Pourquoi mesurer la SSS
Afin d’analyser et de prévoir les changements climatiques futurs, de nombreuses études se portent sur les mécanismes du cycle hydrologique global. Celui-ci définit les différents flux entre les réservoirs d’eau liquide, gazeuse ou solide. Il relie donc naturellement les océans, l’atmosphère, les terres émergées et la cryosphère. Un dérèglement ou une accélération de ce cycle pourrait engendrer des inondations ou des sécheresses et aurait, par conséquent, un impact humain très important. Or, le cycle hydrologique global reste très mal connu. Sa réponse aux différents forçages anthropiques est très difficile à prévoir et reste très variable selon le modèle climatique utilisé ([Allen et Ingram, 2002]). Le phénomène dominant du cycle repose sur les interactions océans – atmosphère avec 86% de l’évaporation, estimée à 13 Sverdrup (Sv) et 78% des précipitations, estimées à 12 Sv, se situant à la surface de l’océan ([Schmitt, 1995]). Mais la mesure de ces flux air – mer est difficile et seule une description générale de l’état moyen du cycle hydrologique global est aujourd’hui connue. Une méthode pour appréhender les variations des flux E – P (c’est à dire évaporation – précipitation) est de mesurer la salinité de surface des océans. Au premier ordre, la distribution géographique de la SSS reflète celle des flux E – P : les régions de fortes salinités sont caractérisées par un flux E – P fortement positif et inversement les zones de faible salinité sont marquées par un flux E – P négatif (voir Figure I. 1). La mesure de la salinité apparaît alors comme une technique très prometteuse pour observer une possible accélération du cycle hydrologique ([Schmitt, 2008]).
Définition et caractéristiques générale de la SSS
La définition historique de la salinité est la masse de sel dissous contenu dans un kilogramme d’eau de mer. En pratique, les mesures de salinité de l’eau de mer sont réalisées par une mesure de la conductivité avec laquelle une équivalence a été adoptée par [UNESCO, 1981]. Elle s’appuie sur la relation entre la salinité d’un échantillon d’eau de mer et le rapport de conductivité entre cet échantillon et une solution standard contenant 32.4356g de chlorure de potassium par kilogramme. L’unité de la salinité est alors le « practical salinity scale 1978 » noté, dans la suite de mémoire, pss. Récemment, cette correspondance a été remise en cause ([SCOR/IAPSO Working group 127, 2008]). En effet, le lien entre les mesures de conductivité et la salinité absolue, dépendante de la composition en sel, fait toujours débat. Les scientifiques travaillant sur les satellites SMOS et Aquarius ont cependant vivement recommandé de conserver cette définition de la salinité, ainsi que l’unité pss : la mesure effectuée par télédétection s’appuie sur cette relation entre conductivité et salinité. De même, les chaînes de traitement ont été conçues afin de réaliser l’étalonnage et la validation des mesures satellites par comparaison avec des mesures in situ.
Les cartes climatologiques de SSS (Figure I. 1b) montrent une SSS plus élevée dans l’Océan Atlantique que dans les autres océans et une correspondance générale entre les zones climatologiques de faible SSS et de fortes précipitations. Sa valeur moyenne sur l’ensemble du globe est estimée à environ 35 pss, avec une variation pouvant dépasser 15 pss proche des embouchures de fleuves et un maximum supérieur à 40 pss dans la Mer Morte. En plein océan, c’est à dire loin de côtes et des décharges fluviales et en dehors des mers fermées ou semi fermées, la SSS varie entre 32 pss (Pacifique Nord-Est) et 37 pss (Atlantique subtropical Nord).
Motivations pour la mesure de la salinité de surface
La salinité est un paramètre océanographique fondamental car associée à la température, elle permet de déterminer la densité de l’eau de mer, caractéristique majeure de différentes masses d’eau. Les variations de la SSS sont dues aux phénomènes d’évaporation (augmentation de la SSS) et de précipitation (baisse de la SSS), aux décharges fluviales, à la circulation océanique et dans les régions polaires, aux phénomènes de fonte et de formation des glaces. Ces changements sont ensuite transférés à l’océan profond et aux régions avoisinantes par advection ou diffusion.
La salinité de surface joue un rôle important dans le système climatique global. On peut distinguer 4 grandes caractéristiques de la salinité de surface :
1°) Comme indiqué au début de ce paragraphe, la SSS est un indicateur de la variabilité du cycle hydrologique global. Elle donne des informations sur les échanges d’eaux douces avec l’atmosphère (évaporation et précipitation) mais aussi avec les terres émergées et la cryosphère (décharges fluviales et fonte des glaces de mer). Des études effectuées sur les tendances multi-décennales de la SSS ont montré son intérêt comme signature des tendances d’évaporation et de précipitation, notamment dans l’Atlantique Nord ([Gordon et Giulivi, 2008]) et au niveau des Tropiques ([Cravatte et al., 2009], Figure I. 2). De même, en estimant les variations des flux E – P à partir des variations de SSS ces 30 dernières années, [Hosoda et al., 2009] suggèrent une accélération du cycle hydrologique global.
2°) La salinité a également un lien étroit avec le phénomène ENSO (El Niño / Southern Oscillation). Selon [Ballabrera-Poy et al., 2002], prendre en compte les mesures de SSS pourrait améliorer sa prédiction à 6 – 12 mois. De fortes anomalies positives de SSS ont été observées ([Delcroix, 1998] ;[Maes, 2000]), les années précédant le fort événement El Niño de 1997 – 98, dans le Pacifique Tropical Ouest. Cette zone du Pacifique Ouest est surnommée « Warm Pool » car elle se caractérise, en temps normal, par des eaux de surface parmi les plus chaudes de l’océan global, par des pluies intenses et des vents faibles. Ces conditions météorologiques induisent une salinité faible et une couche de surface océanique très stratifiée donc très stable, constituant alors la plus grande source chaude de la machine thermodynamique terrestre. A l’inverse, au centre et à l’est de l’océan Pacifique, les eaux profondes plus froides et plus salées remontent à la surface par subduction et forment la « Cold Tongue ». La frontière entre ces deux zones est alors caractérisée par un front étroit de salinité au niveau de l’équateur, le contraste en température étant moins marqué (Figure I. 3 a et b). Lors d’un événement El-Nino, les vents d’est faiblissent pendant que les courants et les forts vents d’ouest déplacent ce front de salinité vers l’est du bassin, augmentant ainsi la SST et diminuant la SSS dans le Pacifique Est. La position de ce front varie selon l’intensité des événements El Niño et La Niña ([Picaut et al., 2001]).
La détection du front de sel de la Warm Pool n’est pas la seule utilisation des mesures de salinité dans la prédiction d’ENSO. La SSS joue également un rôle d’amplificateur du phénomène El Niño grâce à la formation de couches barrières ([Lukas et Lindstrom, 1991], [Maes et al., 2002], [Maes et al., 2005]). Cette couche, stratifiée en salinité mais uniforme en température, se situe entre la thermocline, qui est la limite supérieure des eaux froides profondes, et la base de la couche de mélange océanique. Elle isole donc les eaux chaudes de surface des eaux profondes plus froides et limite leur mélange en cas de forts coups de vent. L’action du vent est alors concentrée sur cette faible couche d’eaux chaudes et peu salées et son déplacement vers l’est en est facilité. Si la détection de couches barrière est immédiate lorsque des profils verticaux de salinité et de température sont connus, la faible disponibilité de ces profils impose de trouver d’autres moyens de détection. [Maes, 2008] utilise la fréquence de Brunt-Väisälä pour construire un indicateur de la stratification verticale de salinité. Cet indicateur montre une corrélation forte avec la SSS. Le gradient zonal de SSS le long de l’équateur (∂S/∂x) est également utilisé pour estimer l’épaisseur et la position des couches barrières ( [Delcroix et McPhaden, 2002], [Bosc et al., 2009], Figure I. 3 c et d).
Les tendances observées entre 1955 et 2003 et analysées par [Cravatte et al., 2009] dans le Pacifique Ouest montrent une augmentation moyenne de la température de la « Warm Pool » associée à une baisse de la SSS. Le front de salinité s’est déplacé vers l’est du bassin, ce qui pourrait modifier la dynamique d’occurrence des événements El Niño. Ce rafraîchissement ne peut être explicité à cause du manque de mesures historiques de SSS.
Cependant, en considérant la relation de Clausius Clapeyron, on peut estimer que plus la température est élevée, plus l’atmosphère peut stocker de la vapeur d’eau qui se transformera ensuite en précipitation. Les zones d’eaux chaudes devraient alors subir une intensification du cycle hydrologique (renforcement des précipitations) entraînant une baisse de la salinité. A l’inverse les zones plus sèches devraient voir leur salinité augmenter avec les phénomènes d’évaporation. Ce phénomène est confirmé par les observations indiquant un renforcement des contrastes régionaux ([Cravatte et al., 2009]). Parallèlement à cette étude, [Reverdin et al., 2007b] montre une extension vers l’Ouest du maximum de salinité.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : MESURER LA SALINITE PAR RADIOMETRIE
I.a) Pourquoi mesurer la SSS
Définition et caractéristiques générale de la SSS
Motivations pour la mesure de la salinité de surface
I.b) Intérêts d’une mesure par télédétection
Couverture spatiale des mesures in situ
Apports et objectifs de la télédétection
I.c) La mesure par radiométrie en bande L
Choix de la fréquence de mesure
Paramètres pouvant affecter la mesure radiométrique
I.d) Les spécificités du satellite SMOS
Les différents modèles de rugosité
Utilisation d’une méthode itérative
I.e) L’étalonnage et la validation des données
Sources d’un écart entre mesure in situ et mesures satellite
DEUXIEME PARTIE : VARIABILITE VERTICALE DE LA SALINITE DE SURFACE (0 – 10 m)
II.a) La variabilité naturelle de la salinité à l’échelle locale
Equation – bilan de la salinité dans la couche de mélange
Les premières observations de dessalure en surface
Evolution temporelle de la salinité en cas de pluie
Persistance des différences verticales de salinité
II.b) Les données de salinité de surface disponibles
II. b. 1) Le projet Argo (http://www.Argo.ucsd.edu/ et http://www.coriolis.eu.org/)
Fonctionnement
Répartition géographique
Echantillonnage vertical
Précision annoncée des mesures
Contrôle Qualité
II. b. 2) Le réseau TAO (Tropical Atmosphere Ocean)
(http://www.pmel.noaa.gov/tao/disdel/disdel.html)
Répartition géographique
Fonctionnement
Echantillonnage vertical
Précision annoncée
Contrôle Qualité
II. b. 3) Le World Ocean Database 2005
(http://www.nodc.noaa.gov/OC5/WOD05/pr_wod05.html)
Répartition géographique, Echantillonnage vertical et Précision annoncée des mesures
Contrôle Qualité
II. b. 4) Le serveur SISMER (Système d’Informations Scientifiques pour la Mer, http://www.ifremer.fr/sismer/index_FR.htm)
Répartition géographique et échantillonnage vertical
Contrôle Qualité
II. b. 5) Le projet ORE – SSS (Observatoire de Recherche en Environnement, http://www.legos.obs-mip.fr/observations/sss/)
Fonctionnement et précision des mesures
Répartition géographique
Contrôle Qualité
II. b. 6) Récapitulatif
II.c) Sélection et traitement des données de salinité utilisées dans l’étude de la variabilité verticale de la salinité
Programmes de mesures sélectionnés
Critères retenus pour la sélection et la correction des données
Définition des « positions verticales »
II. c. 1) Données issues du programme Argo
II. c. 2) Données issues du programme TAO
II. c. 3) Données issues des programmes WOD05, SISMER et ARAMIS
II. c. 4) Données issues du Polarstern
II. c. 5) L’importance du travail de correction et de sélection des données
II. c. 6) Caractéristiques générales de l’ensemble de données obtenu (30° N – 30°S)
II.d) La variabilité verticale de la salinité au niveau des tropiques
II. d. 1) Accroissement de la salinité avec la profondeur (∆S ≤ – 0.1 pss)
II. d. 2) Les dessalures en surface observées près des embouchures de fleuves (∆S ≥ 1 pss)
II.e) L’influence des conditions météorologiques
II. e. 1) Définition d’un paramètre de pluie utilisable lors de l’étalonnage / validation SMOS
II. e. 2) Définition d’un paramètre de vitesse de vent utilisable lors de l’étalonnage / validation SMOS
II. e. 3) Relations statistiques entre les différences verticales de salinité in situ et les paramètres 3d_MRA et 1hr_WS
Stabilité de l’analyse statistique
Prise en compte de la vitesse du vent
Améliorations possibles
II.f) Recommandations et conclusions pour l’étalonnage validation
TROISIEME PARTIE : L’APPORT DES MODELES POUR L’ETUDE DE LA VARIABILITE DE LA SALINITE DE SURFACE
III.a) La variabilité de la salinité de surface dans le modèle PWP
III. a. 1) Fonctionnement du modèle PWP
Définition des équations et des paramètres du modèle
Calcul de la profondeur de la couche de mélange
III. a. 2) Influence de la pluie sur la salinité de surface à partir du modèle PWP
III. a. 3) Amélioration du modèle PWP
III. a. 4) Conclusion
III.b) La variabilité de la salinité de surface dans le modèle NEMO – ECHAM
III. b. 1) Comparaison entre les profils de salinités modélisés et mesurés in situ
III. b. 2) Influence des précipitations et différences verticales de salinité calculées par le modèle NEMO
III. b. 3) Etude des précipitations
III. b. 4) Présence d’une halocline dans les 10 premiers mètres
III. b. 5) Conclusion
CONLUSIONS
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