Déficits en émotions, Théorie de l’Esprit, Pragmatique de la Communication

Le traitement des émotions est un domaine pour lequel le consensus en matière de rééducation fait encore débat aujourd’hui. Pourtant, un déficit dans la reconnaissance, la compréhension et l’expression des émotions sous-tend un déficit dans la communication.

Le développement des émotions et de la théorie de l’esprit commence dès le plus jeune âge et va évoluer en fonction des expériences qui jalonneront la vie de chaque individu, et le langage viendra jouer un rôle majeur dans ce développement. Certaines personnes vont se retrouver en difficulté dans ce champ de compétences. Cela entravera la communication et donnera lieu à des difficultés au niveau de la compréhension, des réponses, avec des attitudes mal adaptées à la situation. Et ces difficultés peuvent être présentes dans un grand nombre de pathologies (autisme, surdité, trouble spécifique du langage oral…). Des outils de remédiation existent, mais ces derniers se concentrent essentiellement sur la reconnaissance émotionnelle faciale. Et un manque cruel de matériel manipulable concernant ces outils nous a amenés à nous questionner sur l’élaboration plus complète d’un tel outil.

Les émotions

Une définition complexe

Il n’existe encore, à l’heure actuelle, aucun consensus exact sur ce qu’est précisément l’émotion [17]. L’on sait que c’est une conduite affective complexe qui se base sur l’expérience personnelle ainsi que sur des réactions physiologiques, perceptives, expressives et comportementales, définissant l’individu et lui permettant de répondre de manière adaptée à son environnement [17 ; 21 ; 45]. Brèves, de l’ordre de quelques millisecondes [4], elles ont donc une fonction sociale, offrant des indices comportementaux cruciaux permettant aux interlocuteurs de s’adapter et de se réguler rapidement [45 ; 28 ; 11 ; 13]. Les émotions peuvent donc s’exprimer verbalement ou non [11]. Suivant la théorie des émotions de base [45], ces expressions non verbales partagent certaines propriétés communes : ce sont des conduites brèves en réaction à un stimulus précis, qui témoignent de l’état émotionnel actuel et des intentions, qui manifestent un certain degré de similitude interculturelle, qui trouvent des comportements similaires entre les humains et les autres mammifères. Ces derniers points ont d’ailleurs donné naissance aux deux principaux modèles émotionnels : d’une part le modèle des émotions discrètes de base [21 ; 17], donnant six émotions de base et indiquant que les émotions seraient innées [6] et auraient des bases biologiques, culturellement indépendantes, et ressenties sur une période brève (ce modèle n’est pas en mesure d’expliquer les états émotionnels complexes observés dans la communication quotidienne) ; et d’autre part le modèle constructionniste des émotions, indiquant que les émotions seraient des conteneurs de différents modules neuronaux basiques, impliqués notamment dans la détection de la saillance, la perception sensorielle, ou encore le langage [47]. Ces divers modules neuronaux trouveraient leur implantation dans le néocortex occipitotemporal, l’orbito-frontal, le fronto-pariétal droit, ainsi que dans l’amygdale [4].

Concernant l’émotion en elle-même, suivant le modèle dimensionnel des émotions, elle peut s’analyser suivant deux caractéristiques principales [21] : sa valence, qui peut être positive ou négative suivant l’état de plaisir/déplaisir ressenti, son excitation faible ou forte, suivant l’intensité des réponses émotionnelles. Ici, les émotions ne seront pas indépendantes les unes des autres.

Ainsi, résumant les différentes données mises à jour plus haut, nous retiendrons dans le présent mémoire la définition suivante de l’émotion : c’est une conduite affective réflexe, consécutive à un certain stimulus, externe ou interne, ressentie à des niveaux physiologiques, sensoriels et comportementaux de manière plus ou moins agréable et plus ou moins violente, permettant l’adaptation et la régulation sociale des individus.

Ce que l’émotion n’est pas

Émotions et sentiments

Les émotions et les sentiments divergent par le rapport qu’ils entretiennent avec le traitement affectif général [21]. Les émotions sont des états affectifs physiques, visibles et non conscients (par exemple les expressions corporelles, l’augmentation du rythme cardiaque), il s’agit donc d’une réponse directe à une situation/un contexte donné. Les sentiments, eux, sont des représentations mentales conscientes qui vont émerger d’éléments physiologiques, corporels, environnementaux, mais aussi d’éléments plus psychologiques, tels que l’éthique, l’homéostasie, les émotions, la cognition et les interactions sociales [21].

Émotions et humeur

La différence entre l’émotion et l’humeur s’établit sur trois points [21]. Premièrement, la durée : alors que l’émotion est brève et transitoire, l’humeur se ressent à long terme, elle est plus durable que l’émotion. Deuxièmement, la spécificité : l’humeur sera diffuse, difficilement définissable, quand l’émotion elle sera plus concrète, bien définie. Troisièmement, l’instant d’apparition : l’émotion sera immédiate, elle suivra de manière quasi instantanée le moment précis, la raison à l’origine de cette émotion. Une humeur, elle, pourra survenir bien après le stimulus, ce qui complique l’identification du pourquoi de cette humeur. [21].

Émotions et affect

L’émotion ne doit pas être confondue avec l’affect, mais plutôt considérée comme la forme discrète de ce dernier [27]. L’affect est un sentiment très général, commun à de nombreuses autres espèces que l’humain, et arrive tôt dans le développement de ce dernier. L’affect (valence positive/négative) est très lié à la motivation, mais les deux ont des effets divers sur notre cognition et notre comportement [21]. La motivation est explicitement orientée vers un objectif. Elle engage des actions, une force motrice, afin d’atteindre cet objectif. L’affect sera ici fonction de l’atteinte ou non des objectifs fixés (ou de l’obtention ou évitement des récompenses/punitions). En l’absence de langage, l’affect se cantonne à une disposition affective vague sur le mode du plaisir ou du mécontentement [27].

Le langage permet alors de préciser les dispositions affectives, permettant la naissance des états émotionnels précis [27]. Le langage et l’affect sont donc des «ingrédients » importants de l’émotion [27].

La régulation des émotions 

La régulation émotionnelle est définie comme « la capacité de surveiller, d’évaluer et de modifier (augmenter ou diminuer) son état émotionnel afin d’atteindre un objectif » [2]. Elle se fait par l’individu lui-même (régulation intrinsèque : autoapaisement, discours intérieur), mais également par autrui (régulation extrinsèque : câlin d’un soignant…) [2]. Une mauvaise régulation des émotions a été mise en lien avec de mauvais résultats scolaires et une déficience linguistique, impactant ainsi le bien-être social [2]. À l’inverse, il a été démontré que des enfants à qui l’on a enseigné de manière explicite les notions d’émotion à l’école, et qui sont donc mieux armés pour réguler leurs émotions, ont de meilleurs résultats, que ce soit sur le plan social, émotionnel ou éducatif [27].

La connaissance émotionnelle

Définition

La connaissance émotionnelle correspond à la compréhension de la nature et des causes des émotions, ainsi qu’à la capacité à savoir les réguler et les identifier, les prédire et les expliquer pour soi et chez les autres [33]. Tout ceci contribue à la compétence émotionnelle. Les émotions sont véhiculées par le visage, les gestes, les mots, les événements/situations. Il s’agit là de signaux essentiels pour comprendre les émotions ressenties par les autres, lesquels permettent de mieux réguler par la suite les interactions sociales [26].

La connaissance émotionnelle commence dès la petite enfance, et elle a deux dimensions distinctes [24] :
• La reconnaissance émotionnelle.
• La connaissance de la situation émotionnelle.

La reconnaissance émotionnelle

Les compétences de reconnaissances émotionnelles sont très importantes pour le développement socio émotionnel afin de construire des interactions sociales positives [11 ; 7]. Les émotions sont véhiculées notamment par le visage, les gestes, la parole/les mots, la prosodie, la posture, un contexte, un événement. Il est capital de comprendre ces signaux, de les détecter et de les traiter correctement afin d’avoir un comportement adapté envers l’autre [46 ;11]. La reconnaissance émotionnelle peut se définir comme la capacité d’étiqueter les expressions faciales par un vocabulaire connu sur les émotions (connaissance des émotions expressives), mais également de reconnaitre des émotions exprimées verbalement (connaissance des émotions réceptives) [24].

Table des matières

Introduction
PARTIE THEORIQUE
I. Définitions des concepts :
1. Les émotions
1.1. Une définition complexe
1.2. Ce que l’émotion n’est pas
1.3 La régulation des émotions
1.4 La connaissance émotionnelle (CE)
2. La théorie de l’esprit
2.1. Définition
2.1.1. Théorie de l’esprit et empathie
2.2 Émotions et théorie de l’esprit
3. Langage et pragmatique:
3.1. Définitions
3.1.1. Définition du langage
3.1.2. Définition de la pragmatique
3.2. Langage, émotions et théorie de l’esprit
3.2.1. Langage et théorie de l’esprit
3.2.2. Langage et émotions
II. Les populations à risques :
1. Les troubles du spectre de l’autisme
1.1. Définition
1.2. TSA et émotions
1.3. TSA et théorie de l’esprit
1.4. TSA et langage
2. Trouble spécifique du langage oral
2.1. Définition
2.2. SLI et émotion
2.3. SLI et théorie de l’esprit
3. Autres populations à risque
PARTIE PRATIQUE
I. Proposition d’un outil de remédiation :
1. Développement du jeu :
1.1. Version manipulable :
1.2. Version informatique :
Conclusion

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