Définition des paradigmes infirmiers
CADRE CONCEPTUEL
Les phénomènes sociaux, culturels, économiques, politiques et organisationnels dont nous avons traité ont certes un impact sur le professionnalisme: ils exercent des pressions et agissent quelquefois telles des entraves à la prestation du service, allant même à l’encontre d’ un idéal professionnel. Malgré ces changements d’orientation qui touchent la profession infirmière, le souci moral est présent à travers le temps puisque la finalité des soins infirmiers demeure inchangée et que le geste infirmier se situe toujours au carrefour de la relation d’aide. 15 Avant d’ aborder le volet enquête de notre recherche, il importe de caractériser ce souci moral, à travers les repères conceptuels et les approches qui permettent d’en saisir la signification et l’évolution. Ainsi , dans ce chapitre, nous présentons les concepts opératoires nécessaires à l’analyse de la problématique, à l’ élaboration de l’ enquête auprès des infirmières et à l’interprétation des résultats.
Nous examinerons tout d’abord la définition du professionnalisme et des valeurs de l’infirmière, puis quelques paradigmes infirmiers, dont ceux du soin infirmier, du soin de confort de Katharina Kolcaba, et la théorie de l’Human Caring de Jean Watson. Nous verrons ensuite la thèse du postmodernisme dans ses paramètres touchant l’éthique infirmière, principalement ceux de l’individualisme, de la responsabilité et de l’engagement. Précisons ici que notre examen des repères conceptuels et théoriques n’ a pas pour visée de les approfondir en eux-mêmes, mais de dégager les outils nécessaires à notre objectif de recherche, soit l’étude de l’ évolution actue ll e des. valeurs infirmières. Au terme de ce chapitre, nous aurons recueilli les matériaux à partir desquels sera constitué le questionnaire d’enquête. Bref, puisque le soin prend la couleur du paradigme, ces repères conceptuels devraient nous permettre de situer les infirmières novices et les infirmières expérimentées quant au type d ‘approche qu’elles privilégient, à leurs valeurs et à leurs croyances.
Définition du professionnalisme
Selon l’ acceptation générale du terme professionnalisme, le professionnel a le devoir de rendre ses services disponibles à tous et une responsabilité sociale d ‘adopter des normes de comportement garantissant la sécurité du public, la qualité des actes réservés et la crédibilité de l’ ordre auquel il appartient, notamment l’ acquisition de la compétence, le renouvellement de ses connaissances, l’ esprit d ‘ équipe, le souci du renom de la profession et des engagements envers les confrères. Selon le Multidictionnaire, en effet, le professionnalisme est: « La qualité d’ une persOlme qui exerce sa profession avec compétence, rigueur et service. » 16 Dussault, Harvey et Bilodeau expliquent ainsi les différents engagements des professionnels envers le public : « Les professionnels ont tendance à se définir comme les experts qui offrent des services complexes, dont leurs clients ne peuvent généralement apprécier ni la réussite ni les résultats. »
En ce sens, il est compréhensible que les exigences du professionnalisme soient élevées et consistent à développer des compétences pointues, mais aussi un sens du rapport à l’ autre. Le professionnel doit agIr avec respect, démontrer de la compassion, faire preuve de fiabilité et posséder un « sens » moral, c’est-à-dire posséder un sens de la responsabilité envers autrui. Ce sens moral n’est toutefois pas établi une fois pour toutes. En effet, Georges A. Legault soutient que: « La conception que l’ on se fait du professionnalisme ou de l’ éthique professionnelle varie d’ une époque à l’autre, d’ une culture à l’ autre. Selon la transformation du sens de la relation professionnelle et selon la fonction symbolique. » 18 Pour Blondeau, « le professionnalisme ne peut toutefois être une simple « doublure » à endosser lors de l’ exercice de ses fonctions ; au contraire, il prend forme à travers la personne et devient la charpente de toutes les activités humaines. C’ est la personne qui est à l’ origine du geste professionnel et du professionnalisme. Les deux idées sont aussi inséparables que la maison de sa charpente ou que la cathédrale de ses pierres. »
Pierre-Paul Parent, psychanalyste et chercheur en éthique, lie ensemble professionnalisme et éthique professionnelle: « C’ est un ensemble de valeurs personnelles, collectives ou organisationnelles servant à orienter l’ action et, par conséquent, donner un sens aux activités des individus, des regroupements de personnes ou des établissements dans une perspective d’ autorégulation. »20 Ainsi, l’ Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec est porteur d’ une éthique professionnelle, d’ un ensemble de valeurs qui donnent un sens à l’ acte de soin, en même temps qu’il exerce un contrôle sur ses membres. Pour conserver son affiliation, en effet, le professionnel doit traduire, par ses agirs, les valeurs véhiculées par ses pairs afin de conserver ses privilèges. Quant à Dussault, il assocIe au professionnalisme «des valeurs exprimant l’ idée de « conscience professionnelle » : altruisme, esprit de serVIce, compétence ou « excellence », responsabilité ou vocation. »21 Nous retenons de cet énoncé de valeurs que, dans sa relation avec le client, le professionnel ne fera pas passer ses propres intérêts avant ceux de la personne à qui il s’adresse. Le professionnalisme trace donc un idéal au sens de Platon, pour qui l’ homme idéal est celui qui vise l’excellence dans l’accomplissement de ses tâches.
La vision du professionnalisme infirmier centrée sur la maîtrise des connaissances et l’expertise par des personnes habitées par un souci d’excellence s’inscrit dans une telle perspective éthique. De plus, le professionnel a une mission sociale et il vise la reconnaissance par l’ensemble de la population. Legault, Larouche et Jutras affirment à ce propos: « Plus une personne s’identifie à ce qu’est un professionnel dans la société, plus elle serait capable de professionnalisme. »23 Le professionnalisme est une représentation d’un agir professionnel mis au service d’autrui , et de la société en général; l’exigence institutionnelle qui découle de cette mission est l’obligation pour le professionnel de s’inscrire à un ordre professionnel reconnu par l’Office des professions, au terme d’une formation spécifique dispensée par une école reconnue ou une faculté universitaire La déontologie, comme la morale, renvoie dès lors au devoir-faire qui réfère au bien et au mal et touche les conduites professionnelles. En ce sens, le professionnalisme repose sur un ensemble de devoirs: sur l’acquisition et le maintien de compétences spécifiques, sur le respect de l’autonomie des personnes, sur la responsabilité, la vigilance, la prudence et l’engagement.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments de définition, on peut dire que le professionnalisme est à la fois étroitement lié à l’autonomie et à la responsabilité, donc à l’ éthique, et en même temps au respect de normes hétéronomes, donc à la morale. C’est en ce sens que nous lisons l’ affirmation de Blondeau à l’effet que l’activité professionnelle doit se conformer à des directives déontologiques basées sur des valeurs: « Le respect de la personne fait appel à l’approche holistique, l’ouverture à autrui désignée par le terme caring et le respect de la vie humaine qui mettent l’accent sur la protection de la vie humaine. »25 Sur le plan éthique, ce sont les valeurs premières telles le caractère sacré de la vie et l’autonomie des personnes qui sont sollicitées dans l’exercice infirmier. Ces dernières gravitent autour de quatre concepts, soit la personne, le soin, la santé et l’environnement. La sécurité, le respect, la santé, l’équité et le bien-être sont d’autres valeurs tout aussi importantes, qui demandent et exigent de l’ infirmière engagement et responsabilisation à l’égard de ce qu ‘elle souhaite accomplir face à autrui.
L’ éthique fait appel à l’autorégulation de la personne vivant en société où l’existence des mécanismes juridiques hétéro-régulateurs sont présents afin d’assurer ce respect et cette protection de la vie humaine ainsi que des autres valeurs. Sur le plan juridique, les infirmières s’approprient les normes de l’ordre professionnel (OlIQ), de la Loi sur les infirmières, de leur Code de déontologie, de la Charte des droits et libertés de la personne, du Code civil du Québec, de la Loi sur les services de santé et des services sociaux et du Code des professions. En guise de conclusion, nous reprenons les propos de Besanceney, Hono, Michot, Moreau et Quest, qui proposent cette définition globale des valeurs constitutives du professionnalisme : Sont considérées comme valeurs professionnelles tout ce qui est individuellement désirable et tout ce qui est socialement préférable. [ … ] La valeur est une représentation. Et ces représentations constituent un idéal. [ … ] Constitué d’ attitudes intérieures, de conduites qui les expriment, et qui vont permettre que ces idéaux puissent être atteints. Ces valeurs sont alors le respect, la responsabilité, et ainsi de suite?
Définition des paradigmes infirmiers
Dans le monde de la culture infirmière, les paradigmes infirmiers que nous connaissons aujourd’ hui sont des cadres de référence fondamentaux sur lesquels s’appuient les théoriciennes pour structurer et orienter leurs recherches; ce sont des façons de concevoir l’acte infirmier en lien avec des visions globales de la relation entre les personnes en cause et le contexte où elles évoluent. Les paradigmes infirmiers ont évolué au fil du temps et font aujourd’hui l’objet de recherches et de débats très passionnants. Nous avons recensé différentes interprétations de l’évolution des théories en SOIl1 S infirmiers. Kérouac et collègues distinguent trois paradigmes successifs, la catégorisation , l’intégration puis la transformation, qui reflètent l’état des connaissances d’ une époque et le chevauchement entre les visions.27 Le paradigme de la transformation nous intéresse particulièrement, car il correspond à cette nouvelle manière de prodiguer le soin. Cela nous apparaît lié au contexte actuel et semble conçu en réponse à l’évolution récente de la profession infirmière et de la société. La catégorisation réfère à une période du siècle dernier de la pensée infirmière; on se situe à l’ère de Florence Nightingale.
Ce modèle évolue dans un univers de relations causales et linéaires où les éléments constitutifs du soin sont définis, mesurables, ordonnés et séquentiels. 28 Le paradigme de l’intégration, en continuité avec la catégorisation , situe l’ acte infirmier dans un contexte variable constitué de multiples éléments et le représente par un ensemble de relations circulaires, interactionnelles. « On s’intéresse à la personne, on s’ ouvre sur le monde. Par exemple, le contexte dans lequel se trouve une personne au moment de l’apparition d’ une infection influencera sa réaction à l’agent infectieux et sa réponse au traitement. »29 C’est un modèl e qui est près de la pratique biomédicale actuelle – peut-être trop préoccupé par l’aspect biologique – la résolution de problèmes et le traitement. Nous avons tendance, dans ce dernier courant, à diviser l ‘ humain plutôt qu’à y voir la perSOlme en entier dans son unicité.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ANNEXES
INTRODUCTION
CHAPITRE I LA PROBLÉMATIQUE ET LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
1.1 Question initiale
J.2 Description de la situation
OBJECTIFS ET PLAN DE LA RECHERCHE
CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL
2.1. Définition du profess ionnalisme
2.2. Définition des paradigmes infirmiers
2.3 Définitions du soin infirmier
2.4 Définition de la théorie de ,’Hl/man Ca ring selon Jean Watson
2.5. Le contexte individualiste postmodernee
2.6. La responsabilité, une dynamique individuelle et sociétale
2.7. L’individualisme responsable selon Gilles Lipovetsky
CHAPITRE III APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
3.1. Constitution du questionnaire d’enquête
3.2. Population à l’étude
3.3. Modalités et réalisation de cueillette
CHAPITRE IV ANALYSE DES DONNÉES
CHAPITRE V INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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