Définition des concepts de culture, multiculturalisme et interculturalisme

Le modèle interculturaliste : la position trouble de la France ; entre universalité des valeurs, laïcité et débat sur l’identité nationale.

Comme nous avons pu le voir au travers des extraits du préambule du conseil de l’Europe datant de 1995, sa position, mise à part celle de la Grande-Bretagne, est plutôt celle de l’interculturalité. Elle repose sur une dynamique interactionnelle au sein de la diversité. Autrui n’est plus assimilé à sa culture, il est un sujet singulier, l’égal de tous les autres, il faut donc le rencontrer pour le connaître et s’engager dans une compréhension mutuelle en vue de réfléchir ensemble aux valeurs communes à partager pour que cette diversité soit considérée comme une source de richesse et non de conflits. Ce qui suppose également que nous disposions d’un ensemble de connaissances et de savoirs communs de manière à avoir une représentation du monde dans sa complexité qui puisse s’appuyer sur certains principes et notions reconnus universellement. C’est la raison de la position du conseil en faveur de
« L’égalité des chances dans l’accès à l’éducation à tous les niveaux pour les personnes appartenant à des minorités nationales » (article 12).
Ce modèle s’oppose au multiculturalisme en refusant d’essentialiser les cultures et en replaçant le sujet au centre de ces dernières, il redevient libre de choisir ses appartenances et acteur de sa culture en étant celui qui la crée et lui donne sens. La culture n’existe donc plus en dehors des individus qui la portent. Comme nous le montre Abdallah-Pretceille (1999), on ne peut penser connaitre autrui en l’enfermant dans ses catégories en lui attribuant une appartenance supposée, pour ce faire il est nécessaire d’échanger avec lui, de le laisser s’exprimer et de nous donner à voir la manière dont il a construit son identité propre. Or, pour que ce dialogue puisse s’instaurer et donner lieu à une véritable dynamique interactionnel en termes de partage, d’échanges de connaissances constitués comme un enrichissement pour tous, il est nécessaire que cette culturalité nouvelle se dégage de l’eurocentrisme ou de l’ethnocentrisme pour que chacun puisse s’engager dans l’appropriation de valeurs communes et partagées par tous librement. L’interculturalité invite chacun à retrouver sa capacité créatrice de culture, à agir en tant que fondateur du monde où il se trouve et à s’engager dans son renouvellement en s’appuyant sur de nouveaux processus donnant toute sa force à la diversité. Elle incite à penser ensemble avec nos différences le monde commun de demain et appelle à vivre sa citoyenneté en ne la limitant pas aux frontières d’une nation mais à se penser également comme citoyen du monde. L’auteure ajoute alors : « le véritable enjeu de notre temps n’est pas la question de l’immigration mais celle de l’apprentissage de la diversité et de l’altérité, dont l’immigration n’est qu’une des formes ». La France qui a donné une place centrale à l’individu au détriment du groupe s’impose comme le pays à l’origine de ce sujet universel si nécessaire à l’ouverture d’un dialogue interculturel puisqu’il suppose la reconnaissance de valeurs telles que l’égalité, la liberté et la fraternité. La France porte en étendard la laïcité, autre valeur qui devrait permettre ce dialogue. Ainsi que le montre Pena Ruiz (2014), en séparant l’église de l’état, la France a permis à n’importe lequel de ces citoyens de s’intégrer. La loi de 1905 l’affirme ainsi dans son premier article « La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. », Et poursuit dans l’article 2 « La république ne reconnaît, ne subventionne aucun culte. ». Elle condamne donc l’idée d’une culture religieuse dominante et réaffirme la liberté de chacun. La laïcité est ce qui devrait permettre à tout sujet de se décentrer de ses propres croyances pour dialoguer avec autrui et accéder à une compréhension mutuelle au-delà des différences. Elle donne la liberté de choisir ses croyances à l’individu en lui offrant la possibilité de réfléchir dans un cadre institutionnel publique neutre et de construire des connaissances communes. La force de la laïcité c’est avant tout son principe d’émancipation, c’est pourquoi les futurs citoyens doivent pouvoir être préservés de toutes formes de prosélytisme religieux dans le cadre scolaire et ne pas se trouver enfermer dans une « essentialisation » de leur appartenance qui s’exprimerait au travers d’un port ostentatoire de signes religieux. Ce qui aurait tendance faire obstacle à la mise en valeur du commun et à la possibilité de s’extraire de ses croyances pour construire un esprit critique permettant « aux élèves de devenir acteurs de leurs choix » . La laïcité affirme la liberté de conscience de chacun et s’oppose ainsi à tout déterminisme culturel. Néanmoins, les débats actuels autour des arrêtés municipaux interdisant le port du « burqini » ont tendance à stigmatiser une religion en étendant le principe de neutralité au-delà des institutions publiques. Force est de constater que le débat ne fut pas aussi vif quand une partie de la population, beaucoup plus importante qu’on ne le croirait, s’est soulevée contre « le mariage pour tous » en lui opposant des « arguments » liés aux croyances catholiques et relevant d’un déterminisme biologique ordonné divinement auquel on pensait avoir échappé dans ce pays.
On peut alors s’accorder avec Pena Ruiz pour dire que la « complaisance à l’égard des premiers ouvre un boulevard aux seconds » (p668). Renaut (2009) insiste alors sur l’idée que ce républicanisme « érige un modèle identitaire particulier en figure de l’universel », modèle qui se trouve par un hasard douteux en coïncidence avec la représentation que nous nous faisons de l’identité française et qui demande aux « autres » d’effacer leurs particularités pour faire l’effort de « nous rejoindre dans cet universel que nous incarnerions si bien »(p.27).
Evidemment, certaines pratiques culturelles peuvent choquer et s’opposer violemment aux valeurs universelles, on peut penser à l’excision par exemple, cependant il ressort clairement que pour faire évoluer ces pratiques et les amener à disparaitre, leur interdiction est inefficace.
En revanche, l’accroissement des contacts avec d’autres cultures, l’échange de connaissances et de savoirs apparait bien plus opportun pour engager une décentration des individus et donc prendre du recul sur ces pratiques en vue de pouvoir porter un regard critique sur celles-ci.
Comme nous le rappelle si judicieusement Lévi-Strauss (1952, p.19): « En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus…« barbares» de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. » La laïcité doit donc retrouver son sens premier et ne pas être intériorisée par les sujets comme une négation ou un effacement de leurs supposées appartenances mais comme un principe libertaire qui permette à tous les individus de se décentrer et de construire librement leur identité en s’ouvrant à d’autres représentations du monde. Elle doit se redéfinir ainsi aux yeux de tous les citoyens pour les engager dans ce dialogue intersubjectif nécessaire à la déconstruction de certains préjugés et amalgames à l’origine de nombreux conflits. Elle s’impose également comme une ressource-clef en ce qui concerne la possibilité de sortir de l’ethnocentrisme et donc de redonner aux valeurs républicaines leur force et leur intégrité en termes d’universalité. Par ailleurs, la valeur d’égalité semble subir ce même type de déformation. Nous pouvons le constater ces dernières années avec l’avènement d’une discrimination positive et l’apparition de quotas notamment dans le monde politique. C’est une chose de créer des CV anonymes pour tout le monde de façon à éviter des discriminations raciales, c’en est une autre, et Renaut (2009) nous invite à le penser, d’instaurer des quotas de « représentants de la diversité » en politique. Personnalités qui se trouvent finalement enfermées dans leur rôle de représentants d’une couleur de peau ou d’une culture alors même qu’elles représentent d’abord et avant tout une somme de savoirs et de connaissances leur attribuant les capacités à diriger. Ce principe de quotas peut avoir du sens lorsqu’il s’applique aux porteurs de handicap qui subissent un réel désavantage par rapport aux autres acteurs de la société, il vient alors rééquilibrer les possibilités d’agir de ces derniers et les placer sur un pied d’égalité. Est-ce à dire que le fait d’être issu de la diversité est assimilé au fait d’être porteur d’une forme de handicap ? Par rapport d’analogie avec la question de l’égalité qui touche ces personnes, on peut être amené à penser que l’égalité supposée entre tous est une valeur qui n’est pas encore absolument intégrée et que la discrimination raciale est encore considérée comme un obstacle à l’inclusion pour ceux qui la subissent et ceux qui la perpétuent. Le débat autour de « l’identité nationale » qui s’est installé depuis une dizaine d’années n’est pas étranger à cette résurgence des différenciations « raciales » et discriminatoires. Paradoxe d’une société qui prône le dialogue interculturel, fait le constat du pluralisme culturel généralisé et se laisse influencée par des discours tentant d’asseoir l’identité nationale sur l’idée d’une population originaire de cette « terre » dont les ancêtres seraient prétendument les gaulois. Cette question de l’identité nationale est un non-sens au regard de l’Histoire des divers peuples qui ont construit la France et de la constitution actuelle des sociétés où les identités sont toujours complexes et interactionnelles. Comme nous le rappelle Jullien et c’est là le titre de son ouvrage : « il n’y a pas d’identité culturelle », il nous enjoint donc à cesser « de nous chipoter sur nos ancêtres les gaulois,sur les racines chrétiennes de la France, parce que ce faisant on remet dans les lois de la nature ce qui est culturel » (2016, p96). D’autre part, ce qui fait également la richesse d’un pays comme la France, c’est la diversité qui la constitue en propre et la liberté de penser et de s’exprimer qui lui est associée. En revenir à un débat sur l’identité nationale est donc simplement un moyen de réactiver des revendications identitaires qui ont pour effet de réactualiser une différenciation entre un « nous » et un « eux » et de poser la question de l’immigration en terme de problèmes. Jullien nous amène alors à repenser la préservation de la diversité culturelle non pas de manière défensive comme si les interactions engendrait la disparition de tout un pan de la culture mais comme ressources diverses propres à réfléchir les écarts entre les cultures et à les repenser. Lévi-Strauss (1952, p.84) l’exprime clairement en ces termes : « C’est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu’aucune ne saurait perpétuer au-delà d’elle-même ». La culture est par essence la façon dont les hommes révèlent leur rapport au monde, donne à voir la représentation qu’ils en ont. Comment pourrait-elle se figer dans une identité culturelle à la vitesse où le monde évolue aujourd’hui ?
Or, pour que chaque acteur de la société puisse s’inscrire dans cette dynamique et éprouve la volonté de se décentrer en vue de comprendre autrui et de créer avec lui un monde commun, il est nécessaire que les institutions affirment cette conception de la culture. Ce qui passe nécessairement par l’éducation des futurs citoyens qui pourront ainsi s’engager consciemment dans la volonté de construire un vivre ensemble où chacun trouve sa place et puisse exprimer sa diversité comme une ressource. Comment créer cette conscience collective au sein de l’environnement scolaire ? C’est la question que nous allons maintenant aborder.

L’éducation interculturelle

Définition

L’approche interculturelle s’est principalement développée en Europe comme nous avons pu le constater précédemment, le terme est employé pour la première fois dans un texte officiel en France en 1975. La raison en est très certainement le contexte particulier de l’Europe qui se caractérise par des flux migratoires importants et par la volonté d’autre part d’unifier les ressortissants d’un nombre conséquents de pays autour d’une même citoyenneté dite « européenne » à même de faire face à la puissance hégémonique américaine. Son objectif principal est l’intégration des enfants d’immigrés en milieu scolaire en leur permettant d’accéder à des connaissances et donc à une culture commune qui s’inscrit en premier lieu dans la maîtrise de la langue du pays d’accueil et se limite à la prise en charge des élèves considérées comme « différents » culturellement. Cette première approche va donner cours à un projet dit « assimilationniste » dans les années 1970-1980 qui sera par la suite repensé, dans les années 1980-1990 en termes « intégrationniste » s’adressant à l’ensemble des élèves en les invitant à explorer la diversité et à construire « des compétences et des attitudes susceptibles d’améliorer les relations interculturelles » (INRP, 2007, p.6). Enfin, dans les années 1990-2000, le conseil propose un projet dit « humaniste » qui interroge clairement la question de la citoyenneté des individus issus de la diversité et donc des compétences et des savoirs à transmettre en vue de les engager dans une participation active à la vie de cette société démocratique pluriculturelle. Ce sont ces compétences et ces savoirs que nous allons essayer de définir ci-après.
Au regard des définitions qui ont été donné de l’interculturalisme et de son opposition avec le multiculturalisme, un profil d’éducation interculturelle semble se dessiner. Celle-ci doit donc aborder la question des cultures en termes d’interactions dynamiques et absolument éviter d’essentialiser les cultures en enfermant les acteurs sociaux dans des traits distinctifs présupposés comme héritage de leurs cultures, ce qui aurait tendance à exacerber les revendications identitaires et donc a fortiori les conflits. L’éducation interculturelle défend donc la rencontre de « l’autre » dans sa singularité comme dans son universalité et récuse l’idée qu’on puisse connaitre une culture en dehors de ces échanges. Universalité, car la diversité est considérée comme une des caractéristiques de l’humanité, elle est donc une richesse qu’il faut préserver non pas en se renfermant sur une culture figée mais en la renouvelant grâce aux contacts et aux échanges entre différentes cultures que nous permettent le monde actuel. Elle suppose l’égalité de droit et de fait entre les cultures et s’oppose donc à leur hiérarchisation. Les dimensions culturelles portées par les individus (les élèves) sont toutes perçues comme des ressources potentielles condition sine qua non d’un dialogue intersubjectif à même d’entraîner une compréhension et un enrichissement mutuels.
L’interculturalité pensée comme nouveau paradigme de la société pose d’emblée le problème des pédagogies et des enseignements qui vont permettre aux futurs citoyens de se vivre et de se penser, dans ce modèle interactionnelle, comme les acteurs principaux de la construction du monde commun de demain. Contrairement à la pédagogie multiculturaliste qui va se centrer sur les traits caractéristiques et réducteurs d’une culture puisque tournés vers le folklore et les traditions tout en comportant une dimension sensiblement prescriptive, la pédagogie interculturelle s’intéresse aux identités multiples des élèves qui peuvent parfois être complémentaires, parfois contradictoires. (A.Prétceille, 1996). Elle doit leur donner l’occasion d’exprimer la complexité de leurs appartenances et de créer ce dialogue intersubjectif au sein de la classe. Ce, en vue d’une décentration de tous œuvrant à la possibilité de réfléchir librement sur ces appartenances et de se nourrir de celles d’autrui.
D’autre part, elle renonce à aborder les cultures en terme de connaissances et insiste sur la notion de « baroque culturel » en donnant à voir au travers du discours des élèves ; les dynamiques, les processus, les interactions et les relations entre individus qui ont fait de lui un être singulier à part entière et s’inscrivant dans une des caractéristiques essentielles de l’humanité : sa capacité à produire de la diversité. En cela, la pédagogie interculturelle se tourne également vers une dimension essentielle de l’éducation en tant qu’elle doit être à même de créer le vivre ensemble et d’engager tous les élèves dans cette construction les amenant à adopter une posture de futurs citoyens. Parce qu’elle fait de la diversité un état de fait, une richesse qu’il faut renouveler et non un obstacle à surmonter, comme si les différences étaient systématiquement synonymes de fractures sociales, elle permet à chaque élève d’avoir une meilleure image de ses appartenances mais également de s’en affranchir.
Puisque c’est son identité singulière qui sera mise en avant et que ses pairs ne l’enfermeront pas dans une identité supposée relative à sa culture d’origine et trop souvent construite sur des stéréotypes et des préjugés auxquels l’élève en question aimerait s’arracher.

Les modalités de mises en œuvre d’une éducation interculturelle en France

Les ELCO des années 1970 à nos jours

Comme nous l’avons évoqué plus haut les appartenances culturelles diverses des élèves issus de l’immigration n’ont pas toujours été traitées en termes d’apports et d’enrichissement des mais souvent en termes d’obstacle à leur intégration et de « différences » constitutives d’une incompréhension des attendus institutionnels de l’école engendrant l’échec de ces élèves. La mise en place des Enseignements de Langues et Cultures d’Origines pour les enfants de migrants était donc censée répondre à cette problématique en reconnaissant leurs appartenances culturelles présumées, ce qui devait conduire à un sentiment de valorisation de leurs cultures du fait de leur présence signifiée au sein de l’école. Néanmoins ne s’adressant pas à l’ensemble des élèves, les ELCO n’ont pas eu pour effet d’ouvrir tous les élèves à d’autres cultures et d’encourager l’élaboration de valeurs communes au travers de connaissances sur le monde partagées. A contrario, ils ont aggravé le sentiment d’exclusion de ces élèves qui se sont trouvés stigmatisés et enfermés dans une culture d’origine qui avait pour caractéristique principale de les différencier de leurs pairs. Pourtant trois ans seulement après leur mise en place, des études ont montrés que les difficultés scolaires de ces enfants étaient égales à celles rencontrées par tous les enfants inscrits dans ce même milieu socioéconomique dit «défavorisé» (Kerzil &Vinsonneau, 2004). Malgré ce constat et bien que la majorité des chercheurs et des praticiens se soient prononcés contre cette éducation réservée aux immigrés (Abdallah-Pretceille, 1998.), la problématique est restée la même jusqu’à l’année dernière où le ministère a finalement envisagé d’ouvrir ces enseignements à tous les élèves. D’autre part, les enseignants devraient également être co- recrutés par l’éducation nationale et inspectés alors que jusqu’à présent cette responsabilité incombait aux pays d’origine. Ce qui ne permettait pas à l’éducation nationale de contrôler le contenu de ces enseignements qui ont souvent été soupçonnés de prosélytisme religieux (POUR, Mars 2016).
Ils avaient notamment vocation à faciliter leur retour dans ces pays en gardant un lien avec leurs langues, dimension qui vient s’effacer au profit d’une acculturation de tous les élèves lorsque ces enseignements leurs sont également proposés.

L’égalité des chances ou « donner plus à ceux qui ont le moins »

La question de l’échec scolaire ayant été «dé-culturalisée» et attribuée à l’origine socioéconomique défavorisée des élèves, la France s’est inscrite dans une politique de compensation nommée «éducation prioritaire» depuis 1982. Elle se caractérise par une démultiplication des moyens attribués aux élèves pour réussir avec notamment la mise en place d’aides individualisées en dehors des heures de cours, la réduction du nombre d’élèves par classe et la création de postes d’enseignants dit «surnuméraires» n’ayant pas de classe attribuée mais une école dans laquelle ils soutiennent les enseignants titulaires en cointervention. Le rapport CNESCO (2016) a montré que ses pratiques compensatoires avaient fait de l’école française, celle qui aggrave le plus les inégalités. D’une part, car la majorité des aides ont cours en marge de l’école et des heures dédiées et qu’elles ne changent pas «fondamentalement les pratiques pédagogiques l’expérience scolaire au quotidien des élèves français» (p.7). D’autre part, parce qu’elles créent : «du fait des labels (éducation prioritaire) des effets pervers importants dans la durée (fuite des élèves plus favorisés de ces établissements, manque d’attractivité pour les enseignants)» (p.7) ce qui entraîne une forme de ségrégation sociale de ces populations totalement contraire à la démarche interculturelle en éducation qui demande une forte mixité sociale. Elle est nécessaire pour construire un dialogue intersubjectif capable d’orchestrer une décentration de chacun et donc une compréhension mutuelle pouvant se solder par un enrichissement des représentations de l’ensemble des élèves au travers du processus d’acculturation. Le rapport montre donc que cette discrimination positive à des effets très négatifs sur l’intégration et la réussite de ces populations qui se trouvent stigmatisées en renforçant la vieille image d’une immigration problématique qui a des difficultés à s’intégrer alors que dans ce même rapport il est démontré que « les performances scolaires sont de moins en moins liées à la position sociale et à l’éducation des parents chez les élèves issus de l’immigration » (p.11). L’étude conclut sur l’idée que cette égalité des chances s’est mutée en « donnant moins à ceux qui ont le moins » due à l’image très négative de ces établissements engendrant une fuite des élèves plus favorisés vers les établissements privés et un refus des enseignants plus expérimentés de s’y engager. Les difficultés sont donc toutes concentrées dans les mêmes zones où se retrouve une majorité d’enseignants en début de carrière avec une maîtrise des pédagogies à mettre en œuvre en termes de différenciation très limitée. De plus, les effectifs de classe ne seraient pas si réduits, en 2015 ils seraient seulement de 1,4 élève de moins. Par ailleurs, le temps des apprentissages seraient raccourcis considérablement du fait du temps passé à instaurer un climat de classe favorable. Le rapport du CNESCO dénonce un « quasi immobilisme, en France, depuis quarante ans dans les politiques publiques sur la mixité sociale à l’école » malgré « un phénomène puissant de ségrégation » dans ses établissements. La recherche montre que cette absence de mixité engendre « des effets très négatifs sur les apprentissages des élèves en difficulté… (Elle) est aussi particulièrement nocive pour la construction des futurs citoyens, qu’ils soient issus de milieux socialement défavorisés ou plus aisés. La ségrégation sociale est associée à des attitudes moins citoyennes, moins tolérantes, des capacités de communication et de délibération moins approfondies, une défiance dans les institutions plus élevées…A l’ opposé, les recherches montrent également dans quelles conditions davantage de mixité sociale et scolaire garantissent des apprentissages bénéfiques pour l’ensemble des élèves. » (p.10). Nous voyons donc que la question de l’éducation interculturelle en France fait face à des obstacles inhérents à la constitution actuelle de l’école de la république et nous allons voir comment le gouvernement a engagé sa réforme.

Résultats

A la rencontre de l’autre : les interviews des parents d’élèves

Seuls deux parents ont refusés de participer et les contraintes matériels (prêt d’Ipad sur 6 semaines que les enfants emmenaient chez eux afin d’éviter les inégalités en termes de matériel disponible à la maison), nous ont conduits à 13 interviews se concentrant sur 9 pays au total. Les parents se sont globalement bien investis dans ce projet et la possibilité de parler de leurs modes de vie au travers de thèmes ouverts sous l’angle de l’évolution a donné des résultats inégaux dans leurs traitement mettant en valeur des points de vues différents au regard de leur importance pour certains parents et ce également lorsqu’ils parlent d’un même pays. Ce tableau (tableau 1) peut le montrer : + signifie qu’ils ont évoqués le thème, ++ qu’ils l’ont beaucoup traité, – qu’ils ne l’ont pas traité, que leur traitement n’a pas évolué entre les deux générations. Chaque colonne est scindée en deux parties, la seconde indique si les parents ont évoqué l’évolution des sociétés selon les thèmes abordés. La question de l’école sera traitée à part car quasiment tous les parents (sauf pour les Comores) se sont attardés sur la question faisant ressortir l’importance de l’accès aux savoirs notamment pour les filles et leur attachement à la mixité.

La conscience du commun et des valeurs .partagées

Il convient de préciser ici que l’enseignante n’a jamais elle-même prononcé les termes « égalité, liberté, fraternité, racisme…».Elle laisse le soin aux élèves d’éprouver les sentiments d’injustice et d’intolérance engendrés par les questionnements antérieurs des hommes à propos d’une humanité refusée à certains sous prétexte de leurs différences et attend que ces termes relatifs aux valeurs en question soient amenés par les élèves euxmêmes. L’égalité entre les hommes et entre hommes et femmes et la liberté sont les valeurs auxquelles les enfants sont le plus attachés comme le montre ces résultats : A la question qui leur a été posé individuellement par écrit : « les européens avaient-ils raison d’obliger les indiens à devenir comme eux ? », tous les élèves commencent par un non catégorique et nous allons détailler les raisons de ce refus en quelques catégories d’arguments (tableau1), certains élèves entrent dans plusieurs catégories.

Le principe de laïcité au fondement du « bien vivre-ensemble »

Lors de l’exposé sur la Tunisie, l’élève a commencé ainsi : « En Tunisie les femmes portent des foulards devant les hommes. Il y a trois ans elle a été le premier pays du monde arabe à faire voter une loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes ». L’enseignante demande ce que cela signifie : Janat : « avant il y avait pas la liberté et les femmes avaient pas les mêmes droits ». L’enseignante évoque alors le cas de l’Arabie Saoudite où les femmes n’ont pas le droit de conduire. Niëma : « et elles doivent porter le truc où on voit que les yeux ». La PE explique le principe de tutelle. Richmonde : « et si elles n’obéissent pas ? ». La PE leur apprend que les hommes ont le droit de les frapper sans être puni par la loi. Walid : « et elles ont le droit de pas se marier ? » La PE: « dans ce cas, elles restent à vie chez leurs parents ». Walid : « moi, je resterai chez mes parents ». Les élèves en chœur : « moi aussi ». Abdalah vient alors confirmer les propos de l’enseignante en expliquant qu’il a vu un reportage sur ce pays : « c’était comme tu dis et les hommes avaient tous les droits et il y avait des filles si elles n’écoutaient pas, elles allaient en prison et aussi un garçon ils lui ont coupé la main, j’ai dit OH MY GOD ! ». Les élèves s’interrogent alors sur ces pratiques et disent que dans leur religion «c’est pas comme ça». La PE fait alors un parallèle avec les débats interprétatifs menés en classe et leur montre qu’à la lecture d’un même texte, ils ont souvent des manières de le comprendre très différentes. Kaylah intervient : « les terroristes ils croient que dans le coran c’est écrit ; faut tuer pour aller au paradis ! ». Richmonde poursuit : « ils tuent bêtement ». La PE : « qu’est-il écrit dans toutes les religions et dans les lois par rapport à ça ? ».Les élèves : « il faut pas tuer ! ».Les élèves vont ensuite faire une sorte d’inventaire de tous les amalgames fait entre les musulmans et les terroristes (barbe, tenue etc.) et les dénoncer. Richmonde : « il y en a dès que tu dis que t’es arabe, ils disent que t’es un terroriste », ce que les élèves vont ensuite requalifier de propos racistes. Kaylah intervient : « ma mère m’a dit si tes parents te disent « tu manges pas de pâtes, t’en mangeras jamais et s’ils te disent t’es terroriste, t’es terroriste ! « Richmonde : « pourquoi si on a pas le droit de parler de ça, on en parle maintenant ? », Lya : « pour arriver à se comprendre », Walid : « et pour mieux vivre ensemble ! », Anida : « et pour apprendre des choses sur les autres cultures », Zoé : « aussi parce qu’on a différentes croyances et les autres ils se moquent ». Les élèves ont tous confirmés en chœur. Le débat sur la laïcité a donc été quelque peu anticipé par la question de Richmonde, néanmoins à la question « pourquoi on n’enseigne pas une religion à l’école en France ? » les réponses sont les suivantes ( tableau 2).

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Table des matières

1 CADRE THÉORIQUE : INTRODUCTION, ÉTAT DE L’ART ET PROBLÉMATIQUE
1.1 Introduction
1.2 État de l’art
1.2.1 Définition des concepts de culture, multiculturalisme et interculturalisme
1.2.1.1 Du concept de culture vers celui de culturalité
1.2.2 Le modèle multiculturaliste et sa dérive : le communautarisme
1.2.2.1 Le modèle interculturaliste : la position trouble de la France ; entre universalité des valeurs, laïcité et débat sur l’identité nationale
1.2.3 L’éducation interculturelle
1.2.3.1 Définition
1.2.4 Les modalités de mises en œuvre d’une éducation interculturelle en France
1.2.4.1 Les ELCO des années 1970 à nos jours
1.2.4.2 L’égalité des chances ou « donner plus à ceux qui ont le moins »
1.2.4.3 Refondation de l’école autour des valeurs de la république : une école ouverte sur le monde réaffirmant le principe de laïcité et sa vocation à construire une posture de citoyens éclairés
1.3 Problématique
2 MÉTHODE
2.1 Participants et contexte
2.1.1 Participants
2.1.2 1.1.1 Procédure et matériel
3 RÉSULTATS
3.1.1 A la rencontre de l’autre : les interviews des parents d’élèves
3.1.2 La conscience du commun et des valeurs .partagées
3.1.3 Le principe de laïcité au fondement du « bien vivre-ensemble »
4 DISCUSSIONS
4.1 Recontextualisation
4.2 Mise en lien avec les recherches antérieures
4.2.1 Un regard sur les différences qui élève vers la conscience du commun
4.2.2 Des identités complexes qui invitent à construire un esprit critique
4.2.3 Espace-Temps et connaissances sur le monde
4.3 Limites et perspectives
4.3.1 Influence sur la pratique professionnelle
5 CONCLUSION
6 BIBLIOGRAPHIE

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