De l’innovation des instruments de politique publique

Si les instruments de politique ont été l’objet d’un fort intérêt dès les années cinquante, c’est avant tout pour rendre compte de leur exceptionnelle innovation (Perret 2010) : aux côtés d’instruments standards comme la réglementation, l’interdiction ou encore la taxe, se déploient en effet de nouveaux instruments à l’instar des contrats, de la concertation, de l’information, de la sensibilisation ou encore des permis transférables. Comme le notent Lascoumes et Simard (2011), les instruments font l’objet d’une « certaine fascination à condition qu’ils soient innovants». Et pour cause, là où les instruments traditionnels échouent face à des objectifs anciens ou nouveaux, les instruments innovants se voient prêtés une capacité, et a minima une vocation, à enrichir les modalités de l’action collective, à atteindre une meilleure efficacité, à signifier un geste politique ou encore à porter de nouvelles valeurs et représentations de la gouvernementalité (Lascoumes & Le Galès 2005). Pourtant, force est de constater qu’il n’existe pas de définition à la fois précise, objectivable et consensuelle du concept d’instrument innovant de politique publique. Tout au plus est-il proposé, au détour d’une analyse monographique, de justifier a posteriori, et selon un critère ad hoc, la nature innovante d’un instrument en particulier, à l’instar des standards (Borraz 2005), de l’Indice Synthétique d’Exclusion (Estèbe 2005), du Compulsory Competitive Tendering (Le Galès 2005) ou encore des contrats de Partenariats Public-Privé à mission (Nakhla 2015).

Si elle est diversement justifiée, la nature innovante des instruments de politique publique semble néanmoins consacrer trois types d’innovation : (a) soit, des imitations, à un glissement de modalités près, d’instruments préexistants (Lascoumes & Le Galès 2005) ; (b) soit des hybridations d’instruments plus ou moins contraignants (Osborne 1992, Eliadis & al. 2005, Howlett 2005, Levi-Flaur 2006, Hutter 2010, Perret 2010, etc.) ; (c) soit des assemblages d’instruments de nature méta-instrumentale (MacRae 1976, Hood 1983/1990, Linder & Peters 1990, Klock 1995, Vedung 1998, Bemelmans Videc & al. 1998, Radaelli 2005, Treib & al. 2007, Rhodes 2008, Radaelli & Meuwese 2009, Perret 2010, Kassim & Le Galès 2010, Halpern & Le Galès 2011, Duran & Lazega 2015, etc.).

LES TYPOLOGIES INSTRUMENTALES

DE NOMBREUSES APPROCHES DIMENSIONNELLES DE LA DIVERSITE INSTRUMENTALE

Pouvant être définis, en première instance, comme « des moyens, des techniques, des mécanismes ou des outils, selon la terminologie employée, dont l’État dispose pour influencer (modifier) les comportements des acteurs socio-économiques (le groupe cible) dans le but d’atteindre un objectif de politique publique censé résoudre un problème sociétal » (Perret 2010, p. 29), les instruments de politique publique se sont multipliés dès les années cinquante, et ont suscité par la même occasion la multiplication des typologies visant à en représenter la diversité. De nombreux chercheurs, issus de disciplines aussi variées que les sciences politiques, les sciences économiques, la sociologie institutionnelle et la psychologie, se sont essayés à leur classification, si bien que Perret ne recense pas moins de 40 typologies différentes.  Pour donner quelques exemples, nous pourrions citer : dans les sciences politiques et administratives : Dahl et Lindblom (1953, ré-édition en 1992), Lindblom (1977), Etzioni (1961/1971), Lowi (1964, 1966, 1972, cité par Howlett, 1991), Hood (1983/ 1990), Bringhman et Brown (1980), Bressers et O’Toole (1998), Doern (1978), Bardach (1980), Gormley (1987), Van der Doelen (1989), De Brujn et Heuvelhof (1997), Vedung (1998), Howlett et Ramesh (1995), McDonnel et Elmore ou Van Nispen et Ringling (1998), Anderson (1977), Klock (1995), Klock (Bressers et Klock, 1988), Doern et Phidd (1983), Schneider et Ingram (1990a, 1997), Kaufmann-Hayoz et al. (2001), etc. ; dans les sciences économiques : Bürgenmeier (2005), OCDE /AIE (2002), Barde, 1997, et OCDE, 1997, Barde (1994), Stavins (2000), Jeanrenaud (1997), Lohman (1994), Turner et Oschor (1994), etc. ; dans les sciences juridiques : Kaufmann-Hayoz et al. (2001), Lascoumes et Le Galès, Gaudin (1999), Morand (1999), etc. ; ou encore en psychologie : Flury Kleuber et Gutscher (2001), Gardner et Stern (1996), etc.

Synonyme de classification ou de catégorisation d’objets divers, la typologie pourra ici être entendue comme une activité – la méthode de classification – ou comme un objet, c’est-à-dire le résultat de cette activité. Si leur vocation première est de représenter la diversité des instruments, les typologies parviennent-elles à représenter, de manière générique, la singularité de chacun des instruments qu’elle appréhende ? En existe-t-il au moins une qui y parvienne ? Un premier examen des typologies, des plus anciennes aux plus récentes, n’a révélé aucun candidat potentiel. Pour le confirmer, il conviendrait de considérer les typologies existantes une à une. Mais étant donné la multiplicité et l’hétérogénéité des typologies, cet exercice serait à la fois fastidieux et peu instructif car il consisterait en une suite décousue d’analyses spécifiques. Pour analyser les typologies de façon globale et néanmoins différenciée, nous proposons plutôt de regrouper les typologies en fonction de leurs fondements méthodologiques respectifs, ce qui nous permettra d’exhiber un petit nombre de familles de typologies, autour de fondements méthodologiques communs. Ainsi, notre analyse portera, non pas sur chacune des nombreuses typologies, mais sur chacune des familles de typologies, au regard de leurs spécificités méthodologiques. Pour illustrer notre propos, nous convoquerons toutefois quelques exemples parmi les typologies qui nous semblent les plus révélatrices ou les plus représentatives des familles de typologies ainsi constituées. La première question qui se pose à nous est donc : du point de vue de leurs fondements méthodologiques respectifs, qu’ont les typologies en commun ou de différent ?

D’ores et déjà, une première difficulté apparaît : comme le note Perret (2010), la plupart des typologies ont été conçues selon une méthodologie implicite, parcellaire, éclatée, voire inexistante. Si de rares auteurs font l’effort d’expliciter une méthodologie au regard d’une théorie de l’action bien identifiée, la plupart se contentent en effet de proposer une nouvelle typologie sans en justifier l’intérêt relativement à la littérature préexistante (via une « génération spontanée »), ou se contentent de synthétiser les typologies représentatives de la littérature (par «décantation ») ou encore d’améliorer marginalement une typologie en particulier (par « amendement » ou via une « adaptation à la marge »). À défaut donc de pouvoir relever une méthodologie explicite pour chacune des typologies instrumentales, nous proposons d’en analyser les contours et les usages, de dégager de façon ad hoc un petit nombre de fondements méthodologiques, puis d’affecter chaque typologie au fondement méthodologique qui leur corresponde le mieux. La méta-typologie qui en ressortira aura ainsi vocation à modéliser l’hétérogénéité des typologies existantes.

MAXIMALISME VS MINIMALISME

Vedung (1998) propose un premier axe de différenciation entre les typologies instrumentales : d’une part les typologies maximalistes consistent à faire un inventaire exhaustif de tous les instruments existants, là où les typologies minimalistes se contentent de produire un nombre restreint de critères de différenciation (ou « dimensions ») permettant de produire des classifications « divergentes ».

Parmi les typologies maximalistes, celle de Kirschen et al. (1964) offre sans doute l’inventaire le plus exhaustif des instruments de politique publique, puisqu’y figurent pas moins de 63 instruments parmi lesquels : les investissements gouvernementaux (governement investment), les subventions et transferts de capitaux aux entreprises (subsidies and capital transfers to enterprises), les transferts aux ménages (transfers to housholds), les prêts aux ménages et aux entreprises (lending to households and enterprises), les taxes directes sur les revenus des ménages (direct taxes on households incomes), les opérations open-market sur les titres à court-terme (openmarket operations in short-term securities), le contrôle de l’immigration (control of immigration), les taux bancaires (bank rate), la création d’institutions nationales (creation of national institutions), la création d’institutions internationales (creation of international institutions), le contrôle des importations privées (control of private imports), le contrôles exportations privées (control of private exports), le contrôle des échanges (exchange control), etc. Perret prévient que l’exhaustivité ne pourrait toutefois être totale : « Dresser un inventaire “exhaustif” des typologies d’instruments des politiques publiques publiques ne serait, à notre sens, tout simplement pas possible tant les contributions dans ce domaine sont nombreuses et éparses » (p. 44).

Au-delà de la question de leur exhaustivité, les typologies maximalistes souffrent de notre point de vue d’une défaillance radicale et rédhibitoire. Aussi exhaustifs soient ils, de tels inventaires sont invariablement inadaptés pour rendre compte de la diversité instrumentale, et nous proposons de les exclure d’emblée de notre champ d’analyse, dans la mesure où ils n’explicitent pas ce qui différencie les instruments inventoriés autrement que par leurs dénominations respectives, ce qui conduit d’ailleurs à diverses incongruités. Par exemple, dans l’inventaire de Kirschen., en quoi les instruments « control of private imports » (contrôle des importations privées), « control of private exports » (contrôle des exportations privées) et « exchange control » (contrôle des échanges) sont-ils différents ? Le troisième instrument n’englobe-t-il pas les deux premiers ? A contrario, et au même titre que l’inventaire distingue aussi finement les instruments « creation of national institutions (la création d’institutions nationales) et « creation of international institutions » (création d’institutions internationales), pourquoi n’indiquer que l’instrument « bank rate » (taux d’intérêt) et ne pas plutôt distinguer un instrument « bank rate » spécifique aux crédits immobiliers, un autre instrument « bank rate » spécifique aux échanges interbancaires et un troisième instrument « bank rate » spécifique aux emprunts publics ?

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Table des matières

Introduction générale
Comment reconnaître et concevoir un instrument innovant de politique publique ?
Itinéraire de recherche
Plan de recherche
Méthodologie de recherche
Partie I. – D’une représentation dimensionnelle à une représentation algorithmique des instruments (de politique publique)
Chapitre 1 – Les typologies instrumentales : de nombreuses approches dimensionnelles de la diversité instrumentale
Chapitre 2 – De l’inaptitude des approches dimensionnelles à rendre compte de l’innovation instrumentale
Chapitre 3 – Mise en évidence et résolution d’une confusion sémantique, conceptuelle et cognitive autour de la notion d’instrument
Chapitre 4 – Objectivation du concept d’instrument autour d’un langage algorithmique
Partie II. –Développement d’une méthode de conception et d’évaluation des instruments
Chapitre 5 – Chemins de conception et de rétro-conception combinatoires des instruments (de politique publique)
Chapitre 6 – Développement d’une méthode d’évaluation de la nouveauté instrumentale
Chapitre 7 – Développement d’une méthode d’évaluation de l’effectivité instrumentale 162
Partie III. – Présentation d’un cas d’application : le dispositif des Certificats d’Economie d’Energie
Chapitre 8 – Le dispositif des CEE : présentation du terrain de recherche et justification du caractère exceptionnel du cas
Chapitre 9 – Rétro-conception du dispositif des Certificats d’Economie d’Energie
Partie IV. – Evaluation du caractère présumé innovant du dispositif des CEE
Chapitre 10 – Evaluation de la nouveauté instrumentale du dispositif des CEE
Chapitre 11 – Evaluation de l’effectivité instrumentale du dispositif des CEE
Conclusion generale
Principaux résultats de recherche
Implications
Limites et perspective de recherche
Annexes
Références

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