
DEFINITION ET CLASSIFICATION DES ABUS SEXUELS
L’abus sexuel constitue une forme de maltraitance subie par les enfants [3]. D’après une étude, les enfants abusés sexuellement constituent 10 à 12% des enfants maltraités [32]. Le choix de l’expression « abus sexuel » est la plus répandue actuellement [42]. Cette expression a l’avantage de ne pas réduire le phénomène ni aux sévices qui déterminent un degré de gravité excluant d’emblée du champ de la définition des actes, des attitudes qui sont des abus sexuels sans être des sévices, ni non plus aux violences car si la violence accompagne souvent l’abus, certains actes sont commis dans un climat sans violence apparent .
Néanmoins, il faut éviter une acceptation trop large de la notion d’abus sexuel; d’où la pertinence d’évaluer l’intentionnalité du comportement de l’adulte plus que le comportement lui-même [42]. L’abus sexuel à l’égard des enfants peut être défini comme : un acte sexuel imposé à un enfant dont le développement psychoaffectif et cognitif est insuffisant pour comprendre pleinement la nature de l’acte posé et qui n’est pas en mesure de donner un consentement éclairé aux gestes commis [24]. Les abus sexuels peuvent être divisés en trois catégories :
– les abus sans contact tels que l’exhibitionnisme (un comportement par lequel un individu expose les parties intimes de son corps à une ou plusieurs autres personnes), le voyeurisme (un trouble de la sexualité qui consiste à regarder en se tenant caché certaines scènes parfois érotiques pour y retirer une satisfaction sexuelle), le harcèlement sexuel qui est caractérisé par l’abus d’autorité de la part d’un supérieur qui profite de sa position pour exercer des pressions sur son subordonné afin d’obtenir des faveurs sexuelles [27] et la pornographie juvénile ;
– le viol qui est un acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit sur la personne d’autrui avec violence, contrainte, menace ou surprise [41] ;
– les autres gestes avec contact physique comme les caresses, les baisers, le contact oral-génital, la masturbation et l’attouchement sexuel (il s’agit d’un toucher sur le corps de l’autre par exemple sur les seins, les fesses ou le sexe de quelqu’un sans son consentement dans le but de rechercher un plaisir sexuel).
EPIDEMIOLOGIE
Fréquence
La fréquence des violences sexuelles concernerait 13% à 20% des femmes et 3% des hommes dans le monde [34]. L’OMS estimait en 2002 que 150 millions de filles et 73 millions de garçons avaient été victime d’abus sexuel dans le monde [11]. En Afrique, 5 à 15% des femmes rapportent l’existence d’un ou plusieurs rapports sexuels forcés non consentis [46]. En France, 154000 femmes âgées entre 18 et 75 ans se déclarent victimes de viol entre 2010 et 2011 et 16% des femmes déclarent avoir subi des rapports sexuels forcés ou des tentatives de rapports sexuels forcés au cours de leur vie [4]. Aux Etats-Unis, selon une enquête menée en 2011, 19,3% des femmes ont rapporté qu’elles étaient victimes de viol au moins une fois dans leur vie .
Facteurs de risque
Il existe plusieurs facteurs de risque notamment l’âge, le sexe, la pauvreté, l’existence de certaines zones de conflit entre autres.
Age et sexe
Les victimes sont dans la majorité des cas des mineurs de sexe féminin. Aux Etats-Unis plus de la moitié des cas sont des femmes âgées de moins de 18 ans [34]. Au Sénégal, une étude menée sur les cas d’abus sexuel au niveau de 4 centres hospitaliers révélait un âge moyen des victimes de 11 ans et sont toutes de sexe féminin [11]. En République Démocratique du Congo, une étude réalisée par l’Unicef en 2007 montrait que les victimes étaient majoritairement des filles de plus en plus jeunes (environ 1 victime sur 2 est mineure et 1 sur 4 a moins de 13 ans) [36]. La dépendance des enfants vis-à-vis de ceux et de celles qui sont responsables d’assurer les soins nécessaires à leur développement les rendrait plus vulnérables .
Pauvreté
La pauvreté constitue un facteur déterminant. D’après une étude, 65% à 80% des enfants suivis et victimes d’abus sexuel vivent dans des familles à faible revenu [54]. Du fait de la pauvreté, des femmes et des enfants sont obligés pour assurer leur survie de travailler dans des conditions qui mettent en danger leur intégrité physique et mentale. Dans des cas extrêmes, malheureusement de plus en plus fréquents, ces stratégies de survie conduisent à leur exploitation, que ce soit sous formes d’abus sexuel, de violence sexuelle ou d’exploitation sexuelle à des fins commerciales [9]. Les personnes qui ont l’intention d’abuser sexuellement des adolescentes jouent sur leur situation de pauvreté, leur sensibilité et leur innocence en leur proposant de l’argent, de la marchandise ou des promesses de voyage [16]. Le combat contre les abus sexuels passe aussi par une lutte contre la précarisation des conditions d’existence des familles .
Zones de conflit
Les guerres civiles et militaires de quelques pays sont à l’origine de l’existence de certaines zones d’insécurité [34]. En Côte d’Ivoire, une étude réalisée par Amnesty International soulignait la hausse des violences sexuelles [34]. Human right Watch a publié en 2007 une étude intitulé « My heart is cut » : Sexual violence by rebel and progovernment force in Cote d’Ivoire ; qui porte sur 180 cas de violences sexuelles [36]. Selon la même source, 50% de toutes les filles sierra léonaise ont été soumises à des violences sexuelles.
Déficience mentale
L’existence de certains états antérieurs constitue un risque élevé d’être potentiellement victime d’agression sexuelle. Les femmes déficientes mentales font partie des potentielles victimes d’abus sexuel. Selon une étude portant sur 784 victimes d’agression sexuelle, 20% présentaient des troubles mentaux graves [34]. Cet état de déficience permet à l’abuseur de passer à l’acte sexuel et d’échapper à une poursuite judiciaire car les dires de la victime atteinte d’un déficit mental sont souvent sujets à caution.
Type de contact sexuel
Le contact génito – génital est la modalité de contact sexuel la plus fréquente. D’après l’étude menée au Sénégal par Cissé et al, elle est de 80,9% avec une prédominance vaginale dans 61% des cas [11]. Cette modalité avec pénétration était rapportée dans 91,3% d’après Traoré .
RAPPEL ANATOMIQUE DE L’APPAREIL GENITAL FEMININ
La diversité morpho-anatomique de l’appareil génital féminin impose une acquisition des connaissances de toutes ses variations physiologiques par tout praticien susceptible de prendre en charge une victime d’abus sexuel. Nous distinguons : La vulve qui représente l’ensemble des organes génitaux externes visibles. C’est un repli cutané érogène recouvrant l’espace superficiel du périnée [34] . Elle regroupe :
● Les grandes lèvres : il s’agit de deux replis cutanés qui délimitent la fente vulvaire. Sa face externe est plus pigmentée que le reste du corps, sa face interne est plus rosée [34].
● Les petites lèvres : ce sont des replis cutanés de couleur rosacée ; elles se situent à l’intérieur des grandes lèvres [34]. A leurs extrémités postérieures, les deux lèvres s’unissent pour former la fourchette vulvaire [53].
● Le clitoris : il s’agit d’un organe charnu, érectile et très sensible situé au niveau de la jonction des extrémités antérieures des deux petites lèvres [34].
● Les glandes vulvaires : elles sont constituées des glandes vestibulaires majeures et des glandes vestibulaires mineures. Les glandes vestibulaires mineures sont composées par les glandes sébacées disséminées sur les lèvres et les glandes para urétrales de Skène (deux glandes exocrines qui s’abouchent de chaque côté de l’ostium urétral). Les glandes vestibulaires majeures ou glandes de Bartholin sont deux glandes exocrines, une à droite, l’autre à gauche. Elles se projettent à hauteur du tiers postérieur des grandes lèvres [34].
● L’hymen est la membrane qui se trouve à l’extrémité inférieure du vagin et qui sépare la cavité vaginale de la vulve. Il s’agit d’une charpente conjonctive constituée de vaisseaux, de nerfs, de quelques fibres musculaires lisses [52]. L’hymen se déchire le plus souvent au premier rapport sexuel complet et entraine une légère perte sanguine [34]. Cette déchirure sépare l’hymen en plusieurs lambeaux hyménaux qui se cicatrisent pour donner des caroncules hyménales [34]. Parfois, il se dilate tout simplement mais ne se rompt ; on parle d’hymen complaisant ou compliant. Plusieurs variétés ou formes d’hymen sont possibles [52]. Nous retiendrons trois variétés classiques :
– l’hymen labié présentant une fente médiane à direction antéro-postérieure plus ou moins longue bordée par des franges souples permettant des rapports sexuels sans se déchirer, c’est l’hymen complaisant ;
– l’hymen circulaire ou annulaire sous forme d’une membrane percée d’un trou en général central ;
– l’hymen semi lunaire ou falciforme en forme d’un croissant à concavité antérieure. Plusieurs autres formes d’hymen existent aussi notamment l’hymen cribriforme qui présente plusieurs trous punctiformes et l’hymen imperforé caractérisé par l’absence d’orifice .
|
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
1. DEFINITION ET CLASSIFICATION DES ABUS SEXUELS
2. EPIDEMIOLOGIE
2.1 Fréquence
2.2 Facteurs de risque
2.3. Type de contact sexuel
3. RAPPEL ANATOMIQUE DE L’APPAREIL GENITAL FEMININ
4. ASPECTS CLINIQUES DES ABUS SEXUELS
4.1 Circonstances de découverte
4.2 Traumatismes génitaux
4.3 Traumatismes extra-génitaux
4.4 Troubles psychologiques
5. COMPLICATIONS DES ABUS SEXUELS
6. PRISE EN CHARGE DES VICTIMES D’ABUS SEXUEL
6.1 Accueil
6.2 Examen clinique
6.3 Bilan paraclinique
6.4 Conduite à tenir
DEUXIEME PARTIE: NOTRE TRAVAIL
1. CADRE D’ETUDE
1.1 Infrastructures
1.2 Personnel
1.3 Activités
2. METHODOLOGIE
2.1 Type d’étude
2.2 Période d’étude
2.3 Critères d’inclusion
2.4 Critères de non-inclusion
2.5 Paramètres étudiés et analyse des données
3. RESULTATS
3.1 Aspects épidémiologiques
3.2 Circonstances de l’agression
3.3 Aspects cliniques et paracliniques
3.4 Aspects thérapeutiques
4. DISCUSSION
4.1 Fréquence
4.2 Age de la victime
4.3 Heure de l’abus sexuel
4.4 Lieu de l’abus sexuel
4.5 Type de contact sexuel
4.6 Mode d’ admission
4.7 Délai de la consultation
4.8 Type de lésion
4.9 Etat psychologique de la victime
4.10 Bilan paraclinique
4.11 Prise en charge
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES
ANNEXES