De la production de l’arbre au rendement du verger
L’Afrique de l’Ouest : une région hétérogène
On définit plus communément l’Afrique de l’Ouest comme la région couvrant la partie occidentale de l’Afrique au sud du Sahara (Fig. 1). Cette définition est issue à la fois d’une histoire commune (empires précoloniaux Ouest-Africains et, pendant la période coloniale, l’Afrique Occidentale Française) et d’une géographie particulière, située entre le Sahara et l’océan Atlantique (Atlas de l’Afrique de l’Ouest : CILSS 2016). Dans ce mémoire nous définirons l’Afrique de l’Ouest comme la région comprenant les 15 pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un espace d’échange et de coopération économique et politique, et la Mauritanie, soit une région de 6.1 millions de km². L’Afrique de l’Ouest est traversée en son nord, et sur toute sa longueur, par le Sahel qui constitue la zone de transition climatique entre le désert du Sahara (au nord) et le domaine soudanien (au sud). À l’est, on considère le fleuve Niger et la ligne entre le mont Cameroun et le lac Tchad comme les frontières naturelles orientales de la région (CILSS 2016). Le relief de l’Afrique de l’Ouest est plus marqué au sud où l’on distingue plusieurs zones de montagne comme les hauts plateaux Guinéens (regroupant plusieurs massifs dont celui du Fouta Djalon, 1 000 m) et le plateau de Jos au Nigéria (1 300 m). Ainsi la région est souvent considérée, à tort, comme homogène alors qu’elle possède une très grande diversité de paysages et d’écosystèmes du fait des nombreuses zones climatiques qu’elle traverse et de la diversité de ses sols.
Au sud de l’Afrique de l’Ouest, les hauts plateaux guinéens, situés en zone tropicale semi-humide, reçoivent une très grande quantité de précipitation (> 2 000 mm par an) (Sall et al. 2007). Dans cette zone, surnommée le « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest », se situent les sources des principaux fleuves de la région : le Niger (long de 4 180 km), le Sénégal (1 750 km) et le fleuve Gambie (1 120 km) (CSAO/OCDE 2006; Sall et al. 2007). Les principaux cours d’eaux traversent donc des zones à la pluviométrie très élevée, avant de venir alimenter des zones où la pluviométrie est plus faible (le Sahel). L’Afrique de l’Ouest dispose d’une réserve importante d’eau présente dans les nappes souterraines réparties en trois grands ensembles (Fig. 2) dont l’un couvre l’entièreté du Sénégal où se situe notre zone d’étude (CSAO/OCDE 2006). On estime aujourd’hui les ressources en eaux de la région à 1 300 milliards de m3 dont seulement 1% sont consommées, majoritairement par l’agriculture (75%). La profondeur de ces nappes sédimentaires, parfois supérieure à 1 000 m, constitue un frein à leur exploitation qui nécessite de lourds moyens (ex : forage). Ainsi seules les nappes superficielles sont majoritairement exploitées par les petits agriculteurs via l’installation de puits. Le niveau de ces nappes ainsi que les eaux de surfaces sont grandement impactées par les changements climatiques et la pression démographique (voir Partie I.4).
Climat, type de sol et zones agroécologiques
Du fait de son étendue géographique, l’Afrique de l’Ouest se trouve sous l’influence de trois régimes climatiques (classification de Köppen-Geiger) : un climat semi-aride au nord, un climat tropical de savane au centre, et un climat tropical humide au sud. La répartition des précipitations suit donc un gradient du nord au sud (Fig. 3) : le sud de la région reçoit plus de précipitations, entre 1 500 et plus de 2 500 mm par an, généralement réparties sur une plus longue période de l’année, tandis que le nord reçoit entre 200 et 400 mm (Kouassi et al. 2010 ; Fick and Hijmans 2017). De la même manière, la saisonnalité et les températures suivent un gradient du nord au sud avec une influence de l’océan lorsque l’on se rapproche des côtes (Kouassi et al. 2010). Les premières pluies et l’augmentation des températures apparaissent sur la zone de convergence des flux atmosphériques qui forment le front intertropical (FIT). Au mois de mars le FIT se situe sur les zones côtières du sud. Puis, sous l’effet de la circulation atmosphérique, le FIT remonte progressivement vers le nord et les précipitations augmentent. Aux mois de juin et juillet, le FIT couvre alors l’ensemble du Sahel (mousson). En septembre le FIT redescend vers l’équateur. De ce fait, le nord de l’Afrique de l’Ouest n’a qu’une seule saison des pluies, tandis que le sud a deux saisons des pluies (mars et septembre).
Selon le régime climatique, l’humidité du sol et sa qualité se trouvent impactées. Au Sahel, les sols sont légers et sableux et leur fertilité est faible (Issaka et al. 1996). Ces sols sont adaptés à la culture de certaines céréales (sorgho, maïs, mil) et légumineuses (arachide) mais restent peu productifs du fait de leur très faible humidité et fertilité (Bationo et al. 2007). Ils sont également sensibles à l’érosion du fait de leur composition majoritaire en sable et de leur structure légère (Bayala et al. 2019). Dans les zones de bas-fonds (ex : Niayes au Sénégal), la fertilité a tendance à être meilleure du fait de l’humidité plus abondante et on retrouve des sols caractéristiques de zones humides sédimentaires (Issaka et al. 1996 ; Fall and Fall 2001). Les bas-fonds constituent des régions importantes pour l’agriculture où l’horticulture (maraîchage et arboriculture) est pratiquée. Au Sahel, et comme sur le reste de l’Afrique, on observe une balance négative dans la fertilité des sols: le faible taux de matières organiques n’est pas compensé par une application suffisante d’intrants (Bationo et al. 2007). Ces effets participent fortement à l’appauvrissement de la qualité des sols.
Les gradients climatiques et la diversité de types de sol délimitent plusieurs domaines agroécologiques (ou agro-climatiques) qui traduisent des ensembles écologiques et floristiques observés aussi selon un gradient nord-sud (Arbonnier 2009). En Afrique de l’Ouest, on retrouve ainsi : le domaine saharien, le domaine sahélien, le domaine soudanien, le domaine guinéen et le domaine centrafricain (Fig. 4). Dans ce mémoire nous parlerons majoritairement du Sahel où se situe notre région d’étude, la région des Niayes (Sénégal). Cette zone recouvre les domaines sahélien et sahélo-soudanien plus au sud et recoupe une large partie de 5 pays d’Afrique de l’Ouest : le Sénégal, la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso et le Mali. La flore du Sahel est une flore de savane sèche ouverte (ou steppe arbustive) composée majoritairement de plantes herbacées, d’arbustes (ex : Ziziphus mauritiana, Moringa oleifera) et de quelques espèces arborées majoritairement Balanites aegyptiaca et les espèces du genre Acacia (Arbonnier 2009). Cette zone agro-climatique est caractérisée par un climat semi-aride avec une seule saison des pluies de juin/juillet à août/septembre (Panthou et al. 2018). Le régime pluviométrique de la région est faible (200 à 400 mm par an) mais extrêmement variable spatialement avec parfois de forts événements pluvieux et localisés. Cette variabilité et la dépendance de l’agriculture aux précipitations rendent cette région très vulnérable au changement climatique (voir Partie I.4.b).
Contexte socio-économique
En 2015, la population de l’Afrique de l’Ouest se situait autour de 350 millions d’habitants dont 45% se trouvaient au Nigéria, pays le plus peuplé (United Nations 2019). La population est très jeune (Fig. 5), l’âge médian est estimé à 18 ans, et en constante augmentation avec une projection de 800 millions d’habitants pour 2050 ; soit la région avec la plus forte croissance démographique dans le monde. La croissance démographique est accompagnée d’une croissance économique, le Produit Intérieur Brut (PIB) ayant augmenté de 4 à 8% par an selon les pays entre 2012 et 2015 (African Development Bank 2018). Malgré ces bonnes performances, la région fait face à une forte présence de l’emploi informel, non régulé par l’État, qui concerne notamment le secteur agricole conduisant à une grande précarité des travailleurs. Ainsi, bien qu’en réduction, le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté était de 43% en 2013 (African Development Bank 2018). La croissance démographique constitue un défi majeur pour la région tant sur le plan économique qu’alimentaire (FAO 2015 ; van Ittersum et al. 2016). Les études montrent que le taux d’urbanisation augmente, en partie à cause d’un exode rural (poussé par les changements environnementaux), de même que le nombre de personnes arrivant sur le marché du travail, la population étant actuellement très jeune (Courtin and Guengant 2011). Maintenir les populations actives dans le secteur agricole tout en augmentant leur revenu constitue une piste pour garantir l’avenir économique des populations rurales et augmenter l’autosuffisance alimentaire des pays (Hollinger and Staatz 2015).
Productions agricoles
En 2017, l’agriculture représentait 28% du PIB de l’Afrique de l’Ouest, soit une part toujours très importante (African Development Bank 2018). À titre de comparaison, la part de l’agriculture dans le PIB était de 3.4% dans le monde et de 1.5% dans l’Union Européenne. L’agriculture en Afrique de l’Ouest est principalement pratiquée sur des petites surfaces et 80% des exploitations font moins de 2 ha (Lowder et al. 2016). On observe également une variabilité de systèmes de culture qui sont parfois très diversifiés (Sibhatu et al. 2015). Les petits producteurs ont ainsi tendance à pratiquer à la fois une agriculture vivrière (d’autosuffisance) et de rente en fonction de l’accès aux intrants et aux marchés, et du contexte socio-économique. Selon les chiffres de la Food and Agriculture Organization (FAO), en termes de surface, le sorgho, le mil, le maïs, le niébé et le riz constituent les cinq espèces les plus cultivées en Afrique de l’Ouest sur 61.6 millions d’hectares (FAOSTAT 2017). Mis à part le riz, les cultures annuelles sont pluviales, c’est-à-dire qu’elles sont cultivées durant la saison des pluies rendant ces productions dépendantes des aléas climatiques (Challinor et al. 2007).
Selon une étude, la production agricole totale de la région a augmenté entre 1985 et 2015, poussée par la croissance démographique, l’augmentation du niveau de vie et le changement de régime alimentaire (Hollinger and Staatz 2015). Cependant, cette augmentation ne s’est pas concrétisée pour toutes les productions. Ainsi, si les produits agricoles de base tels que le maïs et les oléagineux ont connu la plus forte croissance sur cette période – entre 1 et 3% par an et par habitant – le mil, le riz et les fruits ont connu une augmentation moindre autour de 1% par an et par habitant. L’étude souligne également que l’augmentation de la production agricole n’est pas systématiquement suivie par une augmentation de la valeur ajoutée. Malgré ces performances relativement bonnes, l’Afrique de l’Ouest reste déficitaire dans sa balance commerciale des produits agricoles (Fig. 6a). Ainsi, bien que la région ait augmenté la production de certaines denrées de rente (maïs et oléagineuses), elle importe plus qu’elle n’exporte et seulement 4 pays ont une balance positive (Fig. 6b).
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Table des matières
Introduction générale
Contexte et Problématiques
I.L’Afrique de l’Ouest : une région hétérogène
I.1. Définition géographique, milieu physique et climatique
I.2. Contexte socio-économique
I.3. Productions agricoles
I.4. Sécurité alimentaire et changements globaux
II.Les arbres fruitiers en Afrique de l’Ouest et leurs problématiques
II.1. Avantages de l’arbre dans les systèmes de culture
II.2. Systèmes à base de fruitiers en Afrique de l’Ouest
II.3. Problématiques rencontrées par les filières fruitières en Afrique de l’Ouest
III. Cas d’étude : le manguier au Sénégal
III.1. Description de l’espèce et production
III.2. Architecture et botanique du manguier
III.3. Cycle phénologique et asynchronisme
III.4. La filière mangue au Sénégal
Objectifs de la thèse
État de l’art
I.Facteurs déterminant la production de l’arbre
I.1. Architecture de l’arbre et interception lumineuse
I.2. Phase reproductive et établissement du fruit
I.3. Les pratiques culturales
II.De la production de l’arbre au rendement du verger
II.1. Structure des vergers
II.2. Hétérogénéité spatiale du rendement
II.3. Intégration des différentes échelles
III. Outils et méthodes pour la caractérisation de l’arbre et du verger
III.1. La détection des fruits
III.2. Structure des arbres
III.3. Description des vergers par télédétection
Matériels et méthodes
I.Cadre conceptuel et déroulement de la thèse
II.Zone d’étude et plan d’échantillonnage
II.1. Les Niayes
II.2. Typologie des vergers de mangues de la zone des Niayes
II.3. Echantillonnage
III. Acquisition des données
III.1. Suivi photographique pour estimer le nombre de fruits
III.2.Calibration des modèles d’estimation de la production
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