La prématurité est définie par une naissance avant 37 semaines d’aménorrhée (SA). Les progrès médicaux des 20ème et 21ème siècles ont permis une réduction de la mortalité des nouveau-nés prématurés. La prévention et la prise en charge des complications liées à la prématurité est donc un enjeu majeur pour les néonatologues. La paralysie cérébrale de l’enfant, définie par une déficience motrice sévère survenant précocement dans le développement de l’enfant, ainsi que les troubles neurosensoriels et cognitifs qui peuvent l’accompagner, restent parmi les complications les plus sévères de la prématurité. C’est pourquoi, depuis 200 ans, les médecins se sont penchés sur la compréhension de la physiopathologie de la paralysie cérébrale, afin de pouvoir au mieux la prévenir, la dépister et la prendre en charge.
Un peu d’histoire
Dans la littérature, la paralysie cérébrale est évoquée dès le 19ème siècle, essentiellement dans des publications en langue française, allemande et anglaise. Cependant, la définition exacte du terme « paralysie cérébrale » est débattue depuis plus de 150 ans (1). Dès le 19ème siècle, les médecins ont cherché à associer les manifestations cliniques de l’hémiplégie avec les lésions cérébrales identifiées lors des autopsies post-mortem. C’est le cas des français François Lallemand et Jean-Baptiste Cazauvieilh. Le premier publie en 1820 ses «Recherches anatomico-pathologiques sur l’encéphale et ses dépendances ». Le second introduit en 1827 la notion d’agénésie cérébrale (lésion cérébrale survenant au cours du développement) dans son ouvrage intitulé « Recherches sur l’agénésie cérébrale et la paralysie congénitale ».
C’est le chirurgien orthopédiste anglais William John Little qui, en 1862, après plus de 20 ans à travailler sur le sujet, établit le lien entre le traumatisme obstétrical (et donc le manque d’oxygène pendant l’accouchement) et le développement d’une paralysie et d’une spasticité (2). Il décrira ainsi différents types de paralysie selon la localisation de la rigidité : hémiplégie, diplégie spastique (connue sous le nom de « maladie de Little ») et tétraplégie. Par la suite, le canadien William Osler fût le premier à utiliser le terme de « paralysie cérébrale » dans son livre intitulé « The cerebral palsies of children », publié en 1889, avec la description de sa cohorte de 151 enfants. Il poursuivit la description en trois catégories de Little : hémiplégie, diplégie et paraplégie spastiques.
Sigmund Freud, neuropsychiatre autrichien, a aussi travaillé sur le sujet et a participé à affiner le concept de diplégie spastique. En 1893, il publia en français dans la Revue Neurologique « Les diplégies cérébrales de l’enfant ». Il s’intéressa également aux facteurs étiologiques et identifia 3 groupes : les causes maternelles ou idiopathiques congénitales, les causes périnatales et les causes post-natales.
Au cours du 20ème siècle, définir et comprendre la paralysie cérébrale est resté un enjeu majeur. C’est ainsi que fût créée l’American Academy for Cerebral Palsy dont Winthrop Phelps, pionnier en matière de prise en charge moderne de la paralysie cérébrale, fût le premier président en 1947. Parallèlement, le « Little Club » au Royaume-Uni travaillait sur une meilleure compréhension des concepts de la paralysie cérébrale. C’est ainsi qu’en 1964, Bax proposa cette définition de la paralysie cérébrale (3) : « trouble de la posture et du mouvement dû à une anomalie ou à une lésion du cerveau immature ». De cette définition sont exclus les phénomènes de courte durée, les troubles liés à une maladie progressive ou liés uniquement à une déficience mentale. En France, au milieu des années 1950, le Pr Guy Tardieu, neurologue, proposa le terme d’infirmité motrice cérébrale (IMC) avec la définition suivante (4) : « troubles moteurs prédominants et non évolutifs, consécutifs à des anomalies ou lésions cérébrales stables survenues dans la période anténatale, périnatale ou postnatale précoce ». Ces troubles peuvent « s’accompagner d’atteintes sensorielles et d’atteintes partielles de fonctions supérieures à l’exception d’une déficience intellectuelle ». Un peu plus tard sera proposé le terme d’infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC), intégrant l’ensemble des enfants présentant des troubles moteurs prédominants associés à un retard intellectuel. Le Pr Claudine Amiel-Tison, néonatologue française, a également participé à la description clinique et physiopathologique de l’infirmité motrice cérébrale (5), dans l’objectif de la dépister et de la prendre en charge précocement. En 1997, le Gross Motor Function Classification System (GMFCS) ou score de Palisano a été développé en réponse au besoin de trouver un système standardisé de classification de la sévérité des troubles moteurs chez les enfants atteints de paralysie cérébrale .
En Europe à la fin du 20ème siècle est créé le SCPE (Surveillance of Cerebral Palsy in Europe) (7). Il s’agit d’une collaboration entre les registres de suivi des enfants atteints de paralysie cérébrale dans 14 centres à travers 8 pays européens. Le but du SCPE est à la fois de suivre l’évolution de la prévalence de la paralysie cérébrale mais aussi de standardiser la définition de la paralysie cérébrale et de diffuser les connaissances afin d’améliorer la prise en charge des patients. La recherche d’une définition unique et internationalement acceptée de la paralysie cérébrale s’est poursuivie au 21ème siècle. C’est en 2004, lors d’un nouveau congrès international et multidisciplinaire que la définition proposée par Bax en 1964 a été révisée.
Définition de la paralysie cérébrale
La définition révisée de la paralysie cérébrale a donc été publiée en 2006 après le congrès international de Bethesda (8). « La paralysie cérébrale est définie par des troubles permanents du développement du mouvement et de la posture, responsables de limitations d’activités, imputables à des atteintes non progressives survenues sur le cerveau en développement du fœtus, du nouveauné ou plus rarement du nourrisson. Les troubles moteurs de la paralysie cérébrale sont souvent accompagnés de troubles sensoriels, perceptifs, cognitifs, de la communication et du comportement, par une épilepsie et/ou par des problèmes musculo-squelettiques secondaires. » .
Epidémiologie
La prématurité
La prématurité est définie par une naissance avant 37 SA. L’OMS définit différents stades de prématurité en fonction du terme (9) : la prématurité extrême (moins de 28 SA), la grande prématurité (entre 28 et 32 SA), la prématurité modérée voire tardive (entre 32 et 37 SA). Chaque année, dans le monde, 15 millions de bébés naissent prématurément (9). Cela représente environ 11% des naissances. Ce chiffre est en augmentation dans la plupart des pays. Sur 184 pays, les taux de naissances prématurées varient entre 5% dans l’Europe du Nord et 18% en Afrique Subsaharienne. Dans le monde, la prématurité était à l’origine de près d’un million de décès par an en 2015 (9). Les complications des naissances prématurées sont la cause principale de mortalité chez les nouveau-nés et les enfants de moins de 5 ans. 90% des enfants nés avant 28 SA survivent dans les pays disposant de centres de soins intensifs néonataux, alors que seulement 10% survivent dans les pays en voie de développement (10). En Europe, plusieurs cohortes épidémiologiques permettent d’étudier la prématurité et ses complications. Il s’agit par exemple de la cohorte EPIPAGE (Etude épidémiologique sur les petits âges gestationnels) en France, EPICure au Royaume-Uni et en Irlande. En France, la prématurité représente environ 60 000 naissances par an (11). Il s’agit d’une prématurité modérée voire tardive pour 85% de ces naissances, d’une grande prématurité pour 10% et d’une extrême prématurité pour 5%. En 2016, les naissances prématurées en France représentaient 7,5% de toutes les naissances vivantes, allant de 6% des grossesses simples à 47,5% des grossesses multiples. Ce taux augmente de façon régulière et significative de 1995 à 2016 (12). Bien que les progrès médicaux aient permis une baisse du taux de mortalité néonatale des prématurés, celui-ci reste largement déterminé par l’âge gestationnel à la naissance (plus de 10% de mortalité pour les enfants nés avant 28 SA, 5-10% pour les 28-31 SA et 1-2% pour les 32-34 SA) (11). Dans la cohorte EPIPAGE 2, en 2011, le taux de mortalité était de 6,4 % pour les prématurés nés entre 28 et 31 SA et de 1,1 % pour ceux nés entre 32 et 34 SA (13). La morbi-mortalité chez les prématurés est essentiellement liée aux complications (13) :
– Respiratoires (maladie des membranes hyalines, dysplasie bronchopulmonaire) ;
– Digestive (entérocolite ulcéro-nécrosante) ;
– Infectieuses (chorioamniotite, infection maternofœtale, infection secondaire nosocomiale) ;
– Ophtalmologique (rétinopathie du prématuré) ;
– Neurologiques (hémorragie intraventriculaire, leucomalacie périventriculaire).
Ces complications neurologiques en période néonatale peuvent se traduire par la suite par le développement de troubles moteurs, cognitifs et sensoriels. Cela reste donc un des principaux enjeux dans la prise en charge des nouveau-nés prématurés.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Un peu d’histoire
2. Définition de la paralysie cérébrale
3. Epidémiologie
a. La prématurité
b. La paralysie cérébrale
4. Physiopathologie
a. Rappels sur le développement du système nerveux central
b. Physiopathologie
c. Neuropathologie clinique et imagerie cérébrale de la paralysie cérébrale
5. Facteurs de risque
a. Facteurs de risque anténataux
b. Facteurs de risque périnataux
c. Facteurs de risque post-nataux
d. Les conditions socioéconomiques
6. Classification des paralysies cérébrales
a. En fonction de la symptomatologie neurologique prédominante
b. En fonction de l’atteinte topographique
c. En fonction de la sévérité et du retentissement fonctionnel
d. Troubles associés aux troubles moteurs
7. Prévention de la paralysie cérébrale : la neuroprotection
a. La corticothérapie anténatale
b. Le sulfate de magnésium
c. Les soins de développement
8. Devenir des enfants atteints de paralysie cérébrale
a. La durée de vie
b. La qualité de vie
9. Objectifs de l’étude
PATIENTS ET METHODES
1. Méthodologie générale
2. Critères d’inclusion et d’exclusion
a. Critères d’inclusion
b. Critères d’exclusion
3. Recueil de données
a. Recueil des informations
b. Données recueillies
4. Critères de jugement
a. Critère de jugement principal
b. Critères de jugement secondaires
5. Analyses statistiques
6. Validation éthique
RESULTATS
1. Algorithme d’inclusion
2. Comparaison des nouveau-nés perdus de vue à l’âge de 2 ans aux nouveau-nés non perdus de vue
3. Caractéristiques de la cohorte
4. Prévalence de la paralysie cérébrale à l’âge de 2 ans
5. Taux de mortalité et taux de survie sans paralysie cérébrale à l’âge de 2 ans
6. Description clinique des enfants atteints de paralysie cérébrale
7. Influence des facteurs néonataux et obstétricaux sur la survenue d’une paralysie cérébrale à l’âge de 2 ans
8. Le sulfate de magnésium
DISCUSSION
1. Résultats principaux : prévalence de la paralysie cérébrale et survie sans paralysie cérébrale
2. Description clinique des paralysies cérébrales
3. Analyse des facteurs de risque de paralysie cérébrale et de décès
4. Forces et limites de l’étude
a. Perdus de vue
b. Biais de classement
c. Autres biais
5. Evolution et perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES