De l’homme et de l’animal : quelques métamorphoses dans la littérature arthurienne des XIIe et XIIIe siècles

Les clercs du Moyen Âge n’ignoraient pas le phénomène de la métamorphose, qu’ils avaient dû rencontrer chez les auteurs antiques ou au contact des folklores indo-européens. Les théologiens, conscients de ces origines polythéistes ont rejeté en masse la métamorphose dans le domaine de la superstition et de l’illusion, comme en témoigne le premier manuel d’inquisiteur, le Canon episcopi [1008-1012] :

Quiconque croit qu’il peut se faire qu’une créature soit changée, en bien ou en mal, ou soit métamorphosée (transformari) pour revêtir une autre apparence ou un autre aspect, par une intervention autre que celle du Créateur, qui a tout créé et par qui toutes les choses ont été créées, il est sans doute possible un incroyant.

Il est fait ici implicitement référence à la Genèse. Seul Dieu est le vrai créateur, et aller à l’encontre de cette affirmation est une remise en question du dogme chrétien. Se métamorphoser serait s’opposer à l’ordre du monde imposé par Dieu, et croire à la métamorphose reviendrait à remettre en cause l’immuabilité de la création. La mutacion est scandaleuse, non pas à cause de la nature de la transformation, mais dans le fait d’affirmer que cette merveille échappe à Dieu :

Cette discussion, que l’on a souvent interprétée comme exprimant la condamnation chrétienne de l’idée de métamorphose, ne concerne pourtant que les faux prodiges issus de l’imagination humaine, victimes des ruses démoniaques. Dans une perspective chrétienne, en effet, seul Dieu peut accomplir de véritables transformations : « Ce qu’il faut croire avec une entière fermeté », conclut saint Augustin, « c’est que le Dieu tout puissant peut faire tout ce qu’il veut» .

La Bible déjà, avait opéré une distinction entre magie et miracle. Dès l’Exode (7,8- 13), l’aptitude à changer l’inanimé en animé est chez Moïse un don de Dieu visant à faire reconnaître Sa grandeur. La magie des sages de Pharaon est inférieure puisqu’elle est vaincue par celle de Moïse . Bien plus, elle est voulue par Dieu puisqu’elle fait sens, le signe s’oppose au simple sortilège .

Il n’est pas question pour les théologiens de nier tout changement de forme ce qui reviendrait à nier le pouvoir de Dieu et donc des miracles qu’il opère. Il s’agit pour l’Ancien Testament comme pour le Canon episcopi de ménager une place au merveilleux divin tout en écartant ou en amenuisant les pouvoirs non divins. Les mystères de la transsubstantiation, de l’incarnation ou d’un Christ agneau de Dieu restent possibles.

Le chevalier écarte par cette preuve de sa dévotion le soupçon qui pèse sur sa métamorphose, si l’on en croit l’explication diabolique qu’en propose saint Augustin. Les nombreux récits et témoignages sur l’existence de la muance relèvent pour le Père de l’Eglise des illusions imposées par le malin.

Pour l’évêque d’Hippone, ces phénomènes s’expliquent par l’entremise des démons qui « modifient quant à l’apparence seulement les créatures du bon Dieu pour qu’elles semblent être ce qu’elles ne sont pas».

Cette distinction entre illusion, sortilège diabolique et pouvoir de Dieu est nettement présente dans la Queste del Saint Graal où les semblances du Diable se balaient d’un signe de croix et où le Christ a le pouvoir de se muer en lion.

La métamorphose a chez saint Augustin une frontière floue avec le déguisement et est rattachée à la sorcellerie. Le phantasticum hominis , double fantastique, quitte le corps d’une personne endormie. Les démons peuvent s’en emparer et en user comme d’un masque. Selon Ana Pairet, cette théorie ne pouvait être satisfaisante pour le Moyen Âge puisqu’elle restait proche des croyances païennes ayant trait au dédoublement. La pensée médiévale rejettera la théorie d’un contact entre le monde physique et l’imagination et retiendra de saint Augustin l’association entre métamorphose et illusion démoniaque :

Le polymorphisme est […] l’un des traits dominants des représentations médiévales du diable. On peut penser […] à la scène du démon emmuré dans La Continuation de Perceval de Gerbert de Montreuil, où le polymorphisme et l’hybridité sont reconnus par le héros comme des traits démoniaques […] Comme le suggère le terme contrefaire, le changement de forme ne révèle pas de la nature de l’anemi : pour le diable, la métamorphose n’est qu’un accessoire. Ces métamorphoses démoniaques incitent néanmoins le lecteur à la prudence : toute merveille peut en somme relever du masque de l’anemi.

L’Eglise conservera une certaine méfiance envers l’illusion et le masque et ce, jusqu’au XIXe siècle où elle reste réservée envers le théâtre.

Curieusement, la plupart de nos textes semblent à première vue étrangers à ces questions théoriques. Si la Queste fait une différence entre miracle et illusion du diable, Bisclavret et Mélion opèrent des muances sans qu’il soit fait référence à ces problèmes. Les difficultés que pose la mutacion se retrouvent pourtant dans ces récits ; le lecteur n’y trouvera pas de description du processus de transformation, par trop dérangeant. Les auteurs préfèrent souvent opérer par des rapprochements d’images entre lesquelles se tissent des rapports de contradiction. La métamorphose y reste cependant bien présente : S’ils ont recours à cette suggestive figure, les écrivains du Moyen Âge n’en étaient pas moins attentifs aux problèmes religieux qu’elle soulevait. Il y répondent très souvent en donnant à la merveille un visage changeant : si la métamorphose fait partie des signatures diaboliques et des accessoires magiques, elle peut également relever du miracle ou se réfugier dans la faerie.

La métamorphose se réfugie également dans l’allégorie ; Boèce [~480-524] déjà lisait les transformations physiques comme des allégories morales et les transformations morales comme des réalités physiques : Tout ce qui s’écarte du bien cesse d’être. Il en résulte que les méchants cessent d’être ce qu’ils étaient. Or, ils étaient des hommes comme le révèle encore l’aspect même de leur corps humain ; en tombant dans la perversité, ils ont donc perdu aussi la nature humaine […] Tel a l’esprit lent, stupide et endormi : il mène une vie d’âne. Tel autre, léger et inconstant, change sans cesse de goûts : rien ne les distingue des oiseaux. Et tel, plongé dans des passions honteuses et immondes, est captif du plaisir qui satisfait la truie ignoble. Il en résulte que celui qui, ayant abandonné la vertu, a cessé d’être un homme, ne pouvant accéder à la condition divine, est transformé en bête.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I- LES DIFFERENTES FORMES DE LA METAMORPHOSE ANIMALE
1) SES FORMES LEXICALES
2) SES FORMES CONCRETES
a) Changement d’état
b) Magie, science et mensonge
3) LA PERCEPTION DE LA METAMORPHOSE
II- SENEFIANCE DE L’ANIMAL ET DE LA METAMORPHOSE
1) UNE TRADITION MISE DE COTE : LE RECIT ETIOLOGIQUE. EXPLICATION DU MONDE CHEZ OVIDE ET SES CONTINUATEURS
2) LE MONDE VU COMME UN LIVRE : « SCRIPTUS DIGITO DEI »
a) Lecture de la nature
b) Irruption de l’Autre Monde et désordre
3) SYMBOLIQUE DE L’ANIMAL ET DE LA METAMORPHOSE
a) Reprises de la Bible et senefiances religieuses
a) Senefiances originales
III- ENJEUX DE LA METAMORPHOSE
1) NAISSANCES ET METAMORPHOSE
a) La naissance du héros
b) Caradoc et le serpent du péché originel
2) UNE QUETE DE SOI
a) Recherche ontologique
b) Châtiment et Initiation
3) METAMORPHOSES HUMAINES
a) Merlin et les limites de la métamorphose
b) Le paradoxe de l’humain monstrueux dans Yonec
4) RIRE ET METAMORPHOSE
a) Merlin polymorphe ou de la captation benevolentiae
b) Jaufré ou le matériau arthurien décousu
CONCLUSION GENERALE

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