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La concession de la mine de Kế Bào à Jean Dupuis
De même que la mine de Hòn Gai, la mine de Kế Bào fut concédée sans référence au règlement minier. Rappelons que celle-ci avait fait l’objet d’une demande de concession adres-sée par Bavier-Chauffour au général Millot en 1884, puis d’un contrat de concession conclu avec la Cour de Huế la même année. Comme cette ile fut exclue de la concession définitivement consentie à Bavier-Chauffour, la mine fut de nouveau rendue à une situation appelant un nou-veau concessionnaire. La mine de Kế Bào fut enfin concédée à Jean Dupuis. Pour expliquer comment elle passa entre les mains de cet aventurier, il faut retracer son parcours.207 Négociant actif en Chine de-puis les années 1860, il pensa à utiliser le fleuve Rouge comme voie de pénétration pour at-teindre le Yunnan. Son projet se heurta à l’opposition des autorités vietnamiennes, mais il força le passage et gagna le Yunnan en mars 1873. Au retour, il occupa Hà Nội, en réclamant la libre circulation du fleuve. Ses actions entrainèrent l’intervention d’un contingent français sous l’ordre de Francis Garnier, qui, loin d’apaiser le conflit, se laissa, au contraire, persuader par Dupuis et se lança à l’attaque du Tonkin. Dupuis prêta son concours à l’opération militaire de Garnier, qui se termina par la mort prématurée du jeune officier aventureux le 21 décembre.
Par la suite, Dupuis s’employa à revendiquer au gouvernement français les indemnités pour les pertes qu’il avait subies et les services qu’il prétendait avoir rendus à Garnier pendant l’affaire de 1873. Dans le même temps, il ne cessa de rédiger des livres, d’écrire dans des journaux et de donner des conférences, embellissant ses actions au Tonkin et exagérant les richesses du Tonkin et du Yunnan, en vue d’amener le gouvernement à une nouvelle interven-tion au Vietnam et d’obtenir les indemnités demandées.208 Son lobbying atteignit enfin son but le 9 mars 1887 : le gouvernement français reconnut définitivement ses droits aux indemnités.209
Les préparations de l’exploitation à Hòn Gai, à Kế Bào et à Nông Sơn
Comme Tim Wright l’a fait remarquer dans son étude historique sur les mines de charbon chinoises, la principale différence entre les mines « traditionnelles » et les mines « modernes » résidait dans l’échelle de l’exploitation. L’exploitation « traditionnelle » extrayait le charbon des couches proches de la surface en minimisant les travaux d’installation. Quand le gisement facilement accessible avait été épuisé, les exploitants abandonnaient les travaux et se mettaient attaquer d’autres gisements également exploitables avec des techniques rudimentaires. En revanche, pour les mines « modernes », caractérisées par les installations plus élaborées telles que les chemins de fer transportant le charbon, une exploitation de grande échelle, visant à extraire le plus de charbon qui se trouvait dans les couches, s’imposait pour utiliser pleinement les investissements en capital fixe. À long terme, l’exploitation de grande échelle était plu économique, mais nécessitait plus de temps pour rémunérer les capitaux investis, et des travaux préparatoires assez importants avant de commencer l’extraction régulière de charbon.3
Les conditions d’exécution de ces travaux étaient nettement plus pénibles au Tonkin qu’en Europe. Au moment où l’exploitation des mines commença à Hòn Gai et à Kế Bào, cette région était presque déserte et partout couverte de brousse. Les ingénieurs et contremaitres venant de l’Europe et les ouvriers recrutés au Tonkin et en Chine durent construire tout à partir de presque rien sous un climat peu favorable et notamment sous la menace constante des bandes de « pirates ». En effet, la sécurité du bassin houiller de Quảng Yên n’était pas assurée jusqu’au début des années 1890, et les mines et les villages ouvriers faisaient fréquemment l’objet des actes de pillage. Une des conditions préalables pour la réussite de l’exploitation des mines était donc d’achever la « pacification » du Tonkin.
Les travaux préparatoires à Kế Bào
Kế Bào, la SAFK se mit aux travaux pour préparer l’exploitation des mines en 1889. Situé à l’extrémité orientale du bassin houiller de Quảng Yên, le gisement de Kế Bào présentait des conditions moins favorables à l’exploitation que celui de Hòn Gai : les couches étaient moins épaisses, et en outre, elles n’étaient pas exploitables à ciel ouvert comme c’était le cas de Hà Tu.31 Par ailleurs, la qualité du charbon semblait aussi douteuse. Ces constatations divi-sèrent l’opinion des dirigeants de la société sur le plan d’exploitation des mines. Alors que certains d’entre eux conseillèrent la prudence, d’autres, au contraire, soutinrent la dépense immédiate de plusieurs millions de francs en vue d’une grande exploitation.32
Afin de trancher d’une marnière définitive, le conseil d’administration envoya à Kế Bào une mission d’étude, qui fut confiée à Émile Sarran, que nous avons vu diriger la mission de recherche minière au Tonkin de 1885 à 1886 par ordre du gouvernement. D’octobre 1889 à avril de l’année suivante, il conduisit l’exploration des couches exploitables, tout en entrepre-nant une extraction provisoire. Les essais effectués avec les échantillons pris des couches pro-fondes donnèrent des résultats satisfaisants. Aussi, à la fin de la mission de Sarran, l’opinion du conseil d’administration penchait-elle pour une grande exploitation.
Les difficultés financières de la SFCT et sa réorganisation
La SFCT vit dès 1890 les immobilisations dépasser son capital propre (cf. Graphique 2). Pour continuer les travaux, elle émit, en 1890-1891, 600 000 dollars d’obligations, qui corres-pondaient à 2 475 000 francs au taux de change de l’époque.50 Comme cette émission ne suf-fisait pas non plus aux dépenses croissantes, Chater et Mody, principaux actionnaires, accor-dèrent à la société plusieurs fois des avances, qui s’élevaient à la fin de 1894 à plus d’un million de dollars, soit environ 2 780 000 francs.51 Ces emprunts ne permirent pourtant que de tout juste assurer les frais d’installation. Afin de constituer son fonds de roulement, la société dut encore recourir aux crédits. Les dettes à court terme augmentèrent considérablement entre 1892 et 1893, dépassant les actifs réalisables et disponibles.52 Le paiement des intérêts pesa lourd sur l’état financier de la société, ce qui aggrava encore la crise de liquidités.
Les difficultés financières eurent pour effet de faire reculer la production en 1894 et 1895.
l’assemblée générale des actionnaires de 1894, le conseil d’administration expliquait : « Notre production actuelle est, à dessein, strictement maintenue sur une base qui nous permet de faire face à nos dépenses, alors même que nous pourrions facilement produire davantage. »53 En outre, la déficience financière conduisit la société à extraire le maximum de charbon au minimum de cout, négligeant ainsi les travaux pour préparer l’avenir de l’entreprise.54 Il fut urgent d’assainir la situation financière.
Les difficultés financières de la SFHT et l’interruption des travaux à Nông Sơn
Nông Sơn, les travaux furent entrepris à une échelle plus modeste qu’à Hòn Gai et à Kế Bào : les frais que la SFHT avait dépensés jusqu’au 30 juin 1893 pour les immobilisations corporelles telles que les immeubles, le matériel, l’outillage, les diverses installations ne s’élevaient qu’à 310 000 francs, alors que la SFCT et la SAFK avaient dépensé chacune
environ dix fois plus à ce titre jusqu’à la fin de l’année.71 Toutefois, la SFHT se dotait de res-sources financières plus faibles que ces deux sociétés, car seulement la moitié de la valeur nominale des actions fut versée au moment de sa constitution. Elle se trouva donc à court de fonds avant même d’achever les premiers établissements.
La société rappela d’abord à ses actionnaires le paiement du restant sur leurs actions, ce qui devait lui rapporter un autre million de francs. Quelques-uns d’entre eux n’y répondirent pourtant pas, doutant du succès de l’entreprise.72 Dans ces circonstances, tous les travaux furent interrompus en mars 1893. La société chercha à se procurer de nouvelles ressources par la création de 2 millions de francs d’actions nouvelles ou à défaut, par l’émission de 3 millions de francs d’obligations hypothécaires.73 Ces démarches échouèrent également. Finalement, l’assemblée générale du 13 février 1894 prononça la dissolution de la société en vue de sa reconstitution.74
Il fallut attendre l’année 1899 pour voir une nouvelle société constituée. Jusque-là, la mine de Nông Sơn ne fut pas complètement abandonnée, mais exploitée à une échelle réduite, en employant seulement trente à quarante ouvriers, afin d’assurer le paiement des frais d’en-tretien et de surveillance. D’après une estimation, 23 000 tonnes de charbon furent extraites entre avril 1893 et avril 1899. Pour certains, cette exploitation avait l’avantage de maintenir la mine en bon état, ainsi que de conserver un noyau de mineurs et un certain nombre de clients.75 D’autres y voyaient, au contraire, l’aggravation de la situation, compromettant l’avenir de la mine : « on se hâtait d’extraire la plus grande quantité de charbon possible pour faire face aux besoins d’argent les plus immédiats sans se préoccuper du tout d’un avenir dans lequel on n’avait plus foi et en vue duquel on jugeait inutile de faire aucun travail et aucune dépense. »76 Plus qu’aucune exploitation minière, les charbonnages de Nông Sơn démontrent quel pouvait être le destin d’une entreprise démarrée sans un capital suffisant.
Le problème de la main-d’œuvre et la classe ouvrière naissante
Le faible rendement, les difficultés du recrutement, le manque de stabilité
Un autre problème important pour les exploitants des mines charbon au Vietnam concer-nait la main-d’œuvre. Les mines, et plus particulièrement les mines de charbon, étaient une industrie de main-d’œuvre. Exploiter les mines, c’était avant tout embaucher et faire travailler les ouvriers.217 À cet égard, l’atout des charbonnages du Vietnam résidait dans le bas prix de la main-d’œuvre. Au début des années 1890, un ouvrier mineur vietnamien était payé 0,25 piastre par jour, soit 0,90 franc environ,218 alors qu’un ouvrier mineur français gagnait 4,20 francs.219
Toutefois, les ingénieurs français mettaient en cause souvent la qualité de cette main-d’œuvre, comme le faisait remarquer Henri Charpentier : « Les mineurs indigènes produisent en ce pays le tiers à peine du rendement obtenu avec des ouvriers européens dans les mines d’Europe. »220 Il ajoutait ensuite : « La faiblesse musculaire des indigènes et leur apathie sont les deux causes de leur faible rendement. »221 Ainsi, les patrons français avaient tendance à attribuer la raison du faible rendement des ouvriers vietnamiens non dans le problème de la gestion de la main-d’œuvre ou de l’éducation professionnelle, mais dans tel ou tel caractère fondamental de la « race annamite ».
Pour les exploitants des mines, un autre problème concernait le recrutement de la main-d’œuvre et son maintien sur les chantiers. Cela peut sembler paradoxal, alors que le pays était fort peuplé. C’est pour cette dernière raison justement qu’au départ, la question de la main-d’œuvre ne fut pas prise suffisamment au sérieux, comme Fuchs et Saladin l’écrivaient en 1882 concernant l’emploi des Vietnamiens comme mineurs :
Il nous semble qu’il serait facile […] de les faire tourner au développement et à la prospé-rité de l’industrie houillère du Tong-King. Il suffirait probablement, pour cela, d’offrir aux ou-vriers des abris pour leurs familles et de leur garantir sérieusement la possession de leurs écono-mies […].222 Une fois l’exploitation des mines commencée, il s’avéra pourtant vite que ces conditions ne suffisaient pas à attirer les Vietnamiens aux mines et que le recrutement de la main-d’œuvre était plus compliqué qu’on l’avait pensé. Charpentier constatait une vingtaine d’années plus tard :
En plus de tous les obstacles que rencontrent les exploitants de mines au Tonkin, recherche du capital, difficultés de surveillance, transports coûteux de matériel et de personnel, il ne faut pas se dissimuler que la main-d’œuvre est difficile à recruter dans la population apathique de l’Extrême-Orient dont les besoins sont faibles et l’énergie limitée. La difficulté devient très grande lorsqu’il s’agit d’une industrie nécessitant un nombreux personnel d’une surveillance peu aisée, comme dans les mines et surtout dans les charbonnages où le tonnage à extraire, à prix de vente égal, est beaucoup plus considérable que dans les mines métalliques.223
La mine de Nông Sơn, dont le nombre d’ouvriers n’était que d’environ 600 en 1892, ne semble pas avoir rencontré de grande difficulté à les recruter dans la campagne environnante.224 Il n’en fut pas de même pour les charbonnages de Hòn Gai et de Kế Bào, dont les besoins en bras étaient beaucoup plus importants.225 Du reste, la province de Quảng Yên était peu peuplée, du fait de sa terre peu propice à la riziculture, ce qui obligea les exploitants des mines à recourir largement aux paysans du Delta.226 Or, en général, ceux-ci n’acceptaient pas volontiers de quit-ter leur village, tant que leur situation le leur permettait, comme le faisait remarquer l’ingénieur des mines Louis de Saugy en 1902 :
L’Annamite se déplace peu volontiers et il consent difficilement à venir s’établir dans des régions, qui n’offrent pour lui aucun intérêt par suite de l’absence de toutes les cultures qui lui sont chères, et qui jouissent en outre à ses yeux d’une réputation de grande insalubrité.227
Dans les années 1930, le géographe Charles Robequain considérait toujours la mentalité des paysans vietnamiens comme un des principaux obstacles empêchant leur migration vers les régions manquant de bras :
L’abandon, sans esprit de retour, de la terre natale paraît comme une impiété devant nuire non seulement à l’individu et à sa famille, mais à la commune entière. […] L’individu se sent indissolublement attaché à cette collectivité territoriale et mystique ; il est mal à l’aise quand il en est loin, et ne songe généralement qu’à y rentrer.228
De plus, les Vietnamiens répugnaient au travail souterrain. En juillet 1896, un certain nombre d’ouvriers recrutés par les charbonnages de Kế Bào, croyant qu’ils seraient occupés aux travaux du chemin de fer, prirent la fuite dès qu’ils apprirent qu’ils seraient en effet em-ployés au travail souterrain.229 Ainsi, les charbonnages de Kế Bào, dont tous les travaux d’extraction étaient souterrains, rencontrèrent une grande difficulté au recrutement de la main-d’œuvre vietnamienne, d’autant plus que cette ile était considérée par la population du Delta comme malsaine.230 En cela, les charbonnages de Hòn Gai se trouvaient dans de conditions plus avantageuses, car ils se situaient plus proches du Delta et qu’une grande partie des travaux.
Les différentes solutions pour le recrutement des ouvriers mineurs
Les Chinois : un réservoir de main-d’œuvre pour les mines de charbon du Tonkin
Une des solutions pour faire face au manque de la main-d’œuvre était de recruter des ouvriers chinois. Les charbonnages de Kế Bào en employaient un certain moment jusqu’à trois milliers, représentant presque la totalité de leur personnel.239 Quant aux charbonnages de Hòn Gai, après avoir renvoyé 450 ouvriers chinois en 1893, ils en gardèrent seulement 100 à 200 aux ateliers et aux chargements des bateaux. Jusqu’en 1900, ils employèrent exclusivement les ouvriers vietnamiens aux travaux d’extraction de charbon.240 Pourtant, cette dernière année, le nombre d’ouvriers vietnamiens diminua sensiblement, passant de 4 000 en avril à moins de 2 000 en décembre. 241 Les charbonnages de Hòn Gai furent alors obligés de recruter massivement des ouvriers chinois, dont le nombre se maintint par la suite à 1 000 et s’élevait parfois jusqu’à 1 500, représentant environ 30 % de leur personnel (cf. Graphique 10).242
Quelques-uns de ces ouvriers chinois provenaient de la région frontalière nord-est du Tonkin et de la Chine, tandis que les autres venaient de la province de Guangdong. Cette main-d’œuvre immigrée était plus couteuse que la main-d’œuvre vietnamienne. Pour procéder au recrutement, les compagnies devaient récompenser les fonctionnaires chinois pour leurs con-cours et se charger du voyage et de la subsistance des ouvriers jusqu’au Tonkin. D’après une estimation, les frais nécessaires pour amener un ouvrier chinois à Hải Phòng s’élevaient à 10 piastres vers 1900, équivalant à peu près à un mois de salaire.243 Les salaires eux-mêmes étaient plus élevés pour les Chinois, qui étaient payés en 1894 à raison de 25 à 30 cents par jour, tandis que les Vietnamiens gagnaient 15 à 25 cents.244
Néanmoins, les ouvriers chinois avaient l’atout majeur d’être plus faciles à recruter. De plus, quelques patrons français considéraient que les Chinois étaient plus adaptés au travail des mines que les Vietnamiens, comme l’avançaient les dirigeants de la SAFK à l’assemblée gé-nérale des actionnaires de 1892 : « Les Chinois surtout, faciles à recruter et plus vigoureux que les Annamites, se forment en quelques jours au travail des mines, absolument nouveau pour eux cependant, et deviennent rapidement de très bons ouvriers. »245 Sur ce sujet, les avis étaient toutefois partagés. Nicolas Auer, résident de France à Quảng Yên écrivait en janvier 1901 que la main-d’œuvre chinoise était « bien plus productrice et plus stable » que la main-d’œuvre vietnamienne.246 En revanche, seulement six mois plus tard, son successeur, Gaston Benoit, les jugeait « peu disciplinés, difficiles à conduire et ne produisant que très peu ».247
D’une manière générale, les autorités françaises se méfiaient des immigrés chinois.248 Elles craignaient surtout que certains d’entre eux ne joignissent les bandes armées chinoises, actives dans la région minière.249 Même après la disparition quasiment complète des bandes armées de cette région, l’administration française s’inquiéta toujours des conséquences que pouvait avoir l’agglomération d’un grand nombre d’ouvriers chinois sur le maintien de l’ordre public, comme l’écrivait Jean Fitte, résident de France à Quảng Yên en juin 1907 : « La popu-lation flottante chinoise qui fournit une grande partie des coolies des exploitations minières, plus élevés pour les Chinois, qui étaient payés en 1894 à raison de 25 à 30 cents par jour, tandis que les Vietnamiens gagnaient 15 à 25 cents.244
Néanmoins, les ouvriers chinois avaient l’atout majeur d’être plus faciles à recruter. De plus, quelques patrons français considéraient que les Chinois étaient plus adaptés au travail des mines que les Vietnamiens, comme l’avançaient les dirigeants de la SAFK à l’assemblée gé-nérale des actionnaires de 1892 : « Les Chinois surtout, faciles à recruter et plus vigoureux que les Annamites, se forment en quelques jours au travail des mines, absolument nouveau pour eux cependant, et deviennent rapidement de très bons ouvriers. »245 Sur ce sujet, les avis étaient toutefois partagés. Nicolas Auer, résident de France à Quảng Yên écrivait en janvier 1901 que la main-d’œuvre chinoise était « bien plus productrice et plus stable » que la main-d’œuvre vietnamienne.246 En revanche, seulement six mois plus tard, son successeur, Gaston Benoit, les jugeait « peu disciplinés, difficiles à conduire et ne produisant que très peu ».247
D’une manière générale, les autorités françaises se méfiaient des immigrés chinois.248 Elles craignaient surtout que certains d’entre eux ne joignissent les bandes armées chinoises, actives dans la région minière.249 Même après la disparition quasiment complète des bandes armées de cette région, l’administration française s’inquiéta toujours des conséquences que pouvait avoir l’agglomération d’un grand nombre d’ouvriers chinois sur le maintien de l’ordre public, comme l’écrivait Jean Fitte, résident de France à Quảng Yên en juin 1907 : « La popu-lation flottante chinoise qui fournit une grande partie des coolies des exploitations minières,plus élevés pour les Chinois, qui étaient payés en 1894 à raison de 25 à 30 cents par jour, tandis que les Vietnamiens gagnaient 15 à 25 cents.244
Néanmoins, les ouvriers chinois avaient l’atout majeur d’être plus faciles à recruter. De plus, quelques patrons français considéraient que les Chinois étaient plus adaptés au travail des mines que les Vietnamiens, comme l’avançaient les dirigeants de la SAFK à l’assemblée gé-nérale des actionnaires de 1892 : « Les Chinois surtout, faciles à recruter et plus vigoureux que les Annamites, se forment en quelques jours au travail des mines, absolument nouveau pour eux cependant, et deviennent rapidement de très bons ouvriers. »245 Sur ce sujet, les avis étaient toutefois partagés. Nicolas Auer, résident de France à Quảng Yên écrivait en janvier 1901 que la main-d’œuvre chinoise était « bien plus productrice et plus stable » que la main-d’œuvre vietnamienne.246 En revanche, seulement six mois plus tard, son successeur, Gaston Benoit, les jugeait « peu disciplinés, difficiles à conduire et ne produisant que très peu ».247
D’une manière générale, les autorités françaises se méfiaient des immigrés chinois.248 Elles craignaient surtout que certains d’entre eux ne joignissent les bandes armées chinoises, actives dans la région minière.249 Même après la disparition quasiment complète des bandes armées de cette région, l’administration française s’inquiéta toujours des conséquences que pouvait avoir l’agglomération d’un grand nombre d’ouvriers chinois sur le maintien de l’ordre public, comme l’écrivait Jean Fitte, résident de France à Quảng Yên en juin 1907 : « La popu-lation flottante chinoise qui fournit une grande partie des coolies des exploitations minières,est en général laborieuse et calme ; malheureusement elle recèle toujours des malfaiteurs qui de temps en temps relèvent leur présence par quelque mauvais coup. »250
Du reste, les ouvriers chinois se montraient souvent peu obéissants envers les patrons français. Les charbonnages de Kế Bào rencontrèrent de grandes difficultés avec les ouvriers chinois qu’ils avaient recrutés à Hong Kong en 1897-1898 et dont le nombre s’élevait à plus de mille. Les premiers arrivés de ces ouvriers refusèrent au départ d’entrer dans les galeries, en prétendant qu’ils avaient été engagés à travailler sur les chantiers à ciel ouvert et non dans les mines souterraines. Ce n’est que sous la menace de l’arrêt de la distribution de la nourriture qu’ils se mirent à travailler dans les mines. Au travail, les conflits entre les ouvriers chinois et le personnel français éclatèrent étaient toujours fréquents. Le 2 janvier 1898, ils chassèrent du chantier, à coups de bâton et de pierres, leur surveillant français, qui avait frappé l’un d’entre eux. Le directeur des charbonnages voulut faire arrêter les coupables, mais la garde civile n’y arriva pas, se heurtant à une protestation très vive des Chinois.251
Un incident plus grave eut lieu quelques jours plus tard à Cái Đài-Mine. Le 26 janvier, lorsque deux ouvriers vietnamiens, accompagnés d’un garde civil, vinrent puiser dans un puits, les ouvriers chinois s’y opposèrent, en prétextant que son usage leur était exclusivement réservé. Une centaine de Chinois accourut aussitôt, la querelle évolua vite vers une rixe, qui imposa une intervention armée de la garde civile, entrainant la mort de trois Chinois.252 Par la suite, de tels conflits ne se reproduisirent plus, mais la tension resta très vive entre les ouvriers chinois et les autorités françaises.
L’interruption de la croissance : les contrecoups de la Première Guerre mondiale sur les charbonnages indochinois (1914-1918)
Malgré son éloignement du théâtre des hostilités, l’Indochine n’échappa pas aux contre-coups du bouleversement économique provoqué par la Grande Guerre.292 Les échanges com-merciaux entre l’Indochine et la France notamment furent sérieusement touchés par la crise du transport maritime, qui commença dès après l’éclatement de la guerre et s’aggrava suite à la guerre sous-marine menée à outrance par les Allemands à partir de 1917.293 Pourtant, le com-merce extérieur ne fut jamais complètement interrompu pendant les années de conflits, et les répercussions de la guerre européenne sur la vie économique de l’Indochine restèrent assez limitées. Du reste, la guerre donna dans une certaine mesure une impulsion à l’industrie minière indochinoise, comme le faisait remarquer Georges Guerrier, chef du bureau du service des affaires économiques au gouvernement général :
Les progrès de l’industrie, dans l’ensemble, n’ont pas été arrêtés par la situation euro-péenne. On peut même dire que la guerre a contribué à développer, à améliorer, à créer certaines branches d’industrie, dont, par-dessus tout, l’industrie minière.294
En fait, l’industrie minière indochinoise connut durant la Première Guerre mondiale une évolution plus complexe que le laisse supposer cette observation formulée au milieu de l’année 1916.
Le rythme de la production et des exportations des minerais indochinois
Nous avons vu plus haut qu’avant la guerre, environ 40 % de charbon extrait était con-sommé à l’intérieur de l’Indochine. Il n’en était pas de même pour les deux autres principaux produits miniers du Tonkin, le minerai de zinc et le minerai d’étain et tungstène. Du fait qu’il n’existait dans le pays pratiquement aucune industrie employant ces minerais, presque la tota-lité des produits était exportée. La destination des exportations était aussi différente. Tandis que les exportations de charbon se dirigeaient principalement vers les pays asiatiques, celles de minerais de zinc et d’étain et tungstène s’orientaient vers la France et d’autres pays euro-péens. Cette différence s’expliquait par le fait que le charbon, ayant une valeur relativement faible par rapport à son poids, rendait onéreux le transport de longues distances, alors que les minerais métalliques, ayant des valeurs plus élevées pour le même poids, pouvaient supporter le cout du transport jusqu’en Europe.
Néanmoins, les exportations de minerais de zinc et d’étain et tungstène furent suspendues pendant les premiers mois de la guerre à cause d’un transport maritime perturbé. Les exploi-tants des mines métalliques furent alors obligés de réduire leur production et de n’extraire que la quantité nécessaire pour servir de garantie aux avances de fonds pour assurer l’entretien de leur mine.295 Le mouvement d’exportation de ces minerais reprit progressivement en 1915, et encore plus, la hausse des cours des métaux du fait des demandes croissantes de l’industrie d’armement ouvrit « une période de prospérité remarquable » (cf. Graphique 12).296
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Table des matières
A. Règlementation minière
A-1. Convention entre la France et l’Annam sur le régime des mines de l’Annam et du Tonkin
A-2. Décret du 16 octobre 1888 sur le régime des mines au Tonkin
A-3. Décret du 25 février 1897 sur le régime des mines en Annam et au Tonkin 13
A-4. Décret du 31 décembre 1904 étendant au Laos et au Cambodge les dispositions du décret du 25 février 1897 sur le régime des mines en Annam et au Tonkin
A-5. Décret du 26 janvier 1912 règlementant les mines en Indochine
B. Actes de concession
B-1. Contrat de Bavier-Chauffour avec la cour de Huế
B-1-a. Acte de vente et de concession du domaine de Hòn Gai (26 aout 1884)
B-1-b. Acte de vente et de concession du domaine de Kế Bào (26 aout 1884)
B-1-c. Contrat passé entre les régents du royaume de Vietnam et Antoine BavierChauffour (2 septembre 1884)
B-2. Concession de Hòn Gai B-2-a. Promesse de concession du domaine houiller de la baie de Hạ Long (28 mars 1887)
B-2-b. Promesse de concession modifiée du domaine houiller de la baie de Hạ Long (4 aout 1887)
B-2-c. Acte de concession définitive (27 avril 1888)
B-2-d. Note additionnelle (10 octobre 1890)
B-3. Concession de Kế Bào
B-3-a. Acte de concession (4 avril 1888)
C. Statistiques générales
C-1. Commerce extérieur de l’Indochine (commerce spécial)
C-2. Taux officiel de la piastre en francs
C-3. Indices du coût de la vie en piastres à Hà Nội (base 100 = 1925)
D. Concessions minières
D-1. Nombre et superficie des propriétés minières
D-2. Liste des mines de charbon concédées au 31 décembre 1920
D-3. Liste des mines de charbon concédées au 1er janvier 1945
E. Production, exportation, consommation
E-1. Production
E-1-a. Production minière de l’Indochine en valeur
E-1-b. Production de charbon
E-1-c. Production de charbon par les principales mines
E-1-d. Production de charbon par les principales compagnies
E-1-e. Production de briquettes
E-2. Exportations et importations
E-2-a. Exportations de charbon cru et de briquettes en poids et en valeur
E-2-b. Répartition des exportations de charbon (charbon cru, carbonisé et aggloméré) entre principaux pays de destination
E-2-c. Importations de charbon cru
E-3. Consommation intérieure
E-3-a. Consommation de charbon (charbon cru et aggloméré) en Indochine
E-4. Mouvement des prix
E-4-a. Prix de vente des charbons par tonne f.o.b. à Hòn Gai
E-4-b. Prix moyen des anthracites par tonne aux ports du golfe du Tonkin
F. Travail
F-1. Nombre d’ouvriers des mines
F-2. Accidents du travail
F-2-a. Nombre d’accidents et de victimes déclarés : mines de charbon
F-2-b. Nombre de victimes d’après la cause
G. Historique des sociétés de charbonnages
G-1. Société française des charbonnages du Tonkin
G-2. Société anonyme française Kébao
G-3. Société française des houillères de Tourane
G-4. Société nouvelle de Kébao
G-5. Société métallurgique et minière de l’Indo-Chine
G-6. Société des docks et houillères de Tourane
G-7. Compagnie minière et industrielle de l’Indo-Chine
G-8. Société minière du Tonkin
G-9. Société du domaine de Kébao
G-10. Société anonyme française de colonisation de l’Annam-Tonkin
G-11. Société des charbonnages du Dong-Triêu
G-12. Société des anthracites du Tonkin
G-13. Société française des charbonnages d’Along et Dong-Dang
G-14. Société des charbonnages de Tuyên-Quang
G-15. Société indochinoise de charbonnages et de mines métalliques
G-16. Société des charbonnages de Vinh-Phuoc
G-17. Compagnie de recherches et d’exploitations minières
G-18. Société des charbonnages de Ninh-Binh
G-19. Société des charbonnages de Chacha
H. Société française des charbonnages du Tonkin
H-1. Production
H-1-a. Charbonnages de Hòn Gai : répartition de la production marchande entre les catégories de charbon
H-1-b. Répartition de la production marchande entre les centres d’exploitation
H-2. Ventes
H-2-a. Produits de Hòn Gai : répartition des exportations entre les pays de destination
H-2-b. Produits de Hòn Gai : répartition des ventes en Indochine entre les régions
H-2-c. Produits de Hòn Gai : répartition des ventes en Indochine entre les secteurs
H-3. Employés européens et asiatiques
H-3-a. Charbonnages de Hòn Gai : nombre du personnel européen à la fin de l’année
H-3-b. Charbonnages de Hòn Gai : effectif moyen des employés asiatiques à solde mensuelle
H-3-c. Charbonnages de Hòn Gai : appointements totaux des employés européens et asiatiques
H-4. Main-d’œuvre aux charbonnages de Hòn Gai :
H-4-a. Nombre de journées de travail
H-4-b. Effectif moyen de la main-d’œuvre
H-4-c. Salaires journaliers à la fin de l’année
H-4-d. Totaux des salaires payés pendant l’année
H-5. Comptabilité
H-5-a. Actifs du bilan
H-5-b. Passifs du bilan
H-5-c. Bénéfices nets avant amortissements et bénéfices distribués
H-5-d. Investissements dans les immobilisations corporelles
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