รpictรจte et Montaigne
ย ย ย Il est difficile de saisir avec exactitude le sens de la thรฉorie pascalienne de la foi sans se rรฉfรฉrer ร รpictรจte, Montaigne et ร saint Augustin. Pascal leur doit beaucoup. Pour plus de prรฉcisions, partons dโabord de son entretien avec M. de Saci. Cet entretien nous donne une parfaite orientation sur sa rรฉflexion philosophique au dรฉbut de 1655. Il y rejette le modรจle de conversion prรฉconisรฉ par la philosophie. Elle propose le plus souvent un salut immanent ร lโhomme cโest ร dire qui nโest pas transcendant ร lโexistence. Et cette tentative ne peut la mener nulle part. Cโest pourquoi il nโhรฉsite pas ร rรฉduire lโhistoire de la philosophie au Stoรฏcisme et au Scepticisme autrement dit ร รpictรจte et ร Montaigne. รpictรจte avait รฉtabli la certitude et la grandeur de lโhomme. La consรฉquence pratique de cette conception stoรฏcienne est une morale qui repose sur lโacceptation et la comprรฉhension de lโunivers. Lโhomme doit suivre la nature cโest ร dire sa raison. Pour vivre heureux, il est obligรฉ dโacquiescer librement et spontanรฉment ร tous les รฉvรฉnements de sa vie y compris sa mort comme ร son vรฉritable bien. Le bonheur consiste donc ร vivre de faรงon raisonnable et harmonieuse avec la nature. Ainsi cette attitude du sage stoรฏcien ร lโรฉgard de la nature a sans doute poussรฉ Pascal ร faire dโรpictรจte ยซUn des philosophes du monde qui aient mieux connu les devoirs de lโhommeยป Lโhomme est le maรฎtre de ses passions et dรฉsirs car ils dรฉpendent de lui. Il est soumis aussi ร la volontรฉ de Dieu puisque le hasard est exclu du monde oรน tout arrive selon le destin pour le plus grand bien du tout. Mais รpictรจte ignore le fait que lโhomme par les seules forces de sa nature est incapable de devenir ce quโil doit รชtre : ยซ orgueilleux ยป, ยซ Superbe et Diaboliqueยป. Selon Pascal, il nโa vu que la grandeur de lโhomme malgrรฉ tous ses efforts. รpictรจte nโa pu dรฉcouvrir notre faiblesse sinon affirme Pascal : ยซ Jโose dire quโil mรฉriterait dโรชtre adorรฉ, sโil avait aussi bien connu son impuissance, puisquโil fallait รชtre Dieu pour apprendre lโun et lโautre aux hommes. Aussi comme il รฉtait terre et cendre, aprรจs avoir si bien compris ce quโon doit, voici comment il se perd dans la prรฉsomption de ce quโon peut ยป Avec cette philosophie, nous nous approchons de plus en plus de la rรฉalitรฉ humaine. Elle nous a fait dรฉcouvrir un aspect de cette rรฉalitรฉ. Cโest pourquoi Pascal nous invite ร ne pas nous enfermer dans cet aspect. Nous devons essayer de dรฉcouvrir lโautre puisque รpictรจte nโa atteint quโune demi vรฉritรฉ, cโest ร dire une erreur. Ainsi lโautre aspect de la nature de lโhomme sera รฉtabli par Montaigne. Son intention est de nous faire sentir lโincertitude et la fragilitรฉ de toute chose. Pour cela il va renouveler le scepticisme de lโantiquitรฉ, en opposant les opinions et les coutumes les unes aux autres. Il relรจve les contradictions entre les conceptions de la justice, de la morale tout en soulignant la faiblesse de la raison, la puissance de lโimagination, du prรฉjugรฉ et de la croyance. Partout il montrera lโinconstance et la folie des hommes. Cโest pourquoi comme le dit Pascal : ยซ Montaigne met toutes choses dans un doute universel et si gรฉnรฉral, que ce doute sโemporte soi-mรชme, cโest ร dire sโil doute, et doutant mรชme de cette derniรจre supposition son incertitude roule sur elle-mรชme dans un cercle perpรฉtuel et sans repos; sโopposant รฉgalement ร ceux qui assurent que tout est incertain, et ร ceux qui assurent que tout ne lโest pas, parce quโil ne veut rien assurer ยป Montaigne remet en cause la capacitรฉ humaine dโatteindre dans ce monde une certitude inรฉbranlable, ferme et solide comme le roc. Il se moque de toutes les assurances et voit lโhomme tel quโil est sans illusion sur son pouvoir. Cโest la raison pour laquelle il pose la relativitรฉ des sciences, lโincertitude de la mรฉtaphysique et la diversitรฉ des mลurs dโun pays ร un autre. Le scepticisme est donc le signe manifeste du dรฉclin de la pensรฉe en Grรจce antique. Lโhomme est incapable dโaprรจs cette doctrine de parvenir ร une connaissance certaine quelle quโelle soit. Cette conception philosophique nous renvoie ร lโรฉtat de celui qui doute, qui refuse dโaffirmer ou de nier, de se prononcer en matiรจre de connaissance. Au sens courant, le sceptique est celui qui refuse des adhรฉsions ร des croyances gรฉnรฉralement admises. Il se contente de voir, en รฉcartant tout jugement, affirmation ou nรฉgation en ce qui concerne lโexistence dโobjets correspondants ร ces reprรฉsentations. Il est aussi question dans cette doctrine dโaller en guerre contre tout dogmatisme. En effet, cette intention peut รชtre ressentie ร travers ces lignes : ยซ Cโest dans cette assiette, toute flottante et chancelante quโelle est, quโil combat avec une fermetรฉ invincible les hรฉrรฉtiques de son temps, sur ce quโils sโassuraient de connaรฎtre seuls le vรฉritable sens de lโรcriture ; et cโest de lร encore quโil foudroie plus vigoureusement lโimpiรฉtรฉ horrible de ceux qui osent assurer que Dieu nโest point ยป Cette affirmation dรฉmontre encore une fois de plus lโincapacitรฉ dans laquelle se trouve lโhomme dโaccรฉder ร la vรฉritรฉ et au bonheur. Cette attitude du sage sceptique se justifie du fait quโil nโexiste pas de vรฉritรฉ absolue. Cโest pourquoi selon ce dernier, aucune position nโest dรฉfendable. Le scepticisme nโencourage donc pas la recherche de la vรฉritรฉ. Il se contente de mettre tout dans un doute universel et dรฉfinitif, en suspendant le jugement.
Pascal et saint Augustin
ย ย ย Si nous avons jugรฉ nรฉcessaire dans ce premier chapitre de notre travail de parler des antรฉcรฉdents philosophiques de Pascal, cโest parce quโil nโa frรฉquentรฉ aucune รฉcole. En dโautres termes on ne peut sโempรชcher de se demander ร quelle tradition il se rattache. Mais signalons tout de mรชme que notre intention nโest pas de faire dรฉpendre sa philosophie exclusivement de certains modรจles ou de certaines รฉcoles. Nรฉanmoins il reste incontestable quโil a utilisรฉ librement des idรฉes, des thรจmes et des suggestions importantes issues de certains courants comme le stoรฏcisme et le scepticisme que nous avons vu tantรดt et celui de saint Augustin. Plus gรฉnรฉralement, Pascal se sent proche de saint Augustin. Cet homme dโabord si mondain, ce penseur dโune intensitรฉ prodigieuse ร la dialectique subtile, psychologue remarquable, styliste brillant et, pardessus tout, croyant passionnรฉment engagรฉ. Quoiquโil soit trรจs contestรฉ de son vivant, ce seul gรฉnie vรฉritable parmi les Pรจres latins รฉtait devenu le docteur de lโoccident chrรฉtien. Avant saint thomas il avait crรฉe la synthรจse la plus remarquable de la foi chrรฉtienne et de la pensรฉe grecque (nรฉo- platonicienne). A travers lui, la thรฉologie patristique a atteint son apogรฉe. Ainsi dans la problรฉmatique raison et foi qui nous prรฉoccupe ici saint Augustin exerรงa une grande influence sur Pascal. Plusieurs textes de ses Pensรฉes confirment cette parentรฉ entre les deux auteurs. Lโรvรชque dโHippone avait commencรฉ ร rendre dโabord hommage aux penseurs grecs comme Platon et Aristote. Les Grecs avaient examinรฉ les grands problรจmes que rencontre lโhumanitรฉ. Ces philosophes partaient de leur raison pour apporter une solution aux problรจmes de lโorigine du monde, de la place de lโhomme et ร la question de Dieu. Mais les rรฉponses quโils donnaient portaient encore la marque de lโimperfection humaine. Cโest pourquoi selon lui la sagesse philosophique de lโantiquitรฉ grecque รฉtait imparfaite. La vรฉritable sagesse est divine et elle doit รชtre comprise comme une source inรฉpuisable. Elle peut รชtre communiquรฉe ร lโhomme si celui-ci se comporte selon les prรฉceptes de la foi. Cโest donc la Bible parole de Dieu qui constitue la source de cette sagesse. Elle est inattaquable et cโest ร partir dโelle que commence toute rรฉflexion philosophique. Cโest pour cette raison que ยซ Le Croire pour comprendre prรฉcรจde le Comprendre pour croire ยป chez Pascal comme chez saint Augustin. La foi se rรฉsume en une soumission de la raison ร une autoritรฉ, Dieu, lโรcriture et lโรglise pour eux. Le salut ne se trouve pas dans une mรฉthode universelle et rationnelle, mais dans une ouverture de lโhomme entier ร la rรฉalitรฉ entiรจre. Il nโest pas question de douter ici comme Descartes de lโincertitude du savoir humain, car le doute surgit dโune profonde dรฉtresse existentielle. Cโest justement sous cet aspect important que Pascal se rรฉclame expressรฉment dโAugustin. Ils reprรฉsentent lโunitรฉ globale et cohรฉrente oรน raison et foi, philosophie et thรฉologie sโentrelacent. La rationalitรฉ et la crรฉdibilitรฉ se conditionnent mutuellement. On ne peut loger la raison et la foi ร deux รฉtages diffรฉrents car ce qui est su est insรฉparable de ce qui est cru. Encore une fois de plus cโest la leรงon de saint Augustin qui nous guide dans cette conviction : ยซ Mรชme croire nโest pas autre chose que penser en donnant son assentiment [โฆ.]. Quiconque croit pense et en croyant-il pense et en pensant-il croit [โฆ]. Si elle nโest pas pensรฉe la foi nโest rien. ยป Selon saint Augustin, on doit essayer de confronter les vรฉritรฉs philosophiques des vรฉritรฉs religieuses puisque lโune nโest connaissable sans lโautre. Il veut surtout montrer que la religion nโest pas contraire ร la raison. En dโautres termes croire ne sโoppose pas ร la pensรฉe. Ils vont de paire. Dans ce cas il nous met en garde contre une philosophie qui sโoppose dโemblรฉe aux vรฉritรฉs religieuses. Autrement dit ร ses yeux est vraie une philosophie imbibรฉe dans la foi. La prรฉsรฉance de la foi importe dโabord, en dรฉpit de lโimportance reconnue ร la raison. Mais cette prรฉรฉminence posรฉe est loin dโรชtre un dรฉsaccord entre raison et foi bien que lโune soit au-dessus de lโautre. Cโest pourquoi certains nโhรฉsitent pas ร parler de ยซ Christo centrisme ยป qui dรฉtermine toute rรฉalitรฉ chez les deux auteurs. Ainsi plusieurs sentences de Pascal sur la place centrale de la foi ou de Jรฉsus Christ pourraient se trouver chez saint Augustin et sโinspirent de lui. Il existe presque une similitude entre les deux penseurs dans leur maniรจre de poser les rapports entre raison et foi. saint Augustin sโen explique mรชme dans une lettre adressรฉe ร Consentius : ยซ Si donc il paraรฎt raisonnable, que la foi prรฉcรจde la raison, fรปt-elle grande au point quโon ne puisse jamais en prendre la mesure, je doute tout ร fait que la raison, quelle quโelle soit qui nous persuade de cela, prรฉcรจde elle-mรชme la foi. ยป En se basant sur ces propos de saint Augustin, on comprend maintenant pourquoi ยซ Le croire pour comprendre ยป se tient au premier rang. Mais cette perspective unitaire de la raison et de la foi ne peut manquer de poser un problรจme philosophique fondamental. Cโest celui de lโexistence dโune pensรฉe libre et examinatrice par elle-mรชme. En effet, pour contourner cette difficultรฉ, Augustin soutient que toute rรฉflexion philosophique sโappuie dโabord sur les instructions du philosophe, ses principes premiers ร partir desquels il doit mener sa rรฉflexion. Dans le cas de cette philosophie chrรฉtienne, la foi en Dieu donne ร lโhomme les principes premiers et axiomes fondamentaux ร partir desquels la raison peut analyser les problรจmes de lโexistence et que Dieu est soumis ร notre discussion. En fait, ce lien รฉtroit entre les deux penseurs dรฉpasse ce cadre restreint des Pensรฉes. Pascal nโen finit pas de rรฉclamer son appartenance ร la doctrine augustinienne. Dans la lutte sans merci sur la grรขce entre Jansรฉniste et Jรฉsuites, il รฉtait convaincu dโavoir derriรจre soi cet Augustin qui avait rรฉsolu le problรจme de la grรขce, et de la volontรฉ libre ( ou non libre) dโune maniรจre dรฉcisive. A cet effet, il affirme : ยซ Dieu conduit bien son รglise de lโavoir (Augustin ) envoyรฉ devant avec autoritรฉ ยป
La foi comme soumission et usage de la raison
ย ย La thรฉorie pascalienne de la foi est caractรฉrisรฉe par la soumission et lโusage de la raison. Cela est liรฉ comme nous venons de le voir au fait quโil se rรฉclame de saint Augustin. Ainsi, fort de cette conviction, il รฉtait persuadรฉ que les prรฉtentions des philosophes dโexpliquer lโรcriture par la seule raison รฉtaient inutiles. Partant de ce constat, il ressent douloureusement les contradictions de ces derniers au sujet de la question de Dieu. Cependant Pascal est un adepte passionnรฉ du raisonnement le plus strict. Il est loin dโรชtre un contempteur de la raison. La raison bien conduite porte ร la foi. Cโest pourquoi son rationalisme est marquรฉ par la critique de la raison qui met lโaccent sur ses limites, son utilitรฉ et son pouvoir. Justement parce quโil รฉtait plus critique, il ne pouvait se convaincre quโavec la certitude rationnelle de soi lโindividu peut arriver tout seul ร la certitude de Dieu. Pascal comme saint Augustin รฉtait contraint de mettre la raison en prรฉsence de ses รฉchecs : ยซ Deux excรจs, exclure la raison, nโadmettre que la raison ยป Il est de notre intรฉrรชt de nous mรฉfier des excรจs de la raison en se situant entre ces deux extrรชmes. Pascal reste fidรจle ร sa conception du juste milieu. La foi vient dโabord au premier rang. Lโautoritรฉ prรฉcรจde la raison ou le retour obsรฉdant du verset dโIsaรฏe ยซ Si vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez pas โฆ ยป Lโacte de foi nรฉcessite une soumission intelligente de la raison ร une autoritรฉ reconnue comme transcendante. Cโest parce que dans le contexte pascalien la raison nโest pas capable ร elle seule de nous dรฉvoiler les raisons cachรฉes de lโรชtre puisquโelle est corrompue. Ce qui lโavait poussรฉ ร dรฉfendre le principe augustinien selon lequel, la raison elle-mรชme conclut ร son incapacitรฉ que ce soit dans lโordre religieux ou moral. Mais Pascal ne cherche nullement ร dรฉtruire notre certitude comme il lโaffirme : ยซ saint Augustin. La raison ne se soumettrait jamais si elle ne jugeait quโil y a des occasions oรน elle se doit soumettre. ยป Il sโagit de convaincre dโimpuissance dโabord, toute raison qui ne reconnaรฎt pas que sa force rรฉside dans son dรฉsaveu. La raison est contrainte ร regarder en face son infirmitรฉ pour se prรฉparer ร se soumettre. Sans ce traitement, elle ne renoncera jamais ร son enflure. Il est encore question de lutter ici contre le dรฉfaut de raison que traduit la protestation de la raison contre la soumission de la raison. A cet effet รฉcrit Pascal : ยซ il faut savoir douter oรน il faut, assurer oรน il faut, en se soumettant oรน il faut. Qui ne fait ainsi nโentend pas la force de la raisonโฆ ยป A la lumiรจre de ce propos, nous constatons que la croyance est dรฉsignรฉe au sens restreint par le terme de soumission. On assure sโil sโagit dโune vรฉritรฉ que la raison dรฉmontre, et on se soumet dans le cas dโune vรฉritรฉ ร recevoir par lโenseignement dโune autoritรฉ. Il nโexiste pas de soumission sans le plus rigoureux des examens critiques. Pascal plaide pour une foi que la raison peut assumer, tout en refusant un croire irrationnel. En effet, nous pouvons nous poser la question de savoir jusquโoรน sโexercera cette soumission de la raison. Il est manifeste: ยซ Croire que des propositions sont dans un livre bien quโon ne les y voie pas, cโest avoir une soumission superstitieuse ; car cโest se soumettre ยซ manque de savoir oรน il faut juger ยป manque de connaรฎtre cette nature des choses de fait dont parle la 18e provinciale ยป Il est clair que ce nโest pas par superstition que Pascal nous force ร renoncer ร lโactivitรฉ de notre raison pour nous soumettre. Mais en ce point extrรชme oรน notre raison manifeste son impuissance, cโest pour nous รฉlever ร une plus haute raison. Elle doit se soumettre et jamais se dรฉmettre dรฉfinitivement. La raison prรฉpare lโindividu ร recevoir les intuitions du cลur tout en les vivifiant. Cโest pourquoi nous devons รฉviter deux รฉcueils, lโarrogance et la dรฉmission de la raison. La soumission nโest recommandรฉe quโen face dโune autoritรฉ dรปment contrรดlรฉe et accrรฉditรฉe par la raison. Cโest pourquoi Pascal en partant de cette exclusion ou soumission prรฉliminaire de la raison va attribuer au corps un rรดle important dans le cheminement de lโhomme vers la foi. Cependant le problรจme qui se pose maintenant cโest de savoir comment faire intervenir le corps dans cette rencontre cลur ร cลur qui sโappelle la foi. Pour rรฉsoudre cela, Pascal commence par dรฉtruire les mรฉcanismes crรฉes par la coutume. Lโincroyant doit briser en lui- mรชme les mรฉcanismes que sa vie paรฏenne a montรฉs puisque la coutume est une force qui contraint lโindividu ร se plier systรฉmatiquement. Ce dynamisme de la coutume quโavait vu saint Augustin dans le domaine moral sera ici entrevu dans la vie religieuse par Pascal. Ainsi, frappรฉ par sa puissance, il dรฉcide de lโutiliser au service de la foi. Cโest la raison pour laquelle, en rรฉflรฉchissant sur lโaccรจs ร la foi du libertin, il verra aussi ยซ Quโ il y a trois moyens de croire : la raison, la coutume, lโinspirationโฆ ยป15 Lโimportance de la coutume dans la foi est mise en exergue ร travers cette pensรฉe. La coutume est un moyen parfois indispensable de croire, un instrument de lโinspiration divine. Preuve et machine ou raison et coutume sont les deux facteurs humains de la croyance. Cโest pourquoi Pascal dans son รฉnumรฉration des trois moyens de croire les oppose par le terme de ยซ mais ยป au moyen surnaturel et seul efficace ร savoir lโinspiration divine. La coutume et la raison servent dโinstrument ร Dieu. La foi est alors habitude et sentiment. Par consรฉquent nous devons รฉviter de rรฉduire la foi ร cette adhรฉsion mรฉcanique, car comme lโindique Pascal : ยซ On ne croira jamais, dโune crรฉance utile et de foi si Dieu nโincline le cลur et on croira dรฉs quโil lโinclinera… ยป Lโinspiration seule peut porter ร une foi vรฉritable. Il existe aussi une possibilitรฉ pour lโhomme de se disposer ร la foi par une discipline des gestes. La coutume ne fait que dans ce cas prendre le relais de la raison รฉtant donnรฉ que lโhomme est corps et esprit. Il est normal dโagir non seulement sur lโesprit, mais sur cette autre piรจce quโest le corps. La coutume sโimpose ici avec la force et lโautomatisme dโune seconde nature. Lโindividu est machine dans lโordre social et religieux en mรชme temps, car comme le dit Pascal : ยซ Lโhomme est ainsi fait quโร force de lui dire quโil est un sot il le croit. Et ร force de se le dire ร soi-mรชme on se le fait croire, car lโhomme fait lui seul une conversation intรฉrieure, quโil importe de bien rรฉglerโฆ ยป En effet, nous ne pouvons perdre de vue le fait que Pascal accorde en mรชme temps une importance capitale ร la raison. Malgrรฉ cette soumission, ce dressage par la machine prรฉconisรฉ ici, Pascal reconnaรฎt aussi lโutilitรฉ de la raison dans la foi. Cโest pour cette raison que, sans les mouvements du cลur, rapprochรฉs ร ceux de la grรขce, la foi ne peut รชtre obtenue. Mais cela veut dire aussi que lโon peut sโen approcher si lโon sโaide de la raison puisquโelle seule est capable de juger de la valeur de la croyance. A ce sujet Pascal รฉcrit : ยซ Cโest le consentement de vous ร vous-mรชme et la voix constante de votre raison et non des autres qui vous doit faire croireโฆ ยป Lโaccent est mis dans cette pensรฉe sur les droits de la raison et sur lโenquรชte personnelle. Le consentement universel et lโautoritรฉ sont repoussรฉs dโemblรฉe. Il est de notre devoir de soumettre ร lโexamen de la raison tous nos jugements et croyances. Ainsi compris, nous voyons que la foi doit รชtre รฉtayรฉe par des preuves rationnelles รฉtant donnรฉ que la raison informe tout lโhomme. Il nโest exigรฉ en aucun moment une soumission aveugle de la raison chez Pascal.
La foi comme sentiment du cลur
ย ย ย Comme nous venons de l โindiquer, lโacte de foi ne se rรฉsume pas seulement dans la soumission et dans lโusage de la raison. Il est en dehors de cette attitude un sentiment du cลur. Ainsi, Pascal est loin de placer au second plan cette activitรฉ du cลur en matiรจre de foi. Dans ce cas, on voit bien que la raison nโintervienne pas la premiรจre. La connaissance par le cลur prรฉcรจde de ce fait non seulement dans la saisie des premiers principes, mais aussi dans la connaissance religieuse. A ce propos Pascal รฉcrit : ยซ La raison agit avec lenteur et avec tant de vues sur tant de principes, lesquels il faut quโils soient toujours prรฉsents, quโร toute heure elle sโassoupit ou sโรฉgare manque dโavoir tous ses principes prรฉsents. Le sentiment nโagit pas ainsi; il agit en un instant et toujours est prรชt ร agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante. ยป La foi en Dieu nโest pas forcรฉment suscitรฉe par des preuves rationnelles prรฉalables. Mais nous nโignorons pas non plus que malgrรฉ cela, les apologistes en usent souvent pour porter un infidรจle ร la foi en attendant lโaction divine. La preuve nโest quโun instrument. Cโest pourquoi Pascal pense quโon ne doit pas รชtre surpris en aucun moment de voir des individus croire sans preuves et sans raisonner. Cela est dรป, selon lui, ร la souverainetรฉ de lโesprit de Dieu qui touche immรฉdiatement les cลurs. Cette foi quโanime directement ici lโesprit de Dieu est celle mรชme des prophรจtes qui faisait aussi lโobjet de leur annonce. Cโest celle que lโesprit de Dieu avait promise de rรฉpandre comme marque distinctive de lโavรจnement de son rรจgne. A cet effet, rรฉpandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de lโรglise prophรฉtiseraient il est sans doute que lโesprit de Dieu est sur ceux-lร et quโil nโest point sur les autres ยป Lโhomme ne peut croire sans lโaction de la grรขce divine. La dรฉcision de foi se prend dรฉsormais dans son cลur, et non au niveau des preuves rationnelles. Mais le seul problรจme demeure que cette certitude subjective comme dโailleurs toutes les intuitions du cลur sont incommunicables. Elle sโexprime de la mรชme maniรจre que la fantaisie. Ainsi on ne saurait manquer de se demander si Pascal nโest pas en train de prรฉconiser une foi aveugle. Une foi considรฉrรฉe comme รฉtant ici un sentiment du cลur a-t-elle un sens ? Autrement dit cette foi des ยซ simples ยป nโest-elle pas discutable ? Il convient maintenant de voir que si Pascal en dรฉfinissant la foi comme sentiment du cลur nโรฉnonรงait-il pas une thรฉorie en contradiction formelle avec ce besoin de raisonner que nous avons observรฉ en lui. Voir clair et se fier au sentiment sโaccordent-ils en fait dans la conception pascalienne de la foi ? En dโautres termes est-il possible de coordonner ce besoin de raisonner et de mettre sa foi dans le sentiment ? Partant de ce constat, nous avons vu que Pascal pose tout autrement le rapport entre foi et raison que Descartes. Il conteste le pouvoir absolu de la raison et de la pensรฉe mathรฉmatique, malgrรฉ toute lโestime et lโapplication de lโesprit gรฉomรฉtrique dans les sciences exactes. Cโest ยซ lโesprit de finesse ยป qui est donc nรฉcessaire pour les questions religieuses, car il est un acte de lโhomme total (cลur ) qui ressent et connaรฎt avec son intuition. Ce ne sont plus les preuves rationnelles qui nous inciteront ร croire, mais lโacte de foi รฉmane des profondeurs de lโhomme, cโest ร dire son cลur lร oรน se jouent les intuitions, les sentiments, les affections et les aversions. Cโest lร aussi que les passions exercent leur influence voire bloquent la raison dans sa dรฉcision de croire. La raison occupe une place limitรฉe dans lโordre de la vie. Cโest pourquoi ร cรดtรฉ dโune activitรฉ rationnelle, Pascal va distinguer une activitรฉ de connaissance oรน la raison et le cลur sont รฉtroitement liรฉs. On remarque alors une conjonction de deux vocabulaires chez Pascal; celui du cลur ( voir dโune vue, sentir ) et celui de la raison ( esprit, progrรจs, raisonner ). Lโalliance de mots ยซ esprit de finesse ยป rend assez bien compte dโailleurs de cet enlacement du cลur et de la raison. Ainsi, lโhomme a tendance ร dรฉvelopper de par sa nature lโune de ces facultรฉs de sorte quโil existe deux classes dโesprit : ยซCeux qui sont accoutumรฉs ร juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement. Car ils veulent dโabord pรฉnรฉtrer dโune vue et ne sont point accoutumรฉs ร chercher les principes et les autres au contraire qui sont accoutumรฉs ร raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment y cherchant des principes et ne pouvant voir dโune vue. ยป Il est possible de conclure en se basant sur cette pensรฉe que voir clair rime bel et bien avec le fait de se fier au sentiment. Mais signalons quand mรชme que le sentiment nโa rien ร voir avec la sentimentalitรฉ et la sensiblerie dont Pascal est totalement dรฉpourvu. Il dรฉsigne la capacitรฉ dโintuition intellectuelle de lโรขme. Mieux encore le mot ยซcลurยป ou ยซsentiment ยป rรฉsume ce que Pascal oppose ร la raison. Ce mot cลur ne vise pas lโirrationnel ou lโรฉmotionnel opposรฉs au rationnel et ร la logique. Il renvoie alors au centre personnel de lโhomme au point de dรฉpart de ses rapports dynamiques et personnels avec autrui. Il est aussi lโorgane de la comprรฉhension humaine en sa plรฉnitude. Cโest pour cette raison que le cลur ne peut รชtre rรฉduit au sentiment. Cependant il y participe par son caractรจre intuitif, immรฉdiat, spontanรฉ et sans intermรฉdiaire. Il est lโorgane de lโamour. Il sโen distingue dans la mesure oรน Pascal se mรฉfie du sentiment, puisque nous nโavons pas de rรจgle certaine pour distinguer le sentiment de la fantaisie ou de lโimagination.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Genรจse de la Thรฉorie Pascalienne de la Foi
Chapitre I: Pascal et ses antรฉcรฉdents philosophiques
1. รpictรจte et Montaigne
2. Pascal et saint Augustin
Chapitre II : Pascal et la thรฉorie de la foi
1. La foi comme soumission et usage de la raison
2. La foi comme sentiment du cลur
DEUXIEME PARTIE : Pascal et la notion du Dieu cache
Chapitre I: Le Dieu du Mรฉmorial et ses mรฉdiations pratiques
1. Pascal et le Mรฉmorial
2. Dieu et ses mรฉdiations pratiques
Chapitre II : De lโapologรฉtique de la religion ร la question du pari
1. Pascal et les libertins
2. Le pari comme propรฉdeutique de la foi
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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