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De l’importance des océans et de leur composition
Les données issues des missions spatiales, les expériences de laboratoire et les modèles numériques concordent aujourd’hui à faire de Ganymède, Callisto, Europe et Titan les hôtes probables d’océans aqueux internes. Après plusieurs décennies d’étude de ces corps, les principaux mécanismes physiques contrôlant leur évolu-tion (différentiation, production et dissipation thermiques) sont relativement bien compris (chapitre 6). Une question fondamentale devant aujourd’hui plus pré-cisément éclaircie est celle de la composition de ces corps, et de l’influence de cette composition sur leur structure. Si H2O semble le composant largement majori-taire des hydrosphères de ces grands satellites, l’existence de ces réservoirs liquides aqueux et les qualités de solvant de l’eau sous forme liquide impliquent que la chimie de ces hydrosphères doit complexe. La concentration d’impuretés dans le réser-voir aqueux modifie ses propriétés physico-chimiques (e.g. densité, point de fusion) et, à saturation, peut responsable de la formation de phases spécifiques (e.g. sels, hydrates de gaz) jouant un rôle déterminant dans l’évolution des satellites.
La structure actuelle envisagée pour Titan (figure 1.4, page 34) illustre les im-plications de cette question. Bien que de dimension et de densité comparables à Ganymède et Callisto, Titan est le seul satellite à présenter une atmosphère massive de diazote et méthane. La photo-dissociation rapide du méthane dans l’atmosphère de Titan exclut que sa présence soit un reliquat d’une atmosphère primitive : des mécanismes permettent donc le renouvellement de ce méthane. L’enrichissement de la croûte du satellite en méthane pourrait expliquer le renouvellement épisodique ou permanent de cette atmosphère (e.g. Tobie et al., 2006 ; Choukroun et Sotin, 2012). De telles hypothèses dépendent, au moins dans la jeunesse du satellite, du comportement du méthane en solution aqueuse (solubilité du méthane et condi-tions de formation et propriétés des hydrates de méthane sur toute l’épaisseur de l’hydrosphère) et donc, par conséquent, de la présence d’autres espèces dissoutes (contaminants affectant la solubilité du méthane et la stabilité de ses hydrates, autres volatils participant à la formation d’hydrates complexes). Les chemins évolu-tifs différents suivis par Ganymède et Callisto, lunes aux caractéristiques physiques semblables (chapitre 6), sont expliqués aujourd’hui en partie par des accrétions et des situations orbitales différentes. Dans le cadre de ces deux histoires distinctes, les comportements des systèmes chimiques impliqués aux conditions de pression et température rencontrées au sein de ces satellites doivent e capables d’expliquer les états présents de ces lunes (figure 1.5, page 37). La question de la composition des hydrosphères est aussi capitale d’un point de vue astrobiologique. Les océans de ces satellites constituant aujourd’hui les habitats extra-terrestres les plus attractifs du système solaire, leur composition définit les sources d’énergie chimique et les nutriments disponibles pour de potentielles formes de vie. Ce problème est étroitement lié à la situation de l’océan dans la structure globale des satellites. Lammer et al. (2009) définissent comme habitat de classe III les environnements présentant un océan aqueux interne directement au contact d’un intérieur silicaté (e.g. l’océan d’Europe tel qu’envisagé aujourd’hui). Les océans in-ternes isolés des intérieurs silicatés, par exemple par un manteau de glaces de haute pression, constituent des habitats de classe IV (e.g. l’océan de Titan tel qu’il est représenté en figure 1.4). Pour comparaison, la Terre constitue, en orbite autour d’une étoile de type G et avec un océan pérenne à sa surface, le seul habitat connu de classe I .
Indices sur la composition des océans
La composition des matériaux chondritiques
La composition passée ou présente des satellites de glace dépend des matériaux impliqués durant leur formation et de l’évolution de ces matériaux au cours de leur histoire. La réponse à la question de l’origine des différents satellites de glace est complexe et multiple : au modèle classique d’accrétion circum-planétaire contempo-raine à la formation des planètes, adapté aux satellites galiléens, se superposent des modèles de capture de corps étrangers à un système planétaire et/ou d’interactions menant à la destruction puis à la reformation ultérieure d’une partie des lunes de la planète (Coradini et al., 2010). Un modèle récent semble en mesure d’expliquer la formation de la plupart des satellites réguliers des planètes géantes (à l’exception notable des satellites galiléens) par la croissance progressive de lunes produites « en série » lors de l’étalement progressif des disques circum-planétaires (Crida et Char-noz, 2012). Les modèles présents dessinent un portrait complexe des événements ayant pu conduire à la formation des satellites et illustrent que la question de leur composition primordiale est difficile à appréhender (Coradini et al., 2010).
Dans ces conditions, les indices généraux sur la composition primitive du sys-tème solaire s’avèrent précieux pour estimer les principaux éléments à partir desquels se sont constitués les planètes et leurs satellites. Le Soleil, concentrant plus de 99 % de la masse du système solaire, est une source d’information primordiale sur la com-position de celui-ci. L’observation du spectre des différentes régions de l’atmosphère solaire et des particules émises par notre étoile a permis d’établir la composition de référence du système solaire (Lodders, 2010). Cette composition peut comparée à celle des météorites recueillies sur Terre. À un certain degré, toutes ces météorites témoignent de processus de différentiation d’un corps parent, d’évolution thermique ou d’altération. Certaines cependant, comme les chondrites, s’illustrent par leur nature particulièrement primitive. Les chondrites carbonées constituent ainsi la ma-tière la plus ancienne du système solaire analysée à ce jour (Bouvier et Wadhwa, 2010), et, parmi celles-ci, les chondrites CI présentent des teneurs en certains élé-ments lithophiles et métaux (e.g. Al, Si, K, Na, Mg, Al, Ca, Fe…) les plus proches de la composition solaire (écarts inférieurs ou égaux à 5 %, Lodders et al., 2009). Ces chondrites CI se caractérisent également par une teneur en éléments volatils (et particulièrement en eau) supérieure aux autres chondrites (Lodders, 2010). Ces indices d’âge et de composition ont amené à considérer les chondrites CI comme de bons indicateurs de la composition de l’environnement des planètes et satellites au moment de leur formation. Les chondrites de types CM, présentant des compositions proches des CI, sont également considérées comme de bon proxies pour les éléments plus réfractaires (Lodders, 2010).
Une façon d’estimer la composition des océans primordiaux du système solaire est d’analyser la composition des fluides aqueux obtenus lors d’expériences d’alté-ration de matériaux chondritiques. Plusieurs expériences de ce type menées à des conditions T-X-t variables ont été rapportées dans la littérature. Dans le cadre d’une étude destinée à contraindre la composition de l’océan d’Europe, Fanale et al. (2001) ont soumis un échantillon de grains submillimétriques issus de la météorite de Murchison (une chondrite de type CM) à trois cycles de chauffage (T ∼ 370 K) et refroidissement (T ∼ 263 K) sur une durée de quelques jours. La composition de la solution aqueuse fut analysée après chaque cycle de chauffage pour déterminer, entre autres espèces, les teneurs en ions Na, Ca, Mg, Fe, Mn, K, Cl, et SO4. À l’is-sue de la dissolution de 5.4 % de la masse initiale de l’échantillon dans une phase aqueuse largement excédentaire (rapport eau : roche de 200 : 1), les concentrations relatives des différents ions sont restées approximativement constantes aux cours des cycles successifs. Les cations majoritaires observés dans la solution furent le sodium Na (abondance molaire de référence), le magnésium Mg (∼ 0 5) et le calcium Ca (∼ 0 3) ; le sulfate SO4 ressort comme l’anion nettement majoritaire (∼ 1 5) devant le chlorure Cl (∼ 0 1).
Une autre étude a été menée par Izawa et al. (2010) sur la météorite de Tagish Lake (une chondrite proche des types CI et CM) afin de déterminer la composition de sa fraction soluble et d’estimer la composition de l’océan terrestre primitif. Pour ces expériences, Izawa et al. (2010) ont soumis trois échantillons de la météorite (trois échantillons pas, peu, ou nettement exposés à de l’eau liquide sur le lieu de chute avant collecte) à trois lessivages successifs durant dix minutes à 293 K (pour les deux premiers lessivages) et 333 K (pour le troisième). Après le premier lessivage, les solutions furent analysées afin de déterminer leurs teneurs en ions (analyses recouvrant les m espèces que l’étude de Fanale et al., 2001) ; pour les deux lessivages suivants, seules les concentrations en cations furent analysées. Ces expériences furent menées avec des quantités d’eau beaucoup plus faibles (rapport eau : roche de 4 : 10) n’entraînant la dissolution que de 2 % des échantillons. À l’issue du premier lessivage, la solution au contact de l’échantillon non altéré est, pour les cations, nettement dominée par le magnésium Mg (abondance molaire de référence), suivi du calcium Ca (∼ 0 3), du sodium Na (∼ 0 2) et du potassium K (∼ 0 1) ; l’anion majoritaire est le sulfate SO4 (∼ 6 4), suivi du chlorure Cl (∼ 0 9). Les deux lessivages suivants ont mobilisé des quantités similaires (à température égale) ou supérieures (à température plus élevée) de cations, à l’exception du sodium, largement épuisé. Pour comparaison, les m auteurs ont analysé, suivant le mme protocole, un échantillon de la météorite Allende (chondrite carbonée de type CV). Leurs résultats ont mis en évidence une fois encore la prépondérance des ions SO4 et Mg, un ordre de grandeur plus abondant que les ions Cl, Na et K.7
L’analyse des surfaces des lunes par télédétection
À ce jour, seul un atterrisseur, le module Huygens, s’est posé à la surface d’un satellite de glace. Le module, destiné à l’analyse de l’atmosphère et des propriétés physiques de la surface de Titan, n’a pas conduit d’analyse chimique in situ de la surface du satellite (prélèvement et/ou analyse d’échantillons). Notre connaissance de la composition de la surface des satellites de glace relève donc aujourd’hui ex-clusivement des techniques de télédétection spectroscopiques mises en uvre grâce aux télescopes et aux missions spatiales. La comparaison des spectres des surfaces à ceux obtenus en laboratoire, dans le domaine de l’infrarouge, du visible et de l’ul-traviolet, a permis la constitution d’une importante base de données couvrant à ce jour, en partie ou en totalité et à des résolutions variables, tous les grands satellites des quatre planètes géantes.
Pour de nombreux composés détectés à la surface des satellites, la question ca-pitale de leur origine endogène ou exogène, et plus spécifiquement la question des échanges entre la surface et l’intérieur des satellites, est toujours d’actualité (Dalton, 2010 ; Dalton et al., 2010 ; Prockter et al., 2010 ; Tobie et al., 2010). Les matériaux observés à la surface des satellites peuvent ainsi des résidus d’impacts, des com-posés primaires ou secondaires ramenés en surface par des processus géologiques, ou encore des produits de photolyse ou radiolyse formés sous l’action des rayonnements dans l’environnement des planètes géantes (Dalton et al., 2010). Ces produits de dis-sociation mis à part, l’observation des surfaces reste donc une approche pertinente pour estimer les composés ayant participé à la formation (ou produits à l’intérieur) des lunes. Pour les satellites actifs, pour lesquels un recyclage des matériaux de surface vers l’intérieur peut envisagé, les produits de dissociation constituent également un indice de composition interne.
L’eau est présente à la surface de tous les satellites du système solaire externe (à l’exception de Io) et y est de loin le constituant le plus abondant. En-dehors de cette caractéristique commune, les surfaces des différents satellites présentent une importante variabilité de composition. Parmi les composés volatils, le CO2, détecté à la surface de presque tous les grands satellites des planètes géantes, semble après l’eau le composé le plus répandu (Dalton, 2010). D’autres composés, comme le CO et le CH4, ont été détectés dans une moindre mesure (Dalton et al., 2010). Du SO2 supposé au moins en partie issu de Io est également présent à la surface des satellites de glace galiléens. La figure 1.8, page 43, présente un exemple de cartographie du CO2 à la surface de Callisto à l’aide des spectres infrarouges acquis par Galileo. Cette carte a été établie par Hibbitts et al. (2000) à partir de la bande d’absorption vers 4.26 microns, attribuable au CO2, présente de façon récurrente sur les spectres de la surface de Callisto. En calculant sur chaque spectre la profondeur de la bande par rapport à la ligne de base, les auteurs ont pu proposer une couverture relativement complète de l’abondance relative du CO2 à la surface de la lune. Cette figure met clairement en évidence la plus grande abondance du CO2 sur l’hémisphère arrière de Callisto (angl. trailing hemisphere) que sur son hémisphère avant (angl. leading hemisphere). L’hémisphère arrière de la lune étant plus fortement irradié dans la magnétosphère jovienne, cette corrélation illustre qu’une partie au moins du CO2 à la surface de Callisto doit exogène. Cependant, sur les deux hémisphères, du CO 2.
De l’importance du CO2 et du MgSO4
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Table des matières
Introduction
1 Les océans des lunes de Jupiter et Saturne
1.1 Des océans dans le système solaire externe
1.1.1 L’eau et les mondes de glace du système solaire
1.1.2 Des satellites de glace et de leurs océans
1.1.3 De l’importance des océans et de leur composition
1.2 Indices sur la composition des océans
1.2.1 La composition des matériaux chondritiques
1.2.2 L’observation des composés volatils des comètes
1.2.3 L’analyse des surfaces des lunes par télédétection
1.2.4 Les témoignages in situ d’Encelade et Titan
1.2.5 De l’importance du CO2 et du MgSO4
1.3 État de l’art et objectifs de la thèse
1.3.1 Exploration du système H2O − CO2
1.3.2 Exploration du système H2O − MgSO4
1.3.3 Modélisation thermodynamique à haute pression
2 Approche expérimentale
2.1 Techniques analytiques
2.1.1 Principes de la spectroscopie vibrationnelle
2.1.2 Spectrométrie infrarouge
2.1.3 Spectrométrie Raman
2.2 Expériences à haute pression
2.2.1 Les cellules à enclumes
2.2.2 Exploration des diagrammes de phase
2.2.3 Métrologie
2.3 Préparation et analyse des échantillons
2.3.1 Composants pour la synthèse des échantillons
2.3.2 Équipements spécifiques
2.3.3 Synthèse des hydrates de gaz
2.3.4 Préparation des solutions aqueuses de MgSO4
3 Approche thermodynamique
3.1 Éléments de thermodynamique
3.1.1 Symboles
3.1.2 Principe général de l’approche thermodynamique
3.1.3 Système thermodynamique
3.1.4 Enthalpie libre
3.1.5 Potentiel chimique
3.2 Modèle de référence
3.2.1 Architecture
3.2.2 Paramètres
3.2.3 Développements
3.3 Implémentation des clathrates
3.3.1 Fugacités du CO2 et du CH4
3.3.2 Solubilité des gaz : le modèle de Henry
3.3.3 Clathrates : le modèle de van der Waals et Platteeuw
4 Le système H2O − CO2
4.1 Cadre de l’étude
4.1.1 Objectifs
4.1.2 Apports de la littérature
4.1.3 Les hydrates de CO2 à Nantes au début de la thèse
4.2 Étude du système H2O − CO2 pendant la thèse
4.2.1 Contributions apportées durant la thèse
4.2.2 Spectres Raman des hydrates de CO2
4.2.3 Suivi visuel et stabilité des hydrates
4.3 Article
4.4 Éléments complémentaires
4.4.1 Analyses Raman
4.4.2 L’étude de Manakov et al. (2009)
5 Le système H2O − MgSO4
5.1 Cadre de l’étude
5.1.1 Aperçu du système H2O − MgSO4
5.1.2 Objectifs
5.1.3 Apports de la littérature
5.2 Apports à l’étude du système H2O − MgSO4
5.2.1 Mise en place d’une approche semi-quantitative
5.2.2 Calibration en pression, température et composition
5.2.3 Première expérience
6 Implications et perspectives
6.1 Les hydrosphères des satellites de glace
6.1.1 La formation des hydrosphères
6.1.2 Facteurs à l’origine d’océans dans les hydrosphères
6.1.3 Indices géophysiques d’océans actuels
6.1.4 Structures de Ganymède, Callisto, Europe et Titan
6.2 Implications du MgSO4, du CO2 et du CH4
6.2.1 Évolution d’un océan riche en sels
6.2.2 Ségrégation du carbone volatil dans les hydrosphères
6.3 Perspectives numériques et expérimentales
6.3.1 Développement du modèle thermodynamique
6.3.2 Relation activité-composition du système H2O − CO2
6.3.3 Autres systèmes chimiques d’intérêt
Conclusions générales
Annexe A
Annexe B
Annexe C
Bibliographie
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