De la question d’Orient à la décolonisation :  le devoir moral de l’Occident

Des Croisades à l’Orientalisme : les missions occidentales en Orient

L’objectif de cette partie sera de montrer que les fondements de la diplomatie occidentale sur le Moyen-Orient ne sont pas neutres, ils proviennent de représentations largement diffusées par l’orientalisme du XIXe siècle, qui tire ses racines des premiers contacts entre ces « deux mondes » et notamment lors des Croisades

De la préhistoire au pré-Orientalisme

Le Moyen-Orient, terre de passage et d’échanges, berceau des civilisations et des religions 

C’est sous ces termes que s’interroge Jean-Claude Margueron, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études en 1996. Si de nos jours, le Moyen-Orient apparaît comme cette région mouvementée, terre de conflits, ce n’est pas la « faute de la fatalité », comme pourrait le reprocher le personnage de Charles Bovary dans l’œuvre célèbre de G. Flaubert. La vision fataliste d’un MoyenOrient à la dérive, est à l’image de la dérive des continents qui, de l’unité de la Pangée, éclata l’ensemble oriental pour le morceler.
Pourtant, la situation géographique du Moyen-Orient est, en de nombreux points, remarquable. C’est en effet une région qui n’est assimilable à aucun continent.
Elle a une appartenance à l’Europe, par le détroit du Bosphore en Turquie, à l’Afrique par le désert du Sinaï en Égypte, et à l’Asie par la chaîne des monts Zagros, en Iran.
Remarquable, parce que la recherche scientifique actuelle positionne le MoyenOrient comme le premier foyer du passage du chasseur-cueilleur à la sédentarisation. C’est la révolution néolithique, que l’on nomme désormais néolithisation, la recherche scientifique ayant acceptée cette nuance rendant mieux compte du développement progressif, que l’on fait remonter dans la région à partir de 12 000 avant notre ère. On y situe ainsi les premiers développements de l’élevage, de l’agriculture et de l’artisanat, dont témoignent les artéfacts retrouvés dans ces régions : Baalbeck, Jéricho, Khorsabad, Ninive, Palmyre, Persépolis, Suse, pour n’en citer que quelques-unes, c’est dans cette région que se développèrent le commerce et les premières villes. Cette position particulière a favorisé une expansion et un essor du commerce sans commune mesure, à cheval sur trois continents. Berceau de l’humanité, cette terre de partage est aussi disputée car elle porte les racines des trois religions monothéistes, du Judaïsme, puis du Christianisme et de l’Islam. Ce carrefour extraordinaire d’échanges entre les cultures en fait une zone de transfert et de commerce unique, ayant pour effet de rapprocher l’Asie, l’Europe et l’Afrique, c’est la fonction de la Route de la soie, par exemple. Ces éléments expliquent dès lors la fascination ancienne de la civilisation grecque, à la période classique, pour l’Égypte antique, la Mésopotamie, l’Empire Perse, qui font aujourd’hui encore appel à un imaginaire flamboyant, caractéristique d’ une combinaison rare entre démesure et raffinement.
Ce rapprochement sur un territoire entre des peuples et des cultures est aussi synonyme de contact. La région a été lourdement impactée par des influences et dominations multiples. L’Égypte, la Perse, l’Empire Byzantin, Alexandre le Grand, les Mongols, l’Empire Ottoman, aujourd’hui encore, elle catalyse les conflits. Le Croissant fertile est aussi fertile aux conflits. L’épisode des Croisades constitue un fait historique marquant dans l’imaginaire collectif de la fabrication d’un Orient « musulman » et d’un Orient « chrétien ».

L’épisode des Croisades, entre ferveur religieuse et intérêt pour l’Orient

Au début du XIIe siècle, l’intérêt théologique pour l’Orient par l’Occident prend la forme d’expéditions en Terre Sainte, que l’on appellera les Croisades. À cette période, l’Islam est un fait religieux relativement nouveau pour les Européens, qui au début submerge par son expansion territoriale. Entre le XI et XIIIe siècle, les Européens parlent de « voyage en Terre Sainte » ou de « pèlerinage », le terme de Croisades qui n’apparaît pas avant la fin de ces expéditions, vers 1240.
La société européenne, alors rigide et fragmentée, se rassemble pour prendre part aux expéditions, lors de huit campagnes. Ce voyage risqué est un grand investissement économique : il faut transporter les armées, la nourriture, une flotte. Ce sont des périples qui semblent aujourd’hui inconcevables avec les moyens de l’époque sur une telle distance. C’est ce qui a pu participer à donner la place que les Croisades ont dans l’Histoire contemporaine et leur instrumentalisation.
Parmi les croisés qui partent, on trouve des causes et des prétextes très divers.
Selon Anne-Marie Edde, professeur(e) d’Histoire médiévale, le motif religieux est premier dans l’argumentaire des croisés . La question religieuse est indéniable, mais il ne faut pas pour autant l’associer, à un fanatisme religieux, dirigé contre les Musulmans et constructeur dans l’imaginaire, de l’opposition Orient, Occident. À ce titre, il devient intéressant de noter que, sur le moment, les Européens ne se perçoivent pas comme des « croisés ». On parle à l’époque de « voyage » en Terre Sainte. Si cela semble indiscutable que le fait religieux faisait partie de l’argument de départ, les départs ont pu être motivés par des motifs croisés…
Jean-Caude de Margueron s’interroge : « Faut-il penser que certains Croisés étaient motivés autant par la ferveur religieuse que par un attrait exotique ?».
Cet « attrait exotique » rapproche inévitablement les croisés des orientalistes, attention toutefois à l’anachronisme. Les croisés pourraient-ils être précurseurs du mouvement ? L’initiative est occidentale, ces motivations sont-elles essentiellement religieuses ?
On peut expliquer en partie ce qui a pu motiver les Européens à faire ce voyage périlleux vers l’inconnu. L’indulgence plénière est une raison qu’il ne faut pas confondre avec la ferveur religieuse, accordée par le Pape : elle permet aux croisés, par le biais des tribunaux ecclésiastiques, fermant les yeux sur les horreurs commises, car agissant pour la cause sacrée. Comme exposé plus haut, Jean-Claude de Margueron explique : ils sont « libres de toute attache ». Lors de la première croisade, ce sont majoritairement des paysans qui se mettent en route, on parle alors de croisade des « gueux » et on dénombre seulement huit chevaliers. C’est donc aussi la perspective de l’absolution des pêchés qui a pu motiver les départs, mais aussi la découverte de nouveaux territoires, appartenant à l’Orient mythique et mystique comme il a été décrit dans les écrits classiques. C’est alors l’espoir de richesse que peux également offrir la libération de la Terre Sainte. Enfin à ces éléments, il faut ajouter le facteur politique sous le régime féodal : le Pape délie les serviteurs et vassaux de leur serment aux seigneurs. Ce sont donc des motivations bien profondes auxquelles il ne faut pas substituer l’unique dimension religieuse, bien qu’elle soit réelle.
Le facteur religieux s’exprime dans la volonté de libérer les Lieux Saints. Sous une forme de « légitime défense », cette libération se légalise aux yeux des Européens. « Dieu le veut ! Dieu le veut », tel fut le cri de ralliement, lors des Croisades . Le souhait noble de découvrir la terre d’Orient, n’empêche pas alors les pratiques les plus barbares : « Comme la plupart de leurs contemporains, ces pèlerins n’ont pas conscience du temps historique. Ils pensent que le Christ est à peine antérieur à leur époque, et s’acharnent à massacrer d’innocents groupes de juifs, qualifiés d’ « ennemis du Christ ».»
L’historiographie des Croisades a beaucoup évolué, par la recherche des chroniques du Moyen-Âge, on s’intéresse au départ essentiellement au point de vue occidental. Ce n’est que bien plus tard qu’est intégré le côté oriental, vu par les Musulmans, et donnant une toute autre image des expéditions . On peut relater ici l’épisode, peu glorieux, de Nicée en mai-juin 1097, où, afin de semer l’effroi sur les assiégés, les Francs catapultèrent des têtes de morts par dessus les remparts de Nicée.Avec le recul que permet maintenant notre regard sur l’Histoire, seule la première croisade est une « réussite » militaire, avec la création des États Latins d’Orient : le comté de Tripoli, la principauté d’Antioche, le roya ume de Jérusalem, et le comté d’Edesse, dont la perte va motiver la 2ème Croisade, et qui ne sera jamais repris. La perte de Jérusalem entraîna la 3ème Croisade. Enfin, la 4ème Croisade consistera en la libération du Saint Sépulcre, aux mains des Musulmans, mais en réalité, ce sera une croisade de Chrétiens contre d’autres Chrétiens : elle est déviée de son but par les Vénitiens, qui s’étaient engagés à pourvoir au transport des troupes en échange d’un financement qui ne pu être versé. Ils exigèrent alors en échange la prise de Zara (aujourd’hui Zadar en Croatie). La 5ème croisade aura pour but d’envahir l’Égypte, objectif originel de la 4ème Croisade. Les 6ème et 7ème croisades s’articuleront autour de la restitution du Saint Sépulcre et de la perte de Jérusalem. Lors de la 8 ème croisade, la ferveur religieuse semble retombée. La campagne est vouée à l’échec, Saint Louis en sera la dernière figure, il meurt en 1270, devant Tunis.
Les Croisades s’inscrivent dans un mouvement de fond qu’est la lutte entre l’Empire romain d’Orient contre les musulmans. Il s’agit alors principalement de libérer les Lieux Saints. Mais celles-ci, par leur ampleur, vont avoir un retentissement majeur dans l’Histoire contemporaine de l’Occident.
En cela, les Croisés sont des pré-orientalistes, ce sont uniquement des Européens qui font ce « voyage » et ils ramènent avec eux les préjugés qu’ils associent à l’Orient. Dès lors, les orientalistes eux-mêmes avaient-ils une part de motivation religieuse en entreprenant leur voyage ?

Le rôle de l’Artiste orientaliste dans la perception Orient, Occident

La sensibilité religieuse chez certains orientalistes

Après la définition donnée en introduction de l’Orientalisme, comme courant artistique et littéraire, cette partie va surtout s’appuyer sur le fait que ces voyages en Orient sont entrepris par des artistes qui proviennent uniquement de ce que l’on appelle l’Occident. Ils sont principalement européens, avec une partbelle aux Français et Britanniques, mais pas seulement. Ces artistes portent alors un regard très orienté sur l’Orient. Il ne faut pas attendre le XIXème siècle, pour voir apparaître des œuvres littéraires ayant déjà pour cadre l’Orient, (tels que la pièce Bajazet de Racine, présentée en 1672, ou le roman Vathek de William Beckford, publié en 1782), mais cette période relate l’âge d’or de l’Orientalisme.
Notons qu’ils empruntent la même route que les croisés. De l’Italie vers la Turquie, la Syrie (qui comprend alors le Liban et la Jordanie), la Palestine, puis parfois jusqu’en Égypte, c’est la côte Méditerranéenne qui est traversée en long et en large, donnant déjà un visage partiel à cet Orient opulent. En réalité, on ne s’enfonce pas dans les terres, car seuls les lieux bibliques témoignent de l’intérêt pour les artistes.

Un Orient immuable du point de vue Occidental

L’Orient figé, produit d’un auto-centrisme

L’approche orientaliste mêle l’idée que plus on va loin dans l’espace, plus on remonte dans le temps . Par ce procédé, elle fige l’image d’un Orient immuable, en plein auto-centrisme. « Les artistes ont une approche différente : leur voyage en Orient est à l’inverse balisé, selon un itinéraire bien précis, initié par les romantiques. Le parcours idéal, effectué en 1849-1850 par Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, qui va d’Alexandrie jusqu’en Italie en passant par la Palestine, le Liban, la Syrie et Constantinople, est plus une quête de soi, nourrie des fantasmes collectifs et d’un syncrétisme mystique, qu’une quête hasardeuse à la découverte de l’Autre : il s’agit de retrouver dans la permanence des mœurs orientales une authenticité perdue et dans les lieux mythiques le berceau de la civilisation occidentale. »
On observe ainsi la création du mythe oriental très orienté par les orientalistes. Ce courant artistique et littéraire, n’a pas de répercussion politique directe. Son intérêt est artistique, mais il est tout de même constructeur d’une identité collective, et porteur de représentations tronquées. Certains vont participer à ce courant sans même être allé en Orient. C’est le cas notamment d’Ingres, qui en tire cependant ses tableaux les plus connus. L’immuabilité dont on qualifie l’Orient, se perçoit chez le vicomte de Vogüé, auteur français à la double casquette du littéraire et du diplomate.

L’invention de la photographie et le Réalisme en Orient

À partir de la seconde moitié du XIXème siècle, les orientalistes cherchent à représenter l’Orient de manière plus réaliste (c’est notamment la période qui voit l’émergence du mouvement naturaliste), ayant pour effet de démystifier et de désenchanter en partie l’Orient. Après 1880 apparaît le déclin de cette production, les artistes vont alors se tourner vers un nouvel inconnu : l’Extrême-Orient, peut-être dans l’idée toujours d’accentuer la différence entre le « Nous » et cet « Autre » lointain.
Cette période coïncide également avec le développement de la photographie, dont l’invention de Daguerre date de 1839. Elle fut permise notamment par les travaux sur l’optique d’Aristote puis du mathématicien philosophe et physicien persan : Ibn al-Haytham (965-1039), formidable association de savoirs entre l’Orient, et l’Occident. L’invention traverse un âge d’or en Orient entre 1850 et 1880. La diffusion des premiers albums engendre une émotion sans précédent en Europe. Cet Orient « à portée de main » en est-il pour autant la représentation la plus fidèle ?

La perception du déclin ici et là-bas

L’orientaliste et le syndrome du sauveur

Cet Orient immuable tel qu’il est présenté par les orientalistes, est aussi proche de sa disparition pour certains. Flaubert écrit dans une lettre écrite à Théophile Gautier de Jérusalem, le lundi 13 août 1850 : « Quittez donc Paris… et venez avec nous. Quel soleil ! Quel ciel, quels terrains, quel tout ! Si vous saviez ! Il est temps de se dépêcher. D’ici peu l’Orient n’existera plus. Nous sommes peut-être des derniers contemplateurs.» Pour Margueron : « Voilà ce qui explique le désir d’en connaître plus sur ses origines » . Henry Laurens explique que « la seconde mission de l’orientalisme du XIXe siècle est la perception croissante que l’expansion européenne a pour conséquence inéluctable la destruction des cultures orientales par la contamination européenne naissante à travers le processus de « civilisation » ou de « modernisation » ». Les orientalistes estiment devoir sauver, autant qu’il est possible, la culture authentique de la civilisation européenne, avant sa disparition.
Ici, la démarche des orientalistes, si elle est profondément politique dans ses représentations de l’Autre oriental, entre en contradiction avec toute implication des Occidentaux en Orient. La manipulation du savoir ne s’opère pas par les Orientalistes eux-mêmes, ces derniers espérant sauver un patrimoine intellectuel et matériel. Ainsi, pour Henry Laurens : « il ne s’agit pas de se mettre au service de l’impérialisme mais bien d’en atténuer les conséquences inévitables. »
Si le célèbre auteur français n’est pas un Orientaliste, il tire son œuvre du savoir orientaliste par la traduction publiée par Gilbert Gaulmin en 1644 du livre persan. La transformation de ces fables d’un continent à l’autre au fil des époques est le symbole-même du Moyen-Orient, cette terre qui fait se rencontrer l’Inde et l’Europe, chaînon majeur d’une culture à l’autre. Clémentine Kruse résume l’orientalisme comme ce « mouvement esthétique occidental, prenant comme sujet l’Orient, en des représentations tantôt réalistes, tantôt imaginaires et fantasmées » . Voilà tout l’’intérêt ici pour notre sujet : le mouvement va participer à créer en Occident un imaginaire de l’Orient. Les Artistes voyagent alors moins à la rencontre de cet Autre oriental, qu’à la découverte d’un passé commun, berceau de civilisation.
Après l’essor du XIXe , l’Orientalisme va lentement décliner : « la dénonciation du tourisme et le désenchantement deviennent alors des thèmes récurrents de la littérature de voyage. Les écrivains s’insurgent contre les effets d’une mode qu’ils ont eux-mêmes initiée . » Notons qu’on appelle alors le « Grand Tour », les voyages des orientalistes, terme à l’origine du mot « tourisme ». Nous avons cherché à étudier ici le mouvement des orientalistes dans sa dimension uniquement artistique afin de le différencier de l’approche scientifique. Mais les deux courants se chevauchent et les études scientifiques (ethnographie, sociologie, archéologie, botanique, zoologie…) et les œuvres des artistes européens parfois s’accompagnent les uns les autres. Le choix a été fait d’exposer les artistes préalablement, car c’est le savoir des chercheurs qui va avoir une fin politique.

L’instrumentalisation du savoir orientaliste : une œuvre politicoreligieuse

Contrairement à l’artiste, le savant se pose comme investigateur objectif du savoir oriental. Pourtant, la recherche orientaliste n’est pas exempte des antécédents orientalistes, notamment par sa méthodologie et son regard porté sur l’Orient. La plupart des découvertes, notamment lors de l’expédition d’Égypte (1798-1801), se fait d’ailleurs au gré des hasards. Mais découvre-t-on l’Orient vraiment par accident ? Comme le dit l’adage : « le savoir, c’est le pouvoir.»

L’Orientalisme, entre politique scientifique et science politique

L’argument du despotisme oriental

La recherche orientaliste est concomitante aux voyages des artistes en Orient.
L’idée alors en vogue au siècle des Lumières, qui va traverser ce courant, est celle du despotisme en Orient. Proprement oriental, et profondément obscurantiste, il est mis en opposition à la modernité européenne. C’est la tension entre tradition et modernité, sous le champ de vision du Nouveau Monde vers l’Ancien. Pour Henry Laurens :
« Comme, avec les Lumières, la référence aux Croisades n’est plus admissible, la légitimation de la conquête passe nécessairement par le recours au despotisme, soit pour dire que la domination européenne sera dans l’ordre des choses pour des sociétés par nature soumises au despotisme, soit pour affirmer que les Européens viennent libérer ces sociétés du despotisme et les remettre dans la voie du progrès. Les opposants d’une politique d’expansion considèrent que la régénération de l’Orient est indispensable mais qu’elle doit être l’œuvre des Orientaux, les Européens devant se borner aux fonctions de conseil et d’expertise.»
Cette énigme historique, fabriquée aussi, sur les régimes autoritaires en Orient, est résolue avec la logique de l’époque, par la théorie des climats de Montesquieu. Pour expliquer l’essence du despotisme oriental, on pose que la géographie fait l’homme. La thèse sera reprise à bon compte. « Comment se fait-il que les invasions germaniques, en créant une noblesse conquérante, ont ruiné l’État hérité de l’Empire romain, alors que les invasions orientales produisent un renforcement de l’État sous forme de despotismes militaires ? Doit-on alors penser que les libertés européennes ont tiré une autre origine, comme par exemple le caractère modéré du climat européen par rapport aux aspects excessifs des climats orientaux ?»

Orient, Occident, entre Passé et Présent

La démarche de ces orientalistes savants consiste, chez certains, à comprendre l’exceptionnalité européenne devant cet Orient immuable. Il y a toujours cette idée que l’Europe est née du progrès dans l’Histoire et que tous les peuples tendent vers un même projet. Autrement dit, puisque l’Orient est ce « passé dans le présent », l’unicité de l’origine de l’Homme détermine l’évolution unilatérale vers un même but qu’on croit être le progrès. Avec le colonialisme, on passe de ce que les Orientaux n’ont pas fait à ce qu’ils doivent faire.
À partir de la découverte des langues indo-européennes et du mythe aryen, les scientifiques construisent progressivement le fondement de la supériorité matérielle de l’Europe. Dans l’orientalisme français, cela se traduit notamment par les travaux de Ernest Renan sur l’opposition entre le génie aryen et le génie sémitique. De plus, le fait de relier les langues européennes et indo-persanes, contribue à percevoir l’Orient comme l’Ancien monde.

Un moyen pour la conquête coloniale

Le savoir orientaliste a été instrumentalisé par l’entreprise coloniale, des premiers empires à l’Impérialisme du XIXème siècle. Logiquement, il sert à comprendre pour mieux contrôler, les peuples ayant un « retard » sur l’Occident.
Avec le colonialisme, le savoir des orientalistes constitue une source pragmatique de l’entreprise coloniale, un moyen pour la conquête. Se met en place une science coloniale, construite et alimentée par les savoirs orientalistes, avec notamment l’instauration des Bureaux arabes en Algérie, avec pour mission de renseigner pour diriger. L’erreur, c’est qu’en utilisant la fantasmagorie des Occident aux autour de l’Orient, les colonialistes reproduisent les erreurs de représentation créées par les orientalistes, en leur donnant une dimension bien plus dangereuse, car politique. C’est ainsi que Sylvestre de Sacy, porte à un niveau jamais atteint auparavant la connaissance de la littérature arabe médiévale, sans ne jamais se rendre dans un pays arabe. Henry Laurens parle d’un « orientalisme savant », sur lequel la science coloniale s’appuie pour mieux administrer. Elle profite ainsi de ses lieux de formation et a recours à ses travaux (traductions, sociologie, ethnographie). On traduit ainsi Ibn Khaldoun pour mieux administrer l’Algérie.
En France, l’État monarchique reconnaît le besoin d’une connaissance plus pragmatique des sociétés orientales servant sa politique étrangère. Quelle meilleure génération que les « Levantins » pour fonder cette connaissance ? Ce sont les descendants de Français installés au Levant qui vont, par la carrière diplomatique, mais aussi grâce à leurs formations, devenir les savants, interprètes (Drogmons) et administrateurs de l’entreprise coloniale, en pleine période du Colbertisme. Réciproquement, l’expansion coloniale en Orient est également l’un des facteurs historiques de l’essor de l’Orientalisme en Occident. Ainsi, Napoléon Bonaparte souhaitait que l’expédition d’Egypte « ne soit pas une simple campagne militaire, mais une véritable expédition culturelle et scientifique » . De même, l’expédition française en Algérie, décidée par Charles X en 1830, entraîne un essor considérable d’œuvres ayant pour thème l’Algérie. La conquête du Maroc est, elle, précédée et accompagnée d’une mission scientifique chargée de faire l’inventaire sociopolitique du pays.
Cet « orientalisme savant » dont parle Henry Laurens est ainsi devenu un moyen pour le politique d’établir l’entreprise coloniale, faisant valoir aux orientalistes par le soutien et le financement des recherches, une véritable politique scientifique. Ici, le lien entre politique scientifique et science politique est ténu.

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Table des matières
Introduction 
I- Des Croisades à l’Orientalisme  les missions occidentales en Orient
A – De la préhistoire au pré-Orientalisme
1 – Le Moyen-Orient, terre de passage et d’échanges, berceau des civilisations et des religions
2 – L’épisode des Croisades entre ferveur religieuse et intérêt pour l’Orient
B – Le rôle de l’artiste dans la perception Orient, Occident
1 – La sensibilité religieuse chez certains orientalistes
2 – Un Orient immuable du point de vue Occidental
3 – La perception du déclin ici et là-bas
C – L’instrumentalisation du savoir orientaliste, une œuvre  politico-religieuse
1 – L’Orientalisme, entre politique scientifique et science politique
2 – La mission civilisatrice à composante religieuse, éternelle Croisade ?
II- De la question d’Orient à la décolonisation :  le devoir moral de l’Occident
A – Le regard orientaliste dans le règlement de la question d’Orient
1 – De la raison religieuse à la raison d’État
2 – Question d’Orient, question d’occident
B – L’Orientalisme, sources et ressources de la décolonisation
1 – La décolonisation, inspirée par l’Orientalisme ?
2 – Le poids des représentations occidentales en Orient
C – Orienter l’Orient, Occire l’Occident, enjeux modernes des  représentations
1- La communauté internationale un rêve orientaliste ?
2-L’interventionnisme, une diplomatie teintée d’Orientalisme
Conclusion 
Bibliographie
Annexe 
Table des matières 
Résumé

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