De la tentative de standardisation à l’émergence de nouvelles alternatives de consommation alimentaire

ETATS DES LIEUX THÉORIQUES

Depuis les années 1990 la recherche a commencé à s’intéresser aux différents systèmes agro-alimentaires alternatifs (S3A)3 ou Alternative Food Networks (AFN). Ces études qui ont analysé une multitude de formes de systèmes agro-alimentaires alternatifs s’inscrivent majoritairement dans une de trois approches théoriques. Un premier volet d’étude s’inscrit au « croisement d’une économie politique d’inspiration marxiste et de la sociologie critique et s’attache à l’analyse des rapports » (Deverre et Lamine 2010 : 65) alors qu’une deuxième approche se base plutôt sur la théorie de la structuration4 d’Anthony Giddens. Un troisième groupe de travaux peut être affilié à la sociologie de l’innovation et l’analyse des réseaux d’acteurs. Ces derniers, s’inspirant de travaux de Granovetter et Polanyi (embeddedness), sont particulièrement présents dans les travaux français (Deverre et Lamine, 2010). Les S3A ont été étudiés non seulement sous différentes postures théoriques mais aussi au sein de différents courants de la sociologie. « Les S3A constituent à la fois un objet interdisciplinaire […] et un objet proprement sociologique qui permet aux auteurs de cette discipline de construire ou de consolider de nouveaux fronts scientifiques au sein de la sociologie rurale, mais aussi de celle de l’environnement et de la sociologie politique. » (Deverre et Lamine 2010 : 65).

Ce sont des auteurs comme Goodman et DuPuis (2003) qui ont marqué la sociologie rurale avec la théorisation conjointe de la sphère de la consommation et de la production – la sphère de la consommation ayant été longtemps négligée dans ce champ d’étude. « Ce « tournant vers la consommation » de la sociologie rurale permet d’approfondir l’analyse des interrelations entre systèmes de production et systèmes de consommation, de développer de nouvelles formes de critique des systèmes agro-alimentaires (food systems) (Lockie & Kitto, 2000 ; Evans et al., 2002) et de (re)politiser la question de la nourriture (Goodman, 2002 ; Goodman & Dupuis, 2002 ; Lockie, 2002 ; Whatmore et al., op. cit., Goodman, op. cit.). » (cité in Deverre et Lamine 2010 : 66). Deverre et Lamine (2010) constatent également que les travaux sur les systèmes agro-alimentaires alternatifs s’inscrivent souvent dans une approche qualitative et s’intéressent à la comparaison et à la catégorisation de ces initiatives.

Les travaux sur les initiatives d’ACP en Suisse

Depuis une dizaine d’années plusieurs travaux consacrés aux initiatives d’ACP en Suisse ont été publiés. Porcher (2011) s’est intéressée par exemple aux différents types d’organisation, au fonctionnement des initiatives (division du travail, quantité produite, prix…). Elle a également fait le point sur le nombre d’initiatives et de consommateurs en Suisse romande, le profil des consommateurs et des producteurs. A part la description de la situation actuelle de l’ACP en Suisse, l’étude de Schlicht et al. (2012) se penche sur une analyse du soutien politique de l’ACP. Ils constatent que le concept d’ACP n’est pas largement connu en Suisse et peu soutenu par les milieux politiques. Aucun soutien n’existe au niveau fédéral – pour des raisons légales les initiatives d’ACP ne qualifient pas pour les paiements directs versés aux agriculteurs. La ville de Genève est la seule à s’engage activement dans la promotion de ce modèle d’affaire. Bühler (2017) a étudié le sens que donnent les consommateurs et producteurs à leur initiative d’ACP et aux lieux de production dans trois initiatives d’ACP5 en Suisse. Pour ce faire, elle a mené des observations participantes et des entretiens pour ensuite dans un premier lieu analyser l’expérience communautaire (l’organisation du travail dans l’initiative, la construction de relations de confiance mais aussi la question de savoir qui a véritablement accès6 à une initiative d’ACP).

Ensuite, Bühler a étudié l’échange de savoirs7 grâce à l’expérience dans les champs et la coprésence de différentes personnes pendant les travaux dans les champs. Elle montre l’importance de cette expérience pour la reconnaissance de l’effort nécessaire à la production alimentaire. Enfin, elle s’est aussi intéressée aux éléments qui contribuent à la construction de sens, notamment les discours et la mise en pratique de valeurs « alternatives » par l’engagement dans une initiative d’ACP. Fresia et al. (forthcoming) mènent actuellement une recherche sur l’ACP en Suisse romande. Ils s’intéressent particulièrement à la relation entre producteurs et consommateurs. Ils cherchent à mieux comprendre la création et gestion d’initiatives d’ACP, l’impact de prescription ainsi que de l’engagement dans une initiative d’ACP sur les habitudes de consommation alimentaire des membres ainsi que la perspective des producteurs et la durabilité des ACP. Pour ce faire, ils mènent des études de cas auprès de trois initiatives d’ACP en Suisse romande. En guise de synthèse, nous pouvons dire que ces différentes contributions nous informent sur le fait que les initiatives ACP sont encore peu connues et aussi rarement soutenues par des acteurs publics mais que ces modèles de production et de consommation se répandent de plus en plus en Suisse. Nous constatons également que les travaux dans les champs peuvent signifier l’acquisition de nouvelles compétences et une compréhension approfondie du processus de production.

La consommation engagée

La croissance de pratiques de consommation où une injonction à agir incite les consommateurs à choisir certains produits ou certains moyens de consommation est observée depuis quelques années. Plutôt que de viser le gouvernement d’un pays comme le font les modes de participation politique traditionnel, la consommation engagée cherche à critiquer et à changer le marché par des actions marchandes. Des explications possibles pour l’augmentation de la volonté des consommateurs à exprimer leur opinion politique pour changer le marché pourrait être trouvées dans le fait qu’on observe de fortes tendances d’individualisation8, de mondialisation et de libéralisation des échanges économiques ainsi qu’une perte d’influence de l’État-nation (Balsiger, 2009). Concrètement, ces actions dans le marché par un « citoyen-consommateur » (Balsiger 2017 : 194) se traduisent dans des formes collectives ainsi qu’individuelles. Dans certains cas, il s’agit d’un acte d’achat, dans d’autres plutôt de « pratiques sociales élargies » (Dubuisson-Quellier 2009 : 136). Un acte d’achat individuel serait par exemple le refus de certains produits (« boycott ») ou encore par l’achat de produits particuliers (« buycott9 ») (Balsiger 2017 : 195) – comme par exemple l’achat d’une banane « fair trade » à la place d’une banane conventionnelle ; un acte plus collectif serait par exemple la consommation à travers une initiative d’ACP. Une pratique sociale élargie individuelle consisterait à pratiquer la décroissance ; des actions plus collectives pourraient comporter des campagnes anti-OGM ou des actions anti-publicitaire (Balsiger, 2017 ; Dubuisson-Quellier, 2009). Ces travaux traitent donc de la croissance, de la spécificité de ce genre de lutte qui choisissent le marché comme arène de contestation politique (Balsiger ; 2009 ; Balsiger, 2017 ; Dubuisson-Quellier, 2009), du profile typique d’un consommateur engagé (Balsiger, 2017) ainsi que des motivations pour y participer (Dubuisson-Quellier, 2009). Par contre, nous constatons que ce courant comporte certaines limites car la focalisation demeure principalement axée sur le marché et l’acte de consommation engagée lui-même.

La théorie des pratiques

Afin de compléter en partie les apports de la consommation engagée, nous mobilisons la théorie des pratiques pour mieux comprendre comment un acte de consommation engagée, donc un acte de consommation portant un contenu politique se traduit dans le quotidien. La théorie des pratiques offre des outils utiles pour comprendre les négociations quotidiennes de ces pratiques de consommation ainsi que leur modification au cours du temps (Shove et Pantzar, 2005 ; Shove et al., 2012 ; Halkier et Jensen, 2011). Les origines de la théorie des pratiques en sciences sociales remontent à des auteurs comme Bourdieu et Giddens mais ce sont les approches plutôt philosophiques de l’Américain Theodore Schatzki (1996) et l’Allemand Andreas Reckwitz (2002) qui sont perçues comme fondatrices de ce courant théorique. Ces travaux théoriques ont été suivis par des contributions empiriques de certains auteurs clés comme Alan Warde, qui s’est penché sur la consommation durable, et Elisabeth Shove, qui en 2005 a publié avec Mika Plantzar un travail sur l’analyse de la popularisation de la pratique du Nordic Walking (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013 ; Shove et Pantzar, 2005).

Selon Reckwitz, la particularité de la théorie des pratiques est le fait que le social est situé dans les pratiques plutôt que dans le symbolique ou dans les interactions (Shove et al., 2012). Il définit les pratiques en rassemblant les premières contributions au champ comme : « Une « pratique » est un type de comportement routinisé qui consiste en plusieurs éléments interconnectés entre eux : des formes d’activités corporelles, des formes d’activités mentales, des « choses » et leur usage, des connaissances de base constituées de compréhension, savoir-faire, états émotionnels et motivations. » (2002, cité par Dubuisson-Quellier et Plessz 2013 : 4). Une diversité d’éléments et de niveaux jouent donc un rôle dans la composition d’une pratique. Cet ensemble d’éléments peut être reproduit continuellement par la mise en pratique d’une multitude d’actions singulières. Par la suite, nous utiliserons comme définition de travail la définition simplifiée de Shove et al. (2012). Ces derniers définissent les pratiques comme étant composées de trois éléments interconnectés : matériaux, compétences et sens10 qu’attribuent les pratiquants à leurs pratiques. Il s’ensuit qu’une pratique évolue si la combinaison de ces trois éléments, les liens entre eux et la façon dont ils s’influencent mutuellement, changent.

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Table des matières

Introduction
1. Contextualisation de la recherche et Etats des lieux théoriques
1.1 De la tentative de standardisation à l’émergence de nouvelles alternatives de consommation alimentaire
1.1.1 L’ACP : Généralités
1.1.2 L’ACP : une forme de consommation particulière
1.2 Etats des Lieux théoriques
1.2.1 Les travaux sur les initiatives d’ACP en Suisse
2. Partie théorique
2.1 Problématique
2.2 Cadre Théorique
2.2.1 La consommation engagée
2.2.2 La théorie des pratiques
2.2.3 La trajectoire militante et le désengagement
2.2.4 Aspect transversal : les valeurs
2.3 Synthèse, questions de recherche et hypothèses
3. Méthodologie
3.1 Choix du terrain et méthodes utilisées
3.1.1 Choix du terrain et sélection de l’échantillon
3.1.2 Récolte des données
3.1.3 Méthodes d’analyse
3.2 Limites
4. Terrain
4.1 Historique de l’ACP et définition
4.2 Présentation du cas d’étude : l’initiative d’ACP Dunkelhölzli
4.2.1 L’initiative et ses contraintes
5. Restitution, analyse et interprétation
5.1 Restitution : Trajectoires de désengagés du panier de légumes
5.2 Vue d’ensemble des trajectoires de désengagement
5.3 Analyse
5.3.1 Phase d’engagement ex-ante : les prédispositions des consommateurs désengagés
5.3.2 Phase d’entrée en contact : le système de valeurs individuel et les valeurs émises par l’objet
5.3.3 Phase de confrontation concrète : l’épreuve et les signaux de déclin
5.3.4 Bilan de l’analyse
5.4 Interprétation
5.4.1 Les militant-e-s négociateurs/trice
5.4.2 Les militant-e-s en trajectoire croissante
5.4.3 Les militant-e-s idéalistes
6. Conclusion
6.1 Retour sur les questions de recherche et hypothèses
6.2 Bilan de recherche
6.2 Contributions
6.2.1 Contributions théoriques
6.2.2 Contributions pratiques
6.3 Ouvertures
6.3.1 Rôle liens personnels pour engagement
6.3.2 La dimension genre
6.3.3 Traduction à d’autres domaines
6.3.4 Comparaison avec d’autres contextes macro-politico-économiques
Résume
Bibliographie
Annexe 1 : Grille d’entretien
Annexe 2 : Questionnaire complémentaire
Annexe 3 : Cartographie dépôts, 2017
Annexe 4 : Evolution temporelle du nombre d’abonné-e-s

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