De l’information aux parents à l’autonomie de l’enfant, le cas de l’intersexuation

Le terme d’intersexuation laisse entrevoir qu’au cœur d’une bipolarité sexuée existe un entredeux possible de sexuation. Mais cela interroge la bi-catégorisation des genres masculin et féminin qui fonde nos sociétés occidentales, à savoir « qui y aurait-il » entre l’homme et la femme ? Cette interférence ou cette intersection cherche son nom commun dans la sphère des personnes intersexuées sans pour autant trouver de consensus autour du terme politisé d’«intersexe » . Dans la sphère médicale, les terminologies abondent et varient avec les époques, les conceptions philosophiques, l’état de la médecine, de la société et les politiques qui sont à l’œuvre. Depuis le terme antique « hermaphrodite » utilisé jusqu’au XVIII° siècle, à la terminologie récemment adoptée en France de « variations du développement sexuel ou génital », la période récente des années 50 aux années 2000 nommaient préférentiellement les désordres, les troubles, les anomalies, les atypies, les ambiguïtés ou encore les différences du développement sexuel.

Entre l’autonomie revendiquée par les personnes intersexes, concomitante de leur droit à l’auto-détermination à l’âge où elles pourraient consentir à l’intervention médicale si elle était nécessaire, et la pathologisation systématisée de leurs corps par le corps médical, s’ouvre de manière béante un hiatus de nature éthique. Dans un contexte d’intervention médicale sur l’enfant intersexué avant l’âge du consentement ou de la présomption de son discernement, l’enjeu se trouve dans la conformation normée du corps sexué, sexuel et procréatif, en dépit du choix de la personne concernée, c’est-à-dire de l’enfant en devenir, et au détriment probable de sa santé sur le long terme.

Sous la responsabilité décisionnelle parentale, et située dans la perspective d’une intervention médicale, la question qui devient alors centrale est celle de l’autonomie décisionnelle des parents qui retentit sur l’autonomie de l’enfant en devenir. En effet, cette intervention médicale si elle a lieu, débouche sur une assignation sexuelle et genrée, les deux dimensions semblant liées dans les représentations essentialistes qui semblent sous-tendre les pratiques médicales actuelles. Ainsi les parents choisissant le « sexe d’élevage » pour éduquer leur enfant dans le genre masculin ou le genre féminin, imposent le risque pour l’enfant en devenir de souffrir de complications sanitaires fréquentes liées à l’intervention médicale , et potentiellement psychosociales parce qu’il ne se ressentira pas forcément dans le genre qu’on lui aura assigné ?

Généralités- Définitions et problématique

Les définitions en cours

Il existe diverses définitions de l’intersexuation qui sont de nature institutionnelle, associative (représentante et/ou militante), médicale et légale, et qui se superposent ou s’opposent.
– Pour le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme, « les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins ». (HCDH, 2019)
– Pour l’Organisation Internationale des Intersexués (OII) et IGLYO (ONG internationale LGBTQIA+), et EPA (association de parents en Europe) « l’intersexuation est un terme parapluie qui sert à décrire une grande diversité de variations naturelles du corps. Les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuelles qui sont soit féminines et masculines en même temps, soit pas complètement féminines ou masculines, soit ni féminines ni masculines. Les caractéristiques sexuelles et les corps des personnes intersexes sont des variations saines des sexes humains ».
– Pour le CIA (Collectif Intersexe Activiste), deux définitions non contradictoires et non nécessairement cumulatives : 1. Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, hormonaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. Le terme intersexe s’emploie pour décrire une large gamme de variations naturelles du corps, qui se développent à tout moment de la vie. 2. Les personnes intersexes sont des personnes ayant subi une invalidation médicale de leurs corps sexués.
– Pour les Centres de Références du Développement Génital (DEVGEN) qui recensent environ 40 pathologies du DEVGEN, nommées variations du développement génital (VDG), qui « ont comme caractéristique commune d’affecter l’aspect et/ou le fonctionnement des organes génitaux internes et/ou externes. Il s’agit de maladies rares (c’est-à-dire que prises isolément, elles concernent moins de 1 personne sur 2000) qui nécessitent une prise en charge spécialisée et multidisciplinaire ».
– Pour la Loi relative à la bioéthique, l’Art. 30 reprend l’Art. L2131-6 du Code de la Santé Publique (CSP) et reprend la terminologie médicale de variation du développement génital (VDG) .

A travers les différentes terminologies utilisées, on peut constater l’absence de consensus à l’échelle nationale entre les organisations gouvernementales ou non gouvernementales (ONG), neutres ou activistes, et la sphère médicale et juridique. La problématique éthique émerge de la contradiction évidente qu’il y a entre le point de vue qui définit l’intersexuation comme étant un phénomène naturel de variations saines et fonctionnelles du sexe ne nécessitant donc pas d’intervention médicale, et le point de vue médical qui pathologise systématiquement l’intersexuation, constituant ainsi le fait justificatif d’atteinte à l’intégrité corporelle qui légitime l’intervention médicale sur le plan juridique. Rappelons au passage la notion d’«invalidation médicale des corps (inter)sexués » énoncée par le CIA, qui suggère une validation des corps selon des critères purement médicaux, mais qui est soutenue et renforcée par des critères juridiques ainsi que nous le verrons .

La question qui se pose alors est celle de la frontière entre le sain et le pathologique, et de savoir ce qui se joue entre « le normal et le pathologique ». (Canguilhem, G., 1966, 2020) Et par déduction, à qui reviennnent l’autorité et la légitimité pour délimiter cette frontière ?

Discerner le normal et le pathologique- Les concepts de santé et de handicap

Relisons et citons Canguilhem pour conduire la réflexion qui suit : « Si l’on reconnaît que la maladie reste une sorte de norme biologique, cela entraîne que l’état pathologique ne peut être dit anormal absolument, mais anormal dans la relation à une situation déterminée. Réciproquement, être sain et être normal ne sont pas tout à fait équivalents, puisque le pathologique est une sorte de normal. Être sain c’est non seulement être normal dans une situation donnée, mais être aussi normatif, dans cette situation et dans d’autres situations éventuelles. Ce qui caractérise la santé c’est la possibilité de dépasser la norme qui définit le normal momentané, la possibilité de tolérer des infractions à la norme habituelle et d’instituer des normes nouvelles dans des situations nouvelles. » (Canguilhem, G., 2000, p.170-171) Pour Canguilhem, s’adapter aux situations changeantes est une attitude normale, la pathologie serait une réponse adaptative à une situation donnée, imposant sa nouvelle normativité. Et la santé serait cette capacité à s’adapter au changement pour « agrandir » la norme. Ce qui nous entraîne à penser que le terme d’anomalie pour désigner l’intersexuation renvoie à une anormalité qui, selon Canguilhem, peut-être bousculée et réduite pour nous conduire vers une norme élargie, donc plus inclusive. Cet argument conjugué au fait que la plupart des intersexuations sont saines devrait pouvoir d’une part, invalider le concept de pathologie qui désigne médicalement les VDG, et d’autre part faire entrer l’intersexuation dans les normes corporelles qui auraient une incidence sur la norme sociale du genre binaire. Poursuivant la réflexion de Canguilhem, réciproquement ce qui est anormal serait synonyme d’inadaptation, laissant apparaître la notion de handicap. Celui-ci est analysé de la façon suivante par Gaëlle Larrieu, doctorante en sociologie : « Le modèle médical voit le handicap comme une caractéristique de l’individu lié à une déficience ou limitation fonctionnelle alors que le modèle social voit le handicap comme la résultante d’obstacles sociaux.»(Larrieu, G., 2020)  Le choix du modèle va imposer une prise en charge différentielle soit par une réponse individuelle (le « handicap » est médicalement traité), soit par une réponse collective conduisant à une société plus inclusive.

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Table des matières

Introduction
1°) Généralités, définitions et problématique
1-1) Les définitions en cours
1-2) Discerner le normal et le pathologique- Les concepts de santé et de handicap
1-3) Consentement des parents et de l’enfant en devenir à une intervention médicale ou à son abstinence : une problématique tripartite
2°) Contexte
2-1) Un état des lieux à l’échelle du monde, de l’Europe et de la France
2-2-1/ A l’échelle du monde et de l’europe
2-2-2/ A l’échelle de la France
2-2) Conditions de naissance et d’existence des enfants intersexués
2-2-1/ Pression sociale et culturelle érigée sur la bicatégorisation des genres
2-2-2/ Pression légale qui mentionne le sexe masculin ou féminin sur les documents de l’état civil
2-2-3/ Pression familiale et environnementale concernant le désir d’avoir un garçon ou une fille
2-2-4/ Pression médicale qui normalise les corps et les conforme sexuellement
2-3) Evolution actuelle des cadres sur les plans institutionnel, éthique et législatif
2-3-1/ Conseil de l’Europe : résolution 2191 (2017)
2-3-2/ Délégation aux droits des femmes : rapport d’information n°441 (2016-2017)
2-3-3/ Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBTQI+ (DILCRAH) (2020) : plan national d’actions pour l’égalité des droits et contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023
2-3-4/ Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE): avis 132 (2019)
2-3-5/ Conseil d’Etat: révision de la loi relative à la bioéthique (2018)
2-3-6/ Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (2019)
2-3-7/ Haute Autorité de Santé : rapport d’analyse prospective : sexe, genre et santé(2020)
2-3-8/ Loi relative à la bioéthique : Art. 30 (2021)
3°) Liens avec les pratiques médicales
3-1) Problématique : Différence de degré ou de nature, du diagnostic au pronostic : une tension éthique entre l’indication biomédicale et l’indication psychosociale
3-2) Enjeux éthiques
3-3) Enjeux légaux et pénalités
3-4) La nature de l’information échangée entre le corps médical et les parents comme fondement de la décision médicale partagée
4°) Utilité de ce travail de recherche dans ce contexte
4-1) Etude du dispositif médical qui délivre l’information aux parents
4-2) Enquête auprès des sages-femmes, praticien-ne-s de première ligne
5°) Objectif du travail de recherche
5-1) La question de recherche : comment favoriser une information aux parents qui respecte l’autonomie de leur enfant considéré dans son devenir ?
5-2) Les objectifs en perspective
Conclusion

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