Découverte de la chiralité
Il est communément dit d’un objet qu’il est chiral si lui et son image par un miroir sont non superposables. Nous pouvons illustrer cette propriété par un exemple courant tel que nos mains. C’est une propriété qui se retrouve également à l’échelle moléculaire lorsqu’une molécule présente au moins un centre asymétrique entre autre (dont 4 liaisons covalentes). Une molécule chirale est donc présente en deux versions miroir l’une de l’autre que l’on appelle énantiomères. Les deux énantiomères sont donc des molécules extrêmement similaires qui différent uniquement par une variation structurelle. Ces si petites différences peuvent avoir un impact démesuré lorsque ces molécules chirales interagissent avec d’autres objets chiraux.
En exemple connu et qui rend bien compte de l’importance de ces différences est celui de la thalidomide. La thalidomide est un médicament qui est mis sur le marché dans les années 50- 60 pour lutter contre les nausées, notamment des femmes enceintes. En réalité, seul l’un des énantiomères présentait des propriétés anti-nauséeuses alors que l’autre énantiomère, présent également dans le médicament vendu, entraîna d’innombrables malformations chez plus de 10 000 nouveaux-nés. Ce scandale pharmaceutique nous fait prendre conscience du danger que peut représenter ces molécules si elles ne sont pas séparées. Un autre exemple parlant est le cas de la méthamphétamine dont l’un des énantiomères est une drogue psychotrope addictive alors que l’autre énantiomère est un décongestionnant nasal. Bien que le traitement de molécules chirales est d’importance particulière en pharmacologie, ce n’est pas le seul domaine qui en fait usage. En effet, les molécules chirales ne présentent pas toutes des versions nocives. Elles sont d’ailleurs souvent utilisées en parfumerie ou pour la production d’arômes puisque ces dernières sont souvent associées à une odeur qui peut différer en fonction de l’énantiomère. C’est notamment le cas de la fenchone dont l’un des énantiomères sentira le thuya alors que l’autre sentira plutôt de le fenouil.
L’utilisation de molécules chirales dans une variété de domaines nécessite donc de savoir séparer les deux formes énantiomériques toutes deux présentes lors de leur synthèse et en général en proportion identique. Ceci demande avant tout de savoir les distinguer… En optique, deux énantiomères ont un pouvoir rotatoire optique opposé. Cette propriété est connue depuis 1847, quand Pasteur étudie la cristallisation des sels de l’acide tartrique, acide principal du vin formé lors de la fermentation, au cours de son doctorat. En observant les cristaux au microscope, il découvre qu’ils se présentent sous deux formes géométriques qui sont images miroir l’une de l’autre . Il les sépare patiemment à la main, les met en solution, et observe que les deux images font tourner le plan de polarisation de la lumière d’un même angle mais dans un sens opposé : la forme lévogyre faisait tourner vers la gauche et dextrogyre, vers la droite. Ce pouvoir rotatoire, ou activité optique , est découvert au préalable en 1815 par Biot en étudiant les cristaux de quartz. Pasteur étend dès lors l’observation de ce pouvoir rotatoire au cas des solutions liquides de substances organiques naturelles telles que le camphre, l’essence de térébenthine, le sucre, l’acide tartrique etc… Cette découverte a ouvert les voies de la stéréochimie en particulier l’étude de la chiralité. Depuis le concept de chiralité s’est montré important dans le cas d’autres types de formes géométriques telles que les hélices, très présentes en biologie. En effet, on peut citer la fameuse structure en double hélice de l’ADN mais aussi les protéines formées des acides aminés s’assemblant suivant une forme hélicoïdale.
Méthodes de discrimination des enantiomères
Le meilleur outil pour sonder la chiralité d’un objet c’est un autre objet chiral : nous en faisons l’expérience lors d’une poignée de main, qui s’emboîte très bien lorsque les deux mains ont la même chiralité (deux mains droites) mais qui devient bien moins agréable quand les mains ont une chiralité opposée. C’est le même principe à l’échelle moléculaire où les deux énantiomères vont interagir différemment avec un même objet chiral. En physique, la meilleure sonde de chiralité est la lumière chirale. Sa plus simple forme est une polarisation circulaire se propageant suivant un axe z orthogonal au plan de polarisation. En effet, une lumière est dite polarisée circulairement lorsque son vecteur de champ électrique décrit une hélice au cours de sa propagation. Les deux « énantiomères » de lumière se distinguent par le sens de rotation du champ électrique. Ainsi, on peut définir les notions de polarisation circulaire gauche et polarisation circulaire droite. Du point de vue de la cible voyant le champ comme une onde incidente, une polarisation est dite gauche (LCP pour Left Circularly Polarized) si le vecteur du champ électrique tourne dans le sens anti-horaire au cours du temps. À l’inverse la polarisation est dite circulaire droite (RCP pour Right Circularly Polarized) si le champ électrique tourne dans le sens horaire. Le sens de rotation du champ est aussi appelé hélicité du champ.
Parmi les premières mesures d’interaction de molécules chirales avec une lumière chirale, on compte le Dichroïsme Circulaire d’absorption (que l’on appelle souvent CD de son acronyme anglais Circular Dichroism). Le principe est simple et est représenté en Figure 2 : on envoie de la lumière circulaire gauche sur une substance contenant un certain énantiomère et on mesure la différence entre l’intensité lumineuse incidente et l’intensité lumineuse transmise par le milieu chiral. Cette mesure caractérise l’absorption de l’énantiomère que l’on peut noter ALCP . On répète cette étape en prenant cette fois une lumière d’hélicité opposée, soit circulaire droite et on mesure l’absorption ARCP du milieu chiral composé d’un seul des énantiomères. On détecte alors une différence entre ces deux taux d’absorption, signifiant que l’une des polarisations est préférentiellement absorbée par rapport à l’autre. C’est ce signal différentiel ALCP -ARCP qui caractérise le dichroïsme circulaire d’absorption. L’une des propriétés intéressantes des différents types de dichroïsme circulaire est que l’on observe l’effet exactement opposé lorsque l’on échange l’énantiomère. Le CD d’absorption est donc un effet chiroptique intéressant, et qui a été observé sur une large gamme spectrale, de l’infrarouge à l’ultraviolet. Cependant, l’origine physique du CD d’absorption réside dans des combinaisons de transitions dipolaires électriques et transitions dipolaires magnétiques (ou quadrupolaires électriques), qui sont intrinsèquement faibles. Le CD d’absorption est donc généralement difficile à détecter, donnant des signaux relatifs de l’ordre de 10⁻⁴ .
Le dichroïsme circulaire de photoélectrons : PECD
En 1976, [Ritchie, 1976] propose sur un plan purement théorique, un autre type de dichroïsme circulaire qui résulterait d’une interaction purement dipolaire électrique, bien plus forte, et donnant des signaux de l’ordre de quelques pourcents. Ce dichroïsme circulaire se base sur une nouvelle observable chirale qui est le nombre de photoélectrons émis vers l’avant ou vers l’arrière par rapport à la direction de propagation z de la lumière lors de l’ionisation de molécules chirales aléatoirement orientées et distribuées.
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Table des matières
Introduction
0.1 Découverte de la chiralité
0.2 Méthodes de discrimination des enantiomères
0.3 Le dichroïsme circulaire de photoélectrons : PECD
0.4 Universalité du PECD
0.4.1 Régime d’ionisation à un photon et PECD
0.4.2 Régime multiphotonique et PECD
0.4.3 Régime de champ fort et PECD
0.5 Structuration de la Thèse
1 Détails expérimentaux et méthodes
1.1 Source laser
1.1.1 Le système laser BlastBeat
1.1.2 Stabilité de la source
1.1.3 Objectif synchronisation des deux sources
1.1.3.1 Corrélation croisée simple et encodage spatial
1.1.3.2 Le BOC : Corrélation croisée balancée
1.1.4 Devenir du faisceau entre la stabilisation et l’expérience
1.2 La détection et l’imagerie de photoélectrons
1.2.1 Le spectromètre imageur de vecteur vitesse : VMI
1.2.1.1 La cible
1.2.1.2 Le spectromètre
1.2.1.3 Le détecteur
1.2.1.4 Configurations
1.2.2 L’inversion pBasex
1.2.2.1 Historique et principe
1.2.2.2 Exemple de décomposition en polynômes de Legendre
1.2.3 La tomographie
1.2.4 COLTRIMS
1.2.4.1 Principe
1.2.4.2 Régime de coïncidence
1.2.4.3 Description du COLTRIMS
2 MANGO PEELD – Investigation des états intermédiaires résonants et extension du dichroïsme circulaire de photoélectrons
2.1 Contextualisation : REMPI et anisotropie d’excitation
2.1.1 PECD en régime multiphotonique résonant
2.1.2 Anisotropie d’excitation
2.1.3 Excitation à deux photons
2.2 État de l’art sur la spectroscopie de la fenchone et son PECD
2.2.1 Pulm et al. 1997 : CD d’absorption et calculs DFT/SCI
2.2.2 Kastner et al., 2017-2020 : fs-REMPI PECD et haute résolution ns-REMPI
2.2.3 Singh et al. 2020 : ps-REMPI et calculs TDDFT
2.2.4 Récapitulatif et intérêt
2.3 Montage et analyse
2.3.1 Le Mango
2.3.2 Détails expérimentaux
2.3.3 Le PEELD
2.3.3.1 Caractéristiques techniques de l’imagerie
2.3.3.2 Analyse des données expérimentales
2.4 Calculs théoriques
2.5 Comparaison du PECD et du PEELD : vers un enrichissement spectroscopique
2.5.1 Balayage de la longueur d’onde et étude des résonances des états intermédiaires
2.5.1.1 Polarisation circulaire
2.5.1.2 Polarisation elliptique
2.5.1.3 PECD et PEELD intégré
2.6 Étude détaillée des transitions en longueur d’onde
2.6.1 Transition entre excitation de l’état de Rydberg 3s seul et des états de Rydberg 3s-3p
2.6.2 Apparition des états 3d au seuil
2.6.3 Excitation au delà du seuil des états 3d
2.7 Ouverture du PEELD à la spectroscopie femtoseconde
2.8 Conclusion
3 Dichroïsme elliptique de photoélectrons rétrodiffusés dans un régime de champ fort
3.1 État de l’art et motivation
3.1.1 L’ionisation en champ fort
3.1.2 Le PECD en régime de champ fort
3.1.2.1 Nos attentes
3.1.2.2 Caractérisation du régime de champ fort : le paramètre de Keldysh
3.1.2.3 Premières mesures de PECD en champ fort
3.1.3 Les électrons rétrodiffusés, quel intérêt pour le PECD ?
3.2 Détails expérimentaux et analyse : Le retour du PEELD
3.2.1 Contrôle des polarisations
3.2.2 Type de signal et analyse
3.3 Résultats expérimentaux
3.3.1 Calibration et énergie de photoélectrons rétrodiffusés
3.3.2 Premiers signaux chiraux
3.3.3 Tentatives d’optimisation de l’imagerie
3.3.4 Des ailes de papillon dans la fenchone
3.3.5 Rétrodiffusion chirale dans différents composés
3.3.6 Distribution 3D et plan de polarisation
3.4 Conclusion et perspectives
Conclusion