Les zones de subduction sont des régions de convergence entre plaques tectoniques, au niveau desquelles une plaque océanique est subductée sous une autre plaque, océanique ou continentale. Les contraintes accumulées par la convergence sur l’interface de subduction sont relâchées de manière brutale par des séismes. Les zones de subductions sont ainsi le siège d’une activité sismique intense, et les plus gros séismes mondiaux y sont observés. En effet dans ces régions, la rupture sismique peut se propager sur de grandes surfaces, car l’étendue de la zone sismogène (zone qui rompt pendant la rupture) est importante, à la fois en profondeur (jusqu’à 40-50 km) et latéralement (plusieurs milliers de km).
Dans les dix dernières années, trois séismes de magnitude supérieure ou égale à 8.8 se sont produits dans des zones de subductions : le séisme de Tohoku-Oki au Japon (2011, Mw9.0), le séisme de Maule (2010 Mw8.8) et de Sumatra (2004 Mw9.4). Les séismes de Tohoku-Oki et de Sumatra ont fait des dizaines de milliers de victimes, principalement du fait des tsunamis qu’ils ont engendrés. Face à l’impact destructeur de ses gros séismes, il est essentiel de comprendre les processus qui permettent le relâchement des contraintes au niveau des zones de subductions. Or ces processus sont complexes : ils font intervenir des mécanismes variés, sur différentes échelles de temps. Par exemple, le séisme de Tohoku-Oki, au Japon, a été d’une magnitude bien plus importante que celle attendue dans cette région par les sismologues sur la base de la sismicité récente.
Plusieurs mécanismes permettent d’accommoder la déformation au niveau des zones de subductions : on distingue des régimes de glissement stable, dans les zones profondes, et un comportement instable avec des ruptures (séismes) dans la partie superficielle. Récemment, l’existence de glissements transitoires asismiques a été mise en évidence. Ces glissements peuvent se produire à la suite d’un séisme important (glissement post-sismique) ou sans lien apparent avec un séisme (on parle alors de séismes lents ou silencieux). Ces phénomènes de glissement asismique ont été mis en évidence dans de nombreuses zones de subduction, et accommodent une part non négligeable de la déformation. Il est donc important d’étudier leurs mécanismes et de comprendre leurs impacts sur le cycle sismique. C’est l’objectif de cette thèse.
Présentation d’une zone de subduction et cycle sismique
Expériences de mécanique des roches et lois de friction
Les expériences de mécanique des roches menées en laboratoire ont mis en évidence que les séismes résultent d’instabilités de friction, mécanisme communément appelé stick-slip (adhérence-glissement, ou glissement saccadé) [Brace and Byerlee, 1966]. La phase de stick correspondant au chargement intersismique et la phase de slip correspondant au séisme. Pour modéliser ce comportement, des lois de friction ont été développées à partir de résultats expérimentaux. Elles permettent de décrire plusieurs aspects de la nature de la friction sur les failles.
Dans le modèle le plus simple de stick-slip, le glissement s’initie quand le rapport de la contrainte normale sur la contrainte tangentielle atteint une certaine valeur µs qui correspond au coefficient de friction statique. Lorsque le glissement commence, le coefficient de friction chute jusqu’à atteindre la valeur du coefficient de friction dynamique µd (figure 1.1a). C’est le comportement d’affaiblissement au glissement (slip-weakening, figure 1.1a). Les études expérimentales ont par ailleurs montrées la sensibilité des propriétés frictionnelles à d’autres paramètres. Il a été montré que µs augmente avec le temps écoulé depuis le dernier glissement, µd est sensible à la vitesse de glissement, et il existe une distance critique de glissement Dc nécessaire pour atteindre une valeur de µd stable en cas de changement de la vitesse de glissement (voir Scholz [1998] pour une synthèse). Ces comportements sont décrits de manière empirique par les lois de friction dites rate and state [Ruina, 1983] (à variable d’état en français) qui sont très largement utilisées (figure 1.1b). Ces lois permettent notamment de décrire la cicatrisation de l’interface et donc la répétition des séismes. Différents cas de figure peuvent apparaître en fonction des valeurs des paramètres a et b de cette loi (voir figure 1.1b), qui dépendent des propriétés du matériau :
• si (a − b) < 0, le régime est stable, le coefficient de friction augmente avec la vitesse de glissement (velocity-strenghthening). Les séismes ne peuvent pas n’initier dans cette zone, et la rupture qui s’y propage s’arrête rapidement.
• si (a − b) > 0, le coefficient de friction diminue avec la vitesse de glissement (velocity-weakening), le régime est instable ou conditionnellement stable, dépendant de la contrainte normale appliquée. Les séismes s’initient dans les zones de glissements instables, et peuvent se propager dans les zones conditionnellement stables.
Variations des propriétés frictionnelles avec la profondeur dans une zone de subduction
Le formalisme évoqué précédemment permet de décrire les propriétés frictionnelles de différents matériaux. Celles-ci dépendent principalement de la température, de la pression et de la nature des roches . D’après ce modèle, la zone sismogène (zone en glissement instable) est limitée par des zones en glissement stable. A faible profondeur, la présence d’une zone de glissement stable est attribuée à l’existence de sédiments peu consolidés [Byrne et al., 1988; Vrolijk, 1990]. Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer la transition vers une zone instable (changements minéralogiques dans les argiles, consolidation des sédiments qui conduisent à une localisation de la déformation, voir Marone and Saffer [2007] pour une synthèse). Un contrôle thermique de cette transition n’est pas établie [Marone Saffer , 2007], mais plusieurs études suggèrent une transition autour de 100-150 ◦C, correspondant à la déshydratation de l’illite en smectite [p.ex. Vrolijk, 1990; Hyndman et al., 1997]. La limite inférieure de la zone sismogène (début de la zone de transition), est classiquement considérée comme une limite thermique, correspondant au début du comportement plastique, autour de 350 ◦ C pour des roches quartzo-feldpathique [Hyndman et al., 1997]. Il existe une seconde limite autour de 450 ◦ C au delà de laquelle le glissement est purement stable (fin de la zone de transition). Ainsi, l’interface de subduction est formée d’une zone sismogène (zone instable en stick slip). Celle-ci est limitée de part et d’autre par des zones en glissement stable, avec, entre les deux, des zones de transition aux propriétés intermédiaires.
Cycle sismique d’une zone de subduction
Les propriétés frictionnelles de l’interface de subduction entrainent un comportement cyclique, sans forcément de périodicité identifiable. C’est ce qu’on appelle le cycle sismique.
Phase intersismique
Pendant la phase intersismique, les contraintes s’accumulent sur la partie superficielle bloquée de la faille du fait du glissement stable dans la partie profonde. Cette accumulation peut durer de quelques dizaines à des centaines d’années. Elle entraîne une déformation élastique de la plaque supérieure .
Phase cosismique
Quand les contraintes accumulées dépassent le seuil de rupture des roches, une instabilité est déclenchée (précédée par une phase de nucléation de cette instabilité): c’est la phase co-sismique, qui correspond au séisme. Celle-ci a une durée très courte (quelques secondes à quelques dizaines de secondes). Le glissement se produit dans la partie initialement bloquée, et peut s’étendre jusque dans la zone de transition. Le déficit de glissement accumulé dans la zone supérieure de l’interface est rattrapé.
Déformation postsismique
Les observations récentes, notamment depuis l’existence des GPS continus, montrent que le comportement des failles est en réalité plus complexe que ce modèle simple. Nous nous concentrerons sur les zones de subduction qui font l’objet de cette étude. Des déplacements post-sismiques sont observés très fréquemment dans les mois voir les années qui suivent l’occurrence d’un séisme important [p.ex. Heki et al., 1997; Hsu et al., 2006; Perfettini et al., 2010]. Différents mécanismes permettent d’expliquer les déplacements post-sismiques observés en surface, les principaux étant la poroélasticité, la relaxation viscoélastique et le glissement asismique sur le plan de faille (afterslip). L’afterslip est le phénomène dominant les premières phases de la relaxation postsismique, la relaxation viscoélastique étant beaucoup plus lente et affectant des échelles spatiales beaucoup plus étenduens [Freed et al., 2006; Perfettini et al., 2010]. Les études mentionnées ci-après modélisent la déformation post-sismique uniquement comme du glissement asismique sur le plan de faille, négligeant les autres formes de relaxation. Un exemple de déplacement de surface lié à un séisme (déplacement instantané de ∼30 cm) puis à du glissement port-sismique (déplacement de ∼ 10 cm sur 200 jours).
Le glissement asismique à la suite d’un séisme a été observé en différentes régions de la zone de subduction. Plusieurs études [p.ex. Heki et al., 1997; Hsu et al., 2006; Chlieh et al., 2007; Yagi et al., 2003; Melbourne et al., 2002] montrent la présence d’un glissement postsismique important au niveau de la zone de transition, sous la zone de rupture co-sismique. Des glissements postsismiques sont aussi observés à des profondeurs correspondants à celles de la zone sismogène [p.ex. Hsu et al., 2006; Chlieh et al., 2007, 2008; Perfettini et al., 2010], les zones de glissements cosismique et postsismique étant souvent adjacentes et complémentaires [e.g. Miyazaki et al., 2004; Perfettini et al., 2010]. Cela suggère l’existence de variations latérales dans les propriétés frictionnelles de l’interface de subduction, qui s’ajoutent aux variations avec la profondeur décrites précédemment. D’après ces études, le moment relâché par le glissement postsismique est du même ordre de grandeur que le moment cosismique relâché par les séismes. Cela montre l’importance de ces glissements asismiques dans le cycle sismique des zones de subduction.
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Table des matières
Introduction
1 Contexte général et motivation de l’étude
1.1 Présentation d’une zone de subduction et cycle sismique
1.2 Découverte et caractéristiques des séismes lents
1.3 Contexte géodynamique du segment de Guerrero
1.4 Enjeux de ce travail
2 Données et Méthodes
2.1 Données GPS
2.2 Données radar
2.3 Imagerie des séismes lents à partir de données GPS
3 Etude détaillée du glissement lent de 2006
3.1 Evolution spatio-temporelle du séisme lent de 2006
3.2 Comparaison avec les résultats de l’inversion par analyse en composante principale
3.3 Contraintes sur le glissement cumulé apportées par les données InSAR
3.4 Conclusion
4 Etude détaillée du glissement lent de 2009-2010
4.1 Séries temporelles GPS et particularités de cet évènement
4.2 Localisation du glissement
4.3 Activité de trémors et déclenchement par le séisme de Maule
4.4 Conclusion
5 Bilan sur le fonctionnement de la lacune sismique de Guerrero
5.1 Chargement intersismique et couplage de la zone de subduction
5.2 Séismes lents et accumulation de contraintes dans la lacune sismique de Guerrero
6 Synthèse
6.1 Déformation crustale associée au séisme lent de 2006
6.2 Les trémors au Mexique et leur liens avec les séismes lents
6.3 Caractéristiques structurales de la région de Guerrero, et liens avec les séismes lents
6.4 Synthèse des principaux résultats de cette thèse
Conclusions