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Un cas particulier des polyphosphates (PO3)nn- : les pyrophosphates (P2O74-)
Les pyrophosphates sont des entités phosphates issues de la condensation entre deux groupements orthophosphates, ces derniers étant liés entre eux par un atome d’oxygène. Les pyrophosphates font partie de la famille des polyphosphates (Figure I – 2) naturellement synthétisés dans le corps humain comme nous le montre la Figure I – 3. Le pyrophosphate extracellulaire (PPi dans la Figure I – 3) est produit par réaction de composés polyphosphates, tels que l’adénosine triphosphate (ATP), par l’action d’enzymes et notamment de la nucléoside triphosphate pyrophosphohydrolase (NTP-PPase) et des enzymes de la famille des ectonucléotide pyrophophatase-phosphodiesterase 1 (ENPP1) (Mackenzie, 2012). Ces enzymes présentes dans le corps humain au niveau du cartilage articulaire, dégradent l’ATP et les autres nucléosides triphosphates régulant ainsi la concentration de pyrophosphate extracellulaire (Figure I – 3). Le rapport entre la concentration d’orthophosphate (Pi dans la Figure I – 3) et de pyrophosphate (PPi) extracellulaires est de plus maintenu par l’action de l’enzyme phosphatase alcaline (TNAP) catalysant l’hydrolyse des ions pyrophosphate en ions orthophosphate (Figure I – 3).
Invert Glasses à base de polyphosphates élaborés par fusion
En 1998, Kasuga et al. (Kasuga, 2001) ont élaboré un nouveau verre bioactif à usage médical à base de phosphate de calcium utilisant des pyrophosphates : xCaO-(90-x)P2O5-10TiO2 en % molaire. L’ajout de TiO2 dans un verre phosphates permet d’améliorer les capacités de ce dernier à former un matériau vitreux (diminution de leur aptitude à cristalliser) avec une durabilité chimique (Kishioka, 1974). Les invert glasses sont des verres élaborés par fusion composés de petites unités phosphates (PO43- et P2O74-) formant ainsi un réseau anioniques Q0 et Q1 connectés (Kasuga, 2001; Murthy, 1961).
Ces derniers sont préparés en utilisant un mélange de Na2CO3, TiO2, MgO et H3PO4 en différentes proportions afin d’avoir les compositions suivantes : 60CaO.30P2O5.7Na2O.3TiO2 ou 60CaO.30P2O5.7Na2O.3MgO en pourcentage molaire (Kasuga, 1999). Ces mélanges sont séchés à 200°C, puis fondus dans un creuset en platine à 1350°C durant ½ heure. Le liquide fondu obtenu est ensuite coulé (trempe) sur une plaque en acier inoxydable puis rapidement pressé sous des plaques de fer. Les matériaux subissent ensuite différents traitements thermiques et de frittage. Lors de tests de ces verres au contact d’une solution de type SBF (simulated body fluid) (Kasuga, 1999), il y a apparition d’une phase de phosphate de calcium de type apatite cristallisée nouvellement formée à la surface du matériau 60CaO.30P2O5.7Na2O.3TiO2 caractérisant ainsi la bioactivité de ces matériaux. Dans le cas des invert glasses on peut étendre la notion d’éléments pontants ou non de l’oxygène au calcium.
Parallèlement aux verres la synthèse de phosphates de calcium amorphes (orthophosphates ou pyrophosphates de calcium amorphes) synthétisés par précipitation en solution à température ambiante a été décrite la plupart du temps dans l’eau et sans autre traitement à haute température (Combes, 2010; Gras, 2014; Gras, 2016; Slater, 2011). D’autres procédés de synthèse à partir de précurseurs de sels de calcium et de phosphates solubles conduisent à des « coacervats » liquides denses (Pickup, 2014). Nous allons aborder dans la partie suivante la présentation de ces différents matériaux amorphes qui pourraient s’apparenter aux verres phosphocalciques (grande variété de longueurs de chaîne des ions phosphates) bien que les premiers ne contiennent pas d’eau ni de phosphates protonés, du fait de leur voie de synthèse mise en œuvre en solution aqueuse.
Les phosphates de calcium élaborés par chimie douce
Plusieurs types de précurseurs de phosphates peuvent être utilisés pour élaborer des phosphates de calcium amorphes à basse température : polyphosphates à longue chaîne (polyP) (Gomez, 2000; Pilliar, 2001), polyphosphates cycliques (Momeni, 2014), diphosphates (également appelés pyrophosphates : P2O74-) (Gras, 2013; Slater, 2011; Soulié, 2016b) ou orthophosphates (PO43-) (Combes, 2010). Sans traitement à haute température, les associations polyP sont préservées dans les matériaux finaux, qui restent amorphes. En revanche, la cristallisation peut se produire surtout lorsque des orthophosphates et des pyrophosphates (anions plus petits) sont présents, en fonction des paramètres de synthèse utilisés (pH, concentration…) (Gras, 2013; Rey, 2007).
Les matériaux amorphes à base d’orthophosphates
De nombreux phosphates de calcium (CaP) cristallisés et amorphes sont impliqués dans les biomatériaux de substitution osseuse ; parmi eux, ceux qui peuvent être élaborés en milieu aqueux par chimie douce sont résumés dans le Tableau I – 1.
Parmi ces composés, l’ATCP (ou ACP) est un matériau amorphe. Le plus commun est le phosphate tricalcique amorphe (ATCP), avec un Ca/P atomique de 1,5 (formule chimique décrite dans le Tableau I – 1). L’ACP est utilisé dans des formulations de ciment osseux et est également formé en tant que phase secondaire dans des revêtements d’HA obtenus par projection plasma à la surface d’implants métalliques par exemple ou encore dans le cas de matériaux composites car cette phase est considérée comme une phase précurseur de l’apatite du minéral osseux. Sa structure a été déterminée pour la première fois par Betts et Posner grâce à la fonction de distribution radiale (Betts, 1974b, 1974a). Un ordre à courte distance, correspondant à un groupement de composition Ca9(PO4)6 avec un diamètre moyen de 0,95 nm est souvent appelé « Cluster de Posner ». Ces clusters correspondent à un arrangement local d’ions calcium et phosphate existant également dans la structure des apatites. Une des méthodes de synthèse les plus simples pour obtenir l’ACP est la précipitation par double décomposition entre des solutions aqueuses de sels de calcium et de phosphates solubles à la température ambiante et à un pH d’environ 10 (Heughebaert, 1977; Somrani, 2005).
Les ACP offrent une grande variété de compositions que l’on peut synthétiser soit dans des conditions biomimétiques, soit au moyen de techniques à haute température/haute énergie. L’ACP est facilement transformé en apatite faiblement cristallisée analogue aux cristaux de minéral osseux et présente ainsi une bioactivité remarquable (Combes, 2013).
Le cas des polyphosphates de calcium amorphes élaborés par une méthode particulière de la chimie douce, la coacervation, va être présenté dans la partie suivante.
Coacervats à base de polyphosphates élaborés par chimie douce
La coacervation fut définie en 1929 par Bungenberg De Jong et Kruyt (Bungenberg de Jong, 1929) comme étant la séparation d’une solution de polyélectrolyte en deux phases. L’une riche en colloïdes, constitue le coacervat, l’autre pauvre en colloïdes est le surnageant ou liquide d’équilibre (Montagne, 1991). Le procédé de coacervation (méthode par chimie douce utilisant un sel) implique la séparation liquide-liquide d’une solution homogène de macromolécules chargées, ce qui donne une phase de « coacervat » dense et riche. En ce qui concerne les solides à base de phosphates, ce procédé consiste à ajouter une solution de cations polyvalents à une solution concentrée de polyphosphate de sodium. Très souvent le sel se trouve être un sel de polyphosphate hydrosoluble composé de longues chaînes de métaphosphates. Les interactions électrostatiques entre les longues chaînes de polyphosphates et les cations polyvalents conduisent à la formation d’un coacervat dense. Le coacervat peut ainsi être extrait et séché pour former un matériau vitreux solide. La température basse du processus de coacervation, où des échantillons solides peuvent être produits sans chauffer au-dessus de la température ambiante, facilite de nombreuses applications dans la préparation de verres phosphates. Ceux-ci comprennent la préparation de revêtements, de verres luminescents et d’hybrides organiques-inorganiques pour des applications optiques (Pickup, 2014). Certains résultats montrent que la méthode de coacervation peut être facilement utilisée pour produire des verres phosphates de composition (Na2O)0,15(CaO)0,35(P2O5)0,50.3H2O avec des structures à base de chaînes phosphates (majorité d’espèces Q2). Structuralement, ces matériaux sont très similaires à des verres à base de métaphosphates préparés par fusion.
La coacervation a un protocole de synthèse particulier ; nous pouvons citer un exemple décrit par Pickup et al. (Pickup, 2014) : l’addition du sel de calcium dans la solution de polyphosphate de sodium se fait de façon contrôlée et sous agitation. Durant le temps de repos, il y a formation de deux couches : la couche aqueuse et la couche dite de « coacervat ». Seule la couche de coacervat est récupérée et lavée à l’eau. Le lendemain, le surnageant aqueux est enlevé afin de mettre la couche de coacervat à sécher à température ambiante dans un dessiccateur durant plusieurs jours afin d’obtenir une poudre. D’un point de vue structural, cette voie de synthèse conduit à un verre similaire aux verres métaphosphates trempés obtenus par fusion. Toutefois, contrairement à ces derniers, le verre élaboré par la méthode de coacervation inclut logiquement plus d’eau qu’un verre élaboré par fusion. Ces verres élaborés par coacervation pourraient servir de matrices pour la délivrance d’ions antibactériens (argent) et son efficacité vis-à-vis de certaines bactéries (P. aeruginosa) a été démontrée (Pickup, 2014).
La caractérisation structurale d’échantillons traités thermiquement (de 40 à 1000°C) a révélé que ces matériaux possèdent des environnements phosphates de type Q1 et Q2 avec une concentration significative d’hydroxyle qui agissent comme des groupes de terminaison pour les chaînes polyphosphates (Pickup, 2007). Lors de la comparaison avec son homologue élaboré par fusion, peu de différences ont été notées à l’exception de la présence d’une proportion significative de groupes hydroxyle dans le matériau élaboré par chimie douce. Cela tend à montrer que les matériaux CaO-Na2O-P2O5 vitreux peuvent être également préparés à basse température et offrir ainsi la possibilité de préparer des matériaux composites inorganique / polymère et des scaffolds 3D pour des applications en ingénierie tissulaire de l’os.
Nous allons aborder maintenant le cas particulier d’un polyphosphate, le pyrophosphate de calcium amorphe, qui a été assez peu développé dans le domaine des matériaux de substitution osseuse.
Le pyrophosphate de calcium dans les biomatériaux de substitution osseuse et les biominéralisations
Les ions pyrophosphate en solution sont connus pour être à la fois des inhibiteurs de la cristallisation d’HA et un composé cible pour certaines enzymes spécifiques telles que la phosphatase alcaline capable de cliver la liaison P-O-P des ions pyrophosphate via une réaction d’hydrolyse (Eidelman, 1990; Thouverey, 2009). Les ions pyrophosphate ont la propriété de s’hydrolyser pour former des ions orthophosphate (Equation I – 1), et inversement, les ions pyrophosphate sont généralement obtenus par condensation des ions hydrogénophosphate avec élimination de l’eau (Equation I – 1 de droite à gauche). P2O74– + H2O 2 HPO42– (Equation I-1)
L’hydrolyse des ions pyrophosphate (Equation I – 1) entraîne ainsi simultanément la levée de l’inhibition de la cristallisation de l’apatite et une augmentation locale de la concentration en ions orthophosphate pouvant ainsi contribuer à la formation de l’apatite de l’os.
Ciment à base de pyrophosphate pour la régénération osseuse
Malgré les récentes études afin de déterminer le rôle de l’ion pyrophosphate, son effet sur la régénération osseuse est encore mal compris. Grover at al. (Grover 2013) ont développé des ciments à base de phosphates de calcium comprenant du pyrophosphate de calcium amorphe en tant qu’additif. Afin de déterminer ses propriétés in vivo, la comparaison entre ces ciments mixtes pyro-/orthophosphates a été faite avec des ciments uniquement à base d’orthophosphates.
Une précédente étude a servi à mettre en place l’optimisation de la composition de ces ciments afin de maximiser la teneur en pyrophosphate de calcium amorphe (Grover, 2005). Toutes les pâtes de ciments ont été formées à partir d’un mélange de β-TCP, d’acide pyrophosphorique, d’acide orthophosphorique et d’eau. Grover et al. (Grover, 2013) ont démontré qu’un ciment brushitique contenant du pyrophosphate de calcium amorphe peut améliorer significativement la régénération osseuse in vivo (Figure I – 5).
Les auteurs montrent que la phase de pyrophosphate de calcium amorphe en tant qu’additif agit pour maintenir la stabilité à long terme du ciment car le pyrophosphate inhibe la conversion de la brushite en hydroxyapatite une fois le ciment implanté. Le pyrophosphate de calcium contenu dans le biomatériau a été préférentiellement dissout. Les essais in vitro démontrent que cela est causé par le développement du clivage des ions pyrophosphate par les enzymes dû en particulier à l’activité de l’enzyme pyrophosphatase. La disparition localisée des ions pyrophosphate est associée au phénomène de sursaturation par rapport à la phase apatitique et, comme décrit précédemment, va contribuer à la minéralisation du tissu osseux. Grover et al. (Grover, 2013) sont les premiers à démontrer qu’il est possible de remplacer l’os par un ciment contenant une phase qui peut servir de substrat à une certaine activité enzymatique associée au processus de minéralisation de l’os lui permettant ainsi d’améliorer son développement. La Figure I – 6, nous montre un schéma explicatif proposé par Grover et al. pour décrire la dégradation de ce matériau afin de former un nouveau tissu osseux. Après implantation, le ciment contenant du pyrophosphate de calcium amorphe se lie avec le tissu osseux environnant (partie haute du schéma, Figure I – 6). A partir de là, les ostéoblastes vont entrer en jeu au niveau de la surface de l’os trabéculaire. La membrane de ces cellules enrichies en enzymes ALP va permettre à l’enzyme de cliver les ions pyrophosphate dissous à partir du ciment. Le clivage provoque la diminution de la sursaturation par rapport au pyrophosphate de calcium et favorise la dissolution du ciment restant. Toutefois, ce processus entraine aussi une sursaturation vis-à-vis de l’HA permettant ainsi la formation d’apatite biologique et donc la minéralisation du tissu osseux à la place du ciment résorbé. Après 12 mois d’implantation (partie basse du schéma), il se produit une dégradation importante du ciment et une nouvelle formation osseuse.
Les travaux de Grover et al. montrent que contrairement aux attentes, la présence de la phase pyrophosphate de calcium dans la matrice de ciment n’inhibe pas la minéralisation de l’os cicatrisant autour de l’implant, mais semble en fait la stimuler. Les données in vitro suggèrent que l’action enzymatique accélère la dissolution des ions pyrophosphate inorganiques, entraînant une diminution simultanée de leur inhibition de la minéralisation et une augmentation localisée de la sursaturation par rapport à l’ HA. Il s’agit là d’un nouveau concept dans le développement de substituts osseux, en concevant un biomatériau de type céramique/ciment pour induire une réaction biologique spécifique, plutôt que d’implanter un matériau qui imite un composant d’une structure biologique.
Pyrophosphate de calcium amorphe : l’aCPP
Par ailleurs, lors d’une étude sur les pyrophosphates de calcium hydratés synthétiques analogues aux composés rencontrés dans les dépôts de cristaux arthrosiques, il a été montré que la phase de pyrophosphate de calcium hydraté amorphe, aCPP (CPP : Ca2P2O7, nH2O), était un précurseur in vitro de phases de pyrophosphate de calcium dihydratées cristallisées observées in vivo. Pierre Gras a décrit la synthèse de cette phase amorphe (Gras, 2014) : l’ajout des réactifs sous forme de sels dissous en solution aqueuse (Ca(NO3)2,4H2O et K4P2O7) préparés séparément se fait à débit contrôlé à un pH de 5,8. Dans le cadre de la thèse de Pierre Gras au CIRIMAT, l’aCPP a été caractérisé par diverses techniques telles que la DRX (Figure I – 7a), la spectroscopie Raman (Figure I – 7b), la RMN du solide et l’ATG/ATD.
La description de ce composé nous sera utile pour la suite afin de décrire les matériaux synthétiques que nous étudierons dans les chapitres suivants de cette thèse. En effet, nous remarquons pour la DRX (Figure I – 7a) que nous avons la présence d’un halo large et diffus entre 23° et 36° centré sur 29° caractéristique d’un matériau amorphe. La spectroscopie Raman (Figure I – 7b) montre les bandes de vibration caractéristiques des ions pyrophosphate : νsPO3 (1040 cm-1), νsPOP (745 cm-1) et δPOP (348 cm-1). Pour ce qui est de la spectroscopie RMN 31P, nous avons un signal large vers les déplacements chimiques négatifs centré vers -7,8 ppm (non présenté ici, décrit plus loin dans le Chapitre III partie 2.6).
L’analyse thermique (ATG/ATD) montre une perte de masse continue lorsque la température augmente de 30 à 500°C. La perte de masse totale associée équivaut à 3,87 molécules d’eau, indiquant ainsi que cette phase aCPP est quasiment tétrahydratée et se rapproche de la composition de la phase monoclinique de pyrophosphate de calcium tétrahydratée beta (mCPPT β : Ca2P2O7 4H2O) (Campillo-Gimenez, 2018; Gras, 2014). Par ailleurs, les études in vitro et in vivo ont montré que ces deux phases tetrahydratées amorphe et cristallisée, aCPP et mCPPT β respectivement, ne sont pas inflammatoires contrairement aux phases de pyrophosphate de calcium dihydraté cristallisées.
Pierre Gras a montré dans sa thèse que l’aCPP présente une stabilité en solution à 37°C et pH 7,4, exceptionnelle pour une phase amorphe, puisque des analyses par spectroscopie Raman et diffraction des rayons X après deux ans d’évolution de cette phase ne montre aucun signe de cristallisation (Gras 2014). La présence d’orthophosphate, issu de l’hydrolyse partielle des ions pyrophosphate, a cependant été observée par microscopie Raman. Outre la très grande stabilité des phases amorphes de pyrophosphate de calcium, la présence d’ions orthophosphate semblerait jouer un rôle dans l’inhibition de la cristallisation des pyrophosphates de calcium et la présence d’ions pyrophosphate la cristallisation d’orthophosphate de calcium (Cheng, 1983). De plus, les tests biologiques in vitro et in vivo montrent que la phase aCPP n’est pas une phase inflammatoire comme la phase tétrahydratée mCPPT β, contrairement aux phases dihydratées qui elles sont très inflammatoires. Ainsi la coprésence de ces deux types d’ions phosphates (orthophosphate et pyrophosphate) est une piste à explorer pour élaborer des matériaux amorphes mixtes ortho- et pyrophosphates de calcium.
Spéciation des ions phosphates en solution aqueuse
La précipitation en solution de phosphates de calcium met en jeu la saturation du milieu en fonction de divers paramètres tels que le pH imposé ou encore la force ionique des ions. Dans le cadre de cette thèse, nous nous sommes intéressés à la mise en solution et à la protonation des ions orthophosphates (acide orthophosphorique, Figure I – 8) et des ions pyrophosphates (Figure I – 9).
Les Figure I – 8 et Figure I – 9 donnent respectivement la fraction molaire de phosphates protonés à partir de l’acide orthophosphorique en fonction du pH et le pourcentage des formes protonées de l’ion pyrophosphate déterminé à partir des ions pyrophosphates en solution en fonction du pH. La courbe a été obtenue dans le cadre de la thèse de Kemie Ley-Ngardigal (Ley-Ngardigal, 2016) grâce au logiciel PHREEQC. Ce diagramme (Figure I – 9) nous montre que l’ion P2O74- existe principalement aux pHs les plus basiques. Dans cette même gamme de pH les plus basiques, les ions orthophosphates sont principalement sous la forme PO43- et HPO42-.
Dans ce contexte, il a récemment été mis au point la synthèse de différentes compositions de matériaux amorphes de pyrophosphate de calcium et de potassium (matériaux notés KPYG) préparées dans des conditions douces (en solution aqueuse avec une étape de séchage à 70°C) et à pH modérément basique (Soulié, 2016b).
De nouveaux matériaux amorphes pyro-/orthophosphates de calcium élaborés par chimie douce
La partie I.4 de ce chapitre a permis de mettre en exergue l’intérêt biologique des pyrophosphates de calcium en tant qu’additif dans des ciments phosphocalciques, mais aussi l’intérêt des phosphates de calcium purs élaborés par chimie douce, le rôle d’inhibiteur de cristallisation des ions orthophosphate et pyrophosphate sur les phosphates de calcium amorphes, l’absence de propriétés inflammatoires du pyrophosphate de calcium hydraté amorphe ainsi que la grande stabilité en solution de l’aCPP. Par conséquent, il apparait intéressant de développer des matériaux amorphes à base d’ortho- et de pyrophosphates de calcium en contrôlant le rapport ortho-/pyrophosphate au sein d’un matériau synthétisé par chimie douce et sans aucun additif notamment en vue de contrôler et d’ajuster la vitesse de dégradation de ces biomatériaux avec celle de la formation du minéral osseux. De nouvelles compositions de matériaux amorphes à base d’ortho- et de pyrophosphates de calcium élaborées par chimie douce ont été récemment mises au point au CIRIMAT (Soulié, 2016b). Cette publication marque la 1ère description de matériaux amorphes bioactifs hydratés à base de deux entités phosphates (ortho- et pyro-) élaborés par chimie douce et de formule chimique : {[(Ca2+)1-x(H+/K+)2x]2[(P2O74-)1-y(PO43-)4y/3]}n(H2O) Le choix a été fait d’étudier sept compositions dénommées par une nomenclature sous la forme de PYG-0X avec X variant de 0 à 6 par unité de 1 ; la valeur de X n’est pas directement corrélée à la valeur physique de la concentration en solution mais correspond à une nomenclature. Lorsque X augmente, la concentration initiale d’ion calcium en solution augmente.
Méthode de synthèse et caractérisation structurale
La synthèse de ces nouveaux matériaux amorphes met en œuvre des précurseurs sous forme de sels de calcium et pyrophosphate qui sont dissous dans des solutions aqueuses séparées (sel de phosphate dissout dans 200 mL et celui de calcium dans 20 mL) puis la solution de calcium est ajoutée à celle de phosphate grâce à une pompe péristaltique avec un débit constant d’environ (7,5 mL.min-1) (Tableau I – 2). La solution colloïdale obtenue est ensuite soumise à des cycles de centrifugation (pendant 5 min à 7500 rpm) / lavage (3 centrifugations et 2 lavages) et le gel lavé est ensuite coulé dans un moule dans lequel il va subir un traitement thermique de séchage à 70°C durant quelques jours.
Caractère amorphe et origine des ions orthophosphate présents dans les matériaux PYG-0X
Il a été démontré qu’une augmentation du rapport Ca2+/P2O74- dans la solution initiale a entraîné une augmentation de la proportion de la phase pyrophosphate de calcium cristalline dans le matériau final. En faisant varier le rapport Ca/Pyrophosphate initial (de 0,2 à 0,9), il est possible d’obtenir un matériau amorphe constitué d’une phase mixte d’ortho- et de pyrophosphate de calcium (ainsi que de potassium et d’eau) ou une vitrocéramique (cristaux de Ca10K4(P2O7)6.9H2O associés à la phase amorphe d’après les analyses DRX). Certains de ces matériaux étaient amorphes. Il a été suggéré que ce comportement était induit par de petites quantités d’ions orthophosphate formées par hydrolyse partielle des ions pyrophosphate au cours du processus de synthèse, ce qui inhibait la cristallisation du pyrophosphate de calcium. Les matériaux PYG-0X étant hydratés, les ions pyrophosphate peuvent réagir avec les molécules d’eau de structure afin de former des ions orthophosphate comme décrit avec l’Equation I-1. La présence d’ions orthophosphate dans les PYG-0X pourrait également jouer un rôle clé dans l’état amorphe du matériau. Les ions pyrophosphate sont des inhibiteurs bien connus de la cristallisation in vitro et in vivo des phases d’orthophosphate de calcium (Eidelman, 1990; Thouverey, 2009), car ils empêchent la croissance de domaines organisés en raison d’une interaction de surface (Combes, 2010; Herbert, 1962), mais ils pourraient également affecter l’organisation des phases en raison de la taille ou de l’effet de charge ionique. Par effet miroir, cette explication pourrait être appliquée à une éventuelle inhibition de la cristallisation du pyrophosphate de calcium par des ions orthophosphate (cf. Figure I – 7 : grande stabilité en solution et dans le temps de l’aCPP en présence d’une faible quantité d’ions orthophosphate).
Ce matériau est un biomatériau très intéressant, malgré de nombreuses questions en suspens. En effet, le contrôle de la structure (phases amorphe et cristalline) en fonction des proportions d’ortho- et de pyrophosphate dans la matrice semblent laisser présager à la possibilité de contrôler les propriétés de dégradation du matériau. Nous avons vu précédemment (partie I.4.3.1.) que les ions orthophosphate étaient les constituants de la couche apatitique bioactive à l’interface matériau –tissu osseux nécessaire à la régénération du tissu osseux et que la présence d’ions pyrophosphate pouvait favoriser cette régénération grâce à sa dégradation par des enzymes naturellement présentes au sein des membranes des cellules osseuses.
Protocole de synthèse des matériaux à base d’ions ortho- et/ou pyrophosphates de calcium
Le protocole de synthèse des matériaux NaPYG-0X0 se décompose en quatre principales étapes (Figure II-5) : i) la préparation des solutions de précurseurs à partir de deux sels commerciaux et un synthétisé au laboratoire dont les caractéristiques sont détaillées dans le Tableau II – 1 : Une solution de calcium est préparée à partir d’un sel commercial de chlorure de calcium dihydraté et une solution de phosphates préparée à partir d’un sel commercial d’orthophosphate et d’un sel de pyrophosphate de sodium synthétisé au laboratoire, ii) L‘ajout contrôlé de la solution de calcium dans la solution de précurseurs phosphates sous agitation ; leur mélange évolue rapidement vers une suspension colloïdale, iii) Une étape de formation d’un gel puis son lavage à l’eau déionisée et enfin iv), le séchage du matériau et l’obtention du matériau final sous forme de monolithe ou de poudre.
Synthèse des matériaux NaPYG-0X0
Les deux solutions aqueuses de précurseurs sont préparées séparément (synthèse par double décomposition) : les solution de calcium (solution A) et de phosphates (solution B) sont élaborées respectivement par pesée exacte d’une masse de CaCl2·2H2O à laquelle on ajoute 40 mL d’eau déminéralisée et une masse de précurseurs phosphatés : pyrophosphate (Na4P2O7) et orthophosphate (Na3PO4·12H2O)) à laquelle on ajoute 400 mL d’eau déminéralisée. A noter que pour cette étude, nous avons fait varier la concentration de pyrophosphate et donc d’orthophosphate en solution de façon à faire varier le rapport molaire Pyro/(Ortho+Pyro) tandis que la concentration de calcium dans la solution reste fixée à 0,18 M pour l’ensemble de l’étude. Les masses exactes pesées sont reportées dans le Tableau II – 3. Ce tableau montre également que le rapport Ca/P augmente lorsque la concentration en ions pyrophosphate en solution diminue. Notons également que ces synthèses sont effectuées en large excès d’ions ortho- et pyrophosphate, ce qui permet de limiter les variations de pH.
Les différentes techniques de caractérisation des matériaux synthétisés
Afin de déterminer la structure des matériaux ainsi élaborés, nous avons utilisé plusieurs techniques de caractérisation : la diffraction des rayons-X (DRX), la microscopie électronique à balayage (MEB), les analyses spectroscopiques vibrationnelles infrarouge (FTIR) et Raman, les analyses thermiques (ATG/ATD), les analyses RMN du solide des noyaux 31P, 40Ca, 23Na et 1H et les analyses chimiques par le dosage des éléments P, Ca, Na, Cl. Ces différentes techniques de caractérisation sont décrites dans l’Annexe A.
Etude de l’effet du rapport molaire Pyro/(Ortho+Pyro) initiale en solution sur le matériau final
Pour cette étude, comme indiquée dans le Tableau II – 3, nous comparons sept compositions de matériaux synthétisés avec un rapport molaire Pyro/(Ortho+Pyro) initialement en solution allant de 100%i à 0%i, les autres paramètres du protocole décrit précédemment (Tableau II-2 et Figure II-4) ne variant pas. Pour les compositions NaPYG-010 à 060, le matériau final est sous forme de particules rigides plus ou moins transparentes ; elles deviennent blanchâtres lorsque la quantité initiale d’ions pyrophosphate diminue. Comme nous le montre la Figure II – 6, ces particules font plusieurs millimètres et présentent une cohésion relativement élevée et nous avons observé qu’elles étaient de plus en plus difficiles à broyer au fur et à mesure que la quantité d’ions pyrophosphate dans la solution de synthèse augmentait. Pour la plupart des caractérisations physico-chimiques entreprises, ces particules ont été broyé dans un mortier en agate. Le matériau NaPYG-000 quant à lui, se trouve après séchage sous forme de poudre relativement fine, qu’il était inutile de broyer avant analyse.
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Table des matières
Chapitre I : Revue bibliographique
I.1 La régénération osseuse : contexte général
I.1.1 L’architecture de l’os : l’os cortical et l’os spongieux
I.1.2 La composition de la matrice osseuse : phases organique et minérale
I.1.3 Les cellules responsables du remodelage osseux
I.2 Les biomatériaux pour la régénération osseuse
I.2.1 Propriétés recherchées pour un biomatériau de substitution osseuse
I.2.1.1. La biocompatibilité
I.2.1.2. La biorésorbabilité
I.2.1.3. La bioactivité
I.2.1.4. L’ostéoconduction
I.2.1.5. L’ostéoinduction
I.2.2 Les différents types de biomatériaux de substitution osseuse
I.2.2.1. Substituts osseux d’origine biologique
I.2.2.2. Substituts osseux synthétiques
I.2.2.2.i. Les ciments osseux
I.2.2.2.ii. Les céramiques
I.3 Les biomatériaux à base de phosphates de calcium
I.3.1 Les différentes entités phosphates
I.3.1.1. Les orthophosphates
I.3.1.2. Un cas particulier des polyphosphates (PO3)n n- : les pyrophosphates (P2O7 4-)
I.3.2 Verres phosphates bioactifs
I.3.3 Invert Glasses à base de polyphosphates élaborés par fusion
I.4 Les phosphates de calcium élaborés par chimie douce
I.4.1 Les matériaux amorphes à base d’orthophosphates
I.4.2 Coacervats à base de polyphosphates élaborés par chimie douce
I.4.3 Le pyrophosphate de calcium dans les biomatériaux de substitution osseuse et les biominéralisations
I.4.3.1. Ciment à base de pyrophosphate pour la régénération osseuse
I.4.3.2. Pyrophosphate de calcium amorphe : l’aCPP
I.4.4 Spéciation des ions phosphates en solution aqueuse
I.5 De nouveaux matériaux amorphes pyro-/orthophosphates de calcium élaborés par chimie douce
I.5.1 Méthode de synthèse et caractérisation structurale
I.5.1.1. Diffraction des rayons X (DRX)
I.5.1.2. Spectroscopies vibrationnelles : FTIR et RAMAN
I.5.1.3. Analyses thermiques
I.5.1.4. Microscopie Electronique à Balayage (MEB)
I.5.1.5. Spectroscopie de résonance magnétique nucléaire (RMN)
I.5.2 Caractère amorphe et origine des ions orthophosphate présents dans les matériaux PYG-0X
I.6 Objectifs de la thèse
Chapitre II : Etude de l’influence du rapport molaire Pyro/(Ortho+Pyro) initialement présent en solution sur la composition et la structure des matériaux mixtes ortho- et pyrophosphates de calcium
II.1 Elaboration de nouveaux matériaux amorphes à base de phosphates de calcium
II.1.1 Etat de l’art
II.1.2 Protocole de synthèse des matériaux à base d’ions ortho- et/ou pyrophosphates de calcium
II.1.2.1. Les précurseurs phosphatés
II.1.2.2. Synthèse des matériaux NaPYG-0X0
II.1.3 Les différentes techniques de caractérisation des matériaux synthétisés
II.2 Etude de l’effet du rapport molaire Pyro/(Ortho+Pyro) initiale en solution sur le matériau final
II.2.1 Diffraction des rayons X
II.2.2 Caractérisation pas spectroscopie Raman et RMN du solide
II.2.2.1. Spectroscopie vibrationnelle : Raman
II.2.2.2. Caractérisation par RMN multinucléaire à l’état solide
II.2.2.3. Comparaison des caractérisations semi-quantitatives par ces deux techniques
II.2.3 Analyse thermique : ATG/ATD
II.2.4 Analyse chimique
II.2.5 Observations par microscopie électronique à balayage
II.3 Résumé et discussion
II.3.1 Corrélation des résultats
II.3.1.1. Composition des matériaux NaPYG-0X0
II.3.1.2. Formule chimique des matériaux
II.3.2 Hypothèses
II.3.2.1. Les ions orthophosphates dans les matériaux NaPYG-0X0
II.3.2.1.i. Hydrolyse des ions pyrophosphate
II.3.2.1.ii. Précipitation préférentielle
II.3.2.2. Hypothèses sur la structure des amorphes
II.3.2.3. Effet du lavage et de l’inhibition de la cristallisation
II.4 Conclusion
Sommaire
Chapitre III : Etude de l’influence de la température de séchage sur la composition et la structure des matériaux mixtes ortho- et pyrophosphates de calcium
III.1 Introduction
III.1.1 Etat de l’art
III.1.2 Protocole de synthèse des trois compositions de matériaux séchés à différentes températures
III.2 Caractérisation moléculaire, structurale et morphologique des matériaux NaPYG-0X0 séchés à différentes températures
III.2.1 Caractérisation par diffraction des rayons X
III.2.2 Caractérisation par spectroscopie Raman
III.2.3 Caractérisation par RMN en phase solide
III.2.4 Analyse quantitative par RMN en phase solide
III.2.5 Observation par microscopie électronique à balayage
III.2.6 Observation par microscopie électronique en transmission
III.2.7 Analyse thermique : ATG-ATD
III.3 Discussion et corrélation des résultats
III.4 Conclusion
Etude de la phase cristallisée de pyrophosphate de calcium et de sodium tétrahydraté : la canaphite
IV.1 Les variétés polymorphes de pyrophosphate de calcium et sodium tétrahydraté : la canaphite
IV.1.1 Etat de l’art
IV.1.2 Protocole de synthèse de la canaphite α
IV.2 Caractérisation moléculaire, structurale et morphologique de la canaphite α
IV.2.1 Caractérisation par diffraction des rayons X
IV.2.2 Observations par microscopie électronique à balayage
IV.2.3 Caractérisation par spectroscopie Raman
IV.2.4 Caractérisation par RMN en phase solide
IV.2.5 Analyses thermiques : ATG-ATD
IV.2.6 Analyses chimiques
IV.3 Elaboration de la canaphite deutérée pour des analyses structurales plus approfondies
IV.3.7 Synthèse et caractérisation de routine
IV.3.8 Diffraction des RX et des neutrons
IV.4 Etude de l’effet de la température de séchage sur la phase cristallisée de pyrophosphate de calcium et sodium tétrahydraté
IV.4.1 Diffraction des rayons X
IV.4.2 Observations par microscopie électronique à balayage
IV.4.3 Spectroscopie Raman
IV.4.4 Spectroscopie RMN en phase solide
Sommaire
IV.4.5 Analyses thermiques : ATG-ATD
IV.5 Conclusion
Conclusion générale et Perspectives
Références bibliographiques
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