Les homéoprotéines sont des facteurs de transcription actifs tout au long du développement. Leur liaison à l’ADN a lieu grâce à leur homéodomaine, très conservé dans la famille des gènes à homéoboîte. Les homéoprotéines ont aussi la capacité de transfert intercellulaire, ce qui leur confère des activités cellulaires non-autonomes. Deux séquences distinctes permettant la sécrétion et l’internalisation, respectivement, ont été identifiées. Ces activités non-autonomes ont été décrites in vivo pour plusieurs homéoprotéines telles qu’Otx2, Pax6 et Engrailed dans différents modèles de la drosophile à la souris.
Durant le développement postnatal, le cortex cérébral possède de courtes périodes temporelles de forte plasticité, appelées périodes critiques. Ces fenêtres d’apprentissage sont réglées par de nombreux facteurs environnementaux qui influencent la balance corticale entre les systèmes excitateur et inhibiteur. La plasticité du cortex visuel pour la mise en place de la vision binoculaire a été très largement étudiée et nous a servi de modèle d’étude de la période critique. Cette période critique, chez la souris, s’ouvre au vingtième jour après la naissance (postnatal day (P) 20), avec un pic de plasticité à P30 et se referme peu après à P40. Un des mécanismes régulant la fermeture de la période critique est la mise en place d’une matrice condensée en réseaux périneuronaux (perineuronal nets, PNN) entourant les interneurones inhibiteurs exprimant la parvalbumine (PV) dans la couche IV du cortex. Cette matrice extracellulaire (MEC) est enrichie en sucres complexes, les glycosaminoglycanes (GAG), qui sont chargés négativement et sont nécessaires aux rôles physiologiques des PNN. L’homéoprotéine Otx2 est transférée depuis une source extra-corticale jusqu’au cortex. La reconnaissance d’un GAG spécifique par Otx2 permet son accumulation préférentielle dans les cellules PV, leur maturation et la condensation de la MEC en PNN contrôlant ainsi la mise en place et la fermeture de la période critique. Cette boucle de rétrocontrôle positive entre Otx2 et les PNN maintient l’état non-plastique du cortex cérébral adulte, ce qui permet de rouvrir une fenêtre de plasticité en interférant avec le transfert d’Otx2 et son accumulation corticale chez l’adulte.
Au préalable, une description de la famille des homéoprotéines, et plus particulièrement d’Otx2, de leur structure et de leurs activités non-autonomes sera présentée. Ensuite, l’organisation, la diversité, les modifications et les fonctions physiologiques de la MEC condensée en PNN seront exposées. Puis, la mise en place de la période critique, et plus précisément celle de la vision binoculaire avec les facteurs qui la contrôlent, sera rappelée. Le cas spécifique du rôle du transfert d’Otx2 dans cette période critique clôturera l’introduction.
Homéoprotéines
Découverte des protéines à homéodomaine
Les homéoprotéines sont des facteurs de transcription actifs à toutes les étapes du développement et de la vie adulte. Elles sont encodées par les homéogènes, famille de gène découverte pour ses fonctions au cours du développement embryonnaire précoce, en particulier pour leur rôle dans la mise en place de l’axe antéro-postérieur des arthropodes et des vertébrés.
Leur découverte chez la drosophile a été provoquée par des mutations affectant totalement ou en partie la morphologie de segments, ou d’organes. Les premières observations ont été faites dans la première moitié du XXe siècle par Bridges & Morgan (Morgan and Bridges, 1923), pour lesquelles certains mutants montraient un remplacement du troisième segment thoracique par le deuxième. Il a été démontré par la suite que cette modification était dirigée par la mutation du complexe Bithorax porteur de huit homéogènes (Lewis, 1978). Autre exemple spectaculaire, la mutation d’un membre du complexe Antennapedia entraîne un remplacement des antennes par des pattes (Gehring, 1967) (Figure 1). Les études sur Antennapedia ont conduit à la découverte d’une séquence de 180 paires de bases, l’homéoboîte, très conservée chez tous les homéogènes, qu’ils aient ou non une action homéotique, telle que définie par les transformations dont certains exemples viennent d’être rappelés. Au niveau protéique l’homéoboîte encode une séquence de 60 acides aminés, appelée homéodomaine, elle aussi, très conservée (McGinnis et al., 1984). La structure tertiaire de l’homéodomaine a d’abord été décrite chez Antennapedia en RMN (Qian et al., 1989). L’homéodomaine adopte une structure globulaire qui contient trois régions α-hélicales et une partie non-structurée en position N-terminale. Ces régions hélicales sont structurées de la manière suivante : hélice 1 – boucle – hélice 2 – coude – hélice 3. Les deux premières hélices α sont antiparallèles et la troisième hélice est perpendiculaire aux deux premières (Figure 2) (Billeter et al., 1990; 1993). La troisième hélice interagit avec le grand sillon de l’ADN. L’hélice 1 se lie au squelette de l’ADN et la partie non-structurée en N-terminale interagit au niveau du petit sillon de l’ADN (Otting et al., 1990) (Figure 2). Les homéoprotéines ont tout d’abord été décrites comme facteurs de transcription, quand bien-même dès 1996, il a été démontré que Bicoid contrôle la traduction du messager du gène Caudal grâce à la reconnaissance de ce messager et du facteur eIF4E nécessaire à l’initiation de la traduction (Dubnau and Struhl, 1996). Le domaine d’interaction avec eIF4E est largement conservé au sein de la famille des homéoprotéines et cette activité régulatrice de la traduction a été élargie à d’autres homéoprotéines dont Emx2, Hoxa9, PRH, Otx2 et Engrailed (Nédélec et al., 2004; Topisirovic and Borden, 2005).
La famille des homéoprotéines a été définie comme l’ensemble des protéines possédant un homéodomaine similaire à celui décrit chez Antennapedia. C’est ainsi qu’elle inclue des homéoprotéines qui ne participent pas à la définition de l’identité d’une région, et n’ont donc pas une action homéotique, telle que définie par les mutations éponymes. La famille des homéoprotéines compte environ 300 membres dont certains exercent des fonctions importantes au cours du développement du système nerveux central (SNC). Par exemple, une perte de fonction de l’homéoprotéine Engrailed-1 (En1) engendre un développement incomplet du mésencéphale chez les vertébrés (Joyner, 1996). Autre exemple, pris chez la drosophile, l’inactivation d’orthodenticle (Otd), majoritairement exprimé dans la partie antérieure des ganglions cérébraux engendre une perte de cette partie. Otd agit comme un gène GAP, au sens où sa délétion entraîne la perte d’une région (Finkelstein and Perrimon, 1990; Cohen and Jürgens, 1991; Hirth et al., 1995). Otd possède des homologues chez les vertébrés nommés orthodenticle homeobox 1 (Otx1) et Otx2 (Simeone et al., 1992; 1993). Cette famille d’homéoprotéine possède un homéodomaine et le patron d’expression d’Otx2 dans le développement embryonnaire de la souris est similaire à celui d’Otd chez la drosophile. On dit qu’Otd et Otx2 sont orthologues (homologues sur le plan évolutif) alors qu’Otx1 est un paralogue d’Otx2 mais n’a pas d’orthologue chez les arthropodes.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Homéoprotéines
A. Découverte des protéines à homéodomaine
B. Rôles durant le développement
C. Structure des homéoprotéines
D. Fonctions cellulaires non-autonomes
II. Réseaux périneuronaux
A. Structure chimique des glycosaminoglycanes
B. Organisation en protéoglycane
C. Modifications de la matrice extracellulaire
D. Fonctions physiologiques
III. Périodes critiques
A. Apprentissage durant le développement
B. Modèle de plasticité de la vision binoculaire
C. Balance excitation-inhibition
D. Modifications épigénétiques
IV. Otx2 dans la plasticité
A. Contrôle la fenêtre de plasticité
B. Spécificité de reconnaissance
C. Boucle de rétrocontrôle positive Otx2/PNN
D. Réouverture de plasticité chez l’adulte
V. Objectifs de la thèse
RÉSULTATS
Article 1 : un modèle de souris à sécrétion conditionnelle d’anticorps simple-chaîne fournit la preuve génétique de l’activité non-autonome d’une homéoprotéine pour la régulation de la plasticité corticale
Article 2 : la régulation de la plasticité du cortex visuel par l’activité non-autonome de l’homéoprotéine Otx2 s’effectue via Gadd45b/g
Article 3 : utilisation de peptides enrichis en acide cystéique comme mimes bioactifs de glycosaminoglycanes
DISCUSSION
I. Les PNN, un composant clé pour la physiologie du cerveau
A. Le dysfonctionnement des PNN à l’origine de pathologies
B. Développement d’outils permettant de cibler directement la matrice extracellulaire
C. Développement d’outils permettant de modifier l’interaction protéine-GAG
II. Régulation mutuelle des homéoprotéines et des PNN
A. Hypothèse d’un code sucre pour le transfert d’homéoprotéines
B. Otx2 modifie la matrice extracellulaire
C. Otx2 régulateur global des PNN corticaux
PERSPECTIVES – CONCLUSION
RÉFÉRENCES
ANNEXE