DEFICIT EN ENERGIE ET EN GLUCOSE
Symptômes nerveux
Des symptômes nerveux sont observés dans la quasi-totalité des cas cliniques de toxémie de gestation. Dans les cas de cétose clinique, 10 % des animaux seulement présentent ces troubles nerveux (BAREILLE et BAREILLE, 1995). La brebis atteinte de toxémie de gestation se tient éloignée du reste du troupeau et erre en heurtant des obstacles, sans s’en rendre compte. Elle n’est pas affectée par la présence du berger ou du chien, mais présente une hyperesthésie qui peut rendre son traitement plus difficile. La plupart des réflexes oculaires et auditifs sont diminués. Le réflexe de clignement à la menace disparaît mais les réflexes pupillaires photomoteurs sont conservés (SCOTT et WOODMAN, 1993). Des troubles neuromusculaires apparaissent tôt dans l’évolution de la maladie. On note des convulsions cloniques, d’abord des muscles cervicaux (star-gazing) puis de tous les muscles. La tonicité des muscles abdominaux diminue, et il devient facile de palper les foetus par voie abdominale (SCOTT et WOODMAN, 1993).
Les brebis ont tendance à grincer des dents. Ces symptômes nerveux apparaissent rarement lors de cétose mais quand ils sont présents, on note une cécité chez l’individu, ainsi qu’une hyperesthésie. L’animal a une conduite très étonnante qui apparaît soudainement, telle que le pousser au mur, ou bien une démarche dans laquelle il croise ses pattes. Il se lèche vigoureusement ou lèche les objets environnants. Ces signes nerveux apparaissent en courts épisodes d’une à deux heures et disparaissent pendant 8 à 12 heures. Parfois, une courte amélioration est notée dans l’évolution de la toxémie de gestation.
En effet, à un certain stade de la maladie, la glycémie semble augmenter. Pourtant, cette augmentation de la glycémie est attribuable à la mort des foetus qui ne prélèvent alors plus de glucose à l’organisme maternel. Sans traitement, l’animal meurt souvent dans les trois à quatre jours qui suivent l’apparition des signes cliniques. Si la brebis avorte ou parvient à mettre bas, le rétablissement est alors spectaculaire. Certains auteurs ont trouvé une corrélation entre la présence de signes nerveux et la concentration sanguine en isopropyl. Cet alcool provenant du catabolisme des corps cétoniques semble avoir sur le système nerveux le même effet que l’alcool éthylique (FOSTER, 1988).
5.2. Dépistage précoce et test pronostique de la toxémie de gestation L’hypoglycémie, liée à la gravité des manifestations cliniques, n’a pas pour autant une bonne valeur pronostique. Le test de tolérance au glucose représente un moyen fiable mais peu utilisable en pratique pour évaluer le pronostic de la toxémie chez les brebis en fin de gestation. Une expérience est réalisée sur huit brebis en fin de gestation que l’on fait jeûner durant dix jours. Elles subissent auparavant un test de tolérance au glucose : après une injection intraveineuse de glucose, on explore la réponse de leur organisme concernant la sécrétion d’insuline suite à cet apport de glucose (SIGURDSSON, 1988). Suite au jeûne, deux brebis développent une toxémie de gestation. La glycémie observée pendant les expériences n’est pas significativement différente entre les brebis atteintes et les autres, seule leur réponse au test de tolérance au glucose est significativement différente : l’injection de glucose est normalement suivie d’une sécrétion d’insuline par le pancréas en deux temps. Le premier temps suit l’injection de glucose. Il s’agit d’insuline préfabriquée et stockée dans les cellules pancréatiques.
Puis, une deuxième sécrétion d’insuline a lieu. Chez les brebis malades, il semble qu‘il n’y ait pas de sécrétion d’insuline préfabriquée par le pancréas. De plus, lors du jeûne, l’insulinémie chute le troisième jour et la cortisolémie semble augmenter à partir du quatrième jour. La cortisolémie des brebis qui ont présenté des symptômes est significativement plus élevée que dans le reste du groupe. Les effets d’inhibition de l’utilisation du glucose par l’organisme peuvent être augmentés par une résistance à l’insuline. Le test de tolérance au glucose a démontré qu’il était plus efficace pour l’établissement d’un pronostic lors de toxémie de gestation.
En fin de gestation chez la brebis
La fin de gestation est la période où la vitesse de croissance foetale est maximale, ce qui signifie une forte exportation de nutriments vers l’utérus, soit de 30% à 50 % des métabolites (BELL, 1995). Parmi les nutriments disponibles, le foetus a surtout besoin de glucose, d’acides aminés et de lactate (BELL, 1995). Comme aucun aliment ingéré par la mère n’est absorbé sous forme de glucose, elle doit synthétiser la totalité du glucose qu’elle va utiliser et exporter (FOSTER, 1988).
Ces besoins ont même été quantifiés et représentent près de 46 % de glucose disponible pour la mère (BELL, 1995) et 72 % des acides aminés maternels ainsi exportés vers l’utérus. Les enveloppes placentaires elles-mêmes sont d’importantes consommatrices avec un taux de récupération de 65 % du glucose destiné à l’utérus. Une gestation multiple est donc d’autant plus coûteuse en glucose. Pendant la gestation, l’organisme de la brebis va s’adapter en augmentant volontairement la quantité de nourriture ingérée (BELL, 1995).
La quantité de glucose prélevée par l’utérus est proportionnelle à la glycémie de la brebis car le glucose est distribué au placenta par un mécanisme de diffusion facilitée. Il n’en est pas de même pour les acides aminés qui traversent la barrière placentaire grâce à des transporteurs actifs et donc, la sous-nutrition maternelle a peu d’effets sur les prélèvements foetaux. Le déficit en glucose peut être compensé par une augmentation du catabolisme protéique (BELL, 1995).
Le développement de la glande mammaire durant la fin de gestation augmente aussi les dépenses énergétiques, au moment même où la croissance du foetus est maximale. De plus, le développement de la glande mammaire est proportionnel au nombre de foetus. Du fait de leur gestation souvent multiple, ce sont surtout les brebis et les chèvres qui sont en bilan énergétique négatif en fin de gestation. Le nombre de foetus est donc directement impliqué dans l’apparition d’un déficit énergétique. Cela explique pourquoi la toxémie de gestation est extrêmement rare chez la vache : celle-ci est rarement en bilan énergétique négatif avant la parturition. Chez la brebis laitière, le déficit énergétique se poursuit même jusqu’à deux mois après la mise bas. Le besoin énergétique des brebis évolue de 0,83 UFL vers six semaines avant la parturition à 1,45 UFL (pour une brebis de 60 kg portant deux agneaux) au moment de la mise-bas (GADOUD et al., 1992).
Diminution de la concentration plasmatique d’insuline
L’insuline est une hormone synthétisée par les cellules pancréatiques lors d’hyperglycémie. Cette hormone est hypoglycémiante : elle stimule la consommation du glucose par les tissus tels les muscles, le tissu adipeux… ainsi que sa mise en réserve par le foie sous forme de glycogène. Cependant, l’insuline n’agit pas sur l’utérus ou sur la glande mammaire car ces organes ne possèdent pas de récepteurs à insuline (BROCKMAN et LAARVELD, 1986). Pendant les trois premiers mois de gestation, le tissu adipeux de la brebis est le siège d’une lipogénèse importante et les stimulations qui pourraient induire une lipolyse n’ont que très peu d’effets.
Le nombre de récepteurs à insuline augmente lui aussi, et la lipogénèse induite par l’insuline est plus intense chez les brebis gestantes que chez les brebis non gestantes. Vers la fin de la gestation, la lipogénèse diminue et la lipolyse induite par stimulation est de plus en plus élevée. Une expérience réalisée sur des brebis en gestation a permis de mettre en évidence cette baisse de l’influence de l’insuline (GUESNET et al, 1991). Des injections d’isoprotérénol, un agoniste
-adrénergique stimulant une lipolyse, sont réalisées. Ensuite, une évaluation de la lipogénèse et du nombre de récepteurs à insuline est réalisée. Plus on approche du terme de la gestation, plus les effets de l’isoprotérénol sont importants en terme d’intensité de la lipolyse. Durant cette période, les effets de l’insuline sont très faibles, et le nombre de récepteurs à insuline situés dans les membranes des adipocytes est fortement diminué. La diminution du nombre de ces récepteurs n’a pourtant pas modifié l’affinité de liaison entre l’insuline et ses récepteurs. Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer ce phénomène : la progestérone pourrait, comme on le suspecte chez le rat, diminuer la phosphorylation du glucose en glucose-6- phosphate qui est la forme utilisable du glucose par l’organisme, et par cette voie contrer les effets de l’insuline ; ou bien la G.H., dont la concentration n’a de cesse d’augmenter en fin de gestation, aurait des effets antagonistes sur l’insuline (GUESNET et al., 1991).
Enfin, la lipolyse induite par des hormones telles les oestrogènes, conduirait à une augmentation de la quantité plasmatique d’acides gras non estérifiés qui inhiberaient l’action de l’acétyl-coA carboxylase, activée jusqu’alors par l’insuline lors de la lipogénèse (GUESNET et al., 1991). La baisse de la sensibilité du tissu adipeux à l’insuline fait partie des bouleversements liés à l’homéorhèse. Cette modification met plusieurs jours à s’opérer, et représente l’adaptation hormonale la plus importante de la mise bas chez le ruminant. Ainsi, à cause de ces bouleversements hormonaux, même en période de déficit énergétique, le glucose n’est plus mis en réserve et est dirigé vers l’utérus et la mamelle et non plus destiné aux besoins de l’organisme maternel. Même pour des concentrations en insuline normales, la lipogénèse normalement induite par l’insuline, n’est pas enclenchée. Après la mise-bas, la quantité d’insuline présente dans le sang diminue à la suite d’une glycémie très faible et la perte de sensibilité à l’insuline continue…
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Table des matières
TABLE DES ILLUSTRATIONS
INTRODUCTION
PARTIE 1 : ETUDE CLINIQUE
1.HISTORIQUE DE CES DEUXMALADIES
2.EPIDEMIOLOGIE
2.1. Etude de la réceptivité
2.1.1. Facteurs intrinsèques
2.1.2. Facteurs extrinsèques
2.1.3. Facteurs favorisants et facteurs déclenchants
2.2. Incidence des maladies
3.SYMPTOMES
3.1. Symptômes généraux et digestifs
3.2. Symptômes nerveux
4.ETUDE DU PROFIL BIOCHIMIQUE DES ANIMAUX ATTEINTS
4.1. Etude de la glycémie
4.2. Etude de la cétonémie et de la cétonurie
4.3. Etude des autres paramètres sanguins
4.3.1. Créatininémie
4.3.2. Cortisolémie
4.3.3. Evolution des marqueurs du fonctionnement hépatique
4.3.4. Evolution du ionogramme et acidose
4.4. Modification de la composition du lait
4.5. Modifications immunologiques
5.PRONOSTIC
5.1. Un meilleur pronostic pour les animaux atteints de cétose
5.2. Dépistage précoce et test pronostique de la toxémie de gestation
6.ETUDE DES LESIONS POST-MORTEM
6.1. Etat général de la carcasse
6.2. Lésions hépatiques
6.3. Lésions cérébrales
6.4. Lésions rénales
7.CONSEQUENCES ECONOMIQUES DE CES DEUXMALADIES
7.1. Pertes provoquées par la cétose
7.1.1. Pertes liées à la production laitière
7.1.2. Mauvaises performances de reproduction
7.2. Pertes dues à la toxémie de gestation
8.BILAN DE CETTE ETUDE CLINIQUE
PARTIE 2 : ETUDE COMPAREE DE LA PATHOGENIE
1.DEFICIT EN ENERGIE ET EN GLUCOSE : UN CONTEXTE BIOCHIMIQUE COMMUN
1.1. Trop d’exportation d’énergie et de glucose
1.1.1. En fin de gestation chez la brebis
1.1.2. En début de lactation chez la vache
1.2. Influence hormonale du péripartum
1.2.1. Augmentation de la G.H.(growth hormone)
1.2.2. Diminution de la concentration plasmatique d’insuline
1.2.3. Le glucagon
1.2.4. Augmentation de la quantité d’oestrogènes
1.2.5. Influence des catécholamines
1.2.6. Augmentation du cortisol
1.2.7. D’autres molécules liées au stress
1.3. Des importations énergétiques insuffisantes
1.3.1. Besoins et apports alimentaires chez les ruminants en péripartum
1.3.2. Les causes de la diminution de la capacité d’ingestion
1.4. Comment les animaux font-ils face à cette demande croissante en énergie?
2.DES REPONSESMETABOLIQUES INADAPTEES A CE BILAN ENERGETIQUE NEGATIF
2.1. Une lipomobilisation excessive
2.1.1. Les causes de cette mobilisation
2.1.2. Processus de la mobilisation des réserves adipeuses
2.1.3. Mécanisme hormonal de la lipolyse
2.1.4. Bilan de la lipomobilisation
2.2. Devenir des acides gras non estérifiés
2.2.1. Vers une production excessive de corps cétoniques
2.2.2. Vers une production excessive de triglycérides dans le foie
2.3. Etude comparée de la biochimie chez les ovins et les bovins
2.3.1. Des stades physiologiques différents
2.3.2. Un équipement enzymatique assez semblable
2.4. Bilan de cette étude comparée de la pathogénie
PARTIE 3 : TRAITEMENT
1.TRAITEMENT CURATIF
1.1. Des résultats thérapeutiques différents d’une maladie à l’autre
1.2. Un objectif commun : rétablir un bilan énergétique correct
1.2.1. Les apports d’énergie
1.2.2. Apports de molécules modifiant le métabolisme glucidique
1.2.3. Utilisation des protecteurs hépatiques
1.2.4. Utilisation controversée de la niacine
1.3. Des objectifs propres au traitement de la toxémie de gestation
1.3.1. Rétablir la volémie et l’équilibre acido-basique
1.3.2. Lutter contre l’hypocalcémie
2.TRAITEMENT PREVENTIF
2.1. Recommandations alimentaires
2.1.1. Un apport énergétique adapté pour éviter la toxémie de gestation
2.1.2. Des transitions alimentaires progressives pour éviter la cétose
2.1.3. Des supplémentations alimentaires éventuelles
2.2. Utilisation d’adjuvants en prévention de la cétose
2.2.1. Utilisation du propylène glycol
2.2.2. Utilisation du monensin en prévention de la cétose
2.3. Recommandations pour la gestion du troupeau
2.3.1. Limiter le stress
2.3.2. Fixer des objectifs de production
3.CONCLUSION A L’ETUDE COMPAREE DES TRAITEMENTS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
ANNEXE 1 : BAREME D’EVALUATION DE L’ETAT CORPOREL DES BREBIS (GADOUD ET AL. 1992
ANNEXE 2 : BAREME D’EVALUATION DE L’ETAT CORPOREL DE LA VACHE (MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION DU CANADA).
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