Avec plus de 48 000 nouveaux cas en France en 2012, et plus de 11 500 décès dans l’année, le cancer du sein est un véritable problème de santé publique. En France, il est le cancer le plus fréquent chez les femmes. Dans le monde, on compte également 14 millions de nouveaux cas en 2012. Le cancer du sein représente ainsi le deuxième cancer le plus fréquent au niveau mondial. De plus, il n’y a pas un cancer du sein, mais plusieurs cancers du sein. En effet, il existe différents types de cancer du sein selon qu’ils soient par exemple in situ ou infiltrant, avec donc des protocoles de prise en charge différents.
Face à ces chiffres consternants, les scientifiques se sont attelés à la recherche de nouvelles thérapies qui permettraient d’améliorer la prise en charge du cancer du sein, afin d’améliorer le pronostic vital des patients ainsi que leur qualité de vie. Le marché des médicaments anticancéreux comptait déjà beaucoup de molécules et de techniques précises au sein de protocoles thérapeutiques bien établis. La chimiothérapie, l’hormonothérapie et la radiothérapie étaient les trois principales techniques utilisées, avec la chirurgie pour éliminer la tumeur. Cependant, ces techniques classiques, bien qu’efficaces, ont montré certaines limites au niveau de leur impact thérapeutique qui se sont faites ressentir notamment avec la stagnation du taux de mortalité dû au cancer du sein. D’autre part, les thérapeutiques classiquement utilisées présentaient également un nombre d’effets indésirables non négligeable. En outre, la majorité des médicaments possédaient un mécanisme d’action systémique, ce qui veut dire que certaines cellules saines pouvaient être endommagées voire même tuées par l’action de ces différentes substances.
L’angiogenèse physiologique
Historique
La recherche en angiogenèse fut initiée il y 40 ans par le Docteur Judah Folkman, chirurgien américain travaillant à Boston. Dans les années 1970, il part de l’hypothèse que la croissance d’une tumeur cancéreuse nécessite une néovascularisation constante. C’est de cette hypothèse que paraîtra en 1971 sa première publication majeure dans le New England Journal of Medicine dans laquelle il écrit que :
– la croissance de la tumeur et le développement des métastases dépendent de l’angiogenèse. Comme les autres, le tissu cancéreux a besoin d’une alimentation,
– à partir d’un certain stade, l’angiogenèse tumorale acquiert des caractéristiques qui la distinguent de celles des tissus sains : c’est le « switch » angiogénique,
– le blocage de l’angiogenèse peut devenir une cible stratégique pour inhiber la croissance tumorale, au lieu de simplement viser à détruire directement les cellules cancéreuses,
– contrairement aux cellules cancéreuses elles-mêmes, les cellules endothéliales des vaisseaux qui les nourrissent sont génétiquement plus stables et de ce fait moins sujettes à acquérir des mutations de résistance.
Seule la dernière de ces affirmations s’est révélée partiellement inexacte. Il réussit par la suite à développer des modèles d’angiogenèse grâce à la culture in vitro de cellules endothéliales. Ce qui lui permettra dans les années 1980 de découvrir les premiers facteurs pro-angiogéniques endogènes comme le facteur de croissance des fibroblastes basiques (bFGF) ainsi que le vascular endothelial growth factor (VEGF). C’est ensuite en 1985 que les premiers inhibiteurs de l’angiogenèse furent découverts, avec l’angiostatine et l’endostatine (Tobelem, 2007). Dès 1990, les découvertes des laboratoires ont pu progressivement s’appliquer en clinique avec deux objectifs : d’une part développer des marqueurs pronostiques chez les patients cancéreux et, d’autre part, développer des thérapies anti-angiogéniques afin de ralentir, voire d’arrêter la progression tumorale (Couffinhal et al., 2001).
Définition de l’angiogenèse
Ce terme a été employé pour la première fois au début du siècle pour décrire la formation vasculaire du placenta. En réalité, contrairement à la vasculogenèse qui est la formation directe de néovaisseaux à partir de précurseurs mésenchymateux, l’angiogenèse (ou néovascularisation) est le terme qui définit la formation de nouveaux vaisseaux sanguins à partir d’une structure endothéliale préexistante. En effet, l’angiogenèse consiste en la croissance et le remodelage du réseau vasculaire primitif en un réseau plus complexe (André et al., 1998).
Chez l’adulte, l’angiogenèse physiologique survient dans très peu de situations. En revanche, c’est un phénomène indispensable à certaines étapes de la vie. Elle intervient principalement lors du développement embryonnaire, de l’implantation du placenta, mais encore durant les cycles menstruels dans l’appareil reproducteur femelle. Elle tient également une grande importance dans les phénomènes de réparation physiologique comme la cicatrisation ainsi que dans l’adaptation musculaire à l’exercice physique (Couffinhal et al., 2001) (Scoazec, 2000). Le processus d’angiogenèse intervient aussi dans des situations pathologiques telles que la croissance des tumeurs ou le développement de métastases dans lequel il joue un rôle indispensable. L’inflammation, la rétinopathie diabétique, les arthrites rhumatoïdes, le psoriasis sont autant d’autres situations dans lesquelles l’angiogenèse intervient. Approximativement, 1 à 6.1013 cellules endothéliales forment les vaisseaux sanguins chez un adulte, représentant un poids d’environ 1 kg et couvrant une surface d’environ 1000 m². Le temps de renouvellement de ces cellules, normalement quiescentes, est de 1000 jours (Guinebretiere, 2004).
La vasculogenèse
La vasculogenèse intervient principalement au début de la vie, lors des premières étapes du développement embryonnaire. Au tout début de la vie, en l’absence de réseaux vasculaires, les nutriments et l’oxygène indispensables à la croissance cellulaire parviennent aux tissus par diffusion simple. Puis, très rapidement, un réseau de vaisseaux sanguins se met en place à travers deux processus : la vasculogenèse et l’angiogenèse (Couffinhal et al., 2001). Cellules endothéliales et hématopoïétiques partagent un progéniteur commun : l’hémangioblaste. Dans le sac embryonnaire, les hémangioblastes forment des agrégats au sein desquels les cellules internes se développent en précurseurs hématopoïétiques et la population cellulaire externe se différencie en cellules endothéliales. Puis, ces îlots angioblastiques vont migrer dans tout l’organisme avant de se différencier in situ et de former des plexus vasculaires primaires. Ce phénomène constitue donc ce que l’on appelle la vasculogenèse, caractérisée par la différenciation à partir du mésoderme, des hémangioblastes en angioblastes et enfin en cellules endothéliales. C’est ainsi que l’on obtient un réseau vasculaire primitif (Feron et al., 2007).
La différenciation des hémangioblastes puis des angioblastes est influencée par des facteurs de croissance tels que le VEGF-A (vascular endothelial growth factor-A), le FGF-2 (fibroblast growth factor-2) ou encore le TGF-β (transforming growth factor). La matrice extracellulaire et les intégrines, molécules permettant l’interaction entre les cellules endothéliales et la matrice extracellulaire, affectent également largement la vasculogenèse. Comme expliqué précédemment, la vasculogenèse est donc principalement limitée aux étapes précoces de l’embryogénèse. Cependant, des précurseurs des cellules endothéliales ont été récemment identifiés dans le sang périphérique et dans la moelle osseuse chez l’adulte, ce qui prouve qu’une vasculogenèse peut aussi avoir lieu pour la formation de nouveaux vaisseaux. Ces progéniteurs endothéliaux ou EPC (endothelial progenitor cells), ou encore cellules progénitrices endothéliales (CPE), comporteraient des caractéristiques similaires aux angioblastes retrouvés dans l’embryon, et leur différenciation serait stimulée par le VEGF, le G-MCSF (Granulocyte-macrophage colony stimulating factor) et le FGF-2 (Thèse Drogat, 2005).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I: L’angiogenèse
1. Historique
2. Définition de l’angiogenèse
3. La vasculogenèse
4. L’angiogenèse
4.1. L’angiogenèse par bourgeonnement
4.1.1. Vasodilatation, perméabilité endothéliale et support péri-endothélial
4.1.2. Prolifération et migration des cellules endothéliales
4.1.3. Formation de la lumière
4.2. L’angiogenèse par intussusception
4.3. L’angiogenèse par recrutement de cellules souches endothéliales circulantes
4.3.1. Mobilisation des CPE
4.3.2. Homing des CPE
4.3.3. Rolling des CPE
5. Survie et différenciation des cellules endothéliales
6. Remodelage vasculaire
7. Stabilisation du réseau vasculaire : myogenèse vasculaire
8. L’artériogenèse
9. Modulation de la croissance vasculaire
9.1. Influence de l’hypoxie
9.2. Influence de l’inflammation et recrutement de progéniteurs vasculaires
9.3. Influence des facteurs mécaniques
10. Les facteurs pro-angiogéniques
10.1. Le VEGF : vascular endothelial growth factor
10.2. La famille des fibroblast growth factor (FGF)
10.2.1. L’acidic FGF
10.2.2. Le basic FGF
10.2.3. Les autres FGF
10.2.4. Les récepteurs
10.3. Les angiopoïétines
10.3.1. L’angiopoïétine-1
10.3.2. L’angiopoïétine-2
10.4. L’éphrine
10.5. Les métalloprotéinases
10.6. Le système HIF
11. Les facteurs anti-angiogéniques
11.1. Inhibiteurs naturels de l’angiogenèse
11.1.1. La trombospondine
11.1.2. Les interférons
11.1.3. Les inhibiteurs des metalloprotéinases
11.1.4. L’angiostatine
11.1.5. L’endostatine
11.2. Inhibiteurs synthétiques de l’angiogenèse
11.3. Autres facteurs inhibiteurs
1. Importance de l’angiogenèse dans la croissance tumorale
2. Généralités sur l’angiogenèse tumorale
3. Le « switch angiogénique »
3.1. Les facteurs induisant l’angiogenèse tumorale
3.2. Mécanismes adaptatifs induisant le switch angiogénique
3.3. Mécanismes génétiques induisant le switch angiogénique
3.4. Conclusion sur le switch angiogénique
4. Mécanismes cellulaires et moléculaires de l’angiogenèse tumorale
5. Les autres mécanismes
6. Caractéristiques des vaisseaux tumoraux
Chapitre II : Le VEGF
1. Introduction
2. La famille des VEGF
2.1. Le VEGF-A = VEGF
2.1.1. Historique
2.1.2. Le gène VEGF et ses isoformes
2.1.3. Production du VEGF
2.1.4. Rôles
2.2. Le VEGF-B
2.2.1. Historique
2.2.2. Le gène VEGF-B et ses isoformes
2.2.3. Rôles
2.3. Le VEGF-C
2.3.1. Historique
2.3.2. Le gène VEGF-C
2.3.3. Production du VEGF-C
2.3.4. Rôles
2.4. Le VEGF-D
2.4.1. Le gène VEGF-D
2.4.2. Rôles
2.5. Le VEGF-E
2.5.1. Historique
2.5.2. Rôles
2.6. Le VEGF-F ou sv VEGF
2.6.1. Historique
2.6.2. Isoformes du VEGF-F
2.6.3. Rôles
2.7. Le PIGF
2.7.1. Historique
2.7.2. Le gène PIGF et ses isoformes
2.7.3. Production du PIGF
2.7.4. Rôles
3. Les récepteurs du VEGF
3.1. Les récepteurs à activité tyrosine kinase
3.1.1. Le VEGFR-1
3.1.1.1. Le gène VEGFR-1 et son variant
3.1.1.2. Expression du VEGFR-1
3.1.1.3. Affinités
3.1.1.4. Rôles
3.1.2. Le VEGFR-2
3.1.2.1. Le gène VEGFR-2
3.1.2.2. Expression du VEGFR-2
3.1.2.3. Affinités
3.1.2.4. Rôles
3.1.3. Le VEGFR-3
3.1.3.1. Le gène VEGFR-3
3.1.3.2. Expression du VEGFR-3
3.1.3.3. Affinités
3.1.3.4. Rôles
3.2. Les récepteurs sans activité tyrosine kinase
3.2.1. Les neuropilines
3.2.1.1. Structure des neuropilines
3.2.1.2. Expression des neuropilines
3.2.1.3. Affinités des neuropilines
3.2.1.4. Mécanisme d’activation des neuropilines
3.2.1.5. Rôles
Croissance axonale
Développement embryonnaire
L’angiogenèse tumorale et la formation de métastases
3.2.2. Les Héparanes Sulfates ou Héparanes Sulfates ProtéoGlycanes (HSPG)
4. Régulation de l’expression du VEGF
4.1. Régulation par l’hypoxie
4.1.1. Activité transcriptionnelle importante
4.1.2. Stabilisation des ARNm
4.1.3. Quelques exemples de régulation par l’hypoxie
4.2. Régulation par les oncogènes et les suppresseurs de tumeur
4.3. Régulation par les hormones
4.4. Régulation par les cytokines
4.5. Régulation par les facteurs de croissance
4.6. Conclusion
5. Rôles du VEGF dans l’angiogenèse physiologique
5.1. Rôle dans le développement embryonnaire
5.2. Rôles chez l’adulte
5.3. Propriétés du VEGF
6. Expression génique du VEGF
6.1. La transcription du VEGF
6.1.1. Les facteurs de transcription du VEGF
6.1.1.1. AP-1
6.1.1.2. SP-1
6.1.2. L’initiation alternative de la transcription du VEGF
6.2. Maturation des ARNm du VEGF
6.2.1. L’épissage alternatif
6.2.2. Régulation de l’épissage alternatif du VEGF
6.2.3. La maturation en 3’
6.3. Contrôle de la stabilité des ARNm du VEGF
6.4. Traduction du VEGF
6.4.1. Les codons alternatifs d’initiation de la traduction du VEGF
6.4.2. Les IRES du VEGF
6.4.3. Les éléments en cis de la région 3’UTR
6.4.4. Le petit cadre ouvert de lecture du VEGF
Conclusion