De l’astronomie aux capteurs inertiels
L’astrolabe
On sait maintenant que dans l’univers, tout tourne. Avant d’envoyer des instruments dans l’espace pour observer la Terre, l’affirmation même du mouvement de rotation de la Terre n’a pas toujours été une évidence, notamment pour les contemporains de Galilée [1] ou d’Aristarque de Samos [2], et pourtant, elle tourne. La rotation de la voûte céleste autour d’un point fixe proche de l’étoile polaire, témoigne de ce mouvement de rotation. Les premiers navigateurs utilisaient les étoiles comme références fixes pour la navigation : la mesure de la hauteur d’une étoile de référence, et de son heure de passage au méridien permettait d’obtenir la latitude et la longitude du lieu où ils se trouvaient grâce à un astrolabe. Le compas magnétique et l’astrolabe ont été les instruments de navigation indispensables pour les navigateurs durant des siècles.
Forces inertielles et effet gyroscopique
Pour s’orienter, les marins avaient donc recours au référentiel fixe formé par les étoiles ou à la direction définie par le Nord magnétique terrestre. L’effet gyroscopique découle de la conservation du moment angulaire, et donne naissance à deux classes de capteurs : les gyromètres mesurent la vitesse de rotation angulaire, et les gyroscopes mesurent l’angle par rapport à un référentiel inertiel. La première démonstration publique du pendule de Foucault, en 1851, a mis en évidence expérimentalement la rotation de la Terre de manière indirecte. En 1852, Foucault met au point le premier modèle de gyroscope : l’appareil est capable de maintenir une vitesse de rotation élevée (150 à 200 rotations par seconde) pendant un temps suffisamment long pour réaliser des mesures [3]. En bloquant certaines pièces, Foucault se rend compte que le gyroscope s’aligne sur le méridien : le compas gyroscopique est né, à la base des dispositifs utilisés pour le guidage inertiel. Le premier brevet date de 1904 pour un gyrocompas qui a équipé la plupart des marines du monde [4]. Dans les années 1990, une technologie de rupture apparaît : les gyromètres mécaniques vibrants. Cette technologie se base sur l’excitation d’un mode primaire de la structure, entretenu par une source d’énergie externe. En présence d’une rotation, cette excitation se transmet à un second mode, appelé mode de détection, dont l’amplitude est proportionnelle à la vitesse de rotation. Ce couplage résulte de la force de Coriolis. Les capteurs sont aujourd’hui réalisés en quartz, matériau dont les propriétés permettent de générer très facilement l’excitation et la détection des vibrations. Ces capteurs sont aussi très facilement miniaturisables et les coûts de production sont relativement faibles [5] [6] [7].
Gyrolaser et gyromètre à fibre optique
Peu de temps après la mise au point du premier laser utilisant un cristal de Rubis en 1960 [9], les premiers lasers Hélium-Néon se développent, certains sont conçus selon une géométrie en anneau les rendant sensibles à l’effet Sagnac [10]. Le milieu à gain est localisé sur l’ensemble de l’anneau, où deux modes contra-propageants sont sélectionnés : un écart en fréquence apparaît alors, proportionnel à la vitesse de rotation angulaire du support de l’interféromètre. Ces gyromètres sont devenus un standard pour les applications de navigation inertielle, pour le guidage des sous marins ou des avions notamment [11].
Avec le développement des technologies fibrées pour les télécommunications, la conception de gyromètres à fibre permet d’atteindre une grande sensibilité en bouclant un grand nombre de tours de fibres dans un volume réduit. Cette nouvelle technique permet de s’affranchir des effets non réciproques de la cavité auxquels sont soumis les gyrolasers. Les gyromètres à fibres sont relativement sensibles au milieu extérieur (pression, température, vibrations, etc.) et nécessitent donc un environnement calme pour les applications embarquées : ils sont particulièrement utilisés pour la navigation sous-marine ou les satellites [14]. Les avions sont équipés majoritairement de gyrolasers, dont le facteur d’échelle est très stable même en présence d’un niveau de vibrations élevé.
L’effet Sagnac pour les ondes de matière : court historique
La dualité onde corpuscule est un concept clé de la mécanique quantique : Louis de Broglie propose en 1924 que toute matière, et pas uniquement la lumière, a une nature ondulatoire. Trois ans après, Davisson et Germer confirment cette hypothèse en observant un motif d’interférences après diffraction d’un faisceau d’électrons sur un cristal de nickel [15].
La première mise en évidence de l’effet Sagnac avec des ondes de matière date de 1965, où Zimmerman a employé une paire de Cooper dans un anneau supraconducteur [16]. En 1979, Werner a utilisé un faisceau de neutrons collimaté et mis en évidence l’effet Sagnac sur la phase des neutrons grâce à un interféromètre réalisé en cristal de silicone [17]. En 1991, une équipe du PTB a réalisé la première détection de l’effet Sagnac sur un jet d’atomes de Calcium, en utilisant des transitions optiques de type Ramsey [18]. La même année, le groupe de M. Kasevich a utilisé une source d’atomes de sodium refroidis par laser, et a mesuré un déphasage atomique lié à l’accélération de pesanteur dans un interféromètre Mach Zehnder à transitions Raman [19]. En 1993, l’effet Sagnac a été mesuré sur un faisceau d’électrons manipulés grâce à des biprismes dans une enceinte à vide [20]. L’expérience diffère de celle des paires de Cooper car les électrons étaient libres et non confinés dans la matière. En 1996, un déphasage Sagnac a été observé dans un superfluide d’Hélium [21] [22] [23] . En 2007, ce déphasage a également été mis en évidence dans un interféromètre à atomes piégés [24].
Refroidissement, interférométrie, métrologie
Sources atomiques et refroidissement d’atomes par laser
La difficulté principale pour réaliser des interféromètres à ondes de matière consiste à réaliser une structure de diffraction dont la taille caractéristique est proche de la longueur d’onde de de Broglie. Pour un neutron thermique λdB ∽ 10 pm : une taille de structure qui est hors de portée de toute micro-fabrication. Pour développer des interféromètres de ce type, il a donc été nécessaire de mettre au point des techniques permettant de ralentir les particules (neutrons, électrons, atomes, ions, …). Dans un premier temps, les particules ont été refroidies dans des jets supersoniques : la direction perpendiculaire au jet de particules était fortement « ralentie », permettant par exemple d’atteindre une température transverse de 6 mK pour un jet d’Hélium en 1984 [28] [29]. La réduction du moment transverse était affinée en utilisant une succession de 2 fentes de collimation, sélectionnant les classes d’atomes ayant une vitesse transverse limitée. Le principe du piégeage de particules par pression de radiation a émergé au début des années 1970, avec la mise en évidence de cette force et la réalisation de tels pièges sur des particules de Mie et Rayleigh en solution [31] [32]. Peu après, le piégeage et le refroidissement d’atomes neutres de Sodium a été réussie, atteignant une température de piège inférieure au mK [33]. La découverte du mécanisme de refroidissement Sisyphe a permis d’atteindre une température limite inférieure à limite Doppler [34] [35], atteignant une température ≤ 3µK pour des atomes de Césium après une mélasse optique en 1990 [30]. Ce type de piège a permis de réduire sensiblement la taille des expériences, en utilisant une géométrie en « fontaine » : les atomes sont piégés et refroidis, puis lancés verticalement, et interrogés durant leur phase de chute libre [36]. Ce type de géométrie est à la base de notre gyromètre et des horloges atomiques. Des températures encore plus basses ont été atteintes depuis, notamment grâce à la condensation de Bose-Einstein, qui présente d’autre part des propriétés de cohérence entre atomes [37].
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Table des matières
1 Introduction
1.1 De l’astronomie aux capteurs inertiels
1.1.1 L’astrolabe
1.1.2 Forces inertielles et effet gyroscopique
1.1.3 Gyromètres laser
1.2 Refroidissement, interférométrie, métrologie
1.2.1 Sources atomiques et refroidissement d’atomes par laser
1.2.2 Éléments d’interférométrie atomique : réseaux matériels et optiques
1.2.3 Interférométrie atomique et métrologie
1.3 Objectifs du projet
1.4 Plan du mémoire
2 Interférométrie Atomique
2.1 Manipulation Cohérente des Atomes
2.1.1 Transitions à 2 Photons
2.1.2 Couplage Atome – Laser
2.2 Interféromètres de Mach-Zehnder atomiques
2.2.1 Calcul du Déphasage
2.2.2 Déphasages Inertiels et Géométries
2.3 Fonctions de sensibilité
2.3.1 Sensibilité à la phase
2.3.2 Sensibilité aux Déphasages Inertiels
3 Caractérisation des éléments du gyromètre
3.1 Présentation générale du gyromètre
3.1.1 Architecture
3.1.2 Chambre d’expérience
3.2 Caractérisation de la source atomique
3.2.1 Banc de Refroidissement
3.2.2 Cycle de préparation
3.2.3 Caractérisation du piège
3.2.4 Lancement des atomes
3.2.5 Sélection micro-onde
3.2.6 Température des Atomes
3.2.7 Stabilité du Piège
3.3 Conception et caractérisation d’un système de détection par fluorescence
3.3.1 Principe de mesure
3.3.2 Conception et intégration des nappes de détection
3.3.3 Présentation du système de collection de haute sensibilité
3.3.4 Caractérisation préliminaire du système de collection
3.3.5 Caractérisation du système complet
3.3.6 Caractérisation du Bruit de Détection
3.4 Caractérisation de l’interféromètre
3.4.1 Génération des impulsions Raman
3.4.2 Mise en forme des impulsions Raman
3.4.3 Spectroscopie Raman et Oscillations de Rabi
3.4.4 Caractérisation de la sensibilité
4 Mesures inertielles de très haute sensibilité
4.1 Optimisation de l’interféromètre pour des temps d’interrogation courts
4.1.1 Géométries et temps d’interaction
4.1.2 Sensibilité inertielle
4.2 Alignement du parallélisme des deux paires de faisceaux Raman
4.2.1 Condition de fermeture de l’interféromètre et longueur de cohérence
4.2.2 Alignement vertical
4.2.3 Interféromètre de Ramsey – Bordé : Alignement suivant la direction
horizontale
4.3 Contraste
4.3.1 Calcul du Contraste
4.3.2 Simulations du contraste
4.4 Performances du gyromètre en environnement perturbé
4.4.1 Isolation Passive
4.4.2 Correction de la phase a posteriori pour une accélération pure
4.4.3 Correction de la phase a posteriori pour une rotation pure
4.4.4 Principes de l’isolation active
4.4.5 Conclusion
5 Conclusion
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