Les troubles du langage, affections relativement courantes, tiennent une place essentielle dans la pratique des professionnels de santé et d’autant plus chez les orthophonistes. Au sein des troubles du langage sont inclus les troubles de la communication d’où prend naissance le trouble de la communication sociale pragmatique, que nous nommerons TCSP, introduit récemment dans le DSM V. Ce trouble est connu en France notamment sous l’appellation de dysphasie sémantiquepragmatique. Cette étiquette de dysphasie combinée à celle de trouble de la communication sociale lui confère une place inconfortable entre, d’une part, le trouble du spectre autistique et, d’autre part, celui des dysphasies. Aussi, nous avons choisi de consacrer notre mémoire, revue de la littérature, à clarifier la description de ce trouble pour permettre sa reconnaissance et ainsi le rééduquer de façon plus appropriée. Le second objectif de ce mémoire est la création d’une brochure pour nos partenaires les plus centraux au sein de tout travail avec un patient : les parents; et plus globalement l’entourage avec par extension l’école. Cette brochure permettra un accès rapide et simple à la quintessence du TCSP.
Quelles terminologies internationales ?
Le TCSP est un trouble du langage qui est une affection de la parole, du langage et de la communication, qui peut être un problème d’apparition, un problème de développement de l’enfant, ou bien en lien avec un déficit mental ou sensoriel (Brin-Henry, Courrier et al. 2011). Actuellement en France, on estime à 8% le nombre d’enfants par classe d’âge touchés par un trouble du langage (HAS, 2017). La définition des troubles du langage est en constante évolution. Nous présenterons ici les définitions les plus récentes et consensuelles, afin de situer le trouble pragmatique qui fait l’objet de notre mémoire au sein de ces référentiels.
Consensus actuel
Un consensus terminologique réunissant plusieurs spécialistes du sujet a été organisé : le projet Catalise (Bishop et al; 2017). En définitive les participants ont arrêté que chez certains patients, les troubles langagiers sont à tel point sévères qu’un impact est probable sur leurs apprentissages et, à long terme, sur leur vie. De plus, une séparation claire entre le trouble et la normalité ne peut être établie. Les patients présentent généralement des associations de troubles (langage, parole et communication), il n’y a pas de profil spécifique type que l’on puisse répartir dans une souscatégorie et des diagnostics doubles sont possibles (Maillart, 2018). Pour Dorothy Bishop, le trouble du langage n’est pas isolé, il existe une co-occurrence avec d’autres troubles neurodéveloppementaux (exemple: trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, dyspraxie, et/ou trouble émotionnel). Finalement, le cas d’un trouble du langage spécifique au sens strict serait une exception plutôt qu’une règle (Bishop, 2014). L’origine du trouble est multifactorielle et complexe.
Dans sa traduction du Consensus Catalise, Maillart suggère que l’utilisation du terme de « troubles du langage » fait référence aux enfants susceptibles de présenter des difficultés langagières avec, si pas d’intervention de spécialistes, un impact significatif sur leur quotidien et leurs apprentissages quand ils seront en âge scolaire: à partir de 5 ans. Pour les auteurs, il existe des conditions biomédicales qui seraient des conditions de différenciation, parmi lesquelles se trouvent la lésion cérébrale, l’aphasie épileptique acquise de l’enfance, certaines conditions neurodégénératives, la paralysie cérébrale, les déficits langagiers consécutifs à une déficience auditive ou encore les atteintes génétiques. Les troubles du spectre de l’autisme et la déficience intellectuelle également. Le trouble du langage étant généralement retrouvé dans ces pathologies, on parlera alors de trouble du langage associé avec X, X étant la condition de différenciation. Dans le cas où les conditions de différenciation précédentes ne sont pas présentes, on parle de “trouble développemental du langage” en présence de troubles langagiers. Toutefois, les troubles langagiers peuvent prendre place en co-occurrence avec d’autres atteintes des domaines cognitifs, sensori-moteurs ou comportementaux pouvant interférer avec le profil global ou la prise en charge des difficultés. Ces troubles seraient attentionnels (TDA/H), moteurs (dyspraxie), les troubles d’apprentissage, les troubles de la parole, les troubles comportementaux ou émotionnels. Le fait de présenter l’une de ces pathologies, n’empêche pas la pose d’un diagnostic de trouble du langage.
CIM-10 et CIM-11
● Les troubles du langage dans la CIM-10 (2008) sont inscrits au sein du chapitre des Troubles du développement psychologique (F80-F89), à la partie F80, Troubles spécifiques du développement de la parole et du langage.
Les pathologies décrites dans ce chapitre doivent :
– avoir débuté dans la première ou seconde enfance obligatoirement
– présenter un retard ou une altération du développement de fonctions liées à la maturation biologique du système nerveux central
– suivre une évolution continue sans rémissions ou rechutes.
Les fonctions atteintes concernent en général le langage, le repérage visuo-spatial et la coordination motrice. Le trouble du langage présente une altération des modalités normales d’acquisition du langage, dès les premiers stades du développement. Ces défauts ne sont pas imputables à une anomalie neurologique, anatomique de l’appareil phonatoire, à une altération sensorielle, à un retard mental ou à l’environnement. Il est souvent accompagné de problèmes associés tels qu’une dyslexie, une dysorthographie, une perturbation des relations sociales, des troubles émotionnels ou du comportement.
● C’est dans la partie troubles mentaux, comportementaux ou neurodéveloppementaux que l’on retrouve les troubles du langage dans la CIM-11, dernière version de 2018. A ce jour, il n’existe pas encore de traduction française, c’est pourquoi nous avons exposé la version antérieure ci-dessus.
Le trouble neurodéveloppemental survient lors de la période de développement et implique d’importantes difficultés dans l’acquisition et l’exécution de fonctions intellectuelles, motrices ou sociales spécifiques. Son étiologie est complexe et inconnue. Le trouble du langage est caractérisé par :
– des difficultés à comprendre ou produire la parole et le langage
– des difficultés à utiliser le langage dans un contexte de communication .
Les problèmes de langage ne sont pas attribuables à des facteurs environnementaux ou socioculturels. Ils ne sont pas non plus expliqués par des déficiences anatomiques ou neurologiques. De plus, ils apparaissent pendant la période de développement et sont caractérisés par des difficultés de compréhension ou de production, ou encore d’utilisation en contexte, en dehors des limites attendues pour l’âge et le niveau intellectuel.
DSM5
Trouble du langage
Actuellement, depuis la dernière version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM5, traduction française, 2015) nous trouvons les troubles du langage dans une partie qui leur est propre, au sein du chapitre des “troubles neurodéveloppementaux”, catégorie “troubles de la communication”.
Critères diagnostiques :
1) Ce trouble se manifeste par des difficultés persistantes d’acquisition et d’utilisation du langage dans ses différentes modalités, il touche donc le langage écrit et parlé aussi bien que la langue des signes. Cela est dû à un manque de compréhension ou de production incluant :
– un vocabulaire restreint et une mauvaise utilisation des mots
– un déficit dans la structuration de phrases et une atteinte de la capacité à assembler et accorder les mots, pour en faire des phrases grammaticalement et morphologiquement acceptables
– une déficience du discours, l’utilisation du vocabulaire et l’association de phrases pour exprimer, décrire ou tenir une conversation est déficitaire
2) Le patient porteur d’un trouble du langage a des capacités de langage significativement inférieures à celles attendues pour un enfant de son âge, ce qui entraîne une limitation de la vie sociale du sujet, de sa réussite scolaire et sur le long terme, de sa vie professionnelle de façon variable.
3) Les premiers symptômes apparaissent dès le plus jeune âge, dans la période précoce du développement.
4) Les difficultés ne sont pas imputables à un déficit sensoriel, moteur ou à une autre affection neurologique ou médicale. Un handicap intellectuel ou un retard global du développement ne les expliquent pas mieux.
Trouble de la communication sociale et pragmatique
C’est dans cette partie que nous retrouvons le trouble de la communication sociale pragmatique. Les auteurs proposent de définir ce trouble comme une “difficulté à utiliser le langage pour transmettre et comprendre un message”. Il se manifeste par des altérations évidentes de la communication verbale et non-verbale. Il survient dès le développement précoce de l’enfant et le degré de sévérité peut être plus ou moins élevé. Il s’agit généralement d’enfants ayant eu du retard dans l’acquisition du langage et dont des antécédents, type trouble du comportement, trouble du spectre autistique ou bien trouble de la communication, sont retrouvés dans la famille.
Ce type de patient ne parvient pas à saisir l’utilisation des codes sociaux, il n’adopte pas le comportement adapté à son interlocuteur ou au contexte, les pré-requis de la communication ne sont pas acquis (tour de rôle, attention conjointe, théorie de l’esprit, monologue…) et il est rarement l’instigateur d’une conversation. La gestion de l’implicite et des tournures de phrases ambigües est difficile à acquérir. La compréhension des énoncés produits par l’autre est littérale. Le référent commun est rarement reconnu pour ce patient, il y a un manque évident de collaboration dans ses échanges. On note des changements de thèmes fréquents, sans se soucier de l’émotion que cela induira chez l’interlocuteur. Ce n’est pas un sujet qui tentera de réparer les erreurs discursives qu’il peut produire. Le discours de l’enfant porteur d’un trouble de la communication sociale et pragmatique présente un déficit narratif, la structure de son langage est problématique. Ce discours peut être parfois accompagné de circonvolutions, d’écholalies ou de persévérations. Il s’agit donc d’un trouble visible qui a un impact sur la vie sociale et scolaire (ou professionnelle) du patient, puisque le patient n’est pas un “bon partenaire conversationnel”, il sera mis à l’écart de ses pairs. Cette pathologie ne peut être imputable à une déficience sensorielle, à un handicap intellectuel ou à un retard mental, ni être expliquée par un trouble du spectre de l’autisme. En revanche, des troubles du comportement, des troubles spécifiques des apprentissages (dyslexie, dysorthographie) ou encore un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité peuvent y être associés.
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Table des matières
Introduction
1. Partie théorique : définition du trouble de la communication sociale pragmatique
1.1. Quelles terminologies internationales ?
1.1.1. Consensus actuel
1.1.2. CIM-10 et CIM-11
1.1.3. DSM5
1.1.3.1. Trouble du langage
1.1.3.2. Trouble de la communication sociale pragmatique
1.2. Quelles terminologies pour la France ?
1.2.1. Les dysphasies
1.2.2. Dysphasie sémantique pragmatique
1.3. Définition de la pragmatique
2. Evaluation diagnostique
2.1. Entretien anamnestique
2.2. Compétences à évaluer et bilans utilisés
2.2.1. Les composantes linguistiques
2.2.2. La pragmatique
2.2.3. Analyse clinique des données du bilan
2.3. Diagnostics différentiels
2.3.1. Trouble de la communication sociale pragmatique versus trouble du spectre autistique
2.3.2. Trouble pragmatique versus dysharmonie psychotique
3. Rééducation de la pragmatique
3.1. Attitude du thérapeute et cadre
3.1.1. Attitude du thérapeute
3.1.2. Déroulement
3.2. Axes de remédiation
3.2.1. Composante émotionnelle
3.2.2. Théorie de l’esprit
3.2.3. Tour de rôle
3.2.4. Attention et attention conjointe
3.2.5. Le regard
3.2.6. Prosodie et voix
3.2.7. Proxémie et posture
3.2.8. Initier l’interaction
3.2.9. Maintien et clôture de l’échange
3.3. Rééducation avec la famille
3.3.1. Guidance et attitude
3.3.2. Guidance et continuité pédagogique
4. Brochures
Conclusion