Définir un cadre naturaliste et darwinien

DEFINIR UN CADRE NATURALISTE ET DARWINIEN

Avant de nous lancer dans l’étude des modèles darwiniens de l’évolution culturelle à proprement parler, il faut trouver un moyen de décrire ces modèles dans des termes qui facilitent la comparaison et la mise en évidence des relations qu’ils entretiennent entre eux et avec les modèles de l’évolution biologique. Pour cela, nous suivrons l’approche proposée par Sperber dans le cadre de son épidémiologie culturelle. L’approche des chaînes causales repose sur la caractérisation des enchaînements causaux qui donnent naissance aux phénomènes sociaux et culturels. Par exemple, lorsqu’une personne vous tient la porte ouverte et qu’ensuite vous-même la tenez à  une autre personne et ainsi de suite, il s’agit d’un enchaînement causal social typique. En adoptant ce point du vue sur les phénomènes sociaux, nous aurons la possibilité de préciser d’avantage la définition de ‘culture’ que nous avons esquissée en introduction et nous verrons que les phénomènes culturels peuvent être conçus comme le résultat de chaînes causales sociales particulièrement longues et stables. Pour donner un exemple concret, le fait de tenir la porte à la personne qui vous suit est une pratique qui se transmet et diffuse d’individus en individus à travers l’observation du comportement d’autrui, à travers certaines conversations, etc.

L’évolution d’une pratique est ainsi conçue comme le résultat d’un ensemble de micro-événements comme la réalisation de cette pratique, la lecture ou l’écriture d’instructions la concernant, la démonstration par un individu compétent de sa réalisation, etc. Ces micros-événements contribuent plus ou moins fortement à stabiliser ou à déstabiliser la pratique en question et ainsi permettent d’expliquer la persistance de différences culturelles. Le fait de tenir la porte au suivant par exemple, est une pratique typiquement française. L’approche défendue par Sperber permet ainsi de faire le lien entre les micros-événements sociaux et leurs conséquences macroscopiques à l’échelle de la population.

LES CHAINES CAUSALES DE LA CULTURE

NATURALISATION DES SCIENCES SOCIALES ET ENCHAINEMENT CAUSAL

Les phénomènes sociaux et les phénomènes psychologiques ont longtemps été considérés comme étant d’une nature radicalement différente des phénomènes physiques et biologiques. A l’intuition matérialiste (tous les phénomènes causaux relèvent d’une explication physique) s’opposait notre incapacité à mettre en œuvre cette intuition pour expliquer des phénomènes tels que la perception, le raisonnement ou la religion. Les sciences cognitives sont nées de la résolution partielle de ce conflit. Le programme des sciences cognitives est en effet très clair, il s’agit de déterminer comment des processus matériels et en particulier neurologiques peuvent donner lieu aux phénomènes psychologiques. Il n’est désormais plus possible, dans une perspective scientifique, de penser un phénomène psychologique (comme l’apprentissage du langage, la mémoire à court terme ou la prise de décision) sans se soucier de la plausibilité de sa réalisation biologique dans le cerveau. Même si les liens précis entre phénomènes neurologiques et psychologiques restent pour l’essentiel à découvrir, on sait comment concevoir ces liens, comment les modéliser et comment les étudier empiriquement. Par naturalisation de la psychologie on entend donc donner aux phénomènes psychologiques des causes naturelles, c’est-à-dire liées au fonctionnement de notre cerveau.

Cette naturalisation de la psychologie permet de concevoir une nouvelle approche naturaliste de l’objet des sciences sociales. En effet, pour Sperber :

…les phénomènes sociaux sont des agencements de phénomènes psychologiques et écologiques à l’échelle des populations. (Sperber, 2007a).

Prenons un exemple ethnographique concernant les indiens Txikao du Brésil dû à Patrick Menget et discuté par Sperber :

Par une fin d’après-midi pluvieuse, Opoté revint chez lui tenant un beau poisson matrinchao qu’il avait pris dans ces nasses. Il le déposa sans un mot auprès de Tubia, l’un des quatre chefs de famille de la maison. Ce dernier se mit à le boucaner. Jusqu’à la nuit, il en mangea, seul, par petites bouchées, sous les regards intéressés des autres habitants de la maison. Personne d’autre ne toucha au matrinchao ni ne manifesta l’envie d’en avoir une part. Pourtant la faim était générale et la chair du matrinchao une des plus réputée. (Menget, 1979 cité dans Sperber 1996).

Cette description que fait Menget d’un événement de la vie des Indiens Txikao ne nous apporte jusqu’ici aucun renseignement sur la cause de tels comportements, il se contente de relater des faits. Mais le travail de l’anthropologue ne s’arrête pas là, et Menget ajoute :

Le pêcheur, Opoté, possesseur de la magie de la pêche, ne pouvait consommer sa prise sans risquer d’affecter l’efficacité de cette magie. Les autres chefs de familles évitaient la chair du matrinchao pour ne pas mettre en péril la vie et la santé de leurs enfants en bas âge, ou leur propre santé. Leurs épouses puisqu’elles allaitaient, devaient s’en abstenir pour la même raison. Les enfants auraient enfin absorbé l’esprit, particulièrement dangereux, de cette espèce. (Menget, 1979 cité dans Sperber 1996).

L’analyse de Menget se décompose donc en deux temps, le premier consiste à observer et décrire les comportements des individus, le second à interpréter ces comportements en termes de croyances, de désirs, d’émotions, etc. Sperber distingue deux types d’objets différents qui doivent être articulés dans l’étude anthropologique : les représentations mentales et les productions publiques. Les représentations mentales sont les briques élémentaires du fonctionnement psychologique, elles sont issues de la perception ou de l’inférence, stockées en mémoire, à l’origine des actions et surtout, elles ne sont pas directement accessibles aux autres individus, elles sont internes. Les anthropologues ne peuvent pas percevoir les représentations mentales des individus, ils ne peuvent qu’en inférer la présence et le contenu à partir de leurs observations des événements publics – public au sens d’observable. En particulier, les productions publiques, faites des comportements et des modifications de l’environnement résultant de ces comportements, peuvent être vues, entendues, analysées, etc. La première citation de Menget fait références à ces productions publiques, à des faits comportementaux que l’auteur a observés tout comme les Txikao eux-mêmes.

LES CHAINES CAUSALES DE LA CULTURE

L’approche naturaliste de la culture telle que nous l’avons présentée repose sur l’étude des chaînes causales qui unissent représentations mentales et productions publiques. La psychologie étudie typiquement comment se réalise un maillon de la chaîne, comment un individu se comporte dans une situation donnée, tandis que l’anthropologie s’intéresse à un grand nombre de maillons et de chaînes causales. Il n’existe donc pas de frontière ontologique entre la psychologie et l’anthropologie mais une différence d’échelle. Toutes deux s’intéressent aux mêmes phénomènes, aux chaînes causales, mais à des échelles de temps et d’espace très différentes (Sperber, 2007a). Prenons un enchaînement de faits physiques ordinaires. Une balle tombe par terre et rebondit, et, quand elle a atteint une certaine altitude, elle est percutée par un objet allant à une très grande vitesse. Elle repart alors dans la direction opposée, à une allure bien supérieure à celle précédant la percussion. Imaginons que l’objet de notre recherche soit de prédire la vitesse et la direction de la balle après la percussion avec cet objet. Pris comme tel, cet enchaînement d’événements est un enchaînement causal ordinaire, mécanique, qui peut être étudié à l’aide de la physique et plus précisément de la mécanique classique. Elargissons maintenant la séquence des événements que nous étudions et imaginons que cette balle ait été frappée par quelqu’un. Pour rendre compte de la trajectoire finale de la balle il nous faut maintenant considérer un comportement, luimême déterminé par les intentions d’un agent. Nous pouvons rajouter au début de notre séquence les événements suivants : l’agent forme l’intention de modifier la trajectoire de la balle afin qu’elle aille dans une certaine direction et à une certaine vitesse ; cette intention engendre des commandes motrices puis des mouvements qui lui font frapper la balle avec telle force et dans telle direction. La psychologie permet ici de décrire une partie de la chaîne causale qui est pertinente en particulier pour expliquer la modification de la trajectoire de la balle. Ces enchaînements causaux, où les causes et les effets sont tour à tour mentaux et externes, Sperber les nomme « chaînes causales cognitives » (ou « CCC »). La psychologie s’intéresse aux chaînes causales cognitives qui vont de la perception des stimuli aux comportements, par exemple de la perception d’une balle en mouvement à une nouvelle impulsion donnée à cette balle.

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Table des matières

Introduction
1 Définir un cadre naturaliste et darwinien
1.1 Les chaînes causales de la culture
1.1.1 Naturalisation des sciences sociales et enchaînement causal
1.1.2 Les chaînes causales de la culture
1.1.3 Conclusion
1.2 Les trois niveaux du darwinisme
1.2.1 L’évolution et la pensée essentialiste
1.2.2 La pensée populationnelle
1.2.3 Le sélectionnisme
1.2.4 Le modèle des réplicateurs
1.2.5 Conclusion
2 La mémétique
2.1 Comment faire du darwinisme un modèle universel de l’évolution
2.1.1 Qu’est-ce qu’un mème ?
2.1.2 Comment les mèmes évoluent ?
2.1.3 Les mèmes, particules élémentaires de la culture
2.1.4 Conclusion
2.2 Le rôle de la réplication dans la théorie des réplicateurs
2.2.1 La réplication est un mécanisme fidèle et indépendant du contenu
2.2.2 L’équilibre entre le taux de mutation et la sélection
2.2.3 Conclusion
2.3 le chant des oiseaux et la phonologie
2.3.1 La mémétique appliquée au chant des oiseaux
2.3.2 La mémétique appliquée à la phonologie
2.3.3 Conclusion
2.4 Le rôle de l’imitation dans le modèle mémétique
2.4.1 L’imitation du sens large au sens strict
2.4.2 L’imitation ne garantit pas la stabilité des éléments culturels
2.5 Conclusion du chapitre
3 La coévolution gène-culture
3.1 Comment la culture est elle apparue ?
3.1.1 Apprentissage génétique, individuel ou social
3.1.2 Conclusion
3.2 Comment la culture évolue ?
3.2.1 La dérive des éléments culturels
3.2.2 Les forces liées au contenu des éléments culturels
3.2.3 Les modes de transmission des éléments culturels
3.2.4 Le biais d’hyper conformisme
3.2.5 Le biais de prestige
3.2.6 Conclusion
3.3 Les limites du modèle sélectionniste
3.3.1 La sélection culturelle
3.3.2 L’importance de la sélection dans l’évolution culturelle
3.3.3 Conclusion
3.4 Conclusion du chapitre
4 L’épidémiologie culturelle
4.1 Le fonctionnement du cerveau est massivement modulaire
4.1.1 Modularité et fonction propre
4.1.2 Interaction entre modules et évolution culturelle
4.1.3 Le lien entre évolution culturelle et évolution génétique
4.1.4 Modularité et déterminisme sociobiologique
4.1.5 Conclusion
4.2 Un mécanisme d’apprentissage original : la communication
4.2.1 Communication inférentielle et théorie de la pertinence
4.2.2 La communication des éléments culturels
4.2.3 Quand la communication prend des allures d’imitation
4.2.4 Conclusion
4.3 Attraction et sélection dans l’évolution culturelle
4.3.1 Définir l’attraction
4.3.2 Exemple des cigarettes
4.3.3 Exemple du tir à l’arc
4.3.4 Conclusion
4.4 Le modèle des matrices causales évolutionnaires (MMCE)
4.4.1 Elaboration du MMCE
4.4.2 La sélection dans le MMCE
4.4.3 L’attraction dans le MMCE
4.4.4 Des modèles formellement identiques et fonctionnellement différents
4.4.5 Les modèles populationnels biologiques et culturels
4.5 Conclusion du chapitre
5 Conclusion
Bibliographie

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