La grossesse est une étape physiologique importante dans la vie d’une femme. La plupart des futures mères espèrent la vivre de manière épanouie et sereine, sans douleur ni désagrément, mais c’est sans compter sur les « petits maux de la grossesse ». Les douleurs ostéo-articulaires de la ceinture pelvienne, plus communément appelées douleurs ligamentaires ou syndrome de Lacomme en font partie. Elles sont liées à des modifications physiques et biologiques indispensables au maintien de la grossesse, à la préparation de l’accouchement et touchent environ 20 % des femmes enceintes. Sans pour autant être pathologiques, elles peuvent être gênantes dans la vie quotidienne et devenir invalidantes provoquant, à l’extrême, l’alitement de la femme. En tant qu’experts de la grossesse, nous sommes confrontés quotidiennement à cette symptomatologie et pourtant ces douleurs sont banalisées par certains d’entre nous. C’est pourquoi, nous avons pensé qu’il serait intéressant de faire un point sur les modalités thérapeutiques actuelles en sachant que la grossesse modifie l’approche thérapeutique contre la douleur.
Historique
Les premiers écrits sur le syndrome de Lacomme datent de la fin du XVIIèmedébut XVIIIème siècle où il était décrit des douleurs touchant les reins, les cuisses et l’aine. Elles débutaient le plus souvent au troisième trimestre et disparaissaient après l’accouchement, se manifestaient quand les femmes se mettaient à genoux et s’accentuaient à la mise en mouvement. Les hommes disaient de ces femmes qu’elles étaient indolentes, paresseuses puisqu’elles ne pouvaient ni marcher ni monter les escaliers. Ainsi, certains pensaient que les jupes trop serrées de ces dames tiraient sur leur ventre et induisaient les tiraillements ligamentaires. A cette époque, afin d’être soulagées, les femmes changeaient souvent de position en dormant et elles imbibaient les zones douloureuses d’adoucissants, de lavements émollients ou d’un cataplasme à base de plantes (orties grièches, herbes traînantes des cimetières, salpêtre blanc, sel et vinaigre). Aussi, pour diminuer la pléthore (excès des humeurs et du sang), elles pouvaient faire des saignées répétées.
Au XIXème siècle, la ceinture de Martin (ceinture de grossesse) apparait en France. Elle s’inspire de celle qu’utilisent les nipponnes depuis le XIIe siècle. La ceinture de Martin se composait d’un cercle épais de quatre centimètres fait de fer ou d’acier, comme celui des roues d’une voiture, qui se moule autour du bassin et se serre en avant à l’aide d’une courroie reliée à une boucle ou grâce à des boutons métalliques. Elle permettait aux femmes souffrant de douleurs invalidantes de remarcher sans problème. Et pour celles dont les douleurs étaient moindres, une ceinture en cuir matelassé plus légère ou une large bande élastique était proposée. Au même moment fut émis l’hypothèse d’une forme d’ostéomalacie à l’origine des douleurs. C’est pourquoi, afin de limiter les pertes calciques, les femmes ne devaient pas allaiter et avaient une alimentation riche en calcium associée à des sels de chaux.
C’est au XXème siècle, en 1920, qu’Hisaw révéla l’existence de la relaxine chez le cobaye [1]. Cette hormone, en présence de folliculine et de progestérone, peut induire par des mécanismes que nous verrons ultérieurement des douleurs de la symphyse pubienne .
Puis, en 1942, Maurice Lacomme décrivit le relâchement des symphyses comme faisant partie d’un syndrome qu’il nomma ostéo-musculo-articulaire abdomino-pelvien bénin. Il retrouva une hypokaliémie chez 60 % des patientes qui souffraient. Pour pallier à cela, il proposa des injections de Chlorure de potassium (KCl 1%) qui montrèrent leur efficacité dans le soulagement des douleurs pelviennes dans de nombreux cas, mais le relais per os fut un échec. Les injections d’anesthésiques locaux, très efficaces mais très douloureuses, firent partie des autres essais thérapeutiques qui virent le jour au même moment. Cependant, ils tombèrent en désuétude .
Définition du syndrome de Lacomme
Le syndrome de Lacomme ou syndrome « ostéo-musculo-articulaire abdomino-pelvien bénin », du nom de celui qui le décrivit au XXème siècle en France [1]. Dans les pays anglo-saxons, l’expression « pregnancy related pelvic girdle pain (PPGP)» apparait en 2005 comme étant la plus adaptée pour définir le syndrome pendant la grossesse [3]. Etabli en 2008 par le « Working Group 4 (WG4) », le guide de recommandations européennes pour le diagnostic et le traitement du « pelvic girdle pain (PGP) » a pour objectif d’harmoniser les pratiques au niveau européen en proposant la méthode diagnostique optimale et les traitements retenus comme étant les plus efficaces pour réduire les douleurs et améliorer les capacités fonctionnelles des patients. Les résultats présentés sont basés sur une revue de la littérature incluant 155 articles de revues, pour majorité provenant de la base Cochrane.
Le WG4 proposa une définition pour le syndrome :
« Le PGP survient souvent à l’occasion d’une grossesse, d’un traumatisme ou lorsqu’il y a une arthrite ou une arthrose. La douleur prend son origine entre la crête iliaque postérieure et le sillon inter fessier, et surtout au niveau de l’articulation sacro-iliaque. Elle peut irradier en postérieur dans les cuisses et, conjointement ou non, en regard de la symphyse pubienne. La capacité à marcher, se tenir debout et assis est altérée chez les patients souffrant de ce syndrome. Le diagnostic de douleur de la ceinture pelvienne est évoqué après avoir exclu une étiologie lombaire et sera confirmé ou infirmé grâce à des tests reproduisant les douleurs ressenties chez les patients » .
Selon Albert et al [5], les symptômes douloureux peuvent être classés en 5 classes selon leur localisation :
1. Le « Pelvic girdle syndrome » englobe la symphyse pubienne en avant et les deux articulations sacro-iliaques en arrière ;
2. Le « Double-sided sacroiliac syndrome » inclut les deux articulations sacroiliaques ;
3. Le « Single-sided sacroiliac syndrome » touche une seule articulation sacroiliaque ;
4. Le « Symphysiolysis » définit les douleurs antérieures dont les plus fréquentes sont celles de la symphyse pubienne ;
5. Le « Miscellaneous » correspond à des symptômes mixtes.
L’apparition des symptômes se fait de manière brutale ou insidieuse [3], le plus souvent entre 24 et 36 semaines d’aménorrhée. Toutefois, des douleurs peuvent apparaître dès la 18ème semaine d’aménorrhée [6]. Sa prévalence pendant la grossesse avoisine les 20 % (entre 16 et 25 % selon les études) [3] [4]. La meilleure connaissance du syndrome dans les pays nordiques comme la Scandinavie ou les Pays-Bas induit une augmentation de la fréquence du diagnostic, donc de la prévalence [3].
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Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE
I- Historique
II- Définition du syndrome de Lacomme
III- Etiopathogénie
3.1 Anatomie fonctionnelle du bassin obstétrical
3.2 Etiologies
3.3 Facteurs de risque
IV- Diagnostic
4.1 Interrogatoire
4.2 Examen physique
4.3 Tests cliniques spécifiques
4.4 Examens complémentaires
V- Diagnostics différentiels
VI- Pronostic et évolution
VII- Prise en charge actuelle
7.1 Thérapeutiques médicamenteuses
7.2 Thérapeutiques non médicamenteuses ou alternatives
DEUXIEME PARTIE
I- Méthodologie
1.1 La population
1.2 Méthode
II- Résultats
2.1 Généralités
2.2 Caractéristiques de l’apparition des algies
2.3. Evolution des algies pelviennes apparues avant 24 SA
2.4. Prise en charge
2.5. Bilan
TROISIEME PARTIE
I- Critique de l’étude
1.1. Les limites
1.2. Les atouts
II- Analyse et discussion
2.1. Les facteurs n’ayant pas d’influence
2.2 Les facteurs de risque vrais
2.3. Les autres facteurs
2.4. Caractéristiques des algies de la ceinture pelvienne
2.5. Le diagnostic et ses modalités
2.6. La prise en charge
2.7. Modification du vécu de la grossesse
2.8. Attentes et besoins exprimés par les patientes
III- Propositions
3.1. L’information des professionnels de santé
3.2 Le libre accès aux thérapeutiques
3.3 La place de la sage-femme
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE