Définition du risque et particularité des risques agricoles
Le risque est communément associé à une occurrence incertaine d’un potentiel dommage (OCDE, 2011). Or, le risque comporte un gain également et ce serait trop restrictif de l’associer à l’avènement d’un dommage uniquement en négligeant la partie bénéfique. Dans ce sens, la prise de risque ne présente aucun intérêt productif. C’est pourquoi nous nous fions à la définition de Knight (1921) qui reste la plus reconnue selon Holton (2004). Knight définit le risque comme une situation dans laquelle un événement/une action peut aboutir à différents résultats possibles, plus ou moins désirables. Contrairement à une incertitude, il considère qu’un risque conduit à une possibilité d’attribuer des probabilités objectives, basées sur des calculs mathématiques de fréquences à partir d’expérience passée, aux différentes conséquences possibles.
Toutefois, concernant ce point particulier sur l’estimation de ces probabilités, nous rejoignons Ellsberg (1961) qui soutient que dans une situation risquée, elles peuvent être estimées subjectivement en se basant sur les croyances tirées d’un ensemble d’informations suffisamment importantes et fiables. Ainsi, le risque se différencie de l’ambiguïté où les probabilités subjectives associées aux conséquences possibles ne sont pas précises étant donné qu’elles résultent d’une croyance fondée sur des informations de quantité et qualité insuffisantes. Cette définition d’Ellsberg corrobore le discours de Keynes (1921) qui affirme l’importance du niveau de connaissances disponibles ayant servi pour former la croyance et qu’il dénomme « weight of evidence ». Selon lui, quand celui-ci s’avère trop faible ou non satisfaisant alors l’individu se retrouve dans un niveau d’incertitude plus élevé. D’où la conceptualisation de l’ambiguïté par Ellsberg (1961).
De ce fait, dans cette thèse, le risque représente un événement ou une action conduisant à une pluralité de conséquences possibles, plus ou moins désirables, dont les probabilités d’occurrence peuvent être estimées subjectivement, de manière précise et fiable. Cette définition se diffère de celles de Savage (1954) qui ne tient pas compte du niveau de fiabilité et de précision des probabilités subjectives associées aux conséquences possibles. De même, elles se distingue également de celle de Kaplan & Garrick (1981) qui ignore aussi le poids des connaissances disponibles pour calculer une distribution de probabilité exacte et précise. En effet, d’après ces auteurs, deux individus faisant face au même contexte de connaissances attribueront les mêmes probabilités. Cependant, si le poids de ces connaissances est trop faible, le manque de précision conduit à une multiplicité de distribution de probabilités possibles. Par ailleurs, il est évident que notre définition ne suit pas celle de Moschini & Hennessy (2001) qui ne fait aucune différence entre le risque et l’incertitude.
Ainsi, il y a une prise de risque quand il y a une exposition à un événement aléatoire dont la distribution de probabilités subjectives associées aux conséquences possibles est précise et fiable. Cela exige une existence et un accès à des informations pertinentes et fiables, sinon, la situation rentre dans le cadre d’un niveau d’incertitude plus élevé comme l’ambiguïté. En outre, pour que la prise de risque soit efficace, c’est-à-dire favorise la productivité, elle doit être gérée. Selon l’OECD (2009), la gestion de risque est défini comme «le système de mesures mis en place par les individus et les organisations et qui contribue à réduire, contrôler et réguler les risques. » Cette gestion intervient après une identification des risques auxquels l’activité est exposée et une hiérarchisation qui permet de focaliser les efforts au niveau des risques impliquant des conséquences les plus dommageables et dont les probabilités d’occurrence sont les plus élevées que Cordier et al. (2008) qualifient de risques sauvages . En effet, une mauvaise gestion de risque, surtout de risques sauvages, peut nuire à la poursuite de l’activité exposée. Ainsi, les stratégies de gestion de risque permettant la continuité de la production de biens et la sécurisation potentielle des revenus dans un contexte de risques accrus, constitue une préoccupation économique majeure dans la société moderne.
Les exploitations laitières françaises : toujours soumises à une volatilité accrue du prix du lait de vache
Désengagement des politiques agricoles de la prévention contre la volatilité du prix du lait
L’interventionnisme étatique dans le secteur agricole et la filière laitière
L’interventionnisme a depuis longtemps imprégné dans l’histoire de l’agriculture des différents pays européens mais il s’est organisé à l’échelle communautaire depuis la fin de la guerre de 1945, période pendant laquelle, l’autonomie alimentaire et l’autosuffisance représentaient un objectif primordial. Après la guerre, la pénurie a fait des ravages dans les pays européens et a suscité un intérêt particulier pour la reconstruction du secteur agro-alimentaire. D’où le regroupement des pays européens pour unir leurs forces afin de créer une PAC qui visait à soutenir le développement de l’agriculture des pays membres lors du traité de Rome de 1958 (Morhain, 2005). Selon Butault & Le Mouël (2004), le développement de l’agriculture représente des enjeux politiques, économiques et géostratégiques qui poussent les pays à y intervenir malgré que cela génère des dépenses exorbitantes qui auraient pu être mieux valorisées dans d’autres secteurs pour lesquels les pays bénéficiaient d’un avantage comparatif.
Sur le plan politique, les pressions exercées par les acteurs de la filière agricole obligent les pouvoirs publics à accorder un intérêt relativement plus élevé à la protection des revenus agricoles. Du côté géostratégique, l’importance de l’agriculture et de la sécurité alimentaire rend le développement du secteur agricole indispensable afin d’assurer son indépendance alimentaire et d’éviter tout chantage de la part d’un pays exportateur usant de son avantage comparatif comme arme alimentaire. Quant à la dimension économique, l’intervention est souvent considérée comme un mécanisme nécessaire pour pallier aux défaillances des marchés et accroître le bien-être global.
En outre, Cafiero et al. (2007) soutiennent que les interventions publiques devraient permettre de gérer les crises et de les transformer en risques, permettant d’augmenter la prévisibilité des aléas et réduire les dommages affiliés. Sachant qu’une crise représente une situation affectant un nombre important de producteurs avec un impact excessif et une moindre prévisibilité, un risque semble préférable à une crise qui correspond à une situation extrême. En revanche, les interventions ne s’arrêtent pas uniquement à cet aspect mais contribuent à faciliter également la gestion des risques en réduisant leur incidence ainsi que leur impact tout en accroissant la capacité de gestion des risques des producteurs.
Le secteur laitier a bénéficié de plusieurs mesures pour assurer l’atteinte de l’objectif de stabilisation des marchés fixés par l’article 39 du traité de Rome . Avant la réforme de 2003, trois principaux instruments ont été mobilisés pour protéger le marché laitier contre toute source de fluctuations.
Tout d’abord, le premier mécanisme préserve les prix des produits laitiers d’une diminution au-delà du 90% des seuils minimums établis appelés le « prix d’intervention ». Antérieur à la réforme de 2003, ces seuils sont fixés à 328,20 €/tonne pour le beurre et à 205,52 €/tonne pour le lait en poudre. Pour ce faire, les institutions publiques procèdent à des achats de produits laitiers industriels dès que leurs prix atteignent 92% du prix d’intervention (Bizet, 2009). En outre, un deuxième mécanisme sert de support au prix d’intervention. Il maintient le prix domestique supérieur au prix mondial à travers des interventions sur les importations, en influençant, par exemple, sur les tarifs douaniers, et via des subventions à l’exportation (Bouamra-Mechemache et al., 2009). Par ailleurs, pour pallier aux excédents d’offre causés par les deux premières mesures et garantir leur soutenabilité, un troisième mécanisme fondé sur un système de quotas de production laitière a été imposé aux exploitations à partir de 1986 (OCDE, 2005). Ces mesures de la PAC ont été reconnues comme efficaces pour stabiliser le prix du lait (OCDE, 2005; Baritaux et al., 2018). Toutefois, d’autres indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité de la politique publique montrent que certains instruments alternatifs pourraient être préférables. L’efficience des transferts a été analysé pour montrer que les paiements directs sont préférables, comparés aux soutiens de prix des marchés. Cet indicateur donne la variation additionnelle de revenu du ménage agricole généré par une unité supplémentaire de taxe destinée à l’augmentation des soutiens agricoles. Les résultats d’analyse ont influencé et fortifié la décision de réduire les instruments jugés comme sources de distorsion de marché et moins intéressants en termes de rapport coût/bénéfice (OECD, 2003). De même, les tarifs d’importation et les subventions d’exportation ont été également considérés comme des mesures inefficientes (Baffes & De Gorter, 2005).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Définition du risque et particularité des risques agricoles
Questions de recherche
Méthodologie
Structure du manuscrit de thèse
PARTIE I. CARACTERISATION DU MARCHE DU LAIT DE VACHE FRANÇAIS
Introduction de la partie
Chapitre 1. Les exploitations laitières françaises : toujours soumises à une volatilité accrue du prix du lait de vache
1.1. Introduction
1.2. Désengagement des politiques agricoles de la prévention contre la volatilité du prix du lait
1.3. Implications de la dérégulation sur la volatilité du prix du lait
1.4. Faible liquidité des marchés à terme laitiers français : à l’origine du manque de potentiel à stabiliser le prix
1.5. Limites des arrangements contractuels laitiers à minimiser l’exposition des exploitations laitières à la volatilité du prix du lait
1.6. La particularité des exploitations bovines lait en France
1.7. Conclusion
Conclusion de la partie : le marché de lait de vache souffre de plusieurs lacunes
PARTIE II. COMPORTEMENTS DES ELEVEURS DE VACHES LAITIERES FACE A LA VOLATILITE DU PRIX DU LAIT
Introduction de la partie
Chapitre 2. Perceptions hétérogènes du degré d’incertitude sous-jacent à la volatilité du prix du lait par les éleveurs : fondements et implications politiques
Résumé détaillé
Abstract
2.1. Introduction
2.2. Conceptual framework
2.3. Materials and methods
2.4. Results
2.5. Implications and policy recommendations
2.6. Conclusion
Chapitre 3. Les processus d’identification des objectifs et actions priorisés par les éleveurs pour gérer la volatilité du prix du lait selon leur aversion au risque et à l’ambiguïté
Résumé
Abstract
3.1. Introduction
3.2. Cadre théorique
3.3. Méthodologie de recherche
3.4. Résultats
3.5. Discussion et conclusions
Conclusion de la partie : les éleveurs de vaches laitières sont confrontés et sensibles à un niveau d’incertitude plus élevé que le risque
PARTIE III. MISE EN PERSPECTIVE DES STRATEGIES DE GESTION DE LA VOLATILITE DU PRIX DU LAIT
Introduction de la partie
Chapitre 4. Effets différenciés de la volatilité du prix du lait sur la viabilité économique des exploitations françaises : rôles de quelques stratégies des éleveurs
Résumé
Abstract
4.1. Introduction
4.2. Fondements théoriques
4.3. Données
4.4. Modélisation de la viabilité des exploitations agricoles
4.5. Résultats
4.6. Robustesses et limites des résultats
4.7. Conclusion
Conclusion de la partie : la capacité à faire face à la volatilité du prix du lait dépend des choix sur les niveaux d’intensification et d’utilisation d’outils technologiques
CONCLUSION GENERALE