De l’orthographe, ou la question de la communication par écrit

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L’enseignement de l’orthographe et l’apparition de la dictée

Tout comme il en était advenu du latin classique chez les Romains ou du latin médiéval dans la lignée de sa codification sous Charlemagne, en étant théorisée et mise en livre, la langue française aurait pu se fossiliser et devenir à terme une langue morte.
Cependant, grâce à la multiplication des lieux d’enseignement comme les écoles de paroisse ou de village, ou les pensionnats et le préceptorat, ce ne fut pas le cas. Il y a en effet des écoles en France depuis la fin du Moyen Âge et notamment depuis la Réforme Protestante et la Contre-Réforme. Et pas seulement dans les villes. Les riches sont enseignés pas des précepteurs privés tandis que ceux qui ont moins de moyens se rendent dans les écoles. L’instruction des enfants est d’ailleurs une des préoccupations importantes dans les villes et les villages à la fin du Moyen Âge et durant l’Époque Moderne. C’est qu’en pays protestant, plus qu’en pays catholique, l’apprentissage de la lecture est nécessaire pour que tous puissent faire leur Salut au travers de la lecture des Saintes Écritures, et la mise en œuvre de leurs principes. Bien plus, la lecture et l’écriture sont symboles de prestige social. Aussi, les habitants ne cessent de réclamer des écoles aux autorités pour que leurs enfants apprennent à lire et à compter, parfois à écrire mais cette préoccupation reste secondaire. Il semble que, jusqu’aux grandes réformes du XIXème siècle, en France, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture étaient séparés et successifs. Ils représentaient des frais d’écolage distincts pour les parents, l’écriture coûtant jusqu’à deux fois plus cher de la lecture4. Aussi, en France, l’apprentissage de l’orthographe du français ne semble pas prioritaire, du moins hors des cercles de gens aisés, de savants et d’universitaires, pas plus que celui de l’écriture.
Cependant, si l’on considère des pays frontaliers et francophones, on constate qu’il en va autrement. Notamment dans les cantons suisses, dont Pierre Caspard propose une étude intéressante5. Dans cette enquête, il se demande quelles sont les pratiques de l’enseignement du français dans des pays francophones qui ont des systèmes socio-politiques différents et en particulier dans le pays de Neuchâtel. Il prend en compte d’autres sources que les documents strictement officiels, et notamment les règlements des écoles communales ainsi que les publicités pour les pensionnats, qui prolifèrent au XVIIIème siècle. Le fait que la Suisse soit un pays majoritairement protestant, et que le commerce y soit intensément pratiqué n’est pas pour rien dans le fait que l’étude de la lecture et de l’écriture sont des apprentissages prioritaires. Dans les programmes d’enseignement, la première mention de l’orthographe et de l’exercice de la dictée se retrouve pour les premières classes du collège de Neuchâtel en 1673. On est seulement vingt ans après la publication du premier dictionnaire de l’Académie Française. Les termes employés laissent
à supposer qu’il ne s’agit pas là d’une nouveauté d’enseigner l’orthographe et d’associer cet enseignement à l’exercice de la dictée. Deux voies d’apprentissages sont plébiscitées dès alors : la copie attentive de textes écrits, où la norme orthographique est donnée par le texte à recopier (quelle qu’elle soit) ; et l’écriture de textes sous la dictée, où la norme est donnée par le modèle dont dispose celui qui dicte, (quelle que soit la qualité de ce modèle, même s’il est de son invention). En 1722 par exemple, Jean-Pierre de Crousaz, « professeur de philosophie et de mathématiques à Lauzanne », préconise un mode d’apprentissage qui se compose de deux étapes successives : l’apprentissage de l’écriture par la copie, puis la dictée. Cela permet, selon lui, d’apprendre l’orthographe d’usage ainsi que l’orthographe grammaticale6. Il recommande d’ailleurs que les enfants fassent des exercices de dictées à l’école, mais aussi à la maison. De fait, la dictée est un exercice largement pratiqué en famille au moins depuis le XVIIIème siècle. Même dans un contexte d’orthographie mal fixée, il y a une cohérence dans ces exercices une orthographe à laquelle les élèves doivent se conformer, dans les circonstances précises de son apprentissage7. Il est important de souligner que ces exercices correspondent majoritairement aux types de passage à l’écrit en usage au Moyen Âge et à l’Époque Moderne. Au Moyen Âge, on recopie le plus scrupuleusement possible les textes sacrés et leurs commentaires, ainsi que des œuvres de philosophie ou de sciences. Ou bien l’on dicte à des scribes les textes administratifs, judiciaires voire même artistiques. De même à l’époque Moderne, le métier de scribe ou celui de greffier sont très répandus et nécessaires dans la vie courante. Leur métier consiste en majeure partie à prendre sous la dictée la parole d’autres. Il est également nécessaire de savoir recopier car nombres d’actes sont dupliqués lors de transactions commerciales ou foncières par exemple. Les deux exercices, qui permettent alors majoritairement l’apprentissage de l’orthographe, correspondent de ce fait majoritairement aux deux types de passage à l’écrit que les élèves auront à effectuer dans leur vie. Il y a donc une cohérence entre la manière dont on enseigne et dont on apprend l’orthographe, et l’usage que les élèves en auront par la suite. C’est ce qui justifie la pratique d’un tel enseignement alors que, on l’a dit, l’orthographe de la langue française n’est pas encore stabilisée. Pour beaucoup, l’apprentissage de l’orthographe ne recouvrent pas tant l’assimilation de formes graphiques et de règles syntaxiques que la capacité de visualiser les mots et les phrases, et de les retranscrire avec précision8. On le voit, l’objectif de l’étude de l’orthographe est différent de ce qu’il a pu être par la suite. L’enjeu, purement utilitaire, en est de pouvoir écrire d’une façon compréhensible à un lecteur quelconque. C’est à dire que les mots et les phrases aient du sens, sans prêter à la confusion et au doute, « à l’ambiguïté et aux équivoques »9. Aussi la dictée (plus encore que la copie) joue très tôt un rôle dans l’évaluation et le classement des élèves, non seulement parce qu’elle correspond à une compétence dont les élèves auront besoin dans leur vie future, mais aussi parce qu’elle permet d’apprécier facilement les progrès des élèves par un simple décompte des erreurs.
Cependant, dans le courant du XVIIIème siècle, la grammaire française apparaît comme matière à enseigner dans les statuts des écoles communales du pays de Neuchâtel. L’apprentissage de l’orthographe n’est pas abandonné mais il s’inscrit désormais dans un plus vaste ensemble, celui de l’apprentissage de la langue française au travers de la grammaire. Cette arrivée de l’enseignement de la grammaire a des implications dans la manière dont l’orthographe est enseignée et dont la dictée est pratiquée. Dès lors, la grammaire est apprise dans le menu, principes par principes. En découle une évolution du contenu des textes de dictée. Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, les textes dictés sont plutôt des textes de morale. Puis se multiplient, en même temps que croît l’enseignement de la grammaire, des textes d’application grammaticale dont le contenu suit une progression. Les recueils de dictées apparaissent qui proposent des textes de difficultés croissantes, en lien avec les apprentissages grammaticaux. Quant aux textes littéraires, on ne les constate pas avant la seconde partie du XIXème siècle dans les exercices de dictées, en pays de Neuchâtel comme en France.
L’étude de l’enseignement de l’orthographe dans le pays de Neuchâtel à l’Époque Moderne est intéressante car elle montre que la dictée était un exercice déjà répandu, voire commun, pour l’apprentissage et l’évaluation de l’orthographe française, bien avant l’institution de l’École de la République, dont elle est pourtant aujourd’hui le symbole. Il est d’ailleurs probable que l’orthographe ait été enseignée en France dès l’époque Moderne selon les deux modalités que l’on a vues si ce n’est dans les écoles communales et paroissiales, du moins dans le système de préceptorat. Mais en Suisse, pays de commerce et de passage, la nécessité de communiquer par écrit de manière efficace s’est faite sentir plus tôt qu’en France.

La dictée ou le symbole de l’École de la République

En France, la dictée n’est l’exercice favori de l’apprentissage de l’orthographe qu’à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, bien qu’elle prenne beaucoup d’importance dès la publication de la loi Guizot de 1833. Car après la Révolution Française on rêve d’unifier la Nation. Les régimes et gouvernements qui se succèdent tout au long du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle mettent toute leur énergie pour y parvenir. L’enseignement du français retient particulièrement l’attention des réformateurs. Il recouvre alors la question de la formation de l’esprit de l’enfant : c’est une nouvelle mission pour l’instituteur qui se voit confier la tâche de donner à l’enfant une éducation intellectuelle. Il s’agit pour lui d’arracher l’enfant à l’emprise de l’Église. Par ailleurs, il est nécessaire d’apprendre aux Français à réfléchir par eux-mêmes et à faire des choix en raison de l’institution du suffrage universel.
Cette entreprise de réforme est vaste. De fait avant la réforme, les pratiques d’enseignement ainsi que les matières enseignées sont très diverses sur l’ensemble du territoire. Longtemps, notamment dans les campagnes, les instituteurs n’ont pu pratiquer qu’un enseignement individuel. La dictée – et de ce fait l’orthographe – n’occupe pas une place prépondérante dans les enseignements d’alors. C’est que le niveau semble longtemps trop bas pour que sa mise en œuvre soit possible. L’exercice nécessite un minimum de connaissances, du moins implicites, et l’hétérogénéité des classes empêche que le maître puisse donner de pareils exercices10. Et quand cela est possible, la dictée n’est pas mise en œuvre car elle est jugée chronophage11. On apprend beaucoup plus vite à copier scrupuleusement qu’à prendre sans erreurs un texte sous la dictée. De plus, l’exercice prend effectivement du temps en classe puisque l’enseignant lit le texte une première fois, l’explique en pointant les difficultés qui y sont inhérentes, le dicte une à deux fois, le lit de nouveau puis laisse du temps aux élèves pour se reprendre. Il est aussi prenant hors du temps de classe pour le maître qui corrige les copies des élèves. Et pour ces derniers, qui doivent recopier les textes repris par le maître sans faire de nouvelles erreurs. On préfère alors à la dictée un exercice venu d’Angleterre, la cacographie. Cette dernière consiste à demander aux élèves de retrouver les erreurs dans un texte préparé à l’avance et de les corriger directement, ou bien de recopier les textes en en supprimant les erreurs. Il se pratique de manière individuelle ou collective, le texte étant recopié au tableau12. Dès lors, après le constat de la disparité de l’enseignement et de sa qualité, tous les gouvernements considèrent que pour unifier la Nation, il faut unifier la langue, et pour cela, la manière de l’enseigner. C’est à ce moment là que la dictée prend réellement de l’importance dans l’escarcelle des maîtres, au rang des exercices consacrés à l’apprentissage de l’orthographe. Les fondateurs et les réformateurs de l’école sont pour la plupart des notables, qui ont pour partie fait leurs études en Suisse (Guizot), ou en France dans des écoles primaires secondaires (Ferdinand Buisson), voire dans des collèges jésuites (Jules Ferry). Ils sont donc profondément nourris de la culture classique qu’ils ont reçue dans leur jeunesse. Lorsqu’ils pensent les programmes d’enseignement des écoles primaires, ils le font à partir de ce qu’ils ont connu dans leur enfance. Or on ne considère alors pas que le peuple ait besoin d’apprendre le latin. C’est que l’objectif des programmes de l’école élémentaire est d’armer les enfants du peuple pour leur vie entière, en leur apprenant tout ce qu’il ne leur est pas permis d’ignorer. Pour mener à bien ce programme ambitieux, les inspecteurs et les instituteurs mettent en place un certain nombre de dispositifs pédagogiques qui ont pour avantage d’être matériellement contrôlables pour la hiérarchie : une progression, un emploi du temps imposé, de même que différents cahiers des élèves, qui doivent être « bien tenus »13. Le thème latin, dans les programmes de l’enseignement primaire, est remplacé par la dictée. D’où le décompte des fautes dans cet exercice, qui se fait de la même manière qu’en thème latin. La dictée apparaît dans les Statut des Écoles élémentaires communales14 du 25 avril 1834. Si la dictée plaît aux réformateurs, c’est qu’il s’agit d’un exercice simple, qui demande peu de moyens. Tout texte peut être dicté et, en fait de matériel, il n’est besoin que d’un outil scripteur et d’un support15. Rapidement les instituteurs se mettent en quête de textes qui soient adaptés à l’âge et au niveau des élèves. Les manuels de dictée qui existaient déjà connaissent un véritable succès. Ils contiennent des textes souvent issus de la littérature classique adaptée, ainsi que les règles de grammaire qui y sont en jeu, et leur correction. Il est à noter que les textes des dictées ne sont pas nécessairement issus de la littérature classique, même si c’est largement le cas. Du fait de la mission nationale de l’orthographe, les dictées n’ont pas uniquement un objectif grammatical, si ce n’est que le texte soit parfaitement retranscrit. Si les dictées ne parlent jamais ouvertement de politique, elles reflètent pour autant l’air du temps et la matière dont les dirigeants veulent former la jeunesse16. Il faut dire qu’avec la création du Certificat d’études en 1866, les élèves passent le même examen sur l’ensemble du territoire, dans la même langue. De ce fait, la dictée se révèle un formidable outil de formation du citoyen. Elle peut apparaître comme une métaphore d’une vision de la France. France écartelée entre sa fascination pour son passé (France mythique et civilisatrice ; glorification des moissons, de la Patrie, de l’amour filial… certains textes mièvres et terriblement désuets), et sa volonté de progrès (elle éduque et forme les citoyens de demain)17. Cet exercice figure au premier plan de l’examen qui sanctionne la fin des études primaires. La dictée en est l’épreuve reine, surtout au vu du poids énorme qui lui est accordé : un zéro en dictée et l’on est disqualifié de l’examen.
L’instruction primaire repensée par Jules Ferry devient un édifice considérable18, qui met en œuvre une didactique du français. Celle-ci s’inspire pour partie de ce qui était fait dans le secondaire, tout en s’en détachant. Le système éducatif est obligé d’élaborer des méthodes de commentaire de texte et des principes de formation rhétorique qui ne passent pas par le canal traditionnel de la formation aux langues anciennes. La dictée continue d’y avoir une place prépondérante. Elle fait figure d’exercice juste et républicain. Elle a même pu être présentée comme une sorte de rituel laïc au service duquel sont les instituteurs, « hussards noirs de la République »19. Ainsi, elle remplacerait la messe dans une religion d’État qui remplacerait le catholicisme des rois20. Tous les enfants naissent « égaux en orthographe », laquelle est un savoir que l’école inculque aux enfants, et qui les tire de l’ignorance, de leur « état de nature ». À cette époque, les discours coloniaux prônent une République Française civilisatrice, qui va apporter le savoir et l’évolution aux peuples qui sont dans l’ignorance. De même, la République a pour mission de tirer ses enfants de la misère de l’ignorance en leur apportant un savoir, une culture, une Patrie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jules Ferry, promoteur des lois qui fondent l’école de la République, gratuite, laïque et obligatoire fut ministre des Affaires Étrangères avant d’être ministre de l’Instruction Publique et des Beaux Arts, et fervent partisan de l’aventure coloniale. Elle sanctionne également l’obtention d’examens comme le Certificat d’études, ou l’obtention de concours tels celui des écoles normales. Cela dit, elle est controversée. La question de son efficacité pour apprendre l’orthographe est posée, au détour de controverses à propos de l’orthographe du français elle-même.
Dans cette brève étude de l’histoire de l’orthographe, nous avons pu voir que la question d’une graphie unifiée de la langue en usage se pose dès l’invention de l’écriture. Elle revient avec plus d’acuité lorsque les échanges commerciaux, intellectuels et politiques s’intensifient. On en a un premier exemple avec l’essai d’unification de l’écriture mésopotamienne. Cette problématique se présente aux Romains – et plus tard aux Carolingiens – lors de l’extension de la domination de leur empire. Ils se voient alors dans l’obligation d’administrer un vaste ensemble de territoires disparates du point de vue culturel, mais surtout linguistique. Comment communiquer les ordres pour l’administration de manière cohérente dans un ensemble aussi vaste, si ce n’est par écrit ? Comment des personnes de cultures si éloignées peuvent-elles communiquer par écrit si ce n’est en adoptant une langue commune et spécifiquement dédiée à cela ? Comment communiquer par écrit si l’on ne se met pas d’accord sur les signifiants ou l’ensemble de signifiants qui représentent un signifié ? C’est de ces questions qu’est née la nécessité de théoriser un état de la langue dans une grammaire, dans une orthographe. Cela dit, cet effort de théorisation a eu pour effet de figer la langue à l’écrit, selon un état qui s’est vite avéré archaïque. Il est intéressant de noter que le même processus a eu lieu lorsqu’il s’est agi de théoriser la langue française, quand elle est devenue la langue du roi et de l’administration du royaume. Pourtant, ce processus s’est avéré plus long, et ne s’est révélé efficient que lorsque l’État a fait de l’éducation une de ses priorités. On constate donc que l’histoire de la langue, et en particulier celle de l’orthographe est étroitement liée à l’histoire politique. Transcrire un discours sous la dictée est l’une des raisons principales du passage à l’écrit durant de nombreux siècles, on l’a vu. Il n’est donc pas étonnant que cette pratique soit exercée dans les écoles tout au long de l’Époque Moderne. Mais le statut de cet exercice à la dictée se modifie au cours du temps. De gymnastique presque plus physique qu’intellectuelle pour une pratique qui serait utile par la suite, elle devient entraînement à l’orthographe grammaticale, puis lexicale, évaluation des progrès des élèves et de l’action de la République, et vecteur de propagande. Elle est devenue le symbole de l’École du XIXème siècle. Cependant, l’exercice est toujours pratiqué. Il a pourtant enduré – et endure toujours – bien des critiques. Malgré tout, il reste pratiqué et a même été remis à l’honneur par le ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer en 2018. Mais on peut se demander si, au-delà d’être un symbole, la dictée est réellement vecteur d’apprentissages, notamment orthographiques, pour les élèves.

La dictée, un exercice controversé

La dictée, exercice scolaire le plus scolaire, de manière transgénérationnelle, fait figure de symbole. Il est brandi par les médias, les différents ministres, les éditeurs, les publicistes et les parents pour juger de la qualité de l’école. Figure indéracinable de notre système scolaire, on dénonce parfois les dérives de sa pratique.
L’usage qui consiste à dicter aux élèves des phrases abâtardies, qui n’ont plus de sens à force d’être triturées pour contenir le plus des difficultés de la langue française est critiqué. Le professeur Lunel dénonce ces « lambeaux de phrases toujours sans intérêt »21. De même, Larousse dénonce les « phrases baroques, ne présentant aucun sens »22, à l’image de celle-ci, que l’on trouve dans le recueil de dictées de Madame Bourgoin : « une petite rivière dont ils n’ont pas pu trouver le gué, ce qui n’était pas gai, car les ennemis faisaient le guet »23. Le caractère décousu des dictées d’un jour sur l’autre donne également matière à de virulents reproches. L’absence de progression et de lien avec l’étude de la grammaire, au vu de la manière de décompter les erreurs, mène en effet les élèves à l’échec. Cependant la dictée est un exercice très apprécié. Pour remédier à ces critiques, l’exercice est codifié. Les textes dictés doivent avoir une cohérence, être issus de la littérature classique24 ou bien être vecteurs de principes moraux ou patriotes. En 1857 que la circulaire Rouland rend la dictée quotidienne obligatoire dans toutes les écoles, sous cette forme : « Les dictées graduées avec discernement, analysées au point de vue des idées, du sens des mots, de l’orthographe, dictées ayant pour objet un trait d’histoire, une invention utile, une lettre de famille, le mémoire, un compte-rendu d’une affaire, tel doit être, dans l’école primaire, le fondement de l’enseignement de la langue »25.
La formidable expansion de l’exercice de la dictée est due à ces réformes venues d’en haut. Elle découle également du fait que les professeurs sont mieux formés au fil du développement des écoles normales. Aussi le niveau général des élèves augmente. D’autant que le mode d’enseignement simultané prévaut désormais sur le mode individuel qui était jusqu’alors majoritaire. Cela peut expliquer l’essor de la la dictée : elle est un exercice collectif. En outre, on estime qu’il n’y a pas de meilleur exercice pour enseigner la grammaire et l’orthographe françaises. Et il est bien spécifié bien que l’on « n’obligera pas les enfants à inventer ou à deviner l’orthographe de mots inconnus, on la leur fera connaître d’avance »26. Bien plus, elle a l’avantage de permettre d’entraîner les élèves, et de mesurer leurs progrès. Cette confusion entre les objectifs de l’exercice se ressent dans ce qu’écrit le grammairien Jules Dussouchet dans le dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. On peut y lire : « L’exercice tient à juste titre le premier rang dans nos écoles : c’est celui qui apprend le mieux notre langue aux élèves, en les mettant aux prises avec ses difficultés ; c’est celui qui sert à constater les progrès des écoliers dans les classes, leur degré d’instruction dans la plupart des examens. Dès que les enfants savent copier correctement une page de français, il faut leur apprendre à écrire sous la dictée, et cet exercice devrait, selon nous, les servir jusqu’à la fin de leurs études »27.
Cette position est remise en question. On reproche en effet à l’exercice de pousser les élèves à inventer les graphies des mots inconnus, et à les habituer ainsi à une orthographe erronée28. Ainsi, l’inspecteur Irénée Carré d’écrire : « Que nos élèves de l’école primaire sachent mettre l’orthographe des mots qu’ils connaissent et qu’ils emploient, rien de mieux ; mais qu’on leur demande de savoir comment s’écrivent des mots dont ils ne connaissent pas le sens, qu’ils n’emploient pas et que peut-être ils n’emploieront jamais, voilà ce que je ne puis comprendre »29.

L’orthographe lexicale

Je vais m’efforcer de présenter ici un certain nombre de types de dictées qui permettent de travailler plus spécifiquement l’orthographe lexicale.
La dictée de mots. L’enseignant donne aux élèves une liste de mots à apprendre. Au cours d’une séance suivante, il dicte les mots aux élèves, qui doivent les restituer. Cette modalité de dictée permet de vérifier l’apprentissage des élèves et de ne se concentrer que sur un objectif lexical. Elle peut s’inscrire dans le cadre d’une séquence d’enseignement sur « la manière dont on apprend », par exemple, dans laquelle elle prend tout son sens.
La dictée à choix multiples. Cet exercice a pour but d’entraîner les élèves à associer la juste graphie au son qu’il entend. Il permet de travailler spécifiquement les graphies complexes. L’accent est mis sur la procédure de choix, le raisonnement, la réflexion sur les graphies. L’exercice consiste à donner aux élèves un texte déjà rédigé. Pour certains mots, un choix est proposé. L’enseignant lit le texte à voix haute et les élèves doivent entourer la graphie qui convient.
La dictée à trous. L’exercice de la dictée à trous permet de se concentrer sur un problème ciblé. Il aiguise également l’attention des élèves qui sont obligés de suivre avec attention la lecture orale de l’enseignant. Cette forme de dictée peut être donnée pour l’ensemble de la classe, ou bien en guise de différenciation. Un texte à trous est donné aux élèves et est lu par l’enseignant. Les élèves doivent suivre sa lecture, et compléter les trous laissés volontairement.
La dictée à l’adulte à visée orthographique. L’exercice se rapproche de celui de la dictée à trous. L’élève dicte une phrase ou un petit texte à l’adulte. Celui-ci dessine des traits à la place des mots que l’élève sait écrire, et écrit ceux qu’il ne peut pas connaître. Cet exercice permet de travailler la segmentation ainsi que l’orthographe lexicale. L’élève doit fournir un effort de mémoire pour retrouver la graphie des mots qu’il connaît et justifier ses choix.
La dictée sans erreurs. Il s’agit d’une activité créée dans le cadre des Modules d’Approfondissement des Connaissances en Lecture et en Écriture (M.A.C.L.E.)50. Une dictée est préparée en classe. Les élèves repèrent eux mêmes les principales difficultés. Lors de la séance suivante, le texte est dicté. Cependant, au verso de la feuille de dictée, se trouve le texte original, sans erreurs. Les élèves peuvent y recourir pour vérifier l’orthographe d’un mot. Ce dernier est alors souligné. Une correction est organisée par l’enseignant puis par les élèves. L’objectif pour les élèves sera de diminuer le nombre d’erreurs lexicales ou grammaticales puis le nombre de mots soulignés sur l’ensemble du texte. L’enseignant peut différencier l’activité en jouant sur la longueur du texte. L’intérêt réside dans la phase de préparation de la dictée, le questionnement orthographique, la mémorisation à laquelle oblige le retournement de la feuille une fois le mot observé, la catégorisation des erreurs, le gain d’assurance pour les élèves et la prise en compte de leurs progrès51.
La dictée enregistrée. Il s’agit de l’exercice traditionnel de la dictée, excepté que le texte à transcrire a été enregistré par l’enseignant préalablement. Ainsi, dans une organisation en plan de travail par exemple, l’élève peut choisir le moment où il va faire cet exercice, de même que la dictée qu’il va réaliser en fonction de ses erreurs récurrentes. Par sa correction, l’enseignant peut guider la progression de l’élève (et les dictées à choisir).
L’auto-dictée. Lors de cet exercice, l’enseignant donne aux élèves un texte plus ou moins long selon leur niveau. Tous le lisent. On prend le temps d’analyser le texte en classe puis de discuter de ses difficultés potentielles. Les élèves l’apprennent par cœur, puis le restituent. L’avantage de cet exercice est que les élèves se dictent le texte en eux mêmes. Ils apprennent ainsi à transcrire correctement des mots connus employés dans un contexte familier. De plus, le rythme d’écriture des élèves est respecté. Cependant, la pertinence de faire apprendre le texte par cœur aux élèves peut être discutée.
La copie différée. L’enseignant écrit un texte sur des affiches qu’il installe au fond de la salle, du moins de manière à ce que les élèves ne puissent le voir réellement qu’en se retournant. Le texte est lu et expliqué. Les élèves doivent ensuite recopier le texte. Mais le fait que ce dernier soit dans leur dos les oblige à faire un exercice de mémoire, et à se dicter le texte en eux mêmes.
La dictée bouchons. Cet exercice a pour avantage de décomplexer l’erreur dans le cadre de la dictée et de favoriser la mémorisation des mots. Il est en partie inspiré du système de dictées mis en place par Maria Montessori. En amont de la dictée, un certain nombre de bouchons / jetons… sont donnés aux élèves en fonction de leur niveau de réussite. Un texte est ensuite dicté. La correction de ce texte se trouve en plusieurs exemplaires dans le couloir. Après un temps de relecture, l’enseignant se place en travers de la porte et autorise les élèves à aller voir la correction. Ils ont le droit de faire autant d’allers-retours que de bouchons qu’ils possèdent. Ils en donnent un à l’enseignant à chaque fois qu’ils y vont et notent, à la fin de l’exercice, le nombre de bouchons utilisés. Ils ne doivent cependant emporter aucune note, et aucun moyen d’écrire. Les élèves recopient le texte au propre et le rendent à l’enseignant lorsqu’ils estiment qu’il ne reste aucune erreur. L’enseignant corrige les copies. Il prévoit un temps de retour collectif et argumenté autour de cette dictée.
La dictée relais. Elle se passe dans le même esprit que la dictée bouchons, excepté qu’à cette occasion, les élèves sont par équipes de deux : un élève qui écrit et l’autre qui se déplace pour aller voir la correction de la dictée.
La dictée à quatre temps. Un texte est dicté aux élèves. Après un temps de relecture, une correction collective et argumentée est menée au tableau. Les élèves recopient le texte sans erreurs. Puis ils ferment leurs cahiers et le texte leur est de nouveau dicté. Enfin, l’enseignant corrige chaque feuille puis avec les élèves, il compare le nombre d’erreurs du premier, jet, la qualité de l’autocorrection et le nombre d’erreurs de la trace finale.
Voilà donc un certain nombre de déclinaisons de l’exercice de la dictée qui permettent de travailler l’orthographe lexicale. On remarquera que les quatre derniers exercices tendent à apprendre la mémorisation, mais aussi à travailler aussi bien l’apprentissage de l’orthographe lexicale que grammaticale. Ils peuvent donc prendre place dans un dispositif plus vaste d’entraînement de la mémoire.

L’orthographe grammaticale

Je vais maintenant m’efforcer de proposer quelques modalités qui permettent de travailler plus particulièrement l’orthographe grammaticale, bien que la distinction d’avec celles précédemment citées soit ténue, comme on l’a spécifié plus haut.
La dictée traditionnelle. C’est celle qui correspond à l’idée que l’on a collectivement de l’exercice, et qui est l’emblème du Certificat d’études. Pour cette dictée, l’enseignant lit un texte. Les difficultés grammaticales et orthographiques sont élucidées en classe. Puis le texte est dicté aux élèves qui s’efforcent de la transcrire sans erreurs. L’enseignant corrige ensuite les productions des élèves, en faisant en sorte que sa correction permette aux élèves de progresser.
La dictée à trous. Il s’agit là du même exercice que celui présenté dans le paragraphe précédent mais en se focalisant sur des questions grammaticales plutôt que lexicales. De même que la dictée à trous, la dictée enregistrée, la dictée sans erreurs, la dictée différée, la dictée-bouchons, la dictée relais et la dictée à quatre temps sont des dispositifs qui permettent de travailler plus spécifiquement des problématiques lexicales ou grammaticales en fonction des textes choisis par l’enseignant, en regard de ses objectifs.
La dictée questionnée, ou dictée dialoguée. Elle permet de travailler plus spécifiquement l’orthographe grammaticale. Les stylos sont posés sur les tables pendant que l’enseignant lit de manière expressive une première fois le texte à dicter aux élèves. Puis, après chaque phrase dictée, il fait une pause afin que les élèves révisent puis signalent leurs hésitations en posant des questions à la classe et au professeur. Ils peuvent poser toutes les questions qu’ils souhaitent. Pour chaque interrogation soulevée, l’enseignant questionne les élèves afin qu’ils expliquent leurs raisonnements. Puis il sollicite une recherche collective de solutions. La dictée est donc dialoguée, l’enseignant validant au terme de la réflexion la justification des élèves. Enfin un temps de relecture est laissé aux élèves. On remarque que ce type de dictée favorise déjà le dialogue orthographique entre les élèves, guidé par l’enseignant. Outre que cela permet de décomplexer les élèves quant à l’erreur qui est vue comme un prétexte à la réflexion, les élèves sont mis en situation de recherche. Ils sont par ailleurs valorisés dans leurs réussites.
La dictée dialoguée a sa place dans ce paragraphe parce qu’elle a une visée avant tout grammaticale : les élèves n’ont pas le droit de poser des questions portant sur des objets lexicaux. Pour autant, il existe d’autres modalités qui permettent d’aller plus loin dans l’apprentissage de l’orthographe en favorisant la discussion orthographique.

Les dictées qui mènent à la discussion

La discussion orthographique permet de décomplexer les élèves par rapport à leurs erreurs en donnant matière à trouver ensemble les solutions, et de pratiquer un enseignement différencié. Aussi ces activités se révèlent très fructueuses pour l’apprentissage de l’orthographe tant lexicale que grammaticale.
Il en va ainsi de l’atelier de négociation graphique et de la dictée négociée par exemple, et de la phrase dictée ou de la phrase donnée du jour.
L’atelier de négociation graphique. Créé par Ghislaine Haas et son groupe de recherche orthographique52, il se pratique par groupes de cinq ou six élèves qui travaillent avec le professeur pendant que les autres élèves travaillent en autonomie. Un texte court est dicté aux élèves. Ils le transcrivent individuellement sur des affiches. Après relecture, les travaux individuels des élèves sont affichés au tableau et une discussion permet de comparer les différentes graphies et d’en expliciter les choix. L’enseignant valide les réponses justes des élèves, fait la synthèse des questions résolues et de celles qui restent à l’être et fait expliciter le problème dominant que pose le texte. Il l’affiche correctement orthographié, ce qui permet aux élèves de confronter leurs hypothèses à la solution. Enfin, une fois que les différents groupes de la classe ont effectué ce même travail, une synthèse collective est faite. Après affichage du texte correctement orthographié, les élèves rappellent les questions que le texte a soulevé dans les différents groupes, et les accords auxquels ils sont parvenus. Finalement, le texte correctement orthographié est distribué aux élèves en guise de trace écrite. Les règles qui ont été découvertes ou rappelées peuvent donner lieu à des affichages dans la classe.
La dictée négociée. Voisin du précédent, cet exercice a vocation à être mené en classe entière. Lors de la dictée négociée, un texte est dicté aux élèves, qui le transcrivent. Puis, par groupes de trois ou quatre, ils comparent leurs productions. Ils discutent sur leurs points de désaccords, dans la mesure en employant un vocabulaire précis, et ils produisent un texte corrigé. Puis l’enseignant collecte les textes des groupes et les affiche au tableau. Les productions des groupes sont une fois de plus comparées et les différences sont mises en évidence. Les élèves justifient leurs choix et les réponses justes sont écrites au tableau par l’enseignant, de même que les règles orthographiques qui sont en jeu. À la fin de la séance, l’enseignant fait une synthèse des règles qui ont été brassées, et les élèves recopient la correction53.
La phrase donnée du jour. Dans cet exercice, l’enseignant propose aux élèves une phrase correctement orthographiée. L’enseignant demande aux élèves d’expliquer, individuellement et à l’écrit, un certain nombre de graphies correctes, mais qui posent généralement des difficultés. S’en suit une mise en commun où les différentes explications sont écrites au tableau puis commentées, précisées et enrichies. L’intérêt est alors de faire de la langue un objet d’étude.
La phrase dictée du jour54. Pour cet exercice, l’enseignant dicte une phrase qui inclut du vocabulaire à acquérir ainsi que des notions précises étudiées en grammaire. Puis, après un temps de relecture personnelle active (les élèves matérialisent les accords), un échange se met en place. Toutes les graphies d’un même mot sont recueillies au tableau les unes en dessous des autres afin de faire apparaître les différences. Les élèves doivent justifier les raisons de conserver ou d’effacer telle ou telle graphie. L’enseignant anime le débat tout en validant ou non les propositions. Il efface les graphies jugées erronées. La séance se clôt par un bilan de ce que les élèves ont appris puis ils copient la phrase dans leur cahier ou classeur. Cette phrase sera à nouveau dictée quelques jours plus tard.
Au regard des différents types de dictée passés en revue ci-dessus, il me semble que les dictées qui invitent à la discussion orthographique présentent un intérêt non négligeable. Elles paraissent échapper aux différentes critiques que l’exercice de la dictée a pu subir au long des siècles, dont on a vu qu’elles ressurgissent .

État des lieux : premiers constats et premières évolutions

Avec ma binôme, pour mettre en œuvre les programmes en vigueur et proposer ainsi une dictée quotidienne aux élèves qui nous sont confiés, dans l’urgence de la rentrée scolaire, nous nous sommes surtout appuyées sur les souvenirs que nous partagions quant aux dictées que nous faisions lors de nos classes de primaire. Toutes les deux, nous nous souvenions que nous avions des listes de mots à apprendre, et que nous les restituions sous forme de dictée de mots, puis de phrases. Aussi, visant l’apprentissage d’un certain nombre de mots (invariables ou non), nous en proposions aux enfants une liste quotidienne. Celle-ci n’avait aucun rapport avec le travail mené en classe. Chaque jour en effet, comme rituel du matin, nous organisions la restitution écrite d’une dizaine de ces mots sous la forme de « dictée de mots ». Nous n’évaluions alors que leur capacité immédiate à restituer l’orthographe des mots à apprendre, au singulier ou au pluriel lorsqu’ils n’étaient pas invariables. Par conséquent, pour corriger cet exercice, nous attribuions une couleur ou un smiley aux élèves selon le barème suivant :
• 0 erreur : bleu, smiley souriant et couronné .
• 1-3 erreurs : vert, smiley souriant .
• 3-5 erreurs : orange, smiley neutre .
• plus de 5 erreurs : rouge, smiley furieux.
Voici les cahiers de quatre élèves de la classe, Toni, Noémie, Salomé et Séréna. Les travaux ont été réalisés lors de la dictée du lundi 17 septembre pratiquée dans cet esprit.

Processus de remédiation mis en place

Relisant ma pratique lors de la période précédente et y associant mon désaccord avec la façon de faire de ma binôme, je me rendais compte, en outre, que les élèves restituaient correctement le lexique, mais que les dictées que je mettais en place ne leur permettaient pas de progresser en orthographe grammaticale. Je me suis renseignée de manière plus approfondie sur les différents types de dictées qui existent. Ce faisant, j’ai découvert la démarche de la phrase dictée du jour telle que Danièle Cogis en explique la mise ne œuvre dans Pour enseigner et apprendre l’orthographe58. Ce livre a changé mon regard sur l’exercice de la dictée et l’apprentissage de l’orthographe. Il a en partie confirmé mon intuition quant à la correction des dictées, mais il m’a aussi permis d’envisager l’exercice autrement. J’avais par exemple constaté que lorsque je laissais un peu de temps aux élèves pour se relire à la fin de la dictée, ils restaient souvent passifs en attendant que ce laps de temps s’écoule. Ils ne savaient pas quoi faire. J’ai donc décidé de mettre en place le principe de la phrase dictée du jour et de guider la relecture de la dictée grâce au principe des balles d’accord.

La phrase dictée du jour

À la lecture de Pour enseigner et apprendre l’orthographe, j’ai compris que le fait d’écrire sans erreurs n’est pas le simple résultat d’une mise en application de règles apprises par cœur. Elle est avant tout une affaire de conceptualisation et de réflexion, autant que de répétition. Cela prend donc du temps. La tâche de l’enseignant, en la matière, est autant d’apporter des éléments nouveaux que d’expliciter les démarches qui peuvent lui paraître évidentes parce qu’il les a assimilées, mais qui ne le sont pas du tout pour les élèves car ils ont encore besoin de temps et d’entraînement avant de construire ces automatismes. Aussi la correction collective de la dictée peut-être un puissant moyen de précéder à cette rectification sans stigmatiser les erreurs.
C’est ce qui est proposé dans l’exercice de la phrase dictée du jour. Les phrases du jour ne s’intéressent pas aux erreurs en tant que telles mais à ce qui peut en être la cause, c’est à dire précisément aux idées que se font les élèves de la manière dont fonctionne l’orthographe.
Pour cet exercice, on peut programmer strictement les notions abordées ou bien partir du principe que n’importe quelle phrase met en jeu les notions à travailler, ce qui laisse une grande liberté à l’enseignant dans le choix de ses objectifs lexicaux et grammaticaux. L’enseignant choisit une ou deux phrases en fonction des objectifs qu’il veut que ses élèves atteignent. Il les lit tout haut, puis il les dicte aux élèves. Il est impératif que les élèves sautent des lignes lorsqu’ils transcrivent le texte. Lors de la relecture, ces derniers n’ont pas le droit de barrer ni d’effacer leurs erreurs. Ils réécrivent ce qu’ils pensent être la bonne réponse sur la ligne en dessous. Puis, l’enseignant choisit au hasard un cahier et recopie au tableau ce qui y est écrit ou bien demande à des élèves d’épeler leurs graphies. Il recueille sous forme de colonnes l’ensemble des graphies qui ont été écrites par les élèves pour chacun des mots, et celles-ci sont discutées. Les élèves doivent dire les raisons pour lesquelles ils ont choisi cette graphie-là. Il est important de bien poser le cadre et de rappeler aux élèves qu’il est interdit de se moquer de ce qu’on croit être les erreurs des autres. Il faut aussi bien rappeler que les erreurs ne sont pas des fautes mais une étape dans l’apprentissage. On élimine les graphies erronées qui sont au tableau au fur et à mesure que les élèves trouvent les bons arguments en les rayant. Enfin, quand la graphie normée de l’ensemble de la phrase est établie, les élèves la recopient au propre. Cela peut donner lieu à la constitution d’un cahier outil auquel ils peuvent se référer. Enfin, on procède à un bilan de l’exercice. L’enseignant pose des questions : Quels problèmes avons-nous rencontrés aujourd’hui ? Comment les avons-nous résolus ? Que retenez vous ? Avons-nous déjà vu des phrases avec les quelles nous pourrions classer celle d’aujourd’hui ?
Allons-nous faire un affichage pour matérialiser telle ou telle notion que l’on a découverte ou revue ?
Cet exercice m’est apparu intéressant parce qu’il permet aux élèves de discuter entre eux de la langue. Les élèves sont obligés d’expliquer pourquoi ils ont fait tel ou tel choix. Cela permet à ceux qui sont le plus à l’aise de mettre en mots leurs procédures et de produire un métalangage sur leurs démarches. Quant aux élèves qui ont le plus de difficultés, ils peuvent poser leurs questions et profiter des explications de leurs camarades. Cette modalité de dictée permet en outre à l’ensemble de la classe de développer le doute orthographique, ce qui ne peut qu’amener les élèves à progresser.
J’ai donc décidé de mettre en place cette modalité de la dictée. Mon objectif principal est devenu : « développer la conscience et le doute orthographique des élèves qui me sont confiés ». Il me restait encore deux obstacles à franchir. Le premier, c’était d’établir un système de relecture qui soit vraiment adapté. Le second, c’était que ce principe paraissait séduisant d’un point de vue théorique mais que l’idée de le mettre en place dans la classe me faisait vraiment peur.

Les balles d’accords et « l’école des mots »

Danièle Cogis préconise l’utilisation des balles d’accords pour cet exercice. Il s’agit de repérer par exemple le sujet et le verbe, d’encadrer le verbe, d’entourer le sujet et de relier le sujet à la désinence du verbe. Cette matérialisation permet aux élèves de visualiser les chaînes d’accords et de rectifier si besoin les accords erronés. Elle peut être employée pour la relation sujet-verbe, mais aussi pour les chaînes d’accords dans le groupe nominal par exemple. L’avantage de ce système est qu’il est applicable pour aider les élèves à se relire tant en dictée qu’en copie ou encore en production d’écrits. Ce mode de relecture me semblant pertinent, j’ai décidé de le mettre en application avec les élèves.
Mais cela ne permettait de matérialiser que la relecture de l’orthographe grammaticale. Pour ce qui concerne la relecture lexicale, alors que je comptais travailler sur les classes grammaticales, j’ai mis en place un affichage évolutif : l’école des mots. Cet affichage s’appuie sur le rapprochement fait entre le fait que l’on parle de « classes » grammaticales et qu’à l’école, les élèves soient répartis dans des « classes ». J’ai donc réalisé une gigantesque « école » avec des « classes » qui, au lieu de s’appeler « CP », « CE1 »… s’appellent « classe des noms », « classes des verbes »… L’idée est qu’à chaque fois que l’on croise un nouveau mot, on l’écrit sur un post-it et on le range dans sa classe à l’école des mots. Au delà des avantages lexicaux et grammaticaux de cet affichage, les élèves s’y réfèrent en production d’écrit ou lors d’évaluation pour aller vérifier comment s’écrit tel ou tel mot et comment il faut l’accorder. De surcroît, l’école des mots permet aux élèves de s’intéresser aux classes grammaticales : c’est la course pour se souvenir de la classe de tel ou tel mot ou pour aller le chercher dans le dictionnaire tellement ils sont motivés pour l’écrire dans l’école des mots.
Il est vrai que je me demandais comment la mise en place de ce système de dictée allait se faire dans la classe et quelles conséquences cela allait avoir sur les élèves. Allaient-il se prendre au jeu et se mettre réellement au travail ? Allaient-ils profiter de cette occasion qui leur est donnée de s’exprimer pour discuter d’autre chose ? Allais-je réussir à mener la classe pour rester dans le travail ? Cela était une source d’anxiété pour moi. Cependant, au cours de la visite programmée chez ma Professeur des Écoles Maître Formateur (PEMF) enseignant en CM2, j’ai eu l’occasion d’assister à une dictée menée de cette manière. Cela m’a beaucoup rassurée et j’ai été impressionnée par la qualité des arguments grammaticaux et lexicaux des élèves. J’ai eu réellement envie de participer à ce que les élèves qui me sont confiés parviennent à un tel niveau de réflexion orthographique.

La mise en application

J’ai mis en œuvre cette modalité de la dictée dans la classe en période 2. Chaque semaine, mes élèves avaient une liste de mots à travailler et à revoir tout au long de la semaine. Chaque jour, nous faisions une petite dictée de deux ou trois phrases. Avant la dictée, je lisais les quelques phrases et je demandais aux élèves de repérer les mots qui étaient à apprendre. Nous les écrivions au tableau en réexpliquant les difficultés qu’ils pouvaient potentiellement poser. Après le moment de la dictée en tant que tel, nous la corrigions de manière très ritualisée. D’abord, je demandais à la classe de se relire en vérifiant que tout est phonétiquement correct, et en particulier le vocabulaire qui était à apprendre. Puis je leur demandais de repérer le verbe et de l’encadrer en rouge, de trouver son sujet et de l’entourer de la même couleur, de vérifier l’accord sujet/verbe à l’aide des balles d’accords. C’était la notion de grammaire de la phrase étudiée alors. Puis, je demandais à un élève de me dicter le texte jusqu’à un des mots qu’il y avait à apprendre. Il me l’épelait. Je demandais si tout le monde était d’accord avec ce qui était écrit au tableau. Je collectais les différentes graphies, puis nous en discutions jusqu’à parvenir à la juste graphie, selon le procédé décrit par Danièle Cogis. À la fin de la correction collective, nous effectuions les balles d’accords au tableau, puis les élèves corrigeaient leurs erreurs. Le dernier jour de la semaine, nous faisions une dictée bilan qui reprenait tout ou partie le vocabulaire et les notions travaillées tout au long de la semaine. Pour la correction, je ne mettais pas de notes (ni de smileys parce que c’était trop chronophage et parce que cela ne valorisait ni n’encourageait les réussites des élèves qui faisaient beaucoup d’erreurs).
J’ai fait le choix de donner moins de lexique à apprendre, mais du lexique lié à la pratique de la classe : lexique étudié lors de la période précédente, lexique lié aux leçons que nous étions en train de faire, notamment en découverte du monde et en étude de la langue. Voici la liste de mots que j’ai donné à apprendre la semaine du 3 au 10 décembre 2018. Les verbes ont été conjugués au présent en classe à plusieurs reprises et ce temps était étudié depuis plusieurs semaines par les élèves avec ma binôme.

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Table des matières

Historique de l’orthographe et de la dictée
A/ De l’orthographe, ou la question de la communication par écrit
a) L’enseignement de l’orthographe et l’apparition de la dictée
b) La dictée ou le symbole de l’École de la République
B/ La dictée, un exercice controversé
C/ Les différents types de dictée
a) Les dictées à but orthographiques
1. L’orthographe lexicale
2. L’orthographe grammaticale
b) Les dictées qui mènent à la discussion
II- Partie pratique
A/ État des lieux : premiers constats et premières évolutions
B/ Processus de remédiation mis en place
a) La phrase dictée du jour
b) Les balles d’accords et « l’école des mots »
c) La mise en application
Conclusion
Annexe
Annexe 1 – De la naissance de l’orthographe, ou la nécessité de se comprendre
Annexe 2 – Travaux des élèves
1- Dictée du lundi 8 octobre 2018
2. Semaine du 9 au 12 octobre 2018
3. Semaine du 16 au 19 octobre 2018
4. Dictées de Toni les 14 et 23 novembre 2018
5. Dictées de la semaine du 3 au 7 décembre 2018
Bibliographie et sitographie

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