Dans son ouvrage distinguant Histoire et Mémoire, Jacques Le Goff rappelle que le monument est un héritage du passé alors que les documents sont un choix de l’historien . L’historien médiéviste relie directement l’existence du document à la posture de l’historien. Le document occupe une place conséquente dans les classes où est enseignée l’Histoire. Pour autant, l’usage du document à l’école ne coïncide pas nécessairement avec les pratiques des historiens. De lors, comment articuler la posture de l’historien et les façons dont les élèves abordent le document en classe d’histoire ?
La place du document en classe connait un véritable essor dans le champs institutionnel et le didactique à partir des années 90. Ces deux domaines placent le document au fondement de la construction du cours d’Histoire ; de sorte que l’emploi de document devient une « pratique ordinaire » enseignante encore bien implantée aujourd’hui. Les élèves ont eux-mêmes développé leur propre posture face aux documents. Dans son article consacré à l’usage du document iconographique en cours d’Histoire, le didacticien Didier Cariou évoque une étude réalisée dans différents pays européens sur les façons dont les élèves considèrent les documents en classe d’histoire . Cette enquête constate que nombreux élèves voient le document « de façon littérale et réaliste » . La principale cause de cette attitude est attribuée aux professeurs. Ces derniers mobilisent de façon récurrente les documents pour amener les élèves à collecter des informations en leur sein. Le document reflète alors le réel. Les dates, les auteurs, les acteurs et les personnages prélevés forment le cœur des connaissances en jeux dans le cours. Cette étude signale aussi l’importance de la volonté des élèves à reconnaitre la dimension de vérité que porte le document. Face à deux documents donnant une version différente d’un même événement, leur objectif principal est de déterminer lequel est « vrai ».
Si les documents sont tous porteurs de réalisme, l’effet de réel est d’autant plus frappant pour les documents iconographiques. Il se renforce d’autant avec les pratiques contemporaines des images, omni présentes dans le quotidien des élèves, dans les classes et hors classes. Un des principaux indicateurs de la place importante est la quantité des images présentes dans manuels scolaires . Trois rôles sont souvent assignés à ces images utilisées en classe. L’image possède une fonction mnémotechnique, notamment dans l’enseignement des Sciences. Deux autres tâches sont attribuées aux images par la didacticienne du français Maryvonne Masselot-Girard, qu’Anne Vezier précise dans un article questionnant les usages efficaces des images en classes . L’image apparait d’abord comme texte iconique. Elle sert à illustrer les propos du professeur leur assurant une certaine sécurité. Elle peut aussi permettre de faire émerger des représentations pas nécessairement réexploiter dans la suite du cours. Dans son article Anne Vézier donne un exemple d’utilisation de l’image pour construire une démarche historique à travers la reconstitution d’une seigneurie. Il s’agit pour elle non plus d’utiliser l’image comme un texte iconique mais de favoriser la transformation d’un système explicatif à travers ce qu’elle appelle un « déplacement d’image » . L’image devient une ressource langagière. L’image est enfin exploitée comme un document. L’enjeu n’est alors de ne plus faire de l’image un simple reflet du passé mais de transformer l’image en document historique. Il s’agit de modifier la posture du professeur et des élèves faces aux images. Comme toutes les forme images ne peuvent être abordées dans le cadre de cet écrit réflexif, le questionnement portera sur les cartes anciennes, lesquelles au premier abord paraissent propice à une transformation de l’image en document historique en classe.
Dans un bref article publié sur le site ressource Ménestrel, Emmanuelle Vagnon rappelle le double usage de la carte en Histoire médiévale . Elle distingue la carte servant de document à l’historien, notamment pour comprendre la conception médiévale de l’espace, de la carte utilisées pour illustrer des données collectées par les historiens sur un espace. Ce double usage des cartes se rencontre aussi dans l’enseignement de l’Histoire médiévale et moderne en classe. Les manuels scolaires issus des programmes de 2016 suivent sans commune mesure cet emploi en privilégiant les cartes contemporaines pour spatialiser les connaissances de l’historien. La carte est placée en document uniquement pour enseigner la domination des campagnes et l’ouverture sur le monde à la Renaissance . Dans ces manuels, les cartes anciennes servent à rendre compte des connaissances des Hommes sur le monde . Certains manuels font même exploiter aux élèves les cartes anciennes de la même manière que sont utilisées des cartes contemporaines . Enfin, les cartes anciennes peuvent être placées en document d’amorce ou d’illustration . Ces différents traitements des cartes anciennes se rencontrent dans les pratiques ordinaires des enseignants.
Les effets d’étrangeté de la carte
L’objectif de la séance était de montrer faire conceptualiser les modalités des échanges culturels entre les chrétiens et les musulmans à partir de d’un manuscrit du IXe siècle. Placé au cœur de l’expérience, ce document est un exemple de la lecture d’auteurs issus de la tradition chrétienne par des savants arabophones. Ces derniers utilisent les connaissances géographiques contenues dans l’œuvre de l’évêque du VIIe siècle Isidore de Séville pour compléter leur propre façon de dire et figurer le monde. Dans ce contexte manuscrit copiant les Etymologies d’Isidore, la conception de l’espace s’opère par l’usage conjoint du texte et de l’’image. La description isidorienne des différentes parties du monde est mise en miroir avec une mappa mundi, un schéma montrant l’œcoumène . Une nomenclature en arabe a ajoutée entre le Xe et XIIe, peut-être à Tolède, dans les au sein de la figure tripartite. La nomenclature arabe donne la dénomination de la province, la mention des fils de Noé et les régions ou peuples qui en dérivent. Les nations des fils de Noé sont difficilement localisables dans la tradition musulmane. La géographie arabe ne possède pas de représentations cartographiques équivalentes à celles présentes dans les manuscrits d’Isidore de Séville. Contrairement aux pratiques géographiques issues de la tradition latine, les conceptions arabes ne prennent pas, non plus, en compte l’association répétée des fils de Noé et de la division du monde habité. Les schémas du monde des Etymologies leurs donnent les moyens, d’exposer leur propre conception. Pour Charles Ducène, il s’agit d’une « adaptation du schéma à une visualisation arabo islamique de la table des nations » . En mentionnant les fils de Noé, elle est exemplaire du lien fort entre la description du monde et l’histoire du sacré.
Dans le cadre de cette séance, il s’agissait d’amener les élèves à saisir différentes modalités de conception de l’espace médiévale, à comprendre que cette conception qui se dans un contexte manuscrit ne peut se comprendre que par l’association entre le texte et l’image. La conception de l’espace au sein de ce manuscrit ne peut s’entendre que par la rencontre d’un savoir issu de la tradition géographique chrétienne et de la géographie arabe. Parallèlement, l’objectif de l’expérience pédagogique était d’évaluer si l’écart entre la carte ancienne et les cartes du quotidien contemporain a permis aux élèves de prendre une distance avec le passé et de transformer leur représentation sur l’espace médiévale.
Le travail d’enquête sur le manuscrit a été découpé en quatre étapes. Chaque équipe était d’abord amenée à lister tous les éléments de la double page pouvant les surprendre. Cette première étape permet de réunir les éléments étranges repérés par les élèves. Puis, partant de ces différentes observations, ils devaient s’interroger sur la façon dont pouvait être utilisé le manuscrit entre le IXe et le Xe siècle. Pour construire leur réponse, il pouvait choisir parmi une liste cinq documents complémentaires. Dans un troisième temps, la réflexion sur les usages de la carte permettait de questionner les échanges culturels en Espagne . La dernière étape consistant à produire un protocole écrit sur la démarche opérée n’a pas pu être mise en œuvre. Un temps d’échange à l’oral à la fin de la séance a permis à certains élèves de verbaliser leur démarche .
Construite à partir du contrat d’enquête, la première phase avait pour objectif de réunir les façons dont les élèves concevaient le caractère étrange de la carte. Le postulat du professeur était que les équipes remarquent que le verso du folio était écrit en arabe alors que le recto en latin. C’est bien l’aspect formel du manuscrit qui a formé une des principales sources d’étrangeté. Cependant, les élèves n’ont pas été frappée de prime abord par la graphie. Seules deux équipes ont mis en valeur les différences d’écriture . Une équipe pointe la forme des feuillets . L’équipe six s’est, elle, focalisée sur la forme de la mappa mundi. L’étrangeté est présentée avec des termes issus du lexique de la description. Une des formule utilisé est « il y a » . Les élèves ont aussi fréquemment utilisé le verbe d’Etat « être ». Il faut noter que pour l’équipe 4 la notion d’étrange est devenu « bizzard ». L’équipe explicite le sens ce mot par la formule « car nous nous demandons sa signifiquation ». Ce qui est étrange est donc ce qu’on ne comprend pas. La notion de différences n’est pas présente a priori dans leur définition. Lors cette première phase, la mise en œuvre du pas de côté est difficile à cerner.
Pour la deuxième étape une partie des équipes n’a pas gardé de trace des documents qu’ils sont utilisés. Cependant, il apparait qu’au moins trois équipe ont su exploiter le document 3 puisqu’elles ont restituées les différentes parties de l’œcoumène dans leurs productions finales .
La posture d’Historien face à la carte
La première expérience a permis de montrer les cartes anciennes produisent un effet d’étrangeté sur les élèves. Cependant cette étrangeté n’est pas explicitement rattachée au passé. La deuxième expérience pédagogique a choisi d’utiliser la démarche hypothético déductive pour saisir les transformations des représentations et voir le prise de conscience de l’étrangeté du passé malgré l’effet de réel des images. Prenant place dans la continuité du chapitre consacré aux au sein de la Méditerranée, l’objectif était de montrer la coexistence de deux conceptions différentes de l’espace. Malgré leur décalage de contexte temporel et spatiale, deux mappae mundi ont été soumises à l’analyse. La première conservée dans la bibliothèque d’Albi a été réalisée dans la Septimanie du VIIIe siècle. Daté du XIIe siècle La seconde a été commandée par le roi de Sicile au géographe Al Idrisi. La séance a été divisée en trois étapes. Pendant une dizaine de minute, chaque équipe a écrit une série d’hypothèses et préparé des questions fermées pour vérifier et valider leurs hypothèse . Un temps d’échange avec toute la classe a permis de transformer ces hypothèses. La comparaison des deux cartes à l’aide d’un tableau mais n’a pas été inclus dans l’expérience qui s’est consacré sur la mappa mundi d’Albi. La feuille d’activité sert de support pour recueillir les transformations des représentations et les confronter au verbatim ci-contre.
Les hypothèses des élèves ont été classées en six registres explicatifs : un registre politique et militaire, un registre religieux, un registre géographique, un registre légendaire, un registre grammaticale et un registre matériel . La plupart des hypothèses prennent en compte caractère livresque de l’objet d’étude.
Les hypothèses relevant du registre politique et militaire ont associé la mappa mundi à une figure issue de l’élite voir royale , au cadre législatif. Certains élèves ont postulé qu’il s’agissait d’un livre de stratégie militaire. Certaines hypothèses se sont concentrées sur l’aspect matériel de la carte. La carte est devenue une tâche d’encre ou une des marques du temps sur le manuscrit . D’autres hypothèses s’intéressant à la page montrant le nom des vents se sont placées dans le registre grammaticale. La carte est apparue comme un dictionnaire . Une partie des élèves a construit des hypothèses relevant du surnaturel ou de la légende. L’utilisation du terme de rituel par la même élève qui émet une hypothèse sur le caractère légendaire de la carte, appartient à ce même registre. Même si le professeur ne lui a pas demandé de préciser ce qu’elle entendait par cette expression, il est possible de supposer que l’élève peut se référer au rituel satanique ou sorcier rencontrée dans certains livres ou films. Les deux types d’être surnaturel rattacher à ce registre sont le zombie et le fantôme. Lors de l’échange, le professeur tombe aussi dans le dualisme vrai/faux en utilisant le verbe existé par existé. Ce basculement se produit au moment de l’évocation des villes bibliques de Gog et Magog qui ont été placées sur la carte. La carte prend un volet historique puisqu’en plaçant ses villes, elle spatialise l’histoire sacrée. Pour les hommes du Moyen Âge, ces villesappartiennent à l’histoire de l’humanité et ont une existence.
|
Table des matières
Introduction
Protocole de recherche
Expérience 1 : Les effets d’étrangeté de la carte
Expérience 2 : La posture d’Historien face à la carte
Expérience 3 : Une carte de la Renaissance pour mener l’enquête
Conclusion
Des carte efficaces ?
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4