L’infection urinaire est une infection très commune chez la femme, environ un tiers des femmes aura un épisode d’infection urinaire au cours de sa vie et parmi elles, 20% auront au moins une récidive.(Prescrire Rédaction 2007) La fréquence de cette pathologie explique que nous y soyons confrontés en pratique quotidienne en pharmacie. Ayant travaillé tous les samedis en officine durant mes études, j’ai été personnellement plusieurs fois en situation d’accueillir en premier recours une patiente se plaignant de signes fonctionnels urinaires évoquant une cystite. A cette heure où les cabinets médicaux sont fermés, on peut orienter la patiente vers les services de garde ce qui peut aller jusqu’à impliquer les services d’urgence en fonction de l’organisation locale de la permanence de soins. Mais est-il vraiment justifié d’aller embouteiller ces services pour une infection bénigne ? Le pharmacien est contraint dans cette situation de soin. Il peut conseiller des spécialités disponibles sans ordonnance mais elles n’ont pas fait la preuve de leur efficacité sur le plan curatif et dans la plupart du temps vont juste différer la prise d’antibiotique. Devant le caractère douloureux d’une cystite, il est dommage et parfois difficile pour ces femmes d’attendre la prochaine consultation disponible.
Définitions
Définition de l’infection urinaire
Une infection urinaire correspond à une inflammation des voies urinaires causée par un micro-organisme pathogène. Elle associe des signes cliniques et biologiques. Parmi ces infections urinaires, on distingue les infections urinaires dites basses soit les cystites, et les infections urinaires dites hautes soit les pyélonéphrites. Les infections urinaires basses ou cystites correspondent à une inflammation de la muqueuse vésicale tandis que les infections urinaires hautes ou pyélonéphrites correspondent à une inflammation du parenchyme rénal et de ses voies excrétrices. (Prescrire Rédaction 2007) Ces différentes infections peuvent ensuite être reclassées en fonction de la gravité : simple, à risque de complication ou grave (Audenet et Bruyère 2018).
Définition de la cystite simple (SPILF 2015)
Une cystite simple est par définition une cystite sans risque de complication. Ces facteurs de risque de complication sont :
– Toute anomalie fonctionnelle ou organique de l’appareil urinaire
o Les Uropathies (Lobel 1996)
♦ Obstructives : lithiase, sténose urétrale/urétérale, corps étranger, tumeur
♦ Ou non obstructives : résidu post mictionnel, vessie neurologique, reflux vésico-urétéral .
o Une origine iatrogène : geste chirurgical ou endoscopique, sonde
– Un terrain à risque de complication comme :
o Le sexe masculin
o La grossesse
o Un âge > 75 ans ou bien > 65 ans avec plus de 3 critères de Fried
o Une insuffisance rénale chronique sévère (clairance < 30ml/min)
o Une immunodépression grave (immunomodulateurs, cirrhoses, transplantation…).
Les Critères de Fried comptent :
– Une perte de poids involontaire au cours de la dernière année,
– Une vitesse de marche lente,
– Une faible endurance,
– Une faiblesse/fatigue
– Une activité physique réduite .
En revanche, le diabète n’est plus considéré comme un facteur de risque de complication, de même que la présence de sang dans les urines (présence dans environ 30% des cas de cystite). (SPILF 2015) .
Physiopathologie des cystites
Evolution naturelle des cystites
En l’absence de traitement antibiotique, environ 50 à 70 % des cystites tendent vers une guérison spontanée mais lente avec persistance des symptômes sur plusieurs mois (Prescrire Rédaction 2007). Si on considère une période de temps plus courte de 1 à 5 semaines, ces chiffres tombent à 25 à 45 % (SPILF 2015). A long terme on n’observe pas de conséquence sur la fonction rénale ou la survenue d’une hypertension artérielle (Prescrire Rédaction 2007). Par contre 20 % des femmes ayant eu une cystite auront une récidive au moins une fois dans leur vie.(Prescrire Rédaction 2007) .
Quelques complications en pyélonéphrite aiguë ont pu être rarement observées mais ne sont pas une évolution naturelle de la cystite. En effet, leur physiopathologie est différente et dépend des facteurs de virulence des souches pathogènes qui donneront soit une cystite, soit une pyélonéphrite aiguë. (SPILF 2015) La pyélonéphrite est une affection grave pouvant être responsable d’abcès rénaux, de choc septique ou d’insuffisance rénale. (Lane et Mobley 2007) L’antibiothérapie dans une cystite vise donc à soulager l’inconfort et non à prévenir les complications. Il est montré que dans les cystites simples un traitement antibiotique permet d’obtenir une guérison et de raccourcir la durée des symptômes par rapport au placebo. (SPILF 2015) .
Pathogénicité et facteur de virulence de l’uropathogène Escherichia coli
L’Uropathogène Escherichia coli (= UPEC) est responsable de 80 à 90 % des infections urinaires en général (Terlizzi et al. 2017) et 80% des pyélonéphrites aiguës (Lane et Mobley 2007). La pathogénie de l’UPEC dépend de la présence ou non de certains facteurs de virulence. Parmi ceux-ci, certains vont être associés aux cystites et d’autres aux pyélonéphrites. Le pouvoir pathogène des UPEC dépend de nombreuses caractéristiques, telles que la capacité de colonisation, l’aptitude à remonter vers l’organe cible ou encore la formation d’un biofilm, permises par des facteurs de virulence (Terlizzi et al. 2017). Ces facteurs de virulence, représentés sur la figure 1 page 27, peuvent être structurels (capsule, flagelle,…) ou constituer des mécanismes de sécrétion tels que la sécrétion de toxines (Lane et Mobley 2007).
Pili de type P
Le principal facteur de virulence qui différencierait l’évolution clinique en cystite ou en pyélonéphrite est le Pili appelé également fimbriae. Il confère au pathogène une capacité d’adhérence aux différents épithéliums tapissant la paroi des voies urinaires empêchant ainsi l’élimination par la miction (Zhou et al. 2001). Les pilis sont des appendices impliqués dans la fixation de la bactérie à la paroi. Il existe deux types de pilis :
– Le Pili de type 1 est codé génétiquement par les opérons Fim. Il est composé de sous-unités Fim et notamment FimH, adhésine permettant la liaison aux protéines mannosylées présentes sur l’épithélium de la vessie favorisant ainsi l’invasion bactérienne et le développement d’une cystite. (Terlizzi et al. 2017)
– Le Pili de type P est codé génétiquement par les opérons pap (pyelonephritisassociated-pili soit pili associé à la pyélonéphrite). Ce pili est composé de 6 sousunités Pap dont en particulier la PapG responsable de l’adhésion (Terlizzi et al. 2017). Il existe quatre classes d’allèle PapG numérotées de I à IV. Ces variantes induisent des tropismes différents. L’allèle PapGII est associé aux pyélonéphrites, il se lie au globoside (ou GbO4) (Lane et Mobley 2007), glycolipide retrouvé abondamment dans les uretères et le rein chez l’Homme. (Klemm 1994) .
Autres facteurs de virulence
D’autres facteurs de virulence sont reconnus comme associés au risque de pyélonéphrite (Firoozeh et al. 2014) :
– La toxine a-hémolysine (hlyA) est impliquée dans la formation de lésions et cicatrices rénales. Elle perturbe le flux d’urine par action sur le Ca2+ des cellules épithéliales des tubules rénaux permettant ainsi l’ascension et colonisation des uretères et du rein. De plus, elle est responsable d’une exfoliation cellulaire au niveau de la vessie par induction de mort cellulaire. (Terlizzi et al. 2017)
– Les systèmes permettant l’acquisition de fer conditionnent la survie de l’UPEC dans les voies urinaires. Les UPEC peuvent exprimer des sidérophores telles que l’aérobactine. Ces sidérophores nécessitent un complexe cytoplasmique TonB permettant une meilleure absorption du fer en augmentant l’affinité du récepteur sidérophore pour le fer.(Terlizzi et al. 2017) .
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Table des matières
Introduction
I. Contexte
I.1 Définitions
I.1.1 Définition de l’infection urinaire
I.1.2 Définition de la cystite simple (SPILF 2015)
I.2 Physiopathologie des cystites
I.2.1 Evolution naturelle des cystites
I.2.2 Pathogénicité et facteur de virulence de l’uropathogène Escherichia coli
I.2.2.1 Pili de type P
I.2.2.2 Autres facteurs de virulence
I.3 Epidémiologie
I.3.1 Population concernée
I.3.2 Agents pathogènes responsables
I.3.3 Résistance d’E. Coli aux antibiotiques
I.4 Diagnostic
I.4.1 Tableau clinique,
I.4.2 Examen Cytobactériologique des Urines (ECBU) (SPILF 2015)
I.4.3 Bandelette urinaire
I.5 Diagnostics différentiels
I.5.1 Pyélonéphrite (SPILF 2015)
I.5.2 Cystite gravidique (SPILF 2015)
I.5.3 Cystite récidivante et rechute (SPILF 2015)
I.5.4 Mycose vaginale
I.5.5 Urétrite
I.5.6 Sécheresse cutanéo-muqueuse
I.6 Place de la fosfomycine dans l’arbre décisionnel de prise en charge de la cystite simple
I.6.1 Stratégie de prise en charge face à une cystite sans risque de complications
I.6.2 Fosfomycine
I.6.2.1 Généralités sur la fosfomycine (Falagas et al. 2016)
I.6.2.2 Avantage de la fosfomycine dans le traitement des cystites simples
I.6.2.3 Inconvénients de la fosfomycine
I.7 Rôle du pharmacien aujourd’hui en France
I.7.1 Quelques définitions
I.7.1.1 Médicaments
I.7.1.2 Compléments alimentaires
I.7.1.3 Dispositifs médicaux
I.7.2 Conseils hygiéno-diététiques
I.7.3 Arsenal du pharmacien
I.7.3.1 Médicaments
I.7.3.2 Canneberge
I.7.3.3 Probiotiques
I.7.3.4 D-mannose
I.7.3.5 Huiles essentielles
I.7.3.6 Acide ascorbique
I.8 Expériences internationales de prescriptions pharmaceutiques encadrées dans l’infection urinaire simple
I.8.1 Canada – Québec
I.8.2 Nouvelle Zélande (Gauld et al. 2017))
I.8.3 Ecosse (Booth et al. 2013)
I.8.4 Etude écossaise menée par le NHS Grampian (Hind et NHS 2018)
I.8.5 Pourquoi du triméthoprime à l’étranger et de la fosfomycine en France ?
I.8.5.1 Lignes directrices internationales de la prise en charge des cystites
I.8.5.2 Recommandation de prescription pour les cystites simples à l’étranger
I.8.5.3 Disponibilité de la fosfomycine et du triméthoprime
I.8.5.4 Epidémiologie
I.8.5.5 Stratégie d’épargne antibiotique
I.8.5.6 Conclusion
II. Matériels et méthode
II.1 Hypothèse
II.2 Objectif
II.3 Données réglementaires
II.4 Elaboration du questionnaire
II.4.1 Critères d’inclusion
II.4.2 Critères d’exclusion
II.4.3 Recueil des antécédents et du profil du patient
II.4.4 Tableau clinique
II.4.5 Attitude patiente
II.4.6 Attitude pharmacien
II.5 Distribution du questionnaire et recueil des données
II.6 Traitement des données
II.6.1 Inclusion des questionnaires à l’analyse
II.6.2 Quantification des données
II.6.3 Tests statistiques
III. Résultats
III.1 Résultats principaux : profil des patientes
III.1.1 Présentation générale
III.1.2 Proportion de femmes répondant à un profil de cystite simple
III.1.3 Description des différentes populations
III.1.3.1 Patientes exclues avant analyse
III.1.3.2 Description de l’échantillon inclus
III.1.3.3 Diagnostic d’infection urinaire incertain
III.1.3.4 Population retenue comme souffrant d’une infection urinaire
III.1.3.5 Population souffrant d’infection urinaire mais ne pouvant pas bénéficier d’un traitement par fosfomycine délivré par le pharmacien
III.1.3.6 Population considérée comme ayant une cystite simple non récidivante éligible à un traitement par fosfomycine
III.2 Résultats secondaires : attitudes des protagonistes
III.2.1 Délai de présentation à l’officine
III.2.2 Action patiente
III.2.3 Représentation des patientes sur le rôle du pharmacien
III.2.4 Proposition pharmaceutique
III.2.5 Faisabilité d’une bandelette urinaire à l’officine
IV. Discussion
IV.1 Idées fortes
IV.2 Forces
IV.3 Faiblesses
IV.4 Discussion des résultats et comparaison à la littérature
IV.5 Perspectives
IV.5.1 Pratique professionnelle
IV.5.2 Enseignement
IV.5.3 Recherche
Conclusion