De la psychiatrie institutionnelle à la « psychiatrie citoyenne »
MÉTHODES:
Il s’agissait d’une étude qualitative unicentrique à visée exploratoire. La technique de l’entretien individuel semi-directif a été choisie pour favoriser l’émergence et la succession des questionnements. Le recrutement des MG s’est fait sur la base du volontariat, dans les maisons médicales accueillant un psychologue du CMP. Il a été proposé à tous les médecins travaillant en coordination avec les psychologues des trois MSP du Maine et Loire : Longué-Jumelles, Morannes et Les Hauts de Saint Aubin (Angers), de participer à l’étude. Sur quatorze demandes, un MG a refusé de participer. Les variables de l’échantillon étaient l’âge, le sexe, l’activité en milieu urbain ou rural. Les cabinets médicaux étaient contactés par appel téléphonique, par mail ou auprès du secrétariat des différents MG. Le guide d’entretien (annexe 3) a été construit en partant du postulat que la mise en place de ce temps psychologique a un effet bénéfique sur la prise en charge des patients psychiatriques. Les thèmes explorés étaient les suivants :
– Organisation du temps psychologue,
– Rôle de la psychologue dans la prise en charge des patients,
– Evaluation de la communication,
– Ressenti du MG
– Ressenti du patient perçu par le MG
Les entretiens ont été effectués dans les cabinets des médecins, ou au domicile personnel du médecin généraliste. Ils ont été enregistrés à l’aide d’un dictaphone. Les entretiens ont été entièrement retranscrits en fichier Word, anonymisés puis codés au fil de leur déroulement, permettant l’évolution du guide d’entretien. Le verbatim a été codé à l’aide d’un fichier Excel. Une analyse thématique de type inductif a été effectuée.
Données recueillies:
Un dispositif aux déclinaisons multiples:
Des initiatives variées permettant la naissance du projet:
La mise en place du temps psychologue dans les différentes MSP s’était réalisée aisément « ça s’est plutôt bien fait, […] en un mois c’était quasiment fait » M5 et les initiatives du projet étaient variées. Pour la MSP 1, le secteur de psychiatrie était à l’origine de la démarche, leur permettant d’être les pionniers : « À la suite d’une proposition de l’ARS d’un budget qui permettait au secteur d’avoir un psychologue […] on était la première maison médicale à accueillir cette psychologue… » M1. Pour la MSP 2, c’était à la demande de la population du quartier que le projet avait débuté : « on a fait ce qu’on appelle un diagnostic santé, […] très rapidement les gens ont dit qu’il avait besoin de psychiatrie, de psychologues » M8. Pour la MSP 3, le projet avait été impulsé par le médecin du travail. Elle pensait que certaines pathologies dites « professionnelles » étaient plutôt en lien avec des conflits d’ordre privé. : « notre motivation au départ c’était par l’intermédiaire du médecin du travail » M11. La psychologue libérale installée dans le même secteur était en accord avec ce projet : « d’ailleurs, quand on avait demandé ce poste de psychologue, on avait mis notre psychologue en libéral bien sûr dans la boucle».
Un temps de présence approuvé qui ouvre le débat:
Les médecins généralistes interrogés étaient partagés sur la question du temps de présence de la psychologue. Certains pensaient que le temps imparti pour la maison médicale concordait avec le rôle qu’elle lui attribuait : « quand on a une urgence de toute façon, elle ne va pas forcement être là […] même si elle venait deux jours par semaine » M2. Un médecin avait posé la question d’alterner le jour de présence et de modifier les amplitudes horaires de la psychologue, afin de toucher un plus grand nombre de patients : « il y a certains patients qui pourraient ne pas être disponibles […] ce jour-là. » M3. D’autres pensaient qu’il fallait un temps plus conséquent car son aide était considérée comme précieuse au sein de l’équipe : « on aimerait bien qu’elle soit là plus souvent […] elle participe à nos réunions de cas complexes, à nos projets de protocole de soins et elle apporte son regard de psychologue » M10. L’un d’eux avait exprimé son intérêt d’accroître le temps de présence de la psychologue, mais a souligné que son rôle serait alors à modifier : « ce serait plus dans l’orientation et dans la prise en charge courte mais ce serait dans le fait d’éviter d’envoyer les gens à 40km » .
La place de la psychologue dans l’urgence et la semi urgence:
La prise en charge des urgences par la psychologue n’était pas mise en avant par les médecins généralistes. Son peu de temps de présence dans la maison de santé a été une des raisons avancées par M3 : « elle est là que le jeudi ». De plus, lors de problèmes aigus, les MG préféraient adresser leurs patients vers une structure adaptée à la gestion de crises : « on appelle le Césame directement ou les grosses structures pour les prendre en charge. » M3. Pour un MG, la prise en charge des urgences psychiatriques n’était pas en corrélation avec le rôle qu’il donnait à la psychologue :« ça demande une hospitalisation et elle est psychologue […] elle fait des consultations » M12. Un autre praticien considérait que la psychologue était mieux formée que le MG pour gérer l’urgence : « je crois effectivement qu’un espace de parole peut permettre de soulager une crise […] c’est quand même plutôt intéressant que ce soit fait par quelqu’un qui ait une idée de ce qu’est l’entretien de psychothérapie » M8. Cependant il concédait que cette pratique n’était pas dans nos habitudes et qu’elle semblait compliquée à mettre en place : « ce n’est pas non plus la question de la culture de l’urgence, la question de la psychologue » M8. Un dernier MG ne désirait pas déléguer cette prise en charge :« s’il ya une urgence de parler, […] Je suis là » .
La perception de la psychologue par les MG:
Une fonction de « soutien » :
La psychologue pouvait s’avérer un soutien important pour le MG : « Elle n’accompagne pas que les patients, elle nous accompagne nous. » M11, car le médecin avait ses failles : « des fois on a aussi nos peurs, nos craintes. » M2. Il soulignait l’intérêt de cet accompagnement, notamment pour les médecins débutant dans la profession : « c’est pour moi indispensable, pour des jeunes médecins » à qui le suivi des patients en détresse était parfois imposé « ils sont obligés ». Il questionnait les limites de ce suivi : « ils prennent en charge des gens […] qui dépassent leurs compétences » pouvant être délétère pour le patient et pour le médecin : « c’est dangereux à la fois pour les patients mais également pour le médecin » M11. Quand le MG ressentait des difficultés émotionnelles : « Elle m’a collé un peu le stress » M4, il pouvait confier ses doutes à la psychologue : :« en racontant avec un peu plus de détails ce que je viens de vous raconter » ce qui permettait d’envisager les situations sous un autre angle : « elle a très vite identifié un certain nombre de problèmes » M4. Le MG n’était plus le seul protagoniste dans le suivi du patient : « On est pas les seuls détenteurs… on est pas isolé face aux symptômes. » M5 et ne restait plus seul face à ses doutes : « on reste pas des semaines avec l’inquiétude d’un enfant […] qui nous inquiète vraiment. ».
Une ressource précieuse:
La psychologue avait un regard intéressant sur les situations : « il y a des gens pour qui on sait clairement qu’il y a quelque chose et des gens pour qui on a un deuxième regard plus expert. » M8 avec une autre approche : « des compétences différentes de nous » M12. Les MG reconnaissaient un manque de connaissance en psychiatrie : « je n’ai pas une grosse expertise en matière de psychiatrie lourde » M4 et une formation insuffisante :« en tant que généraliste on est quand même relativement mal formé aux problèmes psychiatriques » M1. Ils se sentaient en confiance pour demander l’avis de la psychologue pour des problèmes ressentis en consultation : « je ne lui ai pas adressé mais moi ça m’a posé problème » M12. Un échange pouvait se créer autour de situations où elle n’était pas intervenue : « elle peut nous aider aussi dans les autres dossiers sur le versant psychologique » M1, et où elle était une personne ressource : « une aide précieuse ». M9 Elle donnait des clés aux MG : « on n’arrivait pas à savoir si, effectivement c’étaient les parents qui étaient inducteurs du trouble du comportement ou si c’était l’enfant qui était lui-même inducteur » M1 Les MG s’accordaient sur son expérience approfondie de la psychologie « pour certaines situations, nous on préfère que ce soit vu par quelqu’un qui soit mieux formé que nous et plus apte à les aider. » M7 et sur l’ouverture qu’elle apportait : « elle peut […] profiter du lien et des relations qu’elle a auprès des médecins du secteur » M11. Sa présence conférait à la maison médicale un bénéfice important pour les soignants qui y exerçaient : « on a l’avantage d’avoir un expert sur la gestion certaines situations » M4.
Résultats principaux:
De l’origine du dispositif à son exploitation en MSP, le temps de psychologue a eu des racines et des ramifications multiples. Il ne s’est pas développé en parallèle des projets de la MSP, mais il s’est intégré à leur fonctionnement. Ainsi les questionnements se sont multipliés autour « des rôles » de la psychologue auprès des patients, mais également auprès des MG qui la considérait comme « un expert » et « un soutien ». Différents modes de communication ont pu être observées et le partage d’information qui en découlait, pouvait varier. La psychiatrie s’est déployée, permettant une plus grande compliance des patients et de nouveaux axes de débat sur l’inclusion au réseau de soins pour les médecins.
Discussion générale:
Vers une médecine en réseau:
L’étude observationnelle publiée en mars 2018 intitulée : « L’orientation des patients souffrant d’un trouble dépressif aux urgences psychiatriques par le médecin traitant est-elle associée à la décision d’hospitalisation » montrait qu’un des motifs pour adresser les patients aux urgences était le manque de collaboration entre MG et psychiatres, en amont de la prise en charge . Les conclusions de l’étude plaidaient en faveur « d’un échange précoce » afin d’optimiser les prises en charge et d’éviter un transfert inadéquat aux urgences. La présence de la psychologue au sein des MSP, pourrait bien faciliter cet « échange précoce » et ainsi permettrait une intervention plus adaptée à certaines situations.
De la psychiatrie institutionnelle à la « psychiatrie citoyenne »:
Un véritable réseau de soins intégré à la « cité » avait été mis en place dans la banlieue Est de Lille. Il s’étendait sur un espace de 6 communes et avait pour vocation de faire sortir la psychiatrie des murs. Afin de sursoir à l’hospitalisation en milieu spécialisé, des solutions alternatives étaient nées : « l’hospitalisation 24 heures sur 24, sept jours sur sept à domicile », ou les « familles d’accueil ». Cette organisation fonctionne grâce à un lien solide et permanent entre les différents membres du réseau. La psychiatrie s’intégrait à la communauté, permettant le rétablissement du patient dans son milieu quotidien. Ce travail avait donné naissance à « l’appellation [de] « psychiatrie citoyenne » [qui] est la résultante du travail des équipes et des « citoyens experts » dans la cité. » Cet exemple de réseau fait naitre un exercice nouveau de la psychiatrie. A moindre échelle, le déplacement des psychologues au sein des MSP aspire à la même vocation d’une psychiatrie qui va à la rencontre du patient et non l’inverse.
L’affirmation de la place de la psychologue:
Une psychologue « communautaire » :
La psychologue institutionnelle tend à devenir communautaire avec les changements de pratique de la psychiatrie . Il est donc naturel que les interrogations autour de son rôle se soient développées dans les différentes MSP. Dans le dispositif mis en place dans la banlieue Est de Lille, la psychologue avait des rôles multiples : « travail clinique, recherche-action, promotion de la santé mentale et travail en réseau. » ce qui lui demandait une capacité et un temps d’adaptation, pour elle et pour les autres membres du réseau. Au travers des entretiens avec les MG, le rôle de la psychologue n’était pas toujours évident et son intervention auprès des patients dépendait des MG.
Vers une démarche préventive :
Une étude datant de juin 2011 portait sur le déplacement de psychologues au domicile de femmes venant d’accoucher et considérées « à risque ». L’originalité de cette démarche, au-delà du caractère « communautaire », était la volonté de proposer systématiquement un suivi psychologique aux femmes. Ce n’était plus le patient qui demandait mais c’était un service mis à disposition dans le cadre de la prévention . La psychologue de la MSP2 avait également cette activité de prévention dans ses missions, en menant des actions en partenariat avec les infirmières. Les thèmes abordés étaient en accord avec la demande de la « population du quartier ». Cette mission est primordiale pour une psychologue mais en pratique, les règles sont imprécises. Il est nécessaire de poser les bases de « que prévenir » (thèmes abordés), « qui » (groupe ou individu) et « avec quel éthique » .
La psychologue « expert » :
L’étude canadienne menée par V. Parent interrogeait le rôle des psychologues auprès de MG. L’organisation des soins faisait que le médecin sollicitait l’avis de la psychologue pour des situations complexes ce qui permettait de trouver des solutions. Le terme de « psychologue expert » a donc été retenu pour la qualifier . La conclusion de l’étude fait écho à un des rôles de la psychologue au sein des MSP où le terme exact « d’expert » avait été cité de façon spontanée par différents MG.
CONCLUSION:
Les MG ont très bien accueilli le temps de psychologue de CMP en MSP. Il apporte, à petite échelle, une réponse ciblée au problème d’accès au soin. En s’ouvrant à la communauté, la psychiatrie prend une place dans le réseau de soin et va à la rencontre du patient. L’intervention de la psychologue dans les MSP était vécu par les MG comme un soutien dans la prise en charge des patients. Elle proposait une solution rapide et sans avance de frais. La psychologue pouvait intervenir dans différents domaines. La prévention pour la MSP 2, la détection précoce MG-dépendant qui nécessiterait une formation et une information à ce type de pratique au vu des bénéfices attendus sur la rémission fonctionnelle de certaines maladies. L’urgence pourrait faire partie du rôle de la psychologue si son temps en MSP venait à s’accroître. La consultation conjointe qui a été explorée par certains MG, permettait de relier le somatique et le psychologique. Le rôle de la psychologue devenant « communautaire » est à définir et son champ d’action tend à se diversifier. Au-delà des bénéfices pour les patients, les MG exprimaient les bienfaits d’un tel soutien au sein de l’équipe. Ils ont eu la possibilité de créer un « espace de parole », source de sérénité au travail et rappelant les groupes « Balint ». Le sentiment d’intégration des MG dans le réseau de soins était variable mais des solutions sont possible pour y remédier. Ce travail en réseau peut les rassurer comme les épuiser et le secret médical partagé mérite réflexion. Les patients n’ont pas été interrogés, il serait intéressant de faire un travail ultérieur sur le ressenti des patients face à ce dispositif et plus largement sur leur vision de la psychiatrie. La population générale a parfois des idées reçues sur le monde de la psychiatrie et la presse à son égard n’est pas indulgente. La politique de santé publique privilégie les soins en santé mentale et veut développer le travail en réseaux, la prévention, la détection précoce et faciliter l’accès aux soins. Cette expérimentation, loin d’être la seule sur le territoire, s’inscrit dans la politique de santé publique. Le temps de psychologue de CMP en MSP semble donc à pérenniser, développer et améliorer. Nous pourrions imaginer accroitre le temps de psychologue de CMP au sein des MSP pour consolider le réseau. La création de ce projet devra se faire en partenariat avec les psychiatres, les psychologues, les MG, les paramédicaux et les patients pour définir au mieux le rôle de chacun et faire de ce projet un « défi collectif ».
|
Table des matières
INTRODUCTION
MéTHODES
RéSULTAS
Recrutement des médecins généralistes
Déroulement du recrutement
Caractéristiques des médecins
Données recueillies
Un dispositif aux déclinaisons multiples
De la communication à l’information
Une ouverture au monde de la psychiatrie
Le rôle de la psychologue auprès des patients semble être fonction du
contexte et des représentations du MG
La perception de la psychologue par les MG
Résultats principaux
DISCUSSION
Discussion générale
Vers une médecine en réseau
De la psychiatrie institutionnelle à la « psychiatrie citoyenne »
La communication gage de pérennité
L’affirmation de la place de la psychologue
La santé psychique des MG conservée
L’information au cœur des débats
L’opinion publique
Forces et faiblesses
Forces
Faiblesses
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet