De l’approche théorique à la satire sociale
Situation socio-historique
La littérature se fait en fonction de l’espace-temps. Ces deux notions ont une importance capitale dans le champ littéraire car les œuvres romanesques s’inscrivent dans un cadre géographique et un temps bien donné dans l’histoire. Ceci semble être manifeste dans ces propos de Tomachevski repris par Genette dans Figures I « Chaque œuvre se trouve orienté par rapport au milieu littéraire, et chaque élément par rapport à l’œuvre entière. Tel élément qui a sa valeur déterminée à une certaine époque changera complétement de fonction à une autre époque » . Par conséquent, les œuvres ne sont que le fruit de la société dont elles reflètent la réalité. De ce fait, elles sont la conscience d’un univers bien circonscrit et d’une époque qui les a vues naître. C’est pourquoi nous nous intéresserons ici, dans notre corpus de deux œuvres issues de mondes différents et de temps de productions lointaines. Et chacune de ces œuvres est marquée, bien sûr, par les valeurs et les comportements de son temps et définit la culture de sa sphère de production. Il s’agit d’une part, de l’œuvre de François Mauriac, Le Nœud de Vipères, qui s’intéresse à la société française d’après-guerre. Mauriac en voulant peindre la société de son temps, fait recours au roman. Ce genre majeur a toujours été le domaine de prédilection pour beaucoup d’écrivains, du fait qu’il prend la société comme sa source d’inspiration. Et Le Robert de 1980 le définit ainsi : « Une œuvre d’imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, nous fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures .
Dans cette définition du Robert, la part de l’imagination est remarquable. Il faut reconnaître cependant que l’imagination ne part pas sur rien, c’est-à-dire que la production romanesque a pour base la société. Par conséquent, c’est l’utilité de ces mots dans la définition du Robert « des personnages donnés comme réels ». Ainsi, Mauriac est conscient du choix de ce genre romanesque pour représenter son époque et son espace, car le roman est fait d’un art qui touche à toutes les sensibilités. Et c’est en cela qu’il gagne un grand nombre de lecteurs. Par-là, Mauriac est sûr de pouvoir faire entendre son message.
Kourouma, lui en s’inscrivant dans une période appelée postcoloniale dans la grille classificatoire de la littérature négro-africaine, nous peint la société africaine en miniature. Dans son œuvre de fiction, Allah n’est pas obligé, il y a une multitude de maux gangrénant la société africaine que l’auteur met au goût du jour. Cette œuvre constitue un prolongement de sa première œuvre, Les soleils des indépendances, qui mettait en évidence l’échec des dirigeants africains au lendemain des indépendances. Mais dans ce roman, la situation est plus prégnante que dans le premier. Il constituerait même, dans une certaine mesure, les conséquences que Kourouma dépeignait dans Les soleils des indépendances, car la question qui sous tend la production de ce livre est le problème des guerres civiles en Afrique. Et ce genre de fléau prend souvent racine dans des circonstances telles que la mauvaise gestion du pouvoir ou des deniers publics, le malentendu et la divergence des points de vue.
Par conséquent, le constant est patent. Les composantes qui nourrissent l’œuvre romanesque Allah n’est pas obligé ne sont que la résultante des problèmes qui ont été soulevés dans l’œuvre inaugurale de Kourouma sur la scène littéraire africaine. Mais, à côté de cela, Kourouma pointe un doigt accusateur sur d’autres aléas qui touchent l’Afrique au lendemain des indépendances.
Ainsi, nous pouvons constater sur ce qui est dit précédemment que les thèmes qui nourrissent les œuvres de notre corpus ne sont que le miroitement de la sève nourricière de leurs époques et de leurs espaces géographiques. Et cela revient à dire que les œuvres sont au confluant de deux systèmes.
Il sera question dans ce chapitre de voir l’application de la critique sur Le nœud de vipères et Allah n’est pas obligé. Car Mauriac et Kourouma ont pris acte tous les deux de la situation qui prévalait dans leur temps. En faisant cela, ils invitent les lecteurs que nous sommes et l’opinion publique, à y prendre conscience, bien qu’il s’agisse de fictions dans leurs œuvres, mais de fictions qui ne sont pas étrangères à la réalité. Car, elles sont l’interprétation de celle-ci. C’est dans ce sens que Marthe Robert dans son étude théorique du roman disait :
Non seulement il n’est plus question, comme c’est encore pour le cas pour Littré, » d’histoire feintes, d’aventure amoureuse, écrite en prose avec art pour le plaisir et l’amusement du lecteur », mais maintenant le roman est déclaré d’utilité publique, doué de propriétés spécifiques qui lui permettent en quelque sorte naturellement de servir le bien et la vérité .
Le roman dans la mesure où il sert le « bien » et la « vérité » constitue un témoignage sur un moment vécu. Comme il l’a été avec les réalistes et manifestement avec Zola le chef de file du naturalisme dans son roman expérimental Germinal qui retrace avec force détails la dure condition de vie des mineurs.
Pour les œuvres du corpus nous chercherons à voir les motifs et les traces qu’elles portent de leurs contextes d’écriture. Puis, nous nous intéresserons aux diverses difficultés qui font l’état de diagnostic que les auteurs effectuent sur le monde référentiel des œuvres. Car « quand la mémoire va ramasser du bois mort, martèle Birago Diop elle rapporte le fagot qui lui plaît » et ceci nous renseigne davantage sur l’ordre de la priorité des choses qui inspirent les auteurs.
Contexte d’écriture des œuvres
Etant donné qu’une œuvre est souvent le produit du mariage des événements et du temps qui l’ont engendré, les œuvres de notre corpus, Le nœud de vipères de Mauriac et Allah n’est pas obligé de Kourouma, s’inscrivent dans cette perspective. Ces deux œuvres se déroulent dans des espaces ouverts dont l’histoire et la géographie sont celles des pays qui ont inspiré les auteurs. Ces espaces sont importants dans la production du sens et l’évolution de la trame narrative des récits. L’œuvre de Mauriac se situe dans la France des années trente. Cette époque correspond à l’après-guerre. C’est pourquoi l’œuvre renferme en elle-même les valeurs de ce temps. Et la situation de cette période d’après-guerre était contraire à celle de la « belle époque » au début du siècle où la société française paraissait stable et prospère. Ce XXe siècle est marqué par des métamorphoses importantes surtout sur le plan de la civilisation. Nous constatons en effet, une perte des repères ou des valeurs humanitaires. C’est peut-être dans ce sens que l’assertion de Paul Valéry a toute son importance : « Nous autres civilisations nous savons maintenant, que nous sommes mortelles » .
Cette situation tragique à la sortie de la guerre ne pouvait laisser de marbre les intellectuels et les écrivains français de ce temps, car l’homme, considéré comme un être doué de raison, devrait être capable de se contrôler et d’être au-dessus des valeurs qui font son temps. Mais ce siècle d’une civilisation industrielle et d’un avancement scientifique remarquable était au-delà du pouvoir humain. Par conséquent, ce phénomène avait abouti à un désastre mondial. Et cette guerre avait un impact dans la production littéraire du siècle. Beaucoup d’écrivains s’en sont ressourcés. Même si certains vont se lancer au souvenir de l’avant-guerre pour faire son éloge alors d’autres se réjouissaient de chanter cette paix retrouvée.
L’idéologie des écrivains change avec les mutations qu’a connues cette période. Ces écrivains ne cherchent plus à représenter des personnages comme ils étaient dans le roman de type balzacien, des êtres capables de comprendre le monde dans lequel ils évoluent. Les écrivains du XIXe siècle avaient le souci de vraisemblance. En effet, ils plongeaient leurs personnages dans un univers où la cohérence et la stabilité régnaient en maître. Par contre, le XXe siècle était d’une autre ambiance. Il était marqué par l’angoisse , l’incompréhension de l’homme qui l’habitait. De ce fait, l’homme était sorti meurtri et traumatisé par ce qu’il a vu et vécu pendant la guerre. C’est pourquoi il avait épousé d’autres comportements et valeurs plus aptes et plus conformes à ce siècle. Par conséquent, l’écrivain adoptait de nouvelles dispositions d’analyse pour mieux témoigner de cet état de fait qui traduisait la société de cette époque jugée à la limite immorale.
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Table des matières
INTRODUCTION
Première Partie : De l’Approche théorique à la satire sociale
Chapitre 1 : Situation socio-historique
1-1 Contexte d’écriture des oeuvres
1-2 Representation romanesque de la vie sociale
Chapitre 2 : La satire sociale
2-1 : Parodie de la famille
2-2 : La religion en question
Deuxième partie : Le langage et l’écriture satirique
Chapitre 3 : L’énonciation
3-1 : La narration comme stratégie de dénonciation
3-2 : Du temoignage a l’analyse de soi
Chapitre 4 : Les procédés d’écriture satirique
4-1 L’ironie satirique
4-2 : Un style subversif
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE