L’intelligence ambiante
La diversité des outils numériques utilisés dans nos activités quotidiennes, leur nombre, leur degré de sophistication sont en croissance perpétuelle. Ces dispositifs (terminaux de poche ou téléphones à écran tactile, tablettes numériques, etc. ou même robots domestiques) sont de plus en plus présents dans notre vie quotidienne. Ils constituent des outils d’assistance, de service, de communication et d’information, devenus à présent incontournables pour beaucoup d’entre nous. Ces évolutions technologiques permettent d’imaginer des systèmes intelligents offrant une multitude de fonctions accessibles, à n’importe quel moment, et à n’importe quel endroit, et selon une multitude de modes d’interactions et de média. On parle dans ce cas de systèmes ubiquitaires ou omniprésents. En effet, la particularité de ces systèmes réside dans leur capacité à adapter continuellement et automatiquement la même fonction ou service (par exemple le rappel de rendez-vous), à différents contextes et modes d’usage (affichage d’un message textuel sur le PC de travail de l’usager si ce dernier est sur son lieu de travail, annonce d’un message vocal depuis le téléphone portable de l’usager si ce dernier est dans sa voiture et qu’il est en train de conduire, etc.). Ces systèmes possèdent aussi la propriété de découvrir dynamiquement les objets immatériels (services d’informations divers) ou physiques (robots, capteurs, actionneurs, équipements multimédia, etc.) disponibles dans l’environnement, puis de les exploiter pour fournir des services aux usagers. Dans un tel environnement, le monde réel et le monde virtuel se mélangent pour transformer les dispositifs et équipements que nous utilisons dans notre vie quotidienne en objets communicants offrant pro-activement des services d’assistance à valeur ajoutée. Par exemple, grâce aux technologies d’identification par radio-étiquettes (tags) RFID et aux réseaux de communications sans fil à faible consommation électrique, des objets communicants représentant un capteur, un actionneur ou un objet physique quelconque, deviennent accessibles à large échelle selon le paradigme de l’Internet des objets. Cette déclinaison thématique de l’informatique ubiquitaire est appelée, intelligence ambiante ou Ambient Intelligence (AmI).
Composition des environnements d’Intelligence Ambiante
Dans ce qui suit, nous dressons tout d’abord un panorama des technologies actuelles permettant de mettre en œuvre des systèmes à intelligence ambiante.
Artefacts intelligents
Un artefact intelligent correspond à n’importe quel objet physique fonctionnel de la vie quotidienne associant capteurs, unité de traitement, unité de communication et mémoire.
Il est capable de percevoir son environnement, communiquer avec d’autres artefacts et éventuellement réagir selon une base de règles définie a priori. À travers sa capacité d’interaction direct avec un humain, un artefact intelligent peut assister une personne dans ses tâches quotidiennes en lui offrant des modes d’interaction intuitifs . Contrairement aux dispositifs médicaux mobiles, les fonctionnalités médicales supplémentaires des artefacts intelligents ne sont généralement pas visibles de l’extérieur. Dans ce domaine, on peut citer l’exemple de Smart Pillow, un oreiller intelligent développé par la société Philips. Ce système surveille les paramètres vitaux de l’utilisateur, tels que la température, la respiration, le pouls, et en cas d’urgence ou de maladie, avise le personnel médical. Dans le domaine de l’assistance cognitive, on peut citer les travaux menés au laboratoire DOMUS de l’université de Sherbrooke-Canada. Le domicile est considéré comme une prothèse cognitive capable d’assister une personne ayant des déficits cognitifs (problèmes d’attention, de mémoire, de planification, etc.), par exemple en lui rappelant les tâches à réaliser, ou en l’aidant à gérer son temps ou à se préparer pour des rendez-vous .
Nous pouvons citer également les travaux de l’équipe STARS de l’INRIA sur l’analyse des comportements des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer .
Le concept d’artefacts intelligents a été étudié et développé dans des applications autres que les médicales. Smart Sofa est un canapé instrumenté qui a été développé par le Trinity College de Dublin-Irelande. Il permet d’identifier les personnes assises dessus et de fournir des services personnalisés basés sur ces informations .
Accessoires et Vêtements Intelligents
Concernant les technologies mobiles pour la santé et l’autonomie, deux grands courants de la recherche sont devenus prédominants au cours des dernières années : Les accessoires intelligents et les vêtements intelligents.
Concernant la première catégorie, l’exemple le plus marquant est le projet Google Glass, une paire de lunettes intelligente qui offre des services de communication et de navigation à l’usager mobile. Starner et al. [?] ont développé Gesture Pendant, un pendentif qui reconnaît des gestes prédéfinis de l’usager et exécute des actions de contrôle correspondantes. Kikin-Gil et al. ont développé des accessoires intelligents pour permettre la communication non-verbale au sein de petits groupes d’adolescents . Les montres ou bracelets sont des accessoires populaires qui sont de plus en plus utilisées dans des applications de surveillance médicale. Plusieurs modèles de montres intelligentes sont déjà disponibles dans le commerce à l’image de l’Actiwatch de la société Cambridge Technology. Cette montre est équipée d’un accéléromètre miniature qui mesure l’activité physique de son porteur. La combinaison de ce capteur avec d’autres capteurs a permit d’étendre les fonctionnalités de la montre à la surveillance des troubles du sommeil : Insomnie, humeur, dépense d’énergie, mouvements périodiques des membres pendant le sommeil. Il existe d’autres exemples de montres-bracelets offrant d’autres types de fonctionnalités, telles que la détection de chute, le test de fibrose kystique , la mesure de glycémie , la surveillance de l’oxygénation du sang , l’envoi d’appels d’urgence.
Le concept de vêtement intelligent (wearable computing- informatique à porter) repose sur l’idée qui consiste à avoir des ordinateurs miniatures comme partie intégrante des vêtements qui nous habillent ou des accessoires que nous portons. Les vêtements intelligents sont des artefacts portables destinés à accompagner l’utilisateur dans ses déplacements.
Robots de services
L’utilisation de robots de services pour l’assistance aux personnes dans l’exécution de leurs tâches ou activités quotidiennes est toujours en phase d’expérimentation et de recherche de modèles économiques viables. Dans ce qui suit, nous nous limiterons aux deux catégories suivantes : Les robots d’assistance à la mobilité ou au déplacement et les robots d’assistance domestique.
Robots d’assistance à la mobilité
Ces robots sont en général conçus pour compenser les déficiences motrices de leurs utilisateurs et aider ces derniers dans leurs activités physiques quotidiennes comme se lever/s’asseoir, marcher, monter les escaliers, etc. Dans cette catégorie de robots, on trouve les robots fauteuils, les robots cannes, les robots déambulateurs et les robots exosquelettes.
le concept de fauteuil roulant robotisé CARRIER développé par l’Université des arts appliqués de l’Industrial Design Studio Esslinger en Autriche. Ce robot fait également office de verticalisateur ; le fauteuil roulant robotisé Sharioto de l’Université de Louvain ; La cane intelligente iCane développée à l’université de Nagoya; le déambulateur RobuWalker développé par la société Robosoft et l’ISIR pour l’aide à la verticalisation et au déplacement ; l’exosquelette Hal de la société Cyderdyne ; l’exosquelette EiCOSI, pour l’assistance aux mouvements de l’articulation du genou, développé au laboratoire LISSI . Les exosquelettes ou orthèses sont des dispositifs mécatroniques que l’on qualifie de robots portables. Ils sont utilisés dans le but d’augmenter, d’assister ou de restaurer les mouvements des personnes dépendantes.
Les robots d’assistance domestique
Ce domaine s’est développé ces dernières années pour le grand public, avec principalement l’apparition sur le marché de robots de service mono-tâche, à autonomie limitée et à prix réduit, comme par exemple, le robot de nettoyage Roomba de iRobot. Ces robots grand public nécessitent encore des évolutions pour s’adapter aux capacités fonctionnelles des personnes âgées ou dépendantes.
Dans la catégorie des robots d’assistance domestique qu’on appelle aussi robots personnels, on peut également citer les robots d’assistance relationnelle qui regroupent les robots compagnons et les robots pour l’éveil sensoriel.
Les robots compagnons ont une fonction d’assistance cognitive auprès de personnes isolées et fragilisées et peuvent communiquer avec la personne en tant qu’objets mobiles et communicants. Les robots compagnons sont en général constitués d’une base mobile avec une tête. Ils sont munis de capteurs, de reconnaissance et de synthèse vocale, d’interfaces de connexion à Internet et de fonctions de navigation autonome. Les fonctions principales pouvant être prises en charge par un robot compagnon concernent essentiellement l’assistance cognitive, allant des aide-mémoire aux stimulations (exercices physiques et intellectuels), ainsi que les fonctions basiques de communication comme le courrier électronique ou l’interaction social (accès aux réseaux sociaux, famille, amis, etc.).
Vers la robotique ubiquitaire
Avec l’apparition des paradigmes de l’informatique ubiquitaire, de l’intelligence ambiante, et la disponibilité des technologies de communications sans fil (réseaux de capteurs, réseaux mobiles, smart phones, etc.), des technologies logicielles (Web services, middle-ware), d’identification (RF ID, biométrie), etc., on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de robots de service appelés robots ubiquitaires. La robotique ubiquitaire ou la robotique en réseau constitue un domaine de recherche très prometteur de la robotique .Les enjeux autour de cette nouvelle forme de la robotique sont considérables avec un potentiel fort et des perspectives de croissance prometteuses, notamment sur le marché de la robotique de service. Des acteurs de l’industrie informatique de tout premier plan comme Google, Microsoft, Intel, etc. s’intéressent de plus en plus à ce marché.
L’idée sous-jacente consiste à intégrer ces robots dans des espaces intelligents à petite ou large échelle (maisons intelligentes, bâtiments, espaces urbains), afin d’offrir, en tout lieu, à tout instant et de manière transparente des services à valeur ajoutée : Assistance cognitive, sécurité, confort, divertissement, etc. Nous définissons un service comme une assistance (ou commodité matérielle, physique ou immatérielle) fournie à un (ou des) êtres vivant(s) et notamment à des personnes. La notion de service est apparue récemment dans les sciences informatiques. Dans ce cadre, un service offre une fonction utilisable par un tiers. Ce tiers peut être un ou plusieurs êtres vivants ou un autre service. La notion de service telle qu’elle est conçue dans les systèmes d’information distribués peut ainsi être perçue de la même manière qu’en robotique ubiquitaire. Le modèle d’interaction entre le robot et son environnement est ainsi totalement repensé puisqu’il ne s’appuie plus sur un schéma pré établi ; l’environnement d’évolution étant considéré comme ouvert, partiellement connu et dynamique. Un robot ubiquitaire doit être interopérable avec des objets ou des entités (capteurs, actionneurs, robots, artefacts, etc.) qu’il découvre dans son environnement plutôt que d’être pré programmé statiquement pour cet environnement. Il doit être capable non seulement d’utiliser ses propres objets (capteurs et actionneurs) mais aussi d’interagir avec d’autres objets de l’environnement et d’adapter dynamiquement ses services face à des changements de contextes. On parle dans ce cas de sensibilité au contexte.
Défis de l’intelligence ambiante et de la robotique ubiquitaire
Tout système utilisant les paradigmes de la robotique ubiquitaire et de l’intelligence ambiante doit posséder les caractéristiques essentielles suivantes : L’interopérabilité pour assurer l’omniprésence et la continuité du service pendant la mobilité, l’auto-localisation, l’auto-exploration de l’environnement physique, la sensibilité au contexte et à l’intention des usagers, l’interaction multimodale et naturelle avec les autres systèmes, la capacité de raisonnement pour la reconnaissance de contextes et la prise de décision, l’adaptation et l’extensibilité afin d’assurer la pérennité, l’évolutivité du système par rapport à l’évolution de l’environnement ambiant et des usagers, et enfin la sécurité et la protection de la vie privé des usagers. La mise en œuvre de ces fonctionnalités nécessite de s’attaquer à plusieurs défis que nous analysons dans ce qui suit :
Auto-localisation :L’intelligence ambiante et la robotique ubiquitaire reposent sur l’identification et la localisation des personnes et des objets à l’intérieur d’espaces divers (maisons, bâtiments, à l’extérieur dans des espaces publics ou privés). Il est en effet primordial que les objets communicants (artefacts intelligents, robots, etc.) présents dans ces espaces soient capables d’identifier leurs positions, sans dépendre systématiquement d’un service central de calcul de position. Cette information de localisation est utile, par exemple, pour reconnaitre un contexte, analyser le comportement d’une personne ou pour choisir le service le plus approprié (proximité du service vis-à-vis de la position courante de l’utilisateur, préférences de l’utilisateur, etc.). Les systèmes de localisation disponibles actuellement dépendent le plus souvent d’un service central qui permet de calculer les coordonnées de localisation. Ils dépendent aussi fortement des contraintes matérielles des technologies utilisées. Il est alors nécessaire de combiner plusieurs technologies de localisation pour parvenir à une meilleure estimation de la position d’un objet. L’auto-localisation reste un challenge technologique car il n’existe pas à l’heure actuelle de solution fiable et bon marché.
Auto-exploration et cartographie sémantique :Il s’agit de la capacité du robot à explorer son environnement, identifier tout objet présent, comprendre sa description, ses fonctionnalités et exploiter ces connaissances pour effectuer une tâche donnée. Pour ce faire, le robot doit être capable de construire dynamiquement des cartes sémantiques en corrélant la description des objets avec celle de la cartographie physique. Il est aujourd’hui admis par la communauté robotique l’importance pour un robot autonome de disposer de connaissances sémantiques, et d’effectuer des raisonnements à un niveau sémantique (symbolique) pour mieux comprendre son environnement, reconnaitre un contexte, analyser une scène, comprendre le comportement humain, planifier une action donnée, etc. D’une manière générale, les ontologies spatiales et les cartes sémantiques peuvent être utilisées pour accroître les capacités et les performances de planification, de navigation et de manipulation, dans des scénarii complexes du monde réel. Pour un robot mobile, une carte sémantique est une carte qui comporte, en plus des informations spatiales (2D ou 3D) utilisées pour la navigation, des annotations sémantiques relatives aux caractéristiques des entités de l’environnement du robot, c’est-à-dire, les objets, les fonctionnalités, les évènements, les relations, etc.
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Table des matières
Chapitre 1 :Introduction générale
Chapitre 2 :De l’intelligence ambiante à la robotique ubiquitaire : Principes, technologies et défis
2.1 Introduction
2.2 L’intelligence ambiante
2.3 Composition des environnements d’Intelligence Ambiante
2.3.1 Artefacts intelligents
2.3.2 Accessoires et Vêtements Intelligents
2.3.3 Implants intelligents
2.3.4 Identification
2.3.5 Localisation
2.3.6 Robots de services
2.3.7 Vers la robotique ubiquitaire
2.4 Défis de l’intelligence ambiante et de la robotique ubiquitaire
2.5 Discussion et objectifs de la thèse
Chapitre 3 :Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
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