De la théorie à l’instrumentalisation de la séquence ERC

La théorie et les définitions liées à la séquence ERC 

Fondements théoriques de la hiérarchie ERC et de l’objectif de no net loss

L’application de la séquence ERC se fait à partir de la prédiction d’un impact (Impact prédit, IP) sur l’environnement. L’environnement est constitué de multiples composantes allant de composantes abiotiques (bruit, qualité de l’air, hydrologie, patrimoine culturel, etc.) à des composantes biotiques (diversité spécifique, écosystémique, populationnelle, dynamiques et interrelations écologiques, etc.), en passant par les services écosystémiques, depuis la loi Biodiversité (2016). Dans cette thèse nous centrons notre attention sur la composante biotique de l’environnement que nous englobons par la suite dans le terme de « biodiversité ». Une fois prédit, cet impact doit être atténué tout d’abord à travers des mesures d’évitement (E). Après évitement, l’impact est à nouveau évalué (IP’) et des mesures de réduction (R) doivent alors être mises en place. Après évitement et réduction, l’impact résiduel (IR) est calculé et la compensation (C) doit permettre de « neutraliser » l’IR ainsi calculé (Figure 1). La séquence ERC suit donc un principe comptable tel que:
– E ≠ 0 car la séquence est une hiérarchie (en théorie, si E=0, alors R et C ne peuvent pas exister)
– L’impact prédit (IP) = E + R + C

Ainsi, l’absence de perte nette de biodiversité ou no net loss (NNL) est atteint seulement si NNL = 0 = IP – E – R – C et le gain net de biodiversité (NG) est obtenu si IR < C. En théorie, si le NNL ne peut être atteint, alors l’impact prédit doit être plus atténué en amont via de nouvelles mesures d’évitement ou/et de réduction, jusqu’à ce que l’équivalence IR=C soit possible.

Quand IR tend vers zéro, la notion de « significativité » donne le seuil à partir duquel la compensation écologique doit être mise en œuvre (Figure 2). En dessous du seuil de significativité, l’impact résiduel est non significatif (IRns), la compensation écologique n’est pas nécessaire, l’application de la séquence ERC peut s’arrêter au R. Au-dessus du seuil de significativité, l’impact résiduel est significatif (IRs), la compensation écologique est alors nécessaire pour atteindre le NNL. On appelle « point de bascule » le point à partir duquel l’impact résiduel devient significatif.

Pour la mise en œuvre de l’outil, certaines règles ont été instaurées plus ou moins formellement au niveau international à travers les standards développés par le Business and Biodiversity Offsets Programme (BBOP) notamment (Encart 1), au niveau communautaire à travers les diverses directives européennes et au niveau national grâce à la doctrine ERC (MEDDE, 2012).

Ces règles sont :
– l’équivalence : écologique selon laquelle la perte et le gain de biodiversité doivent être équivalents sur la plan qualitatif (mêmes espèces, mêmes habitats naturels, mêmes fonctions écologiques, etc.) et quantitatif (au minimum : même nombre d’espèces, même surface d’habitats naturels, etc.); et temporels, qui a deux dimensions – d’une part le time lag (le temps laissé entre la perte de biodiversité liée au projet et le gain de biodiversité lié à la compensation écologique) doit être le plus petit possible, d’autre part, la durée du gain écologique doit être équivalente à la durée de l’impact ;
– la faisabilité : il doit être possible techniquement d’atteindre les objectifs fixés ;
– l’efficacité : les mesures doivent atteindre les résultats annoncés, elles doivent engendrer une plus-value écologique, elles doivent être additionnelles en permettant d’atteindre des objectifs écologiques qui ne pourraient être atteints grâce à d’autres politiques sectorielles.

Si l’on analyse plus en détail le NNL on s’aperçoit rapidement qu’au-delà de la théorie, c’est un concept qui n’est pas neutre. Par exemple, d’un point de vue comptable, le terme « nette » associé au concept d’ « absence de perte nette de biodiversité » :
1) introduit une perte de biodiversité assumée et autorisée résultant de la différence entre la perte brute évaluée et la perte nette compensée ;
2) ouvre la voie à un registre économique et comptable sous-entendant que l’on peut agréger des pertes et des gains pour obtenir un résultat « net » (que l’on souhaite supérieur ou égal à zéro en l’occurrence) et que la compensation est le seul moyen d’atteindre cet objectif.

Enfin, nous pouvons noter que NNL est un objectif à deux niveaux : au niveau global et politique (objectif européen par exemple), mais aussi au niveau des impacts spécifiques aux aménagements locaux (Maron et al., 2018). Dans nos travaux, c’est l’objectif lié aux impacts spécifiques de projets individuels auquel nous faisons référence lorsque nous évoquons ce concept.

ENCART 1 : LES 10 PRINCIPES DE LA COMPENSATION ECOLOGIQUE DU BBOP (2012) 

1- Atteindre le NNL
2- Tendre vers le Net Gain
3- Respecter la hiérarchie ERC
4- Poser les limites de ce qui est compensable
5- Prendre en compte le contexte local (paysager, environnemental, social et culturel)
6- Faire participer les parties prenantes
7- Mettre en œuvre une mesure de compensation de façon justifiée, équilibrée et équitable
8- Fixer des objectifs de résultat sur le long terme
9- Etre transparent et communiquer les résultats
10- Se baser sur des connaissances scientifiques et respecter les savoir-faire traditionnels lors de la mise en œuvre des mesures de compensation

Historique et contexte d’émergence des instruments pour atténuer les impacts anthropiques : de l’idée à son institutionnalisation 

Depuis le début du 18e siècle, dans l’espace occidental, différents courants de pensée discutent les limites associées à notre mode de vie au regard des ressources naturelles disponibles. Ces réflexions, pour certaines encore au stade d’intuitions, restent à être démontrées sur des bases scientifiques, mais elles fondent une prise de conscience sur les risques d’une relation déséquilibrée entre l’homme et la nature, qui se globalisera au 20e siècle. Au cours du dernier siècle, plusieurs phases historiques façonnent cette prise de conscience (Figure 3). Une première période post deuxième guerre mondiale, pendant les trente Glorieuses, se construit autour d’une logique de reconstruction qui est dominante en Europe. En effet, le contexte fait que les besoins de base sont à assouvir, ce qui entraîne une vaste politique d’aménagement du territoire avec l’industrialisation de l’agriculture et de grands travaux de l’État (routes, voies ferrées et logements). Puis, un net tournant s’opère dans les années 70 avec l’émergence d’une réglementation environnementale qui vise à mettre en place des instances et un cadre réglementaire en réponse au néo libéralisme naissant. Portée par Ignace Sachs dès 1972 et accompagnée des travaux du Club de Rome dans les années 1970, l’idée d’un « écodéveloppement » fait son chemin avec pour objectif de raisonner notre développement. En parallèle, des mouvements sociaux soutenant des positions vivement opposées à un développement positiviste déshumanisé s’organisent dans les pays occidentaux : le post-modernisme s’installe. La troisième et dernière phase d’appropriation de la notion de développement durable voit l’instauration, à partir des années 90, d’une logique de compromis actée entre développement économique et croissance d’une part, et préservation de l’environnement, de la nature et de la biodiversité d’autre part. Le rapport Brundtland en 1987 sur le concept pivot de développement durable et le sommet de la Terre à Rio en 1992 posent les pierres d’un développement équilibré, souhaité comme durable.

Les mécanismes plus fins de la prise en compte de l’environnement dans les politiques publiques d’aménagement du territoire sont importants à mettre en lumière pour à la fois comprendre la maturation de cette prise de conscience et simultanément mieux saisir la problématique de cette thèse, à savoir leur manque d’effectivité depuis plus de 40 ans en France.

Tout d’abord, dans les pays occidentaux, la période des trente Glorieuses (1946-1975) est marquée par une très forte croissance économique avec notamment une modification intense des pratiques culturales ainsi qu’une artificialisation des sols entraînant une fragmentation des milieux naturels conséquente. En 1962, en écho à cette dynamique marquée, Rachel Carson, une biologiste américaine, publie « Printemps silencieux » qui relève les conséquences désastreuses des pesticides et de la pollution sur l’environnement. Cet ouvrage révèle les prémices du mouvement écologiste, avec un soutien croissant du mouvement par la société, et plus globalement les prémices d’une prise de conscience sur la « nature » (au sens biophysique) et plus largement aux problématiques environnementales généralisées. Ainsi, le cadre politique développé face à ces évolutions se focalise plutôt sur la mise en place des parcs nationaux (loi n°60-208 du 22 juillet 1960 relative à la création de parcs nationaux) comme réservoirs isolés de faune et de flore « à protéger ». Les années 70 marquent la fin des trente Glorieuses. Ce premier tournant de l’histoire intervient au moment de la publication de « The limits to growth » par le club de Rome en 1972 et de la conférence de Stockholm la même année qui met en avant la responsabilité particulière de l’homme dans la préservation des ressources naturelles mondiales. Le lien entre l’Homme et la Nature est de plus en plus reconnu. En parallèle, des grandes catastrophes polluantes aident à aller dans ce sens : notamment l’explosion d’une bombe atomique avec une contamination massive au Strontium 90 en 1945 au Nouveau-Mexique, la marée noire de l’Amoco Cadix sur les côtes bretonnes en 1978, des catastrophes Seveso comme à Bhopal (Inde) en 1984 ou encore la pollution radioactive sur plus de 200 km de rayon liée à Tchernobyl (1986). Les activités anthropiques ont un impact sur le milieu naturel, l’homme est responsable de la détérioration de la nature, il se doit d’agir.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : CONTEXTE, PROBLEMATIQUE ET DEMARCHE
Chapitre 1 – De la théorie à l’instrumentalisation de la séquence ERC
1.1 La théorie et les définitions liées à la séquence ERC
1.2 Historique et contexte d’émergence des instruments pour atténuer les impacts anthropiques : de l’idée à son institutionnalisation
1.3 La séquence ERC dans la réglementation aujourd’hui et demain, dans le monde, en Europe et en France
1.4 Du cadre réglementaire à sa mise en œuvre locale : quelle appropriation des concepts et outils par les acteurs ?
1.5 Le projet et le document de planification : deux échelles mal articulées et inégalement traitées
1.6 Un déséquilibre notable entre la phase d’évitement et de compensation
Chapitre 2 – L’application de la séquence ERC dans un socio-éco-système complexe
2.1 Un socio-écosystème comme système d’étude
2.2 Les échelles et échelons du socio-écosystème complexe
2.3 Des échelles dynamiques qui s’influencent et se croisent
2.4 Des défis d’échelles dans le socio-écosystème complexe
2.5 Une complexité intrinsèque à la séquence ERC
Chapitre 3 – Posture de recherche
3.1 Complémentarité des cadres d’analyse : entre biologie de la conservation, géographie et sciences de gestion
3.2 Une recherche-intervention à l’interface de l’action publique
Chapitre 4 – Questions, objectifs et cas d’étude
4.1 Objectif et question globale
4.2 Un territoire d’étude : le socio-écosystème de Montpellier Méditerranée Métropole
4.3 Questions et objectifs en lien avec les questions opérationnelles
4.4 Elements de méthode et cas d’étude
PARTIE 2 : SYNTHESE DES TRAVAUX
Chapitre 5 – L’étude d’impact, une approche évolutive mais limitée
5.1 Une échelle temporelle juridique fortement influente sur la pratique
5.2 L’étude d’impact : une échelle spatiale et temporelle d’aménagement du territoire partiellement adaptée
5.3 De la loi à sa mise en œuvre : un décalage dans les niveaux fonctionnels institutionnels
5.4 L’élaboration de l’étude d’impact : une arène de négociations entre acteurs à la recherche d’un compromis
Chapitre 6 – Apports et implications d’une approche territoriale et stratégique
6.1 Que signifient E, R et C aux échelons territoriaux et stratégiques ?
6.2 Les implications d’un changement d’échelle au regard de nos résultats
Chapitre 7 – Vers une démarche méthodologique opérationnelle ajustée
7.1 Quelle échelle pertinente saisir dans le millefeuille territorial ?
7.2. Pratiques et stratégies déjà mises en œuvre par les EPCI
7.3. Réflexion sur l’élaboration d’une démarche méthodologique
7.4. La démarche méthodologique théorique en bref
7.5. Test in situ : Retour sur l’implémentation du cadre méthodologique au sein de 3M
PARTIE 3 : DISCUSSION GENERALE
Chapitre 8 – Discussion et conclusion
8.1. Résumé des principaux résultats au regard des lacunes identifiées
8.2. La réponse à la question
8.3 Articulation avec les nouveautés réglementaires et doctrinaires
Chapitre 9 – Perspectives
9.1. Perspectives pour la recherche
9.2. Propositions pour l’action
9.3. La solidarité écologique : un principe de base pour l’aménagement du territoire ?
CONCLUSION

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