Definition d’une sensibilite sociale des territoires de l’eau

Environnement, territoire et gouvernance 

Depuis l’émergence de la problématique environnementale à la fin des années 60 dans les réflexions politiques, puis leur diffusion et appropriation par la recherche scientifique, tant par les sciences de la nature que par les sciences humaines, les questions de gestion, d’administration et d’aménagement des territoires ont été profondément modifiées. La prise de décision et la gouvernance dans le cadre de l’administration et la gestion des territoires, se sont complexifiées. Parmi ces bouleversements, les contestations à propos de grands projets se sont multipliées. Celles-ci sont portées par une diversité d’acteurs selon les situations. Habitants, riverains, membres « de la société civile » se regroupent en association pour l’occasion. Leurs contestations peuvent être également relayées par des associations qui par leur expérience et leur « rayonnement », possèdent une efficacité à l’échelle nationale.

Dans l’Ouest de la France, l’exemple de la ligne TGV Bretagne Pays-de-la-Loire, et surtout celui du projet de l’aéroport de Notre Dames des Landes (Lecourt, 2003), en sont des illustrations parmi les plus visibles ou « bruyantes ». Plus récemment et à l’échelle nationale, le cas du barrage de Sivens dans le Tarn exprime les mêmes problématiques. Si ces exemples peuvent avoir un retentissement fort à l’échelle nationale, les exemples de contestation à l’encontre d’aménagements, de modes de gestion ou d’usages de l’espace ont aussi une dimension locale forte. La compréhension des territoires où émergent ces tensions est donc nécessaire. Le territoire est ici entendu au sens duquel certains géographes l’ont défini, c’està-dire comme une « portion de l’espace approprié » par les activités humaines (Di-Méo, 1996) ; autrement dit, l’usage que nous faisons du terme de territoire est là pour signifier la dimension sociale de ces espaces, tout autant que pour souligner la dimension spatiale de la vie sociale.

Ces contestations portées notamment par des acteurs locaux « de la société civile», ont mis en évidence une demande de participation à la décision qui a été peu à peu prise en compte dans l’action publique. La loi Bouchardeau du 12 juillet 1983, relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement, généralise les enquêtes publiques et institue les études d’impact. Le dialogue entre les citoyens et l’administration s’ouvre et la prise en compte de l’environnement est reconnue. La loi Barnier du 2 février 1995 créé la Commission Nationale du Débat Publique, avec une volonté d’inscription dans les politiques d’aménagement des territoires, et plus spécifiquement dans les politiques publiques en matière d’environnement (Theys, 2002 ; Lascoumes, 2012).

C’est pourquoi certains auteurs parlent de « démocratie environnementale » (Barbier et Larrue, 2011). Celle-ci, caractérisée notamment par la « participation », renvoie à un paradigme de l’action publique environnementale qui tente de répondre à une « gestion concertée de l’environnement ». Ces termes portent une ambiguïté qui demande à être questionnée. D’un côté, ils permettent de rendre compte de transformations de l’action publique, précisément dans le domaine de l’environnement ; ils sont alors considérés et utilisés comme indicateurs ou traducteurs de pratiques dans la prise de décision. D’un autre côté, ces termes ont envahi le discours politique et citoyen. Souvent peu définis, ils renvoient à une hétérogénéité de sens, et donnent parfois l’impression de discours incantatoires.

Des transformations des territoires qui font émerger l’hypothèse d’une sensibilité sociale 

La prise en compte et la reconnaissance de l’environnement comme « problème » dans les questions d’aménagement et de dynamiques des territoires, marquent de nouveaux modes d’action et de perception de ces espaces. En même temps que les capacités de transformation des paysages par les aménagements contemporains augmentent – par leur ampleur et la rapidité de leur réalisation – ceux-ci sont questionnés et remis en cause. Les territoires en question dans cette recherche sont des espaces et des territoires de l’eau, que l’on peut définir comme l’interface des interactions environnement-société. Nous avons à faire face ici à un problème de vocabulaire. Tantôt nous parlons d’espace, puis de territoire ou encore de dimension spatiale de la vie sociale. Pour clarifier les usages de ces termes qui portent en eux parfois des sens multiples et des débats théoriques forts, nous avons fait le choix de retenir des définitions simples afin de pouvoir articuler entre elles les notions. Le territoire est défini comme une portion de l’espace approprié par les activités humaines. L’environnement, défini en tant que production techno-centrique (Theys, 1993) ou comme ensemble d’objets hybrides (Latour, 1999) en interrelation avec le monde social, est donc contenu dans le territoire.

Ces territoires ne sont pas les simples supports des activités humaines, ils les déterminent, les contraignent en partie. En retour, les activités humaines, par l’importance et les déploiements qu’elles ont acquis, modifient et orientent les dynamiques de ces territoires-environnements. C’est donc bien d’un processus interactif dont il est question. La prise en considération de ces interactions réciproques fonde notre approche scientifique et l’ancre dans une démarche de sociologie de l’environnement. Par transformation des territoires, il faut entendre plus précisément l’idée de transformation et de modification des espaces, espace physique d’abord, même si celles-ci ont des répercussions au-delà de la simple dimension physique de l’espace. Les transformations qui affectent ces territoires sont de nature variable et se décomposent en deux « familles » principales. D’un côté, des transformations qui se déploient sur un temps court et se manifestent sur des espaces circonscrits : les inondations par exemple. D’un autre coté, en réponse, d’autres transformations sont liées à des aménagements projetés, en vue de gérer le risque pour maîtriser l’aléa, et de réduire la vulnérabilité.

Les actions des acteurs de ces territoires en lien avec ces transformations sont au cœur de nos observations ; comment la société réagit-elle à partir de l’événement qui transforme le territoire-environnement ? Qui dans la société « agit » en lien avec ces transformations et à quelles conditions ? Avec quels objectifs, quelles revendications ? Quels sont les enjeux sociaux qui ressortent de l’observation de ces actions ? Quels sont les pratiques, les discours et les représentations associés aux espaces en jeu dans ces situations ? L’environnement comme « problème », ou question sociale, pose alors, sur le plan sociologique, un certain nombre de questions. La première est certainement celle de la définition de la notion d’environnement. Pourquoi la prise en compte de l’environnement débouche-t-elle souvent sur des « problèmes d’environnement »? Ainsi, les transformations pouvant affecter des territoires associés aux « problèmes d’environnement » amènent à une reformulation nécessaire de notre questionnement. Il apparaît indispensable de passer par une identification des enjeux que mettent en évidence les situations liées aux transformations. Au-delà, des conflits d’aménagement, des tensions autour des usages de l’espace peuvent survenir, du fait pas exemple de problématiques de « proximité », de gestion et d’appropriation de ressource en eau. Ainsi qu’est-il possible de proposer pour embrasser à la fois l’ensemble de ces situations, tout en prenant en compte les dimensions temporelles et spatiales qui structurent la gestion des territoires ? Nous faisons l’hypothèse d’une sensibilité sociale. Celle-ci caractérise l’ensemble des réactions des populations aux phénomènes de transformation et de mutation des territoires. Il s’agit de poser les questions préalables ou antérieures à celles posées par la notion de vulnérabilité territoriale (D’Ercole et Metzger, 2009 ; Gagnon, 2013), développée dans le cadre de la gestion des risques comme celle de vulnérabilité sociale (Becerra, 2012). La notion de vulnérabilité marque une vision « risquée » du monde social, propre aux sociétés occidentales industrialisées, et opératoire, pour appréhender des situations à l’échelle de la diversité des sociétés.

Les vallées et l’enjeu inondation : objet d’étude pour la construction de territoires sensibles 

L’eau est une ressource naturelle indispensable à la vie collective. Ces différents usages, domestiques, agricoles, industriels et récréatifs, en font un enjeu de gestion déterminant pour les sociétés. Afin de gérer l’eau, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, il est nécessaire, c’est désormais reconnu, que l’hydrosystème soit pris en compte dans toutes ses dimensions. Autrement dit, gérer l’eau demande de gérer les espaces de l’eau (Narcy, 2004). Ainsi, la gestion de la ressource en eau comme activité sociale s’ancre dans des territoires multiples, à la fois spécifiques (le bassin versant) et locaux, à focale variable, et s’entremêle dans les maillages des territoires administratifs et politiques.

L’ensemble des préoccupations relatives à l’eau et sa gestion, par exemple la qualité de l’eau mais aussi la gestion quantitative de la ressource, relèvent de «problèmes » dit d’environnement. Les phénomènes d’inondation, leur gestion mais aussi leur analyse, se présentent dans la littérature des sciences-humaines, à cheval entre préoccupations environnementales et gestion du risque. De même, les politiques publiques de gestion du risque d’inondation sont tantôt «autonomes», objet de plans et de textes spécifiques, tantôt enchâssées dans la gestion « plus large », locale, de l’eau au sein des SAGE par exemple qui contiennent des mesures visant à la gestion du risque d’inondation sur un bassin versant.

Notre recherche s’intéresse tout particulièrement aux territoires de l’eau, et interroge les effets et les répercussions des transformations engendrées par les inondations et leur gestion :

❖ L’inondation, se manifestant par une submersion de certaines zones du lit majeur d’un cours d’eau, représente un premier type de transformation d’un territoire. Cette transformation intervient au cours d’un temps relativement court, de quelques jours à quelques semaines. Les espaces concernés par la submersion sont d’une grande variété, aussi bien sur le plan de leur étendue, de leur occupation, que sur le plan des dommages potentiels occasionnés. L’inondation de zones urbanisées peut générer une catastrophe, véritable traumatisme pour les populations concernées, et engendrer des dommages matériels et économiques importants. A l’inverse, certains espaces agricoles peuvent accepter une submersion momentanée. La gestion des inondations est étudiée à travers la mise en place d’aménagements visant à la protection de zones vulnérables ou à une certaine régulation du phénomène. Le temps de gestion du risque s’intercale entre les temps de crise, et s’inscrit dans des temporalités plus longues, tentant pour le mieux de s’extraire de l’urgence de la catastrophe. Les espaces concernés par cette gestion se révèlent plus étendus que les espaces vulnérables, les cours d’eau sont pris en compte de l’amont vers l’aval (protections éloignées), avec le plus souvent une certaine focalisation sur les zones les plus vulnérables (protection locales).

Un des points centraux de notre réflexion, est d’interroger les réactions sociales générées par ces transformations des territoires, déterminées par des événements socio-naturels et des événements sociaux. Il est question de transformations qui affectent la dimension physique des territoires étudiés. Il s’agit aussi de s’interroger sur les répercussions sociales ou les échos sociaux de ces transformations. Autrement dit, comment ces transformations visibles (ou moins visibles d’ailleurs) et affectant plus ou moins durablement l’espace physique des territoires, sont-elles perçues, vécues, acceptées ou rejetées, discutées et négociées par les acteurs qui ont à y faire face ?

Si nous avons affaire à des territoires qui se transforment en lien avec les questions posées par l’environnement, nous avons aussi affaire à des questions sociales posées par la dimension spatiale de la vie sociale. Dans le cadre des inondations, il est donc question d’une transformation du territoire. Le phénomène d’origine naturelle se manifestant par le débordement d’un cours d’eau en crue, provoque la submersion de zones habituellement hors d’eau. Ces zones inondées sont des lieux d’habitations, des espaces de production, des zones commerciales, des espaces naturels… La vie sociale est bouleversée par un phénomène qui modifie momentanément une portion de l’espace sur lequel elle se déploie. L’inondation construite comme risque nécessite une gestion qui se situe à l’interface de la gestion de la ressource en eau et de l’aménagement du territoire (Scarwell et Laganier, 2004). Elle met en jeu les relations entre espaces ruraux et espaces urbains puisqu’elle intervient, pour partie, sur les espaces du cours d’eau de l’amont vers l’aval, traversant des secteurs caractérisés par une occupation du sol très diverse.

C’est donc en prenant comme étude de cas la gestion du risque d’inondation sur le bassin de la Sarthe amont, que nous proposons de tester l’hypothèse d’une sensibilité sociale telle que nous l’avons introduite précédemment.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1 – DEFINITION D’UNE SENSIBILITE SOCIALE DES TERRITOIRES DE L’EAU : CONCEPTS ET METHODES
CHAPITRE 1. L’HYPOTHESE D’UNE SENSIBILITE SOCIALE
CHAPITRE 2. DIMENSION SPATIALE DE LA SENSIBILITE SOCIALE
CHAPITRE 3. OBJET D’ETUDE ET TERRAINS
CHAPITRE 4. METHODOLOGIE DE L’ENQUETE
CONCLUSION DE LA PARTIE 1
PARTIE 2- LA NOTION DE SENSIBILITE SOCIALE A L’EPREUVE DU BASSIN VERSANT DE LA SARTHE-AMONT
CHAPITRE 5. LES INONDATIONS DE 1995 : EVENEMENT DECLENCHEUR D’UNE SENSIBILITE SOCIO-SPATIALE ?
CHAPITRE 6. LE CAS DU PROJET DE RETENUE SECHE AU GUE-ORY DANS LES ALPES-MANCELLES
CHAPITRE 7. DANS LA VALLEE DE L’HUISNE
CONCLUSION DE LA PARTIE 2
CONCLUSION GENERALE

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