De l’innovation fermée à l’innovation ouverte

De l’innovation fermée à l’innovation ouverte

Comme Chesbrough (2003) l’affirme, c’est la réflexion d’un ex-directeur d’une entreprise de la Silicon Valley qui lui aurait inspiré la réflexion sur l’innovation ouverte. Ensuite, en adoptant une démarche d’historien, il s’est penché sur le cas de certaines entreprises qui lui ont permis d’enrichir sa réflexion théorique. L’observation principale concerne le changement par lequel sont passés bon nombre de départements de recherche et développement (R&D) au long du XXe siècle : intégrés verticalement aux entreprises desquelles ils faisaient partie, ils étaient la source primaire et souvent unique des connaissances que ces entreprises mettaient en œuvre dans l’élaboration de leurs produits et services. L’exemple du laboratoire PARC (Palo Alto Research Center), le centre de recherche de l’entreprise Xerox, est éloquent sur ce point. Etabli en 1970, sa création répondait à l’intention de Xerox d’élargir ses compétences au-delà du domaine de l’impression et du photocopiage (Chesbrough, 2003, p. 1) et faire de cette entreprise un acteur majeur dans le domaine des technologies de l’information. Quoique d’un point de vue strictement technique PARC remplit sa mission, Xerox fut incapable de tirer profit des technologies nouvelles créées par les chercheurs et les ingénieurs de son prestigieux laboratoire de recherche. En effet, celles-ci n’ont pas été exploitées par l’entreprise et la raison principale exposée par Chesbrough (2003) peut paraître paradoxale : Xerox a tout simplement suivi la logique dominante de son époque, à savoir la création, le développement et la commercialisation des produits par ses propres moyens, avec peu d’interaction avec l’environnement extérieur. C’est cette logique que Chesbrough (2003) appellera innovation fermée (closed innovation) ; son contrepoids, l’innovation ouverte doit être envisagée comme spécifique aux nouvelles conditions définissant le contexte de la fin du XXe siècle.

Une considération mérite d’être rappelée ici : ces phénomènes d’innovation ouverte et fermée, malgré leur dénomination qui inspire une opposition irréconciliable, ne sont en réalité que les deux extrêmes d’un continuum. Nous pouvons mieux saisir cela en adoptant une démarche historienne et en regardant de plus près comment le processus d’innovation est apparu et s’est structuré dans l’entreprise ; pour faire cela, l’étude de l’historien économique W. Bernard Carlson (2003) peut nous éclairer davantage sur ces aspects.

En regardant avec Carlson (2003) « la préhistoire » de la R&D, nous pouvons découvrir plusieurs grandes périodes, chacune caractérisée par un système propre d’organisation de l’innovation . Ainsi, la période de la fin du XIXe siècle représente « l’âge d’or de l’invention héroïque », dominée encore par la figure de l’inventeur génial, source des idées pour les entreprises désireuses de les acquérir. Cependant, ce moment est aussi celui du début de l’institutionnalisation de l’innovation, dont l’exemple probablement le plus connu est celui de l’« invention factory » de Thomas Edison. Établie en 1876 à Menlo Park, New Jersey, suite au contrat qu’Edison a conclu avec la compagnie Western Union, elle se proposait de renforcer sa capacité d’innovation et répondre à la concurrence que lui faisait la Bell Telephone Company. Comme Carlson (2003, p. 207-208) le précise, ce début de l’institutionnalisation de la R&D passe par l’établissement d’une relation contractuelle entre un inventeur (dans l’exemple donné, Thomas Edison) et une entreprise (Western Union), relation préférée par toutes les parties impliquées à une intégration verticale pour des raisons évidentes : réduction au maximum des risques et coûts de développement de technologies encore mal comprises et préservation d’une liberté accrue pour l’inventeur.

La période suivante du début du XXe siècle consacre le rapprochement progressif et l’intégration des inventeurs individuels dans les entreprises ; le paysage concurrentiel devient plus dynamique, les entreprises cherchent à être plus réactives dans la concurrence avec d’autres. Sur un autre plan, les inventeurs prennent conscience du fait que les technologies développées par leurs soins n’ont que peu de valeur sans des capacités de développement (production) et de marketing convenables. Développer des entreprises devient, par conséquent, nécessaire à la pérennisation de leurs efforts créatifs. C’est ainsi que voient le jour des entreprises telles la Edison General Electric de Thomas Edison ou la ThomsonHouston Company, construite autour du chimiste Elihu Thomson et de l’ingénieur Edwin J. Houston. Ces deux compagnies fusionnent en 1892 pour donner naissance à la très réputée General Electric Company (GE). Huit ans plus tard, en 1900, le premier laboratoire de recherche et développement verra le jour au sein de cette même entreprise General Electric, employant des scientifiques censés faire avancer l’expertise de GE dans des domaines très variés.

Le passage vers l’institutionnalisation de l’innovation au sein des laboratoires de R&D intégrés à l’entreprise tient, selon Carlson (2003) tant à des raisons de nature économique (réduction des risques, de l’incertitude, disponibilité croissante d’une main-d’œuvre hautement qualifiée), qu’à des raisons culturelles : le triomphe de la science et avec lui l’imposition d’une vision qui valorise la raison, la prédictibilité et l’efficacité. Ainsi, la création des laboratoires de recherche et développement va connaître un essor important à partir des années 1930. Vingt ans plus tard, les dépenses totales pour la R&D totalisent 6,1 milliards de dollars, avec une forte implication de l’État qui finance massivement les laboratoires des entreprises pour développer non seulement des technologies militaires, mais aussi des nouvelles techniques de production (Carlson, 2003, p. 221).

Cette évolution de l’organisation de la R&D au sein des laboratoires de recherche intégrés à l’entreprise est résumée pertinemment par John Kenly Smith, lorsqu’il affirme que :

« if basic science was the seed of new technology, then the entire innovation process could be contained within the firm ; reliance on unpredictable outside sources of technology was no longer necessary » (Smith, cité par Carlson, 2003, p. 221)

Cette phrase concentre d’une manière appropriée le concept d’innovation fermée qui, selon Chesbrough, caractérise la modalité d’innover des entreprises pendant presque la plus grande partie du XXe siècle. Cette innovation fermée est, comme Chesbrough laisse entendre, la conséquence de certains facteurs : l’industrie comme acteur majeur (sinon le plus important) du financement et de la production des connaissances, le faible développement des moyens de communication et la rareté d’une main-d’œuvre hautement qualifiée.

En premier lieu, la production des connaissances relève le plus souvent des laboratoires de recherche industriels qui ont les moyens financiers de s’engager tant du côté de la recherche fondamentale, que de celle appliquée. En plus des financements internes, ces laboratoires industriels demeurent également sur le premier plan du financement étatique, qu’ils partagent avec les universités (Carlson, 2003, p. 221). En tant que source primaire de connaissances, les laboratoires de R&D sont considérés comme une condition sine qua non de l’existence et du succès d’une entreprise.

Il y a ensuite un deuxième facteur qui doit être mentionné, pour cette période allant de la fin du XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe : la rareté d’une main-d’œuvre qualifiée. Les chercheurs et les ingénieurs hautement diplômés sont peu nombreux, tout comme les universités les préparant (Chesbrough, 2003) ce qui implique une forte concurrence de la part des entreprises pour les recruter et les garder. Le faible développement des moyens de communication va de pair avec une dissémination à petite échelle des connaissances. L’internet, l’un des plus importants moyens de dissémination des connaissances d’aujourd’hui, ne se développera qu’à partir de la fin des années 1960, son essor ne prenant place que vers le milieu des années 1990. Dans le paysage informationnel, technologique et des connaissances du XXe siècle, les laboratoires de recherche des entreprises et les universités détiennent la place la plus importante, celle d’un quasi-monopole. Ces facteurs rappelés modèlent la manière dont le processus d’innovation est organisé par les entreprises. Sur ce point, le commentaire de Chesbrough (2003) sur Xerox résume bien cette idée de la nécessité pour une entreprise de prendre en charge la totalité des étapes d’élaboration d’un produit ou d’un service :

« The corporation sought to discover new breakthroughs; develop them into products; build the products in its factories; and distribute, finance, and service those products – all within the four walls of the company. » (Chesbrough, 2003, p. 4)

Ce mode d’organisation du processus d’innovation engendre le développement d’une culture qui privilégie l’interne et qui ensuite façonne à son tour l’organisation et rend légitime le rejet de tout ce qui vient de l’extérieur : c’est ce que Katz et Allen (1982) ont appelé le syndrome NIH (Not Invented Here).

Le processus d’innovation fermé est linéaire et unidirectionnel (voir figure 19 , p.19), allant de la recherche vers le développement, et ensuite passe vers la production et la commercialisation. Il est ensuite à mentionner l’idée de la séparation claire entre la recherche et le développement : les technologies issues de la recherche, une fois comprises, ne passent pas directement en développement (Chesbrough, 2003, p. 33). Il y a un espace tampon virtuel entre les deux départements qui fait que les technologies développées par la recherche ne sont ensuite reprises par le département de développement que lorsqu’il y a une opportunité de marché pour les transformer en produits.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction générale
1.Contexte de la recherche
2.Problématique, objectifs et questions de recherche
3.Cadre théorique de la recherche
4.Épistémologie, méthodologie de la recherche et structure de la thèse
Chapitre I : L’innovation ouverte
1.De l’innovation fermée à l’innovation ouverte
2.Les différents types d’innovation ouverte
3.L’innovation ouverte telle que reflétée dans la littérature institutionnelle et managériale26
4.Critiques de l’innovation ouverte
5.Concepts apparentés à l’innovation ouverte
5.1.Sagesse des foules et intelligence collective
5.2.Innovation distribuée et innovation par les usagers
6.L’ouverture, clarification du concept
6.1.« Open » comme référence au logiciel « open source »
6.2.« Ouvert » comme référence à la théorie des systèmes
7.La relation entre l’innovation ouverte et la performance
Chapitre II : Les structures organisationnelles
1.Structure et structure organisationnelle : désambiguïsation conceptuelle
1.1.La structure, concept multidimensionnel et multidisciplinaire
1.2.La structure d’un point de vue institutionnaliste et relationnel
2.Les structures organisationnelles profondes
2.1.La structure profonde à la lumière de la psychologie analytique de C. G. Jung
2.2.Les structures profondes à la lumière des travaux dans la linguistique de N. Chomsky
2.3.La relation entre la structure profonde et l’innovation
3.La structure formelle de l’organisation
3.1.La perspective de la théorie de la contingence
3.2.La structure formelle de l’organisation : principaux attributs
3.2.1.La complexité (la spécialisation)
3.2.2.La centralisation
3.2.3.La formalisation
Chapitre III : Méthodologie de la recherche
1. Le pôle épistémologique, une exigence de pertinence
1.1.Distinction entre une épistémologie générale et une épistémologie interne
1.2.Les paradigmes de recherche
1.2.1.Ontologie et épistémologie du positivisme logique
1.2.2.Postpositivisme : le réalisme critique
1.3.Une méthodologie qualitative : clarification conceptuelle et justification de son emploi
2.Le pôle technique, une exigence de testabilité
2.1.Description de l’étude de cas en tant que méthode d’investigation
2.1.1.Justification de l’emploi de l’étude de cas par la place de cette méthode en gestion et stratégie
2.1.2.Justification de l’emploi de l’étude de cas par les objectifs de la thèse
2.1.3.Présentation des critères de sélection des études de cas
2.2.Techniques de collecte de données
2.2.1.La collecte des données primaires par entretiens semi-directifs
2.2.2.La collecte des données secondaires
2.3.Analyse des données
2.3.1.L’analyse de contenu
2.3.2.L’analyse de similitude
2.4.Éléments d’éthique appliqués à la recherche
2.4.1.Principe de la participation consentie et du contrôle des données par les répondants
2.4.2.L’anonymisation des noms des interviewés et des entreprises
3.Validité et fiabilité de la recherche
3.1.La validité de la recherche
3.1.1.La validité du construit
3.1.2.La validité interne
3.1.3.La validité externe
3.2.La fiabilité de la recherche
Chapitre IV : Résultats et discussion
1.Caractérisation générale de l’innovation ouverte
1.1.Les raisons de l’ouverture : sous le signe de la nécessité
1.2.Acteurs et pratiques d’innovation ouverte
1.3.Conditions de réussite des collaborations
2.Les aspects organisationnels de l’innovation ouverte
2.1.L’innovation ouverte, du discours à la stratégie
2.2.L’impact de la mise en œuvre de l’innovation ouverte sur la structure profonde de l’entreprise
2.3.Une mise en place de l’ouverture mélangeant des approches top-down et bottom-up
2.4.L’impact de la mise en œuvre de l’innovation ouverte sur la spécialisation
2.5.L’impact de la mise en œuvre de l’innovation ouverte sur la formalisation
2.6.Les résistances internes à la mise en place de l’ouverture
2.7.Constat final
Conclusion générale

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *