Les projets de place publique piétonne en centre ville :
un moyen potentiel d’expression d’un idéal politique
Le cadre spatial de cette étude est celui de l’espace public. Défini tantôt sous un angle spatialisé comme espace ‘de passage et de rassemblement’, tantôt sous un angle anthropologique comme lieu ‘à l’usage de tous’ (Delbaere), l’espace public se voit néanmoins conféré un rôle reconnu comme important pour la création de liens sociaux permettant de former une société. Denis Delbaere l’exprime ici clairement : « c’est que le propre de l’espace public tient justement dans sa capacité à constituer le cadre spatial de l’échange et de la confrontation sociale »
Il laisse apparaître, à travers cette définition, la double dimension spatiale et sociale de l’espace public, reliant lieu et usages. Pascal Anphoux, appuie cette double perspective, en définissant l’espace public comme: « une situation sociale (inclus le lieu physique mais pas que) qui autorise (à la fois rend possible et oriente ou guide) la sensibilité à l’autre (non seulement humain mais aussi spatial ou temporel). »
L’espace public sera, dans cette étude, recentré spatialement au niveau de la place publique piétonne de quartier. En effet, il s’agit d’une forme visible et reconnaissable d’espace public. C’est également souvent un lieu de concurrence, de par son caractère de micro-centralité. Une place piétonne est dans la plupart des cas un nœud de transport local inscrit dans les trajectoires quotidiennes. Mais c’est également un lieu où se concentrent souvent les commerces et services de proximité. Plusieurs enjeux et intérêts s’y confrontent, tant ceux des commerçant souhaitant par exemple l’extension du commerce sur l’espace public, que ceux des habitants, souhaitant dans le même temps une place animée mais silencieuse. La lutte est donc à la fois spatiale et temporelle, de par l’enchainement des usages y prenant lieu au fil de la journée, de la nuit et de l’année. Visible et reconnaissable, la place publique piétonne devient un espace soumis à de multiples enjeux. Ainsi, les projets en lien avec cette catégorie d’espaces revêtent une importance politique particulière, parfois même disproportionnée. On pourrait donc considérer la place publique piétonne de centre ville comme un lieu où s’affrontent les ambitions et où se matérialisent les idées politiques, découlant elles même d’un idéal politique. Garms et Darin en 1989 émettent en ce sens l’hypothèse que : « la place cesse d’être espace public d’échange social pour ne plus être qu’espace d’affirmation de l’autorité publique »
La complexité de la conception d’espaces publics : un garde fou face aux traductions spatiales d’idées politiques extrêmes
Des stratégies de gestion foncière institutionnelles variables selon le bord politique au pouvoir
Henri Lefèbvre propose dans son livre « La révolution urbaine » un lien entre politique menée par l’échelon territorial compétent et aménagement de l’espace. Il exprime ainsi une classification de dimensions, concernant une réalité dite nouvelle, à la fois géographique, économique et politique, qu’il appelle ‘totalité sociale’.
« Le phénomène urbain peut s’analyser à trois niveaux. Le niveau global, celui de l’Etat, est organisé suivant deux stratégies principales qui coexistent ; le néo libéralisme (maximum d’initiative à l’entreprise privée) et le néo-dirigisme (planification technocratique). Ces deux stratégies interfèrent constamment, elles agissent sur le bâti (grands édifices, grands développements, villes nouvelles, etc.) et sur le non-bâti (transports, sites, etc.), c’est l’espace institutionnel, la politique de l’espace. Le niveau mixte concerne, à l’intérieur de la ville, tout ce qui est du domaine public : les rues, les places, les bâtiments ou équipements collectifs. Le niveau privé est celui de l’habiter qu’on opposera à l’habitat né à la fin du XIXème siècle, rationalisé et uniformisé. »
Dans le cas d’une procédure institutionnelle non participative, c’est donc l’échelle globale qui exprime sa politique dans l’espace, autant bâti que non-bâti: « It’s at the meso, urban level (M), though, where all this comes together, where an abstract global reach attains everyday coherence. »
Cette expression du niveau global dans la dimension urbaine est traduite par la concrétisation des stratégies de l’échelon territorial compétent, et ce notamment à travers la politique foncière menée. Cette politique a un fort potentiel de variabilité et traduit l’idéal politique des représentants élus. Dans le cas d’élus défendant des valeurs sociales, on pourrait donc observer la construction sur le foncier de la ville de nombreux logements sociaux. A l’inverse, comme l’exprime Henri Lefèbvre, dans le cas d’une politique foncière très libérale, on pourrait observer le foncier de la ville utilisé comme bien marchand et éventuellement vendu au plus offrant.
De résultats de conception spatiale normalisés quel que soit le bord politique au pouvoir
De par la globalisation, une reproductibilité des modèles d’aménagement de l’espace public est observable dans les démocraties d’Europe de l’ouest, l’application de ces modèles renvoyant à un formatage ou une normalisation de l’aménagement spatial des espaces publics. De plus, cette conception de l’espace public par l’échelon territorial compétent est un processus démocratique qui met en présence de nombreux acteurs du projet. Dans le cas d’une procédure institutionnelle non participative, le groupe concevant l’espace public est un ‘appareillage administratif complexe’ (Delbaere). Les acteurs intervenant dans ce processus sont très nombreux, si nombreux, même que Delbaere émet l’hypothèse suivante « et si la capacité de l’espace public à faire société, déficiente comme on l’a vu dans la réalité du partage de l’espace, [avait] migré, de la sphère de l’usage quotidien vers celle de la conception de l’espace lui-même « .
Les négociations et consensus qui découlent de cette multiplicité d’acteurs cadrent le résultat par des pouvoirs contrebalancés et un processus administratif lourd et très réglementé, impliquant une réponse spatiale qui convient à la demande du plus grand nombre, et qui renvoie donc à une certaine neutralité découlant du consensus.
La conception non participée de l’espace public découle donc de processus décisionnels long et complexes, ce qui atténue les résultats spatiaux, c’est à dire qui à une neutralité ne permettant pas l’expression d’idées politiques extrêmes.
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Table des matières
Introduction
Deux cas d’étude: un contexte spatial et social
Méthode
De la part des idéologies politiques dans les productions d’espaces publics
Les projets de place publique piétonne en centre ville : un moyen potentiel d’expression d’un idéal
politique
La complexité de la conception d’espaces publics : un garde fou face aux traductions spatiales
d’idées politiques extrêmes
Etude d’une conception institutionnelle : Hein Köllisch Platz
Une place centrée autour du commerce et de la gestion des flux
Fonctionnement observé de l’espace : un lieu de passage où ne s’arrêtent que des individus
marginalisés
Conclusion partielle
Etude d’une conception autogeree: Park fiction
Contexte de mise en place de l’autogestion sur le projet Park fiction
Fondements théoriques et idées politiques revendiquées
Conclusion partielle
Fonctionnement observé de l’espace : une mixité d’usages et de populations
Conclusion partielle
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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