De la “ terre des ancêtres ” aux territoires des vivants

Ambohibola, un village de pêcheurs 

La portion littorale à laquelle s’intéresse notre étude , est située à l’extrême Sud du pays Mahafale, dans une région caractérisée par sa subaridité. Bordé par le canal de Mozambique à l’ouest, cet ensemble régional s’étend entre les fleuves Onilahy au nord et Menaranja au sud. Il se subdivise en trois bandes parallèles assez différentes (Joelson, 1991). Le long de la façade maritime s’étend l’étroite plaine côtière sur sol dunaire, large en moyenne d’une dizaine de kilomètres. A l’est, s’élève rapidement le plateau calcaire mahafale qui se prolonge par la pénéplaine, zone de savane, sur laquelle on trouve les plus importants bourgs de la région mahafale (Ampanihy, Ejeda, Betioky) reliés aux principaux pôles urbains (Tuléar, Fort-Dauphin) par une route de mauvaise qualité.

Dernière région soumise au début du XX° siècle lors de la colonisation (Engelvin, 1937), le pays mahafale est jusqu’à aujourd’hui caractérisé par un enclavement très fort. La région a été significativement délaissée par les différents gouvernements successifs et n’a fait l’objet que de très peu d’investissements et d’aménagements comparativement aux autres régions de l’île (Esoavelomandroso et al., 1991). Pendant plusieurs siècles, la plaine côtière a toujours été plus peuplée que les zones forestières peu habitées du plateau (ibid.). Avec 22,4 hab/km², la circonscription d’Androka continue d’être la plus peuplée de la plaine côtière (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001).

On peut évoquer plusieurs raisons pour comprendre cette répartition de la population (Esoavelomandroso et al., 1991) : des raisons écologiques d’abord (dues à la qualité des sols de la plaine côtière et la diversité des milieux et des ressources disponibles), des raisons historiques et économiques ensuite (grâce à la présence de la mer qui a fait des gens de la plaine des intermédiaires avec le reste de l’arrière-pays pour les filières d’échanges qui se sont mises en place avec les navigateurs étrangers, notamment pour le commerce des fusils), et enfin des raisons politiques et militaires (le vaste plateau forestier et l’escarpement de faille débouchant sur la plaine ayant longtemps constitué une barrière naturelle contre les agressions des autres groupes voisins). Il faut donc y voir une adaptation collective ancienne des groupes résidents de la plaine côtière qui restent très attachés à leur région, profitent d’une multitude d’opportunités sur la côte, mais qui ont aussi de longue date pris l’habitude d’exploiter les vastes forêts et savanes du plateau et de la pénéplaine, notamment pour la transhumance des troupeaux et l’extension de leurs pratiques agricoles (Joelson, 1991).

Les groupes mahafale les plus implantés dans la région descendent d’agropasteurs qui se seraient installés entre les XV° et XVIII° siècles (Battistini, 1964 ; Charles, 1986 ; Esoavelomandroso et al., 1991). C’est à cette époque que les territoires des plus importants groupes lignagers se sont développés de façon autonome, en instaurant toutefois entre eux des échanges et une cohésion régionale toujours d’actualité (Esoavelomandroso et al., 1991) .

L’arrivée de différents groupes de pêcheurs et la pénétration de l’économie monétaire ont cependant sensiblement modifié les rapports sociospatiaux au sein de la plaine côtière. Dans ce premier chapitre, nous essaierons donc d’appréhender les principales caractéristiques de l’espace régional, son organisation et ses mutations, afin de livrer plusieurs clés pour appréhender le reste de notre travail. Nous centrerons particulièrement nos analyses sur le littoral d’Androka et le village d’Ambohibola.

Le littoral mahafale : un espace composite 

Une mosaïque de milieux écologiques 

Avant de présenter les écosystèmes marins, nous présenterons les milieux que nous avons ici associés à la plaine côtière. Compte tenu de l’influence du domaine marin sur plusieurs de ces espaces, le choix de les associer ici à la plaine côtière ne doit pas laisser penser à une stricte dichotomie entre espaces marins et espaces terrestres qui ne serait pas opérante pour appréhender la dynamique des milieux.

La plaine côtière mahafale

La région est caractérisée par un climat tropical subaride à deux saisons : une saison chaude et pluvieuse de décembre à mars (températures moyennes entre 23 et 34°C) et une saison plus fraîche et sèche d’avril à novembre (températures moyennes entre 15 et 28°C).

Recevant en moyenne moins de 400 mm de précipitations par an, la plaine côtière est une des régions les plus sèches de Madagascar. Très irrégulières au cours de l’année, plus de la moitié de ces précipitations se concentrent lors de la saison chaude entre les mois de décembre et mars. Leur variabilité interannuelle est cependant très importante (Ferry et al., 1998) et provoque fréquemment d’importantes sécheresses. Hoerner considère que « les besoins de l’agriculture en eau ne seraient plus assurés deux années sur cinq tandis qu’une année sur dix serait franchement catastrophique » (1991a : 8). Les précipitations sont encore caractérisées par une grande hétérogénéité spatiale. Aussi, la pluviométrie peut elle fortement varier entre deux terroirs agricoles relativement proches. L’agriculture est donc soumise à d’importantes contraintes hydriques.

A cause des forts vents desséchant qui souffle toute l’année dans la région, l’érosion éolienne apparaît comme « le principal facteur de sahélisation » (Hoerner, 1991b : 148). Sur les terroirs agricoles particulièrement, elle produit un double effet d’érosion des sols nus cultivés et d’ensablement des parcelles. Le plus fréquent de ces vents, le tsiokatimo, prend une orientation parallèle à la côte en provenance des secteurs Sud à Sud-Est que l’on peut lire dans l’orientation des dunes côtières.

En raison de leur intensité, les vents limitent aussi sensiblement le nombre des journées de travail des pêcheurs. Nous avons pu observer à plusieurs reprises des retours prématurés en raison du forcissement rapide du vent au cours de la journée. Les taux de sorties moyens sont de 15 à 20 jours par mois. Lors de l’été austral, la diminution des pressions sur le canal de Mozambique crée les conditions propices à la propagation des cyclones très redoutés des pêcheurs. Les plus dures années de sécheresse peuvent provoquer de sévères disettes (kere) pour les populations de la région. A ces périodes particulièrement, d’autres espaces et ressources de la plaine côtière apparaissent alors essentiels pour leur subsistance, comme la mer, les forêts de la plaine côtière et les plus vastes forêts encore du plateau mahafale.

De la plaine côtière au plateau karstique 

Large d’une quinzaine de kilomètres au niveau d’Androka, la plaine côtière « est formée pour l’essentiel de sables éoliens meubles grésifiés et d’alluvions fluviatiles sablo-limonoargileux » (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001 : 18). Elle est constituée par un ensemble de massifs dunaires de différents types entrecoupés par des lits fluviaux (Linta, Menaranja). Outre les dunes vives (sables nus), nous en distinguerons ici principalement deux types (Battistini, 1964 ; Lebigre et Réaud-Thomas, 2001) :

– Les dunes flandriennes s’étendent parallèlement à la mer principalement entre la lagune de Bevoalavo et Saodona. Selon le degré de fixation de ces dunes (particulièrement dynamiques sur le cordon littoral), des cortèges végétaux prennent des formes diverses allant des plantes pionnières (Ipomea pes-caprae, Zygophyllum depauperatum, Leptadenia sp., composées) à des fourrés denses caractérisés par la présence de plusieurs espèces arbustives (Poupartia minor, Euphorbia stenoclada, Salavadora angustifolia, Croton spp., …).
– Les dunes karimboliennes et tatsimiennes grésifiées, plus anciennes que les précédentes, se situent plus à l’intérieur des terres. Dans les zones non défrichées, les formations végétales y sont bien développées. Les espèces les plus typiques de ce fourré sec sont Euphorbia plagiantha, Didierea trollii, Alluaudia dumosa, Jatropha mahafalensis, Commiphora sp., Cedrelopsis grevei. En raison de leurs bonnes qualités agronomiques (Battistini, 1964 ; Hoerner, 1991b), ces terres abritent la plupart des terroirs agricoles de la plaine côtière .

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
LES LITTORAUX AU CŒUR DE L’ACTION PUBLIQUE
PROBLEMATIQUE ET CADRES D’ANALYSE
ABORDER LE TERRAIN : ITINERAIRE D’UNE RECHERCHE
LOGIQUE DE LA THESE
PARTIE I : AMBOHIBOLA, UN VILLAGE DE PECHEURS
CHAP. 1 LE LITTORAL MAHAFALE : UN ESPACE COMPOSITE
1.1 UNE MOSAÏQUE DE MILIEUX ECOLOGIQUES
1.2 LA PREGNANCE D’UN RAPPORT SINGULIER A L’ESPACE
CHAP. 2 UNE REGION EN MUTATION
2.1 L’HETEROGENEITE DU PEUPLEMENT
2.2 LE ROLE D’AMBOHIBOLA DANS LA RECONFIGURATION DE LA REGION
CONCLUSION : UN VECU PARTAGE
PARTIE II : LA PECHE A AMBOHIBOLA : UNE ACTIVITE CENTRALE
CHAP. 3 LES PRATIQUES DE PECHE : UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE
3.1 LE TEMPS DES CHASSEURS DE TORTUE
3.2 LE BOOM DES PECHES AUX FILETS ET SES EFFETS
3.3 LA PECHE AU REQUIN ET LA REINVENTION DE LA TRADITION
CHAP. 4 LES STRATEGIES DE PECHE AUJOURD’HUI
4.1 PHYSIONOMIE ACTUELLE DU SYSTEME DE PECHE D’AMBOHIBOLA
4.2 LES DYNAMIQUES DE SPECIALISATION ET LEURS ECHELLES
4.3 QUELLES RATIONALITES POUR L’EFFORT DE PECHE ?
CONCLUSION : LOGIQUES SOCIALES ET MAITRISE DE L’INCERTITUDE
PARTIE III : LES TERRITOIRES DE LA GOUVERNANCE : UNE APPROCHE PAR FACETTES
CHAP. 5 LES ESPACES DE RESIDENCE
5.1 DES ESPACES EMBOITES, DES POUVOIRS MULTIPLES
5.2 UNE AUTONOMISATION RELATIVE DE L’ESPACE POLITIQUE VILLAGEOIS
CHAP. 6 LES TERROIRS AGRICOLES AMENAGES
6.1 LES CHAMPS DE CULTURES PLUVIALES OU VALA
6.2 LES CHAMPS DE CULTURES ALLUVIALES OU BAIBO
CHAP. 7 LES LIEUX SACRES
7.1 LES CIMETIERES
7.2 LA GESTION DES TANIFALY (« TERRES TABOUES »)
CHAP. 8 LES ESPACES TERRESTRES NON AMENAGES : RESSOURCES DE PROPRIETE
COMMUNAUTAIRE OU RESERVES FONCIERES ?
8.1 DES USAGES MULTIPLES, UN STATUT IMPLICITE
8.2 DES MODES D’ACCES FORMELS ET INFORMELS
8.3 REDEFINITION DES STATUTS ET DES DROITS SUR DES ESPACES COMMUNAUTAIRES AFFECTES D’USAGES NOUVEAUX
CHAP. 9 LES ESPACES MARINS
9.1 DIVERSITE DES LIENS TISSES AVEC LA MER
9.2 DES POSITIONNEMENTS AMBIGUS FACE AUX REGLES OFFICIELLES
9.3 ORGANISER LOCALEMENT DES ACCES ET DES USAGES MULTIPLES
CONCLUSION : LA PLURALITE DES NORMES DU TERRITOIRE
PARTIE IV : L’ENJEU TERRITORIAL DES NOUVEAUX MODES DE GOUVERNANCE
CHAP. 10 LES INSTITUTIONS EXOGENES ET LEURS STRATEGIES
10.1 LE DISPOSITIF ETATIQUE A L’HEURE DE LA GOUVERNANCE
10.2 LES ITINERAIRES DU DEVELOPPEMENT LOCAL : DE L’IDEOLOGIE A LA PRATIQUE
10.3 LES DISPOSITIFS MARCHANDS ET LEURS RATIONALITES MULTIPLES
CHAP. 11 « GOUVERNANCE PARTICIPATIVE » ET ENJEUX LOCAUX
11.1 DES STRATEGIES INSTITUTIONNELLES LOCALES DIFFERENTES
11.2 LE NOUVEL ORDRE TERRITORIAL ET SA GOUVERNANCE
CONCLUSION GENERALE

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