De l’utopie technologique à l’humanisme numérique

De l’utopie technologique à l’humanisme numérique

La promesse d’un monde meilleur

Dès les années quarante, avec l’émergence des théories de la communication, les auteurs ne cessent de s’interroger sur le concept de communication. L’étude du fonctionnement du cerveau, l’analyse du rapport entre l’homme et l’outil et la prise en compte de la nécessité pour l’être humain de dialoguer et d’échanger avec l’autre deviennent insuffisantes pour appréhender de façon exhaustive ce phénomène. Pour Philippe Breton (1997) le mot communication est fourre-tout sans définition possible car, s’inscrivant dans de multiples champs disciplinaires il se comprend différemment. Ainsi, la communication prend des formes multiples : interpersonnelle, médiatique, politique, institutionnelle, médiatisée. Dans ce travail de recherche, nous faisons référence à la communication médiatisée. Bernard Miège (2004) définit avec pertinence cette communication comme un « Processus d’élaboration, d’émission, de transmission et de réception d’un message qui englobe d’autres phénomènes sociaux » en précisant « Qu’il s’agit à la fois des outils qui permettent d’échanger des messages écrits (extension des outils déjà existants) et la production de contenus interactifs et multimédias accessibles via des réseaux à haut débits ». Dominique Wolton (1997/2008, 2010) souligne les diverses dimensions de la communication. Nous retiendrons sa proposition et formulons avec lui que les techniques de communication mixent les valeurs normatives de la communication (s’exprimer, échanger, partager, parler, etc.) et la dimension fonctionnelle de la communication (interactivité, mémorisation, etc.).

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les technologies de communication – que nous comprenons aussi comme un discours sur les techniques – suscitent l’enthousiasme d’un large public. Pour le philosophe Bernard Stiegler (1994) un tel engouement pour les techniques est évident car les outils prolongent naturellement le corps humain : L’Homme vient au monde nu en situation de faiblesse (« prématuration »), les outils qu’il fabrique sont une extension de son corps pour compenser cette insuffisance. Bernard Stiegler s’appuie sur la pensée de l’anthropologue André Leroi-Gourhan (1965) pour qui les techniques sont un prolongement de l’être humain, un processus normal dans l’évolution de l’espèce. L’être humain fabriqua des outils pour compléter le squelette (bâtons, marteaux, lames, pointes, aiguilles, etc.), puis il construisit des machines énergétiques pour renforcer la masse musculaire (brouette, poulie, machine à vapeur, etc.). Plus tard, il inventa les appareils qui activent nos sens (photo, cinéma, télévision, etc.) et plus récemment, il créa des techniques informationnelles et communicationnelles pour l’aider dans ses activités intellectuelles (calculatrice, ordinateur, etc.). Une précision s’avère nécessaire, Daniel Bougnoux (2001) attire notre attention sur le peu d’attrait que suscite l’outil. L’Homme s’intéresse aux possibilités offertes par une technique, mais délaisse le fonctionnement de la « boîte noire ». Ainsi, la technique du peintre, les fonctionnalités d’un appareil photo, les spécificités de l’armement sont reléguées aux travaux obscurs des chercheurs. L’idée d’un outil prolongeant le corps servira surtout la cause des utopistes technologiques.

Progressivement, une technophilie prend forme. Des travaux de recherche examinent l’hypothèse que les techniques améliorent le fonctionnement de la société. Des chercheurs enthousiastes vilipendent ceux qui ne s’inscrivent pas dans cette perspective et soulignent leur peur du changement. Ces auteurs dithyrambiques proclament rapidement le village universel et annoncent l’avènement d’une société de l’information Aujourd’hui, nous retrouvons ce discours chez certains thuriféraires tels que les futurologues et les gourous qui vouent un culte à Internet et attirent notre attention sur les transformations inévitables et immédiates des activités humaines. L’idéologie technologique se dessine clairement à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le mathématicien Von Neumann horrifié par les crimes nazis, regretta sa participation à l’élaboration de la bombe atomique et attribua à l’ordinateur – dont il fut aussi l’un des inventeurs – la capacité d’aider les humains à prendre des décisions rationnelles susceptibles de contribuer au progrès de la société. Norbert Wiener (1948) prolongea ce point de vue en précisant que les machines intellectuelles remplaceront certaines activités humaines entraînant la suppression du désordre qui caractérise le genre humain (cité par Breton, 1997). Le théologien et paléontologue Pierre Teilhard de Chardin (1955) introduisit la notion de noosphère qu’il décrivit comme l’union des esprits individuels reliés entre eux pour constituer une conscience universelle et solidaire capable d’agir en s’affranchissant des distances et au-delà du temps. Un peu plus tard, Marshall MacLuhan (1962) annonça un « Global Village » et prédit que les médias permettront à l’homme de se construire une autre famille, une autre culture dans un même village ce qui entraînera une prise de conscience des intérêts communs. Les communautés hippies issues de la contre-culture et le mouvement New Age des années quatre vingt s’inspirèrent de ces travaux. Armand Mattelart (2006) fait état d’une société devenue « techno-communautaire participative » dans laquelle les gourous s’expriment avec ferveur pour annoncer une société globale de créativité intellectuelle et la constitution de communautés de citoyens désireux d’atteindre des objectifs communs. C’est le cas de Pierre Levy (2000) aux accents de prêcheur avec sa « citadelle de lumière » qui annonce l’émergence inéluctable d’une intelligence collective qui représente l’union, la convergence et la collaboration des consciences des individus. Autrement dit, pour le philosophe, ce sont les idées émises, exploitées, combinées, complétées et transformées par les êtres humains qui constituent la richesse. Cette notion d’intelligence collective s’appuie sur une compétition coopérative puisque les technologies de communication contribuent aux activités coopératives des humains, sans frontières, à une échelle mondiale. L’union des connaissances-richesses et toute coopération renvoient nécessairement à une compétition (créer de nouvelles formes de connaissances-richesses).

Philippe Breton (2000) déplore l’émergence d’un militantisme technologique pour lequel la transparence – définie par l’accès à la connaissance sans entrave – occupe une place prépondérante. Cette injonction à la transparence s’oppose à l’opacité, donc au secret, mais aussi – ce qui devient plus discutable – au privé et à l’intime. Pour le chercheur, nous voici devant une vision simplifiée du monde qui se divise entre le blanc (transparence et ouverture) et le noir (obscurité et fermeture). Ainsi, un « droit à la transparence » devient évident et justifie de tout montrer, de ne rien cacher. Par exemple, ne pas mentionner des auteurs, pratiquer le piratage et renoncer à l’intervention d’un intermédiaire puisque seul le public décide et juge. D’autres particularités du discours des militants résident dans le primat de la vitesse qui se justifie par le besoin de se rapprocher plus vite de l’autre et dans l’ardente invitation à participer. Par conséquent, il ne suffit pas de regarder ou d’écouter, au contraire, nous devons agir et répondre (agir ou périr). En final, Philippe Breton nous éclaire sur le discours mystique de certains auteurs. Pour eux, l’espace virtuel offrirait aux individus l’opportunité de quitter leur corps, de communier les esprits en accédant à la lumière et surtout d’éviter la rencontre physique avec l’autre source d’agressivité et de violence. Les travaux de ces auteurs soulignent la dimension libératrice des techniques. Leurs thèses s’élaborent au moment où l’humanité prend conscience des limites et des dangers de l’industrialisation, des atrocités de la guerre et exprime un désir d’émancipation (contreculture). Cette vision s’avère réductrice, car l’urgence d’une libération n’autorisait pas encore le dialogue et la critique autour des techniques.

Un autre aspect du discours utopique réside dans l’affirmation d’un déterminisme technologique. L’économiste Christopher Freeman défend le principe de « causalité successive ». Celui-ci repose sur l’idée qu’une évolution technique entraîne une évolution du système de production (Wolton, 1997/2008).

Changement technique = changement du système de production = changement de la société = changements culturels = changements politiques

Pour Harold Innis cité par Patrice Flichy (2003) la civilisation se développe avec les technologies de communication : Le papyrus fut à l’origine des conquêtes de l’Empire Romain, le parchemin contribua à la puissance du pouvoir religieux et le papier permit le développement du commerce en Europe. Le médiologue Régis Debray (1991) évite de justesse un positionnement déterministe et identifie un lien de solidarité entre les technologies et les phénomènes de société en attribuant aux médias un rôle d’amplificateur et non pas de générateur : le télégraphe électrique serait lié au fait divers et le télégraphe sans fil au grand reportage, l’imprimerie aurait facilité la diffusion des thèses de Martin Luther. De surcroît, nous remarquerions une solidarité entre le télégraphe électrique et le chemin de fer, le téléphone et l’automobile, la radio et l’avion, la télévision et la fusée spatiale. L’historien et sociologue Jacques Ellul (1977, 1988) évite subtilement la théorie de la causalité et décèle des effets négatifs dans la sphère sociale, culturelle, économique et politique. Le mérite du chercheur est d’introduire la notion de « société technicienne ». Il souligne que la technique constitue un facteur déterminant qui ne crée pas une situation mais sert de catalyseur. Par conséquent, dans son interprétation l’homme évolue dans un environnement technique, il se fascine pour la technique qui s’impose à lui, il s’interdit de la refuser compte tenu du risque d’exclusion et renonce à porter un regard critique parce que refuser le progrès devient suspect. Cependant, il peut choisir et s’orienter dans ce cadre technicien imposé (connaissance des produits par la publicité, des programmes politiques par la télévision, de l’information par les mass media, du divertissement par le cinéma et la télévision, etc.). Au-delà des subtilités et des nuances du discours déterministe, nous remarquons que ces auteurs accordent d’office à la technique un rôle de déclencheur, de catalyseur ou de facilitateur des phénomènes sociaux. Les comportements et les pratiques des usagers restent en retrait dans leurs études. Selon nous, cette approche reste insuffisante, car elle ne prend pas en compte suffisamment de facteurs pour appréhender le rôle d’une technique dans le fonctionnement de la société.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction générale
Des explications sur notre sujet de recherche
Le forum de consommateurs : un espace encore méconnu et sous-exploité
Problématique et stratégie de recherche
Plan de recherche
1. De l’utopie technologique à l’humanisme numérique
1.1 La promesse d’un monde meilleur
1.2 Des craintes pour l’humanité
1.3 La marge de manœuvre des individus
1.4 Le territoire numérique
1.5 La nébuleuse Internet
2. Cadre théorique : L’interactionnisme, un courant multidisciplinaire
2.1 Choix théoriques
2.2 L’interactionnisme
2.3 A l’origine, le pragmatisme
2.4 L’interactionnisme social d’Erving Goffman
2.5 L’interactionnisme symbolique
2.6 Les limites de l’approche interactionniste
2.7 Emprunts théoriques et modèles
2.7.1 Intérêt des approches d’Erving Goffman, de Catherine Kerbrat-Orecchioni et de Michel Marcoccia
2.7.2 La présentation de soi
2.7.2.1 La scène et les coulisses
2.7.2.2 La façade
2.7.2.3 Le groupe
2.7.2.4 Les équipes
2.7.3 L’interaction verbale
2.7.3.1 Une communication multicanale : le verbal, le non verbal et le para verbal
2.7.3.2 Description d’une conversation
2.7.3.3 Organisation structurale d’une conversation
2.7.3.4 L’alternance du tour de parole
2.7.4 La relation interpersonnelle
2.7.4.1 Proximité-éloignement et égalité-hiérarchie
2.7.4.2 Les territoires du moi
2.7.4.3 Les formules de politesse
2.7.5 Les rituels et les règles de politesse
2.7.5.1 Les échanges complimenteurs
2.7.5.2 Les rituels de politesse
2.7.5.3 Les échanges confirmatifs
2.7.5.4 Les offenses
2.7.5.5 Les échanges réparateurs
2.7.6 La situation
2.7.6.1 Le cadre spatio-temporel et les participants
2.7.6.2 Les indices de contextualisation
2.7.6.3 Le cadre de participation (participants)
2.7.7 Les cadres de l’expérience
2.7.7.1 Les cadres primaires : cadres naturels et cadres sociaux
2.7.7.2 Les cadres secondaires : modalisation et fabrications
2.7.7.3 L’activité hors cadre
2.7.7.4 L’ancrage de l’activité
2.7.7.5 Les défaillances de cadrage
2.7.8 Les transactions communicationnelles
2.7.8.1 Les transactions coopératives dans une approche socio-économique
2.7.8.2 Les transactions coopératives dans l’innovation produit-marché
2.7.8.3 Le Document pour l’Action (DopA) et la documentarisation
3. L’espace participatif numérique : un dispositif sociotechnique participatif documentaire et conversationnel
3.1 Le web participatif : explications et définitions
3.2 Un dispositif sociotechnique d’initiative humaine
3.2.1 L’individu relié
3.2.2 Une vie sociale 2.0
3.2.2.1 Un acteur sur une scène
3.2.2.2 Un participant désengagé
3.3 La conversation comme une offre d’échange
3.3.1 Toutes les conversations sont organisées
3.3.2 Les spécificités des conversations numériques
3.4 Un dispositif sociotechnique documentaire participatif et conversationnel
3.4.1 Les espaces documentaires numériques participatifs
3.4.2 Typologie de l’espace numérique documentaire participatif et conversationnel
3.5 Le forum de discussion
3.5.1 Communauté ou rassemblement ?
3.5.2 Caractéristiques d’un forum de discussion : définitions et des finitions
3.5.3 Fonctionnement d’un forum de discussion
3.5.4 Observation et analyse des forums publics de discussion entre consommateurs
3.5.5 Synthèse et interprétation des résultats
3.5.6 Cartographie d’un forum de consommateurs
3.6 Le forum est une conversation écrite
3.6.1 Une co-présence
3.6.2 Un espace public fermé
3.6.3 Les interactants
3.6.4 L’écrit est une parole
Conclusion

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *