Une intervention est dite efficace quand elle montre des bénéfices dans des conditions étroitement contrôlées qu’il est nécessaire de définir au préalable (Warren et al., 2007). Mettre en place une méthodologie permettant d’analyser les effets de la fréquence d’une prise en charge nécessite donc de mettre en lumière toutes les composantes et l’ensemble des facteurs influençant l’efficacité d’une intervention.
Pour cela, nous nous sommes interrogés sur les notions théoriques encadrant les recherches concernant l’optimisation des prises en charge orthophoniques. Dans cette partie, il s’agira dans un premier temps de définir la fréquence comme une des variables de l’intensité. Puis nous décrirons l’ensemble des composantes d’une intervention et les différents facteurs pouvant influencer son efficacité. Enfin, nous évoquerons les aspects méthodologiques permettant d’évaluer les bénéfices liés à la fréquence et les enjeux soustendus par ces études.
Définition de l’intensité
La fréquence est considérée comme une des composantes de l’intensité. Ainsi, pour mieux connaître les tenants et les aboutissants liés à la fréquence d’une intervention, nous serons souvent amenés à nous référer aux recherches concernant l’intensité. De plus, les travaux portant sur l’effet de l’intensité sur les résultats des prises en charge sont plus nombreux dans la littérature que ceux portant uniquement sur la fréquence. Pour harmoniser les recherches autour des interventions orthophoniques, Warren, Fey et Yoder (2007) ont défini les différents paramètres qui composent l’intensité en empruntant des termes à la pharmacologie. Ces termes font désormais consensus dans les études cherchant à définir l’intervention optimale (Baker, 2012a) (Bellon-Harn, 2012) (Justice, Logan, Schmitt, & Jiang, 2016).
Ainsi, les auteurs proposent de caractériser la notion d’intensité cumulée à partir des quatre variables suivantes :
– La dose : elle représente le nombre d’épisodes d’apprentissage pendant une séance. Les auteurs la définissent comme l’ensemble des actes administrés par l’orthophoniste pendant une séance pour mener le patient à l’objectif voulu. Elle est dépendante de trois variables qui sont le taux moyen d’épisodes par unité de temps, la durée de la séance et aussi la distribution des occasions d’apprentissage dans le temps.
– La forme de la dose : c’est le support, l’activité, permettant d’administrer les épisodes d’apprentissage. Ainsi selon les approches, les activités peuvent être plus ou moins formelles et structurées.
– La fréquence de la dose : elle représente le nombre de séance(s) sur une période donnée. En orthophonie, on parlera de nombre de séance(s) par semaine.
– La durée totale de l’intervention : elle représente la période de temps sur laquelle est administrée l’intervention orthophonique.
Précisions sur la dose de l’intervention
Episodes d’apprentissage
Warren et al. (2007) estiment que pour quantifier précisément la dose il est nécessaire de déterminer ce que sont les épisodes d’apprentissage de manière à pouvoir les observer précisément et les dénombrer. En réalité, cette définition explicite semble difficile à poser. En effet, le thérapeute travaille en perpétuelle interaction avec le patient et s’adapte sans cesse aux actes de celui-ci. Dans ces conditions, définir les épisodes d’apprentissage à l’avance peut donc s’avérer complexe. De plus, il est difficile de prédire les effets de chacun des actes orthophoniques sur l’apprentissage de la langue. A noter aussi que l’efficacité des épisodes d’apprentissage est fortement liée à la motivation et à l’attention du patient au cours de la tâche.
Pour d’éventuelles recherches, il serait donc pertinent de s’interroger sur les éléments essentiels qui constituent un épisode d’apprentissage et sur leurs effets respectifs.
Spacing effect ou effet de distribution
Le spacing effect correspond à la distribution des épisodes d’apprentissage dans le temps : ces épisodes peuvent être dispensés de manière amassée ou espacée dans le temps (Warren et al., 2007). Ainsi, il semblerait qu’un entraînement soit plus efficace si les épisodes d’apprentissage sont distribués dans le temps plutôt que s’ilssont tous regroupés. Ce postulat est connu depuis longtemps et vérifié dans nombre d’études portant sur la cognition humaine et allant de l’apprentissage moteur (D. Baddeley & J. A. Longman, 1978) à l’apprentissage des tables de multiplication (Rea & Modigliani, 1985). Ainsi, un enfant exposé à 60 épisodes d’apprentissage pendant une heure, généraliserait moins les comportements travaillés qu’un enfant exposé à 3 séances de 20 minutes pendant lesquelles sont administrés 20 épisodes d’apprentissage (Warren et al., 2007). On sait maintenant que la rétention et la généralisation des apprentissages sont meilleures lorsque les entraînements sont répétés et espacés. Une autre étude a montré que les performances obtenues à des tâches de production de verbes étaient meilleures suite à 12 présentations espacées d’un verbe au cours de plusieurs séances (3 présentations du verbe par séance pendant 4 séances) plutôt qu’après 18 présentations d’un verbe au cours d’une même séance (Riches, Tomasello, & Conti-Ramsden, 2005). Il est important de noter que dans le cadre des troubles du langage oral, les enfants ont besoin de plus de présentations d’un nouveau mot pour l’acquérir que les enfants avec un fonctionnement langagier typique. Pour ces enfants il est donc important de multiplier les épisodes d’apprentissage (Gray, 2003, 2005). Finalement les auteurs considèrent donc qu’une dose élevée au cours d’une séance n’est pas forcément l’approche la plus efficace et qu’il peut être préférable d’augmenter la fréquence des séances, ce peut être le nombre de séances par semaine, pour que les épisodes d’apprentissage soient mieux distribués dans le temps. Ce constat général reste tout de même à nuancer au cas par cas. La distribution des épisodes doit être adaptée à l’objectif thérapeutique et au patient. Ainsi, un enfant qui initie fréquemment les échanges et qui s’engage bien dans la communication pourra progresser plus rapidement avec une dose faible à une fréquence moins importante qu’un enfant en retrait dans l’échange avec une dose et une fréquence plus élevées (Warren et al., 2007). Janiszewski, Noel et Sawyer (2003) notent d’après leur revue de littérature que de nombreux facteurs liés au contexte d’apprentissage interagissent avec le spacing effect. Il s’agit par exemple du type de tâche qui peut impliquer de manière plus ou moins importante l’individu. Ils suggèrent que la stratégie d’apprentissage la plus efficace serait celle alternant des tâches impliquant l’attention du sujet et d’autres tâches plus insidieuses. Ils prennent l’exemple du domaine publicitaire, la publicité aurait plus d’impact si elle est répétée de manière distribuée dans le temps et si les expositions alternent des supports impliquant l’individu comme les publicités télévisées et des supports où l’individu est plus passif comme un panneau d’affichage, un placement de produit…
Objectifs, moyens et principes actifs de l’intervention
Dans ses travaux, Elise Baker reprend la définition de l’intensité donnée par Warren et al. (2007). Mais elle insiste sur la nécessité de déterminer les principes actifs, c’est-à-dire tous les éléments qui entrent en jeu dans l’administration de la dose (Baker, 2012a). Il s’agit aussi pour elle de définir deux points clés d’une intervention : ce qui doit être appris (les objectifs) et comment y parvenir (les moyens).
Objectifs de l’intervention
Les objectifs d’un programme d’intervention peuvent concerner le développement d’habiletés comportementales, motrices, perceptives ou cognitivo-linguistiques. Selon la nature de l’habileté à développer, les différentes variables de l’intensité telles que la dose, la fréquence et la durée de l’intervention, pourront être modifiées au regard de la littérature de manière à fournir une prise en charge optimale. Ainsi, pour le développement des compétences motrices, un entraînement répété et fréquent serait bénéfique (Spielman et al., 2011). Concernant les compétences cognitivo-linguistiques, il semblerait que l’amélioration des compétences phonologiques survienne en réponse à un entraînement espacé et répété (Bowen & Cupples, 1999). La nature des compétences visées devrait donc permettre de mieux définir le nombre de séances nécessaires, la fréquence et la durée de l’intervention.
|
Table des matières
1. Introduction
2. Partie théorique
2.1. Définition de l’intensité
2.2. Précisions sur la dose de l’intervention
2.2.1. Episodes d’apprentissage
2.2.2. Spacing effect ou effet de distribution
2.3. Objectifs, moyens et principes actifs de l’intervention
2.3.1. Objectifs de l’intervention
2.3.2. Moyens d’intervention
2.3.3. Principes actifs
2.4. Facteurs influençant le résultat de l’intervention
2.5. Incidences méthodologiques
2.6. Intervention optimale et Evidence-Based Practice
2.7. Données existantes sur la fréquence d’intervention
3. Problématique
4. Partie pratique
4.1. Méthode
4.1.1. Population
4.1.2. Matériel
4.1.3. Procédure
4.1.4. Variables de l’étude
4.2. Hypothèses
4.3. Résultats
4.3.1. Description des groupes F1 et F3 au Test 1
4.3.2. Analyse des effets de l’intervention
4.3.3. Analyse de l’effet de l’entrainement à domicile
4.3.4. Synthèse des résultats
4.4. Discussion
4.4.1. Considérations méthodologiques
4.4.2. Hypothèses et résultats
5. Conclusion
Tables des illustrations et annexes
Bibliographie
Annexes