Le statut Fabius-Pisani
En 1984, un vote est organisé pour le renouvellement de l’Assemblée territoriale. Mais devant le principe démocratique « d’un homme égale une voix », le résultat du vote ne peut être en faveur des indépendantistes, qui sont en minorité face à ceux qui veulent garder le statut de Territoire d’Outre-Mer. A la suite de cela, le Front de Libération Nationale Kanak Socialiste (FLNKS) est créé et s’oppose par la force au bon déroulement du vote en occupant les terres des colons et détruisant un bon nombre de leurs biens matériaux.
C’est un véritable boycott. Des barrages sur les routes sont mis en place afin que les électeurs ne puissent pas se rendre dans les bureaux de vote. Face à cette situation, l’État prend la décision de désarmer les gendarmes pour ne pas attiser les tensions. Le leader du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou décide alors d’apaiser les ardeurs des indépendantistes en leur demandant de lever les barrages routiers et de dialoguer avec le nouveau Haut Commissaire de la République sur le Territoire, Edgar Pisani..16 Face à ses nouvelles fonctions, dès le 7 janvier 1985, Edgar Pisani propose un plan dans lequel Nouméa, ville principale, devient un territoire français et rend tout le reste du Territoire indépendant. Le plan, nommé le « plan Pisani » vise à organiser pour le mois de juillet 1985, un referendum permettant aux habitants calédoniens de choisir entre le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République Française ou à la création d’un État indépendant. Cependant, douze jours plus tard, le leader indépendantiste radical Eloi Machoro est tué d’une balle dans la poitrine par un membre du GIGN dans une ferme qu’il occupait de manière revendicative.
Dès lors, le Haut Commissaire de la République déclare l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie. Deux jours plus tard, le Premier Ministre, Laurent Fabius , confère par décret à Edgar Pisani les pouvoirs extraordinaires.17 16 NOUVELLE-CALEDONIE, Chronologie de l’évolution institutionnelle, [en ligne], disponible sur http://www.nouvellecaledonie. gouv.fr/site/La-Nouvelle-Caledonie/Institutions/Chronologie-de-l-evolution-institutionnelle (consulté le 11 avril 2014). 17 Ibid. Ferrer Marion | Revendication patrimoniale kanak : place des archives dans la préservation d’une culture orale de 1968 à nos jours. 16 Devant la gravité de la situation et les tensions qui montent de plus en plus, François Mitterrand, alors président de la République, se rend sur le Territoire pour vingt-quatre heures et déclare la préparation d’un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie. Suite à cette annonce, trente mille personnes manifestent à Nouméa pour que la Nouvelle-Calédonie reste française. Un projet d’indépendance-association est proposé par Edgar Pisani. Il souhaite mettre en place un Territoire découpé en quatre régions, dont deux seront dirigés par le FLNKS.
Ce principe d’indépendance-association va être refusé immédiatement par les indépendantistes et notamment le FLNKS en février, lors du congrès de Nakety. Dans le même temps, les manifestations anti-indépendantistes rassemblent de plus en plus de monde et sont de plus en plus nombreuses. Les mois de mars à décembre de l’année 1985 vont voir la multiplication des violences entre indépendantistes et anti-indépendantistes. Les affrontements sont quotidiens sur l’ensemble du Territoire. Les violences se font également de plus en plus fortes et le nombre de blessés et de morts ne cesse d’augmenter. En pleine ambiance du guerre civile, Edgar Pisani doit préparer un nouveau statut pour le Territoire. Mais à son tour, suivant le FLNKS, l’Assemblée Territoriale vote aussi contre le projet d’indépendance-association.
Organisation et missions
La création de l’ADCK a été prévue par les accords de Matignon-Oudinot en 1988. Depuis le 1er janvier 2012, l’agence ne relève plus de la tutelle de l’État mais de celle de la Nouvelle-Calédonie. Ce changement permet alors au Territoire de mener comme il le désire la conservation et la valorisation de la culture kanak. Le président actuel de l’ADCK est Emmanuel Tjibaou, le fils de Jean-Marie Tjibaou, linguiste en langues kanak.
La femme de ce dernier, a présidé le conseil d’administration jusqu’en 2008. L’agence est constituée de sept départements. Chaque département joue un rôle particulier dans la conservation et la valorisation de la culture kanak. Par exemple, le département d’accueil et jeune public s’occupe de sensibiliser et de faire découvrir, à toutes sortes de public, la culture kanak à travers des visites ou encore des animations.
Le département de recherche et patrimoine quant à lui, conduit des recherches sur la culture kanak, notamment dans le domaine du patrimoine intangible comme la tradition et la littérature orale. Si, avec les accords de Nouméa, les Kanak admettent l’enracinement des autres communautés au sein du Territoire, ces dernières doivent découvrir les mythes mélanésiens, une culture à l’opposé de la culture occidentale. Il est donc pris la décision d’organiser et d’inciter des activités culturelles dans le but de se connaître les uns et les autres. En mai 2002, l’État français et la Nouvelle-Calédonie ont présenté un accord lors d’une séance publique du congrès. Son but serait de favoriser le développement culturel sur le Territoire.
Ce document est prévu par l’accord de Nouméa afin de protéger et de valoriser, entre autres, le patrimoine kanak, pour lequel est mis en place un programme scientifique et technique. Plusieurs objectifs sont alors fixés. Le premier est de réaliser une inventaire exhaustif des oeuvres kanak présentes dans les musées que ce soit en France ou à l’étranger. Il est également question de mettre en oeuvre des moyens pour favoriser le retour de celles-ci en Nouvelle-Calédonie et de protéger les savoirs et les expressions traditionnelles de la culture kanak. De plus, il a également été décidé d’un effort en ce qui concerne la conservation des archives.
En effet, dans la culture kanak, la prise de conscience de l’importance de la trace écrite est encore très récente et pas admise par tous. Dans ce but, l’État a mis en place un vaste travail de duplication de documents conservés en France métropolitaine, concernant le Territoire afin d’y envoyer les copies pour qu’elles puissent être consultées par les calédoniens.33 De manière concrète, l’ADCK initie et valorise des opérations de collecte et de recherches, surtout en ce qui concerne le patrimoine kanak immatériel. Elle participe également à la diffusion et la mise en valeur de ce patrimoine, notamment par le biais des supports de diffusion comme des CDs de chants traditionnels, des publications… Mais son rôle est également d’apporter son aide aux chercheurs qui s’intéressent au monde kanak et de promouvoir des échanges internationaux, qui permettent également de valoriser la culture kanak.34 Jean-Marie Tjibaou, à propos de la vision des Kanak sur leur propre culture, affirme qu’ils ne veulent pas « revenir en arrière. Pour les kanaks, il est vital de se créer un environnement culturel où la modernité est intégrée dans le souffle venu des ancêtres.»
Un outil principal à la valorisation de la culture kanak : le centre culturel Tjibaou
La création du centre culturel permet à l’ADCK de réaliser sa mission de valorisation des formes contemporaines d’art kanak, surtout en ce qui concerne les domaines artisanal, audiovisuel et artistique. Le centre a également comme but de conduire des programmes de recherches sur la culture kanak.37 Le CCT a pour mission de conserver la mémoire de la culture kanak tout en mettant en avant l’art kanak moderne d’aujourd’hui. Comme pour la création de l’ADCK, le CCT est prévu par les accords de Matignon- Oudinot de 1988. Le CCT n’est pas un monument. Il symbolise la reconnaissance des hommes du pays kanak.
Le centre est conçu pour être le lieu de la célébration de cette culture. Pour les Kanak, c’est une sorte d’aboutissement d’une longue lutte de revendication identitaire depuis la colonisation. Les Kanak doivent pouvoir se ressourcer dans ce lieu de renouvellement. Mais le centre est aussi un lieu privilégié d’accueil aux autres cultures, afin d’échanger et de partager les savoirs et les savoir-faire. Il doit être le lieu de promotion d’échanges culturels.
Il est édifié entre 1995 et 1998 par l’architecte Renzo Piano dans le cadre des Grands Travaux de la République. Le centre s’étend sur huit hectares cédés par la ville de Nouméa. Il est érigé sur un promontoire naturel de la presqu’île de Tina qui est bordé par le lagon. .38 Le centre regroupe en un même endroit un centre d’art, un musée, des espaces de spectacles et une bibliothèque spécialisée. Cela lui permet de proposer une multitude d’offres culturelles. Les dix cases qui présentent dans le CCT sont une métaphore visuelle de l’habitat kanak.
La grande case est construite sur un promontoire naturel. C’est le siège de la structure sociale kanak. Elle porte sur son toit, la flèche faîtière, qui représente le pouvoir politique kanak.39 L’allée centrale est un lieu essentiel dans la vie communautaire kanak. Dans la société traditionnelle, les cases s’organisent autour d’elle. L’architecte a donc voulu en faire le centre du CCT. Elle est dominée par la grande case et c’est le lieu des échanges cérémoniels et des coutumes.
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Table des matières
INTRODUCTION
L’HISTOIRE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE : REVENDICATION ET CULTURE DE 1968 À NOS JOURS
I. Naissance et montée d’une revendication indépendantiste : 1968 – 1984
1 Début d’une organisation politique et sociale kanak
1.1. Du boom du nickel aux événements de mai 1968
1.2. L’union calédonienne : premier pas conséquent de la politique kanak dans un territoire sous tutelle métropolitaine
2 Evolution de la pratique politique kanak
2.1. Le front indépendantiste
2.2. Le FLNKS
3 Premières recherches sur l’identification d’une culture kanak
3.1. Développement du thème de l’identité kanak
3.2. Le festival Mélanésia 2000 de 1975 : partager et s’affirmer
II La période des événements : 1984 – 1988
1 De statut en statut
1.1. Le statut Fabius-Pisani
1.2. Indépendance et intérêts
2 Les événements d’Ouvéa en 1988
2.1. Des décisions politiques à l’assaut de la grotte
2.2. Les conséquences
III Le pacte trentenaire : 1988
1 Des accords qui changent le statut de la Nouvelle-Calédonie
1.1. Les accords de Matignon-Oudinot de 1988 : un premier pas vers l’indépendance
1.2. Les accords de Nouméa de 1998
2 La mise en place de l’Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK)
2.1. Organisation et missions
2.2. Un outil principal à la valorisation de la culture kanak : le centre culturel Tjibaou
BIBLIOGRAPHIE
ÉTAT DES SOURCES
CONSERVATION ET VALORISATION DES ARCHIVES KANAK DE 1981 À NOS JOURS
I- Les lieux de conservation et de valorisation des archives kanak
1 La médiathèque du centre culturel Tjibaou
1.1. Un lieu de conservation et de valorisation géré par l’ADCK
1.2. Médiatisation de la culture kanak via l’ADCK
2 Centre d’archives territorial de Nouvelle-Calédonie
2.1. Présentation et fonctionnement interne
2.2. Séries et fonds conservés
2.3. Activités de valorisation
3 Le centre d’archives et de documentation de la ville de Nouméa
3.1. Fonctionnement interne et modernisation
3.2. Activités de valorisation
II- D’une recherche archivistique du passé à l’apprentissage et l’utilisation moderne de la culture kanak
1 La généalogie en Nouvelle-Calédonie
1.1. Les Calédoniens, des généalogistes comme en Métropole
1.2. Les difficultés géographiques et civilisationnelles
2 Une réappropriation moderne de la culture kanak
2.1. L’Académie des Langues Kanak
2.2. Rôle essentiel du tourisme dans la valorisation de la culture kanak
III- Les enquêtes orales : un moyen de conserver l’oralité
1 Intérêts et difficultés d’une collecte orale
1.1. La source orale : outil primordial pour la transmission culturelle
1.2. Enquêtes orales et éthique
2 Le rôle de l’ADCK-CCT
2.1. Emmanuel Tjibaou : un meneur de projet
2.2. La collaboration avec les aires coutumières
2.3. La mise en ligne sur le site de la médiathèque du CCT : un atout pour la conservation et la valorisation des archives issues des enquêtes orales
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES ABRÉVIATIONS
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