De la tradition rhétorique au discours publicitaire

DISCOURS PARADOXAL : UNE PUBLICITÉ CONTRE LA PUBLICITÉ

DISCOURS PARADOXAL : UNE PUBLICITÉ CONTRE LA PUBLICITÉ

Dans 99 F, le message est criant : la publicité est nuisible. Le paradoxe est évident : Octave est un publicitaire. Dès le départ, l’ambivalence est claire. Tout en insistant sur l’impact négatif de la machine publicitaire sur le monde, le narrateur continue d’en faire partie et, le comble, c’est qu’il s’y complait, dans une certaine mesure. Son écriture est, elle-même, une forme de propagande, une publicité contre la publicité. Octave se sert en effet de son rôle de publicitaire, employant le discours que ce rôle implique avec les stratégies qu’il sous-tend, et ce, dans le but ultime de prouver que la publicité est nuisible et qu’un monde exempt de celle-ci serait manifestement meilleur. Cependant, le narrateur persiste à agir comme bon lui semble et à faire ce qui lui plait puisque, tout en respectant à la lettre certaines règles relatives à l’argumentation publicitaire, il ne se gêne pas pour en briser d’autres que plusieurs chercheurs et théoriciens qualifient d’essentielles au fonctionnement de la communication publicité-public.

Le présent chapitre vise à mettre de l’avant l’utilisation du discours publicitaire dans le roman 99 F de Frédéric Beigbeder. Pour ce faire, les théories de L’Argumentation publicitaire (2000) d’Adam et Bonhomme me serviront de bases. Les approches de Cathelat et Cadet, notamment dans les ouvrages La publicité. De l’instrument économique à Vinstitution sociale (1968) et Socio-Styles-Système. Des «styles de vie»: Théorie, méthodes et applications (1990), ainsi que celles de Ries et Trout dans Le positionnement ([1981], 1987) seront également mises à contribution. Les idées de ces auteurs, en plus de m’appuyer dans la démonstration de la façon dont le discours publicitaire, axé sur l’illusion et le travestissement verbal de la réalité, se construit, serviront également à exposer divers manquements d’Octave par rapport à ce même discours puisque, tout en l’employant, il enfreint certaines de ses règles, parfois fondamentales.

Comme Octave est un publicitaire, son appartenance au milieu teint inévitablement le discours qu’il tient en ce sens qu’il emploie, dans le roman qu’il affirme lui-même écrire, des stratégies de séduction et de manipulation qui sont propres au monde de la publicité. Vu l’utilisation de cette forme de discours, il semble pertinent d’analyser la façon dont Octave se conforme ou s’oppose aux règles que sa profession sous-tend. C’est donc la façon dont s’élabore le discours publicitaire dans 99 F que j’étudierai dans ce chapitre. Mais d’abord, quelques précisions s’imposent. Il importe, à cette étape-ci, de tracer le parallèle entre certaines notions et certains termes utilisés par les divers auteurs précédemment nommés et ceux qui s’appliquent au roman à l’étude. Je débute par les termes « client/acheteur/consommateur potentiel/futur » et « prospect » qui sont tous employés afin de désigner le « destinataire/récepteur » d’un message publicitaire.

Il est évident que l’analyse d’un tel message dans ses formes de base, quel que soit le média exploité, requiert d’emprunter divers concepts au domaine de la consommation. Toutefois, dans le présent chapitre, je me servirai du mot « lecteur »3 pour représenter le destinataire/récepteur, mis à part dans les citations proposées qui, elles, contiendront les termes ci-mentionnés (il en sera ainsi pour tous les termes qui suivent). J’emploierai également le mot « narrateur » pour désigner P« émetteur » du message. En ce qui concerne le « produit », généralement matériel, mis de Pavant par le message publicitaire, je parlerai, dans le cadre du roman, d’un « idéal » qui, dans la vision utopique d’Octave, relèverait d’un monde sans publicité ; c’est ce monde que l’on cherche à « vendre » et c’est la publicité comme telle que l’on présente comme nuisible. Pour terminer, l’acte d’« achat » visé par toute annonce sera ici la simple « action » d’adhérer aux propos d’Octave. Les parallèles tracés le sont dans le but de simplifier la transition entre l’étude d’un message publicitaire ordinaire et celle du roman4 qui nous intéresse. Puisque les mêmes outils et les mêmes ressources seront exploités, ces distinctions paraissaient indispensables.

Feindre le dialogue ou comment maltraiter ses lecteurs

Bien que tout destinataire se sente interpellé par divers messages publicitaires, ces derniers sont construits sous la forme de modèles unilatéraux. En effet, la relation entre les deux pôles, soit celui du publicitaire et celui du public, est à sens unique. [L]es modèles unilatéraux définissent la communication publicitaire comme une action contraignante : un annonceur tout-puissant et omniscient utilise le canal du langage pour susciter une pulsion d’achat dans un public passif, désigné généralement par les termes de « cibles » ou de « prospect ». (Adam et Bonhomme, 2005, p.27) Cette opposition entre le Dieu publicitaire et sa cible est marquée dans 99 F, « Je Suis Partout» {99F, p. 21) affirme Octave. Cette phrase est révélatrice en ce qui a trait à l’omniprésence de la publicité, qui s’apparente à celle de Dieu. De plus, les majuscules employées poussent le lecteur à créer un rapprochement avec l’imaginaire religieux, qu’il le fasse inconsciemment ou non. L’affirmation du narrateur à savoir que « Jésus-Christ [est un] excellent concepteur-rédacteur » {99F, p.97) conscientise le lecteur par rapport à cette association incontournable entre la religion et la publicité, association dont Octave se déresponsabilise : « Qu’y puis-je si l’humanité a choisi de remplacer Dieu par des produits de grande consommation ? » (99F, p.23) Le parallèle entre Dieu et le Publicitaire avec un grand « P » est ainsi clairement tracé dans l’oeuvre. L’un n’allant pas sans l’autre, les lecteurs d’Octave sont à leur tour décrits comme soumis aux lois divines de la Sainte Publicité.

Vous faire baver, tel est mon sacerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas. […] L’hédonisme n’est pas un humanisme : c’est du cash-flow. Sa devise ? « Je dépense donc je suis. » Mais pour créer des besoins, il faut attiser la jalousie, la douleur, P inassouvissement : telles sont mes munitions. Et ma cible, c’est vous. {99F, p. 19- 20) Octave affirme ainsi sans détour prendre ses lecteurs pour cibles et les bombarder de munitions diverses, ce qui rejoint l’idée de «public passif» évoquée par Adam et Bonhomme. Jusque-là, le narrateur semble endosser le rôle du publicitaire modèle jouant le jeu de la publicité en respectant ses règles. C’est ici que les choses se compliquent. La nature monologique du discours publicitaire ne fait guère de doute. Dans cette conduite discursive asymétrique, le public-destinataire n’a pratiquement aucune initiative. En position basse, il est tributaire des manoeuvres persuasives de l’annonceur. Le discours publicitaire ne peut donc donner qu’une apparence d’échange à sa structure fondamentalement monologique. Se présentant comme un hybride énonciatif, il entremêle, pour ce faire, un ÊTRE MONOLOGIQUE et un PARAÎTRE DIALOGIQUE. Appelant fictivement le public à contribuer à l’élaboration de son contenu, convertissant sa stratégie de persuasion en une stratégie d’autoséduction, le discours publicitaire laisse croire qu’il brise la règle fondamentale de non-réponse de tous les médias. (Adam et Bonhomme, 2005, p.37 ; tel quel dans le texte)

La publicité mécaniste D’une part, Octave affirme ceci par rapport à ce que pense le patron d’entreprise type, incarné dans 99 F par Alfred Duler, des consommateurs : « II vous hait, sachez-le. Pour lui, vous n’êtes que du bétail à gaver, des chiens de Pavlov, tout ce qui l’intéresse, c’est votre fric dans les poches de ses actionnaires […]. Et que tourne le Meilleur des Mondes Matérialistes » {99F, p.43-44). Il prouve ainsi que les publicitaires considèrent le public comme une cible passive qui est manipulable et influençable. Cela donne un bon indice sur le fait que les « lois du conditionnement, de l’oubli, du renforcement, établies par l’école réflexologiste de Pavlov, ont été appliquées au comportement économique de l’Homme […] » (Cadet et Cathelat, 1968, p.89). D’autre part cependant, le simple fait d’affirmer ce que je viens d’évoquer met Octave dans une posture délicate. En effet, en tenant ce discours au travers duquel ses intentions sont limpides, le narrateur contrevient à l’efficacité du type de publicité dite mécaniste. « Pour que cette forme de publicité soit efficace, il est évidemment indispensable que le consommateur la reçoive passivement, sans esprit critique et se laisse pénétrer par elle » (Cadet et Cathelat, 1968, p.90). Ainsi, en suscitant chez ses lecteurs une réflexion, en provoquant chez eux une prise de conscience, Octave enfreint l’une des règles de base de cette théorie de la stratégie publicitaire puisqu’il est alors évident que ses lecteurs ne reçoivent pas l’information « passivement, sans esprit critique ».

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Table des matières

RÉSUMÉ
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 DISCOURS PARADOXAL : UNE PUBLICITÉ CONTRE LA PUBLICITÉ
l.l.DE LA TRADITION RHÉTORIQUE AU DISCOURS PUBLICITAIRE
1.2.LE DIALOGUE PUBLICITÉ-PUBLIC : UNE COMMUNICATION ROMPUE
1.2.1. Amorcer le dialogue ou comment attirer l’attention de ses lecteurs
1.2.2. Feindre le dialogue ou comment maltraiter ses lecteurs
1.3.DES STRATÉGIES AUX APPARENCES CONTRADICTOIRES : L’ÉVOLUTION DE LA PUBLICITÉ EN CONDENSÉ
1.3.1. La publicité informative et persuasive
1.3.2. La publicité mécaniste
1.3.3. La publicité suggestive
1.3.4. Des stratégies contradictoires
1.4.UN PUBLIROMAN ?
CHAPITRE II  TENTATIVE DE RACHAT : AVEU ET CONFESSION
2.1. LA CONFESSION : UN APPEL QUI DOIT ÊTRE ENTENDU
2.2. DÉCOUVERTE ET EXPRESSION DE L’INTÉRIORITÉ : À LA QUÊTE DU MOI
2.3. UN RITUEL THÉRAPEUTIQUE ET SALVATEUR : LES EFFETS DE LA CONFESSION
2.4. UN DISCOURS AUX INTENTIONS CONTRADICTOIRES
2.4.1. Sens caché : les intentions derrière les mots « je confesse »
2.4.2. La confession agressive : la diffusion de la culpabilité
2.5. CONFESSION OU DISSIMULATION
CHAPITRE III  AMBIVALENCE IDENTITAIRE : LA DOUBLE NATURE D’OCTAVE
3.1. COUPABLE OU VICTIME ?
3.1.1. Publicitaire à temps plein, coupable à temps partiel
3.1.2. Appeler au secours et demander pardon
3.2. CONCEPTS INCOMPATIBLES, MAIS INDISSOCIABLES
3.2.1. Agir : le vouloir ou le pouvoir ?
3.2.2. Être (ir)responsable de ses actes
3.2.3. Critiquer sa complaisance ou se complaire dans la critique
3.3. QUÊTE D’UN BONHEUR INACESSIBLE
3.4. AFFIRMATIONS CONTRADICTOIRES
3.4.1. Du congédiement à la promotion
3.4.2. De la confession au crime
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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