Les années 1950 ont vu l’entrée de l’aviation civile dans une ère nouvelle, celle des turboréacteurs. Le premier avion commercial équipé fut construit par la société britannique De Havilland. Ainsi, le « Comet 1 » pouvait voler à plus de dix mille mètres d’altitude à 800 km/h. Cet avion, deux fois plus rapide que les avions à hélice, beaucoup plus stable et moins bruyant, fut plébiscité par les voyageurs dès son premier vol commercial en mai 1952. Pourtant, suite à trois accidents graves, il fut retiré du trafic aérien moins de deux ans après son lancement. Dans les deux derniers accidents, survenus en janvier et avril 1954, l’avion s’était désintégré en vol à plus de huit mille mètres d’altitude. C’est ainsi que les fissures de fatigue du fuselage entraient dans l’histoire de l’aviation. On savait pourtant que la fatigue existait et pouvait notamment intervenir au niveau des ailes mais la pressurisation de la cabine, rendue nécessaire par les hautes altitudes, avait aussi fragilisé le fuselage par des cycles successifs de pressurisationdépressurisation. Ainsi cet avion révolutionnaire qui aurait dû propulser le secteur aéronautique britannique au premier rang mondial, l’a considérablement handicapé et ce sont deux compagnies américaines, quelques années plus tard, qui s’imposaient avec le Boeing B707 et le Douglas DC8.
Il fallut une année d’enquête et surtout un essai en vraie grandeur pour comprendre les causes des accidents. Une piscine fut spécialement construite et on y plongea un avion Comet de la même série afin de lui faire subir des cycles de pressurisation. L’eau fut choisie à la place de l’air afin de maîtriser les explosions et de conserver la structure pour déterminer les causes de la rupture ; avec de l’air, la cabine aurait été complètement désintégrée à la moindre explosion. L’essai avait pour but de simuler les conditions d’une série de vols pressurisés. La cabine et les ailes étaient alors soumises à des chargements répétés qui se rapprochaient au mieux du chargement en vol. De plus, des fluctuations de charge étaient appliquées sur les ailes afin de s’approcher davantage des conditions réelles. Enfin, pour simuler les autres causes de dommage, par nature imprévisibles, comme des surcharges au décollage ou à l’atterrissage ou encore dues à des perturbations atmosphériques, une pression d’épreuve 30 % plus élevée que la pression de service était appliquée tous les mille « vols ».
Cet avion qui avait fait auparavant 1230 vols pressurisés ne fit que 1830 vols simulés dans la piscine. Une fissure de fatigue commença à se propager à partir du coin d’un hublot et traversa plusieurs raidisseurs comme le montre la figure 1. D’autre part, l’analyse des débris d’un des appareils accidentés a permis de montrer des traces de fatigue près d’un trou de rivet qui confirmaient l’hypothèse que les accidents étaient dus à de la fissuration par fatigue dans des zones à forte concentration de contraintes. Le jugement rendu contre la société De Havilland concluait d’ailleurs : « il existe des méthodes de calcul de la distribution des contraintes dans la structure d’une cabine pressurisée qui devraient être employées avec profit plus largement. »
On pourrait donc penser qu’il suffise d’être capable de bien calculer la distribution des contraintes sur toute la structure de l’avion et de la dimensionner pour ne jamais dépasser la limite d’endurance du matériau. En effet, un tel raisonnement permettrait d’éviter de manière certaine tout problème de fatigue. Malheureusement, il impose d’augmenter les épaisseurs de tôles et conduit invariablement à des avions trop lourds. On admet aujourd’hui des coefficients de sécurité relativement faibles (un facteur 3 sur la durée de vie), mais en obligeant par ailleurs à dimensionner la structure en tolérance au dommage.
Deux problèmes essentiels se posent alors : il faut être en mesure (i) de pouvoir détecter les fissures et (ii) de garantir qu’une fissure non détectée ne conduise pas à la ruine de la structure en conditions de vol normales ou en cas de surcharge ponctuelle due à des conditions particulières (perturbations météorologiques, atterrissage brutal, etc). La détection des fissures est garantie par un contrôle régulier de l’intégrité de la structure dont l’échéancier est établi à partir d’une étude de la vitesse de fissuration da/dN (où a est la demi-longueur de fissure et N le nombre de cycles). Toute fissure détectée devant être réparée, les plus grandes fissures non détectables sont celles qui seront repérées lors la visite de contrôle suivante et les fissures initiées accidentellement. Il peut s’agir par exemple d’une pale de moteur à hélice qui viendrait transpercer le fuselage. Il faut donc garantir une résistance résiduelle pour une structure fissurée, c’est à dire une bonne ténacité ou résistance à la propagation de fissure.
La résistance à la propagation de fissure est évaluée par des essais de traction sur de grands panneaux rectangulaires pré-fissurés en leur centre (éprouvettes M(T)) ou sur des portions de fuselage réel mises en charge puis transpercées par une lame (Jeong et al., 1995). Traditionnellement, les résultats d’essais sont analysés par des méthodes analytiques basées sur la mécanique linéaire de la rupture. Avec les nouveaux alliages plus tenaces, la plasticité se développe plus largement et pour respecter le confinement de zone plastique imposé par les normes, il faudrait utiliser des éprouvettes dont la largeur pourrait atteindre plusieurs mètres (ASTM, 1999 ; Chabanet et al., 2003). Cependant, les structures réelles ayant une taille limitée, la perte de confinement est tolérée bien que cela fausse l’analyse des essais. Pour s’affranchir de ce genre de problèmes, la prévision de la ténacité par simulation numérique est d’un grand intérêt, notamment si elle est basée sur une bonne compréhension des mécanismes physiques mis en jeu. L’objectif de la thèse était donc de comprendre et de modéliser la déchirure ductile des tôles minces en alliage d’aluminium 2024. Cet alliage, qui a été développé dans le but d’avoir une haute ténacité, est utilisé pour des parties d’avion soumises à des efforts de traction et pour lesquelles la résistance à la propagation de fissure est critique.
Trois méthodologies peuvent être utilisées pour modéliser la déchirure des tôles minces. La première approche est basée sur l’angle d’ouverture en pointe de fissure (« crack tip opening angle » ou CTOA) : la fissure se propage quand le CTOA atteint une certaine valeur critique. Cette méthode a été appliquée aux structures d’avion avec des formulations 2D ou 3D (Dawicke et al., 1997 ; Deng et Newman Jr, 1999 ; Gullerud et al., 1999) mais aussi à la déchirure des pipelines (O’Donoghue et al., 1991). La seconde approche est basée sur un modèle de zone cohésive. Le chemin de fissuration étant connu à l’avance, une loi reliant la contrainte normale à l’ouverture de la fissure y est appliquée. Cette approche a été utilisée pour des tôles d’aluminium par exemple par Chabanet et al. (2003) et Roychowdhury et al. (2002). L’intérêt de ces deux approches réside dans leur grande simplicité mais comme les mécanismes physiques provoquant la rupture (germination et croissance de cavités, localisation de la déformation, etc) ne sont pas représentés, elles sont difficilement transférables d’un matériau à un autre ou d’une géométrie à une autre. La troisième voie, qui est celle retenue pour cette thèse, est la mécanique continue de l’endommagement. Des équations développées spécifiquement pour les matériaux poreux sont utilisées (Rousselier, 1987 ; Tvergaard, 1989) ; elles permettent de représenter la croissance de cavités sphériques. Cette approche a été utilisée en premier lieu pour les tôles fortes où la triaxialité des contraintes élevée qui s’y développe entraîne une croissance des cavités importante. Le cas des tôles minces a été aussi abordé pour différents matériaux (Grange et al., 2000 ; Rivalin et al., 2001a ; Besson et al., 2001a). Cependant, la triaxialité étant plus faible dans ce cas, les cavités ont tendance à s’allonger et des modèles plus complexes peuvent être nécessaires (Benzerga et al., 1999 ; Pardoen et Hutchinson, 2000, 2003).
Rupture dans les tôles 202407tn et 202415tn
Les mécanismes d’endommagement et de rupture des tôles minces en alliage d’aluminium 2024 sont examinés. Deux nuances sont étudiées : un alliage standard et un alliage à haute tolérance au dommage. La microstructure de chaque matériau est caractérisée afin d’obtenir la teneur en particules de seconde phase, les dimensions des particules et la teneur initiale en porosités. Les plus grosses particules sont des intermétalliques. Des essais mécaniques sont effectués sur des éprouvettes plates dont la géométrie est lisse, entaillée en U avec différents rayons ou entaillée en V. Des essais de fissuration sont aussi effectués sur des éprouvettes Kahn et de grands panneaux M(T). On observe une propagation stable dans les deux cas. Les faciès de rupture macroscopiques sont observés au microscope électronique à balayage. Les éprouvettes lisses et modérément entaillées présentent une surface de rupture inclinée à 45° par rapport à la direction de traction. Quand la sévérité de l’entaille augmente, le mode de rupture change significativement. La rupture débute en fond d’entaille par une petite région triangulaire perpendiculaire à l’axe de traction. En dehors de cette zone on observe une rupture en biseau. Des observations microscopiques montrent deux mécanismes de rupture. La germination des porosités se fait à partir des phases intermétalliques dans les deux cas. Quand la pression hydrostatique est faible (éprouvettes lisses et modérément entaillées), ces porosités se rejoignent rapidement grâce à un mécanisme de germination en bande qui crée de plus petites cupules dans le ligament inter-porosités. À pression hydrostatique plus élevée, c’est à dire près du fond d’entaille des éprouvettes sévèrement entaillées, la croissance des porosités est favorisée et la rupture finale intervient par striction interne entre les grosses cavités. Dans les éprouvettes de fissuration, la fissure se propage en condition de déformation plane dans la direction de propagation. Cet état favorise la germination en bande et la rupture en biseau.
Modélisation de l’anisotropie plastique : proposition d’un nouveau critère anisotrope pour la tôle 202415tn
Un critère de plasticité permettant la modélisation de l’anisotropie des tôles d’aluminium est proposé. C’est une extension des critères proposés par Barlat et al. [Int. J. Plasticity 7 (1991) 693] et Karafillis et Boyce [J. Mech. Phys. Solids 41 (1993) 1859]. L’anisotropie est représentée par 12 paramètres définissant deux déviateurs modifiés. Quatre autres paramètres règlent la forme de la surface de charge de manière isotrope. Le rôle de chaque paramètre est décrit en détail. La convexité de la surface est démontrée. Ce critère de plasticité a été programmé dans un code éléments finis orienté objets dans le cas général 3D. Il est utilisé pour modéliser l’anisotropie plastique d’une tôle mince en alliage d’aluminium 2024 et l’ajustement est excellent. D’autres matériaux anisotropes décrits dans la littérature sont aussi très bien représentés par ce critère.
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Table des matières
Introduction
1 Mécanismes de rupture
1 Introduction
2 Rupture dans les tôles 202407tn et 202415tn
3 Rupture dans les tôles 202407t5 et 202415t3
Résumé
2 Comportement plastique des tôles
1 Introduction
2 Nouveau critère anisotrope pour la tôle 202415tn
3 Utilisation du nouveau critère pour la tôle 202407tn
4 Comportement des tôles pré-étirées 202407t5 et 202415t3
5 Effet Portevin–Le Châtelier
Résumé
3 Simulation de la déchirure ductile
1 Introduction
2 Simulation de la déchirure ductile dans les tôles de fuselage
3 Analyse en courbe R
Résumé
Conclusions et perspectives
1 Conclusions
2 Perspectives
A Plans détaillés des éprouvettes
B Essais
Bibliographie
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