De la modernisation de l’agriculture à une reconfiguration des activités agricoles

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Fragilisation économique et dépendance plurielle aux marchés

Les difficultés économiques, que subissent une frange de la population agricole, prennent naissance dans l’encastrement de la logique productiviste dans le système d’exploitation (Perrot, 1986 ; Petit, 2011 ; Van der Pleog, 2014 ; Chiffoleau, 2019). Une interdépendance plurielle (Ibid.) de la production à la gestion financière, la contraint à répondre aux exigences des « Empires » (Van der Ploeg, 2014) toujours plus nombreuses et coûteuses en investissement (Petit, 2011) . La perte d’autonomie (Prével, 2008 ; Petit, 2011 ; Van der Ploeg, 2014 ; Chiffoleau, 2019) se manifeste d’un bout à l’autre de la chaine et « s’auto-entretient » (Van der Ploeg, 2014) ; d’une part, seules les exploitations en capacité de réaliser des économies d’échelle peuvent supporter les fluctuations du marché des intrants et de la grande distribution (Van der Ploeg, 2014 ; Prével, 2008 ; Lanciano et Saleilles, 2010 ; Chiffoleau, 2019). D’autre part, ces mêmes marchés dictent la marche à suivre dans l’adoption de pratiques agricoles et dans les « choix de la production » (Van Der Ploeg, 2014 ; Petit, 2011). Aussi, cette course effrénée à la modernisation (Petit, 2011) dans laquelle les agriculteurs sont pris en étau, entre la dépendance financière liée à l’accumulation du capital productif et la pression à la baisse des prix des produits (Prével, 2008 ; Chiffoleau, 2019, p.28), génère inéluctablement une précarisation (Prével, 2008 ; Petit, 2011 ; Chiffoleau, 2019, p.28), un déclin de l’activité couplé d’un exode rural (Petit, 2011 ; Van der Ploeg, 2014, p.8 ; Chiffoleau, 2019, p.28), et un mal-être.

Malaise social

Sous le vocable de « malaise agricole » (Flandin, 1960 ; Deffontaines, 2018) se dissimule un ensemble de problématiques sociales qui a pour corolaire, entre autres, la dépendance des agriculteurs au système agro-alimentaire industriel (Chiffoleau, 2019).
Le délitement du lien social (Van der Ploeg, 2014 ; Prévitali, 2015 ; Chiffoleau, 2019, p.12) relève de l’élargissement de la chaine alimentaire, ayant restreint la proximité relationnelle entre producteurs et consommateurs (Chiffoleau, 2008 ; Van der Ploeg, 2014, p.13). Parallèlement, la « prolétarisation » (Prével, 2008) et l’isolement (géographique et social) de la population agricole renforcent « un processus de disqualification sociale » (Prévitali, 2015) qui a pour effet non seulement une désocialisation mais une exclusion sociale (Chiffoleau, 2019, p.30). De plus, entre « instrumentalisation de la nature » (Prével, 2008) et dénaturation des liens sociaux, « la standardisation du métier » (Chiffoleau, 2019, p.30) à laquelle se heurtent ceux qui ont succombé aux sirènes du progrès technique peut se traduire à terme par un affaiblissement identitaire (Ibid.). On comprend alors que ce malaise agricole s’exprime au travers d’un ensemble de « pertes » ; perte de lien social, perte de légitimité, perte identitaire, perte de confiance des consommateurs à leur égard (Prévitali, 2015), et une perte de soutien des politiques (Deffontaines, 2018). En effet, ils s’estiment trahis par l’État pour avoir répondu à la mission qu’on leur avait confiée « et pour se trouver finalement condamnés par la société civile » (Deffontaines, 2018). À cet égard, Roulet et Valiorgue (2019) font le constat d’une montée des clivages dans une société où deux camps s’opposent, entre des « agriculteurs délinquants de l’environnement » et en perte de repères (Deffontaines, 2018), et des citoyens dont la prise de conscience écologique fait s’élever des voix pour dénoncer les pratiques conventionnelles : « D’un côté les agriculteurs se sentent marginalisés et incompris, de l’autre la société attend des évolutions de pratiques afin de ne pas mettre en péril les biens communs et préserver l’environnement. » (Roulet et Valiorgue, 2019)
Dans ce contexte d’extrême souffrance agricole, entre exclusion sociale et incompréhension, Chiffoleau (2008, 2012, 2019) rappelle que les agriculteurs constituent la catégorie socio-professionnelle la plus touchée par le suicide.

Crise sanitaire et environnementale

Ces trente dernières années, l’intensification des pratiques agricoles a été tenue pour responsable d’un ensemble de crises sanitaires ; la listériose du porc en 1992, la crise de la « Vache folle », la grippe aviaire, dioxine, etc. (Lanciano et Saleilles, 2010 ; Prévost, 2014 ; Petit, 2011 ; Lamine, 2017 ; Chiffoleau, 2019, p.26). Si l’industrialisation de l’agriculture a malmené la sécurité sanitaire des aliments et heurté l’opinion publique sur les conditions d’élevage, ses effets délétères sur l’environnement et la santé humaine ont poussé nombre d’experts scientifiques à tirer la sonnette d’alarme (Mzoughi et Napoléone, 2013). Sans faire l’inventaire de l’impact des pratiques agricoles intensives sur les ressources naturelles, nous retiendrons l’altération de la qualité des nappes d’eau par les nitrates issus des engrais et des effluents d’élevage (Jolankai, 1990 ; Tissot et al., 2006 ; Petit, 2011 ; Mzoughi et Napoléone, 2013), l’érosion des terres agricoles (Jolankai, 1990 ; Auzet et al., 1992) et la dégradation des sols (Auzet et al., 1992), la participation active au réchauffement climatique (Inra, 2015), une détérioration de la physionomie paysagère caractéristique des opérations de remembrement (Petit, 2011), et l’effondrement de la biodiversité (Petit, 2011 ; Le Roux et al., 2008 ; Mzoughi et Napoléone, 2013).

qui est à l’œuvre d’un mouvement de rupture et de résistance par la relocalisation de l’agriculture comme alternative au modèle agro-industriel

Face aux préoccupations croissantes sur l’environnement, la sécurité sanitaire (Chiffoleau, 2019, p.26) et les problématiques sociales du monde agricole, on assiste depuis les années 90, bien qu’initiée dès les années 60 (Chiffoleau, 2019), à une relocalisation et reterritorialisation de l’agriculture qui s’inscrivent dans une démarche alternative au modèle industriel (Dufour et Lanciano, 2012 ; Van der Ploeg, 2014, p.16 ; Chiffoleau, 2019, p.26). Et c’est dans ce mouvement de ruptures « cumulatives » (Maréchal et Spanu, 2010 ; Praly et al., 2014 ; Chiffoleau, 2019) à la croisée des chemins, entre « désengagement » (Maréchal et Spanu, 2010) et « contestation » (Jouen et Lorenzi, 2014 ; Prévost, 2014 ; Chiffoleau, 2019, p.26) des systèmes alimentaires agro-industrialisés, qu’apparait à nouveau la figure du paysan. La résurgence de cet acteur, formulée sous le vocable de « repaysannisation » (Van der Ploeg, 2014), préfigure de la réactivation des valeurs fondatrices du monde rural : « […] une nouvelle paysannerie, qui s’appuie sur les principes de la souverainetéalimentaire, donne davantage d’autonomie aux jeunes ruraux et rend sa dignitéet ses valeurs àla vie paysanne. […] On observe la naissance de nouveaux acteurs sociaux dans le secteur agricole au travers de jeunes gens qui veulent devenir paysans, mais un nouveau type de paysans. » (Van der Ploeg, 2014, p.8)
Il est intéressant à cet égard d’indiquer que les jeunes générations qui reprennent la route des champs sont des néo-ruraux, parfois désabusés, qui « ont cherché refuge en milieu rural » (Chiffoleau, 2019, p.27). Ce groupe éprouve néanmoins des difficultés à s’installer, ne disposant ni « de capital foncier ni de capital social » (Lamine, 2017, p.34 ; Maréchal et Spanu, 2010 ; Chiffoleau, 2019). Un autre groupe, moins médiatisé, se compose d’agriculteurs qui, souvent rompus à une agriculture conventionnelle, décident de réorienter leur système de production en s’engageant dans une démarche plus agroécologique (Maréchal et Spanu, 2010).
Ces « nouveaux » paysans, pour subsister ou par idéologie (Van der Ploeg, 2014, p.16 ; Chiffoleau, 2019), sont en quête d’autonomie tant dans la production que dans la commercialisation. L’on retrouve aussi cette volonté de résister à un modèle « unique et globalisé » (Gomez et Naves, 2018) par le développement de nouveaux espaces d’échanges solidaires au Japon, les « Teikei » (Chiffoleau, 2017) ou aux USA au travers des Community Supported Agriculture (Chiffoleau, 2017).
Renouvellement des pratiques agricoles en faveur de l’environnement (Maréchal et Spanu, 2010), retour de la pluriactivité et des petites exploitations (Dufour et Lanciano, 2012), renouveau de l’économie solidaire à travers le développement des circuits courts et des échanges (Maréchal et Spanu, 2010 ; Van der Ploeg, 2014), valorisation de la production, sont autant de traits qui illustrent la nouvelle conception du métier chez cette paysannerie devenue actrice de son territoire.
Ainsi, la figure de l’exploitant, du sortir de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, « oscille entre dépaysannisation et repaysannisation » (Van der Ploeg, 2014, p.8), entre appropriation du productivisme dans le système d’exploitation et son rejet. C’est une rupture à l’origine d’innovations au service d’une transition par la création d’espaces d’échanges encastrés dans le paysage territorial, et qui s’inscrit en parallèle dans un double mouvement ; une défiance générale à l’égard du système agro-industrialisé, et l’émergence de nouvelles attentes sociétales (Chiffoleau, 2019). Aussi, nous verrons dans cette seconde partie que ce processus a enclenché un renouvellement des formes de distribution au service d’une transition sur le plan socio-économique à la fois pour les producteurs-consommateurs, et les territoires.

L’essor des circuits courts alimentaires : une innovation sociale au service d’une transition

À la suite de l’annonce du plan Barnier de 2009 sur le développement des circuits courts et l’analyse de son fonctionnement, une définition officielle s’est apposée sur cette mosaïque de débouchés commerciaux : « est considéré comme circuit court un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur » (J.O. 25 août 2011). Praly et al. (2014) ont mis en évidence que si cette définition s’oppose aux circuits longs en apportant une clause au nombre d’intermédiaires dans la transaction, elle ne tient pas compte de la « dimension spatiale » (Praly et al., 2014) qui accentue la distance ou le rapprochement entre producteurs et consommateurs. Aussi, de nombreux chercheurs se sont attachés à l’importance de l’approche territoriale des circuits courts dans le développement local (Chaffotte et Chiffoleau cités dans Praly et al., 2014), et dans la gouvernance alimentaire territoriale (Gomez et Naves, 2017). Ces travaux sur la relocalisation ont débouché sur le concept de « circuits courts de proximité » qui implique une limitation géographique de 80 km entre le lieu de production et de commercialisation (Chaffotte et Chiffoleau citées dans Blanquart et Gonçalves, 2011, et dans Praly et al., 2014). Néanmoins dans cette étude, nous partageons le point de vue de Dury S. et Marquis S. (2020) et de Bouba-olga O. et Grossetti M. (2008), à savoir que la notion de « local » fait débat au sein des chercheurs, et que la vente directe, et non la proximité géographique, demeure l’aspect principal dans le renforcement des liens entre producteurs et consommateurs.

Une transformation sociétale : nouveaux besoins, nouvelles motivations, nouvelles attentes

Les chercheurs insistent sur le rôle des crises sanitaires dans la perte de confiance accordée par les consommateurs dans le modèle agricole productiviste (Lanciano et Saleilles, 2010 ; Dufour et Lanciano, 2012 ; Chiffoleau, 2008, 2017, 2019). Cette méfiance les a détournés en partie du système conventionnel et a fait émerger de nouveaux besoins (Bernard et al., 2008), de nouvelles motivations à s’approvisionner en circuits courts, et des nouvelles attentes, tant sur le plan environnemental, socio-économique, que sanitaire. Les experts ont pu proposer un éclairage sur les raisons variées qui motivent les acheteurs à s’éloigner des filières longues, que nous avons classées par catégorie.

Renforcement du tissu social : La « proximité » au cœur de nouvelles interactions sociales

Plusieurs chercheurs (Sage, 2003 ; Dufour et Lanciano, 2012 ; Hérault-Fournier, 2013 ; Chiffoleau, 2019 ; Duboys De Labarre et Lecoeur, 2021) se sont consacrés à la dynamique des circuits courts dans la construction d’un « lien social » entre les divers acteurs qui s’y investissent. Il s’agit d’un processus de socialisation d’une part affirmé sur les territoires par les formes traditionnelles de commercialisation à dimension conviviale (les marchés de plein de vent), et d’autre part renforcé par le renouvellement des formes de commercialisation apparu à la fin des années 90, à l’instar des AMAP (Mundler, 2009), des points de vente collectifs (Chiffoleau, 2012), dans lequel les interactions entre producteurs et consommateurs, plus nombreuses, instaurent une relation de confiance réciproque (Hérault- Fournier, 2013), rétablissent, selon le point de vente, une dynamique de solidarité (Mundler, 2009), et assurent ainsi une cohésion sociale en s’opposant à l’anonymat des filières longues (Chiffoleau, 2012 ; Hérault -Fournier, 2013 ; Maréchal et Spanu, 2010 ; Alonso Ugaglia et al., 2020). Ce renforcement du lien entre consommateur et producteur, favorisé par les échanges directs, constitue ce que nombre d’auteurs ont qualifié de « proximité relationnelle » (Hérault-Fournier, 2013) et permet selon Yuna Chiffoleau (2012) « une reconnaissance sociale et du métier » d’agriculteur (Chiffoleau et al., 2011-2013). Au-delà de renouer deux mondes que le système dominant avait tenu à distance, les circuits courts en vente directe participent à la réinsertion d’agriculteurs exclus du champ social (Chiffoleau, 2012) et à la revalorisation sociale de leur métier (Praly et al., 2014). Et le partage de mêmes valeurs entre consommateurs et producteurs (définit sous le terme de « proximité identitaire ») consoliderait, en restaurant la confiance des uns et des autres, davantage l’intégration sociale des producteurs (Hérault-Fournier, 2013).
Par ailleurs, la littérature (Maréchal et Spanu 2010 ; Dufour et Lanciano, 2012 ; Yuna Chiffoleau, 2012, 2019) atteste de l’importance sociale du développement des circuits courts dans l’émergence de collectifs d’agriculteurs (AMAP, points de vente collectifs) « engagés dans les mêmes démarches » (Dufour et Lanciano, 2012). En effet, dans ce nouvel espace de socialisation, la création de nouvelles interactions entre producteurs permet de recréer des liens avec les pairs, « de développer des activités locales d’entre-aide […] ou d’organiser des évènements socioculturels » (Chiffoleau, 2012) favorisant ainsi une requalification sociale des acteurs en jeu et un développement local des territoires (Chiffoleau, 2012, 2019).
Bien que ces nouvelles « arènes d’échanges » (Holloway et al., 2007 cités dans Denéchère et al., 2008) soient créatrices de lien social et re-personnalisent les échanges (Prévost, 2014), il n’en demeure pas moins que les interactions sociales sont parfois succinctes (Dubuisson-Quellier et Le Velly, 2008; Maréchal et Spanu, 2010 ; Chevallier et al., 2014), ou contraintes tant pour les producteurs (Mundler, 2009 ; Maréchal et Spanu, 2010 ; Dufour et Lanciano, 2012 ; Raton et al., 2017) que les consommateurs (Dubuisson-Quellier et Le Velly, 2008 ; Hérault- Fournier, 2013). En sus, certaines formes de vente, on pensera à la vente en ligne, ne permettent pas de relations directes (Raton et al., 2017) ou de relations en face-à-face entre consommateurs -producteurs compte tenu de la présence d’un intermédiaire (Dubuisson-Quellier et Le Velly, 2008). Et en dehors des collectifs d’agriculteurs, les relations sociales entre exploitants ne vont pas toujours de soi en raison de la concurrence sur un marché de niche (Raton et al., 2017).

Renforcement économique des agriculteurs et des territoires

La montée en puissance des circuits courts a attisé la curiosité des chercheurs sur la capacité plurielle de ces dispositifs de distribution à participer au renforcement économique des exploitations et des territoires. La performance de cette commercialisation s’incarne dans l’autonomie qu’elle rend au producteur quant à la fixation des prix (Lanciano et Saleilles, 2010 ; Chiffoleau, 2017, 2019 ; Alonso Ugaglia et al., 2020) jugée plus équitable par les consommateurs (Lanciano et Saleilles, 2010 ; Chiffoleau, 2012).
En outre, comme la réduction des intermédiaires favorise une meilleure « captation de la valeur ajoutée » (Chiffoleau, 2012, 2019 ; Maréchal et Spanu, 2010 ; Alonso Ugaglia et al., 2020), elle garantit non seulement la viabilité de l’exploitation (Alonso Ugaglia et al., 2020) mais aussi une rétribution plus juste aux agriculteurs (Praly et al., 2014 ; Jouen et Lorenzi, 2014 ; Alonso Ugaglia et al., 2020).
Sans être soumis à une quelconque exigence de productivité ou de production (Alonso Ugaglia et al., 2020 ; Chiffoleau, 2019) par les « empires » (Van der Ploeg, 2014), les agriculteurs optent, souvent, pour une diversification et une transformation de la production qui, couplées à la diversité des canaux de distribution, contribuent à la pérennisation de l’exploitation agricole (Gomez et Naves, 2018) tout en leur assurant un revenu régulier. Autonomes également en amont concernant le système de production, les pratiques agricoles employées, souvent moins gourmandes en intrants et en outils de production, nécessitent des investissements moins conséquents, les rendant financièrement plus indépendants vis-à-vis des banques (Dufour et Lanciano, 2012 ; Chiffoleau, 2019 ; Alonso Ugaglia et al., 2020).
Néanmoins, si les circuits courts participent à l’émancipation économique des agriculteurs, cette commercialisation peut être contrainte. C’est le cas notamment de producteurs qui distribuent une infime partie de leur production en circuits courts de sorte à renflouer la trésorerie de leur exploitation (Denéchère et al., 2008 ; Maréchal et Spanu, 2010 ; Raton et al., 2017). En outre, les résultats économiques sont à nuancer en fonction des choix de commercialisation opérés par les producteurs. Les plateformes de commandes en ligne, perçues moins équitables et transparentes (Chiffoleau, 2019) que les autres modes de commercialisation « alternatifs », génèrent un risque de captation plus élevé de la valeur ajoutée. De plus, la rentabilité de l’exploitation dépend intimement du temps consacré à la commercialisation. La disponibilité qu’elle implique, et la polyvalence des activités des acteurs (Dufour et Lanciano, 2012 ; Chiffoleau, 2019) a des effets directs sur la santé économique de l’entreprise que Raton et al. (2017) décrivent ainsi : « La performance économique varie aussi selon les filières, la taille de l’exploitation, la quantitéet l’organisation du travail. Assurer soi-mêmela production, le transport, voire la transformation est chronophage et coûteux. » (Ratonet al., 2017)
Par ailleurs, les circuits courts reconfigurent le paysage territorial grâce à la relocalisation de l’économie (Praly et al., 2014 ; Duboys De Labarre et Lecoeur, 2021), à la valorisation de l’économie locale (Chiffoleau, 2012) et s’inscrivent, selon la modalité de commercialisation, dans l’économie sociale et solidaire (Mundler, 2009). Le développement de lieux de distribution en circuits courts nécessite parfois une main d’œuvre supplémentaire pour assurer la vente, créant ainsi des emplois « non délocalisables » (Raton et al., 2017 ; Alonso Ugaglia et al., 2020). En outre, les filières courtes participent à la valorisation de la production du terroir (Chiffoleau, 2008), facilitent l’implantation de nouveaux lieux d’approvisionnement et l’installation d’agriculteurs (Alonso Ugaglia et al., 2020) « et s’associent à des services qui profitent aux territoires (festivités, activités pédagogiques ou ludiques, agritourisme…) » (Chiffoleau, 2008). Elles permettent également de désenclaver des zones rurales (Chiffoleau, 2008) et de renouer des liens entre villes et campagnes (Denéchère et al., 2008 ; Dufour et Lanciano, 2012). Aussi dans une démarche inclusive, il émerge des initiatives de soutien à la fois aux agriculteurs au travers des AMAP (Mundler, 2009), et aux consommateurs au travers de filières alternatives solidaires (épiceries sociales et solidaires) (Paturel et Carimentrand, 2018) qui émanent « d’un principe supérieur d’un droit à l’alimentation durable » (Chiffoleau, 2019, p.124).

et sont soutenus par les territoires de projet

Réappropriation de la question alimentaire par les territoires dans une triple optique : sociale, économique et environnementale…

C’est dans un mouvement de décentralisation que les collectivités locales bénéficiant de plus d’autonomie financière et de compétences en matière décisionnelle ont pu se réapproprier la question des ressources agricoles « au travers leur diversification […] et leur spécification » (Landel, 2011 ; Capt et al., 2012) et à travers le développement des filières courtes (Gomez et Naves, 2018).
Aujourd’hui dans un contexte de quête de souveraineté alimentaire, de nombreuses innovations sociales sont portées par les agglomérations et les « territoires de projet » pour restructurer les filières, et garantir à l’ensemble de la population locale une alimentation durable (Houdart et al., 2020 ; Poisson et Delfosse, 2012). Des innovations qui selon Poisson et Delfosse (2012) n’en sont pas vraiment dans les Parc naturels régionaux en cela que la protection et la valorisation durables des ressources environnementales sont constitutives de la création de ces espaces protégés (Laurens, 1995). En effet, les stratégies d’orientations agricoles prennent appui, dès les années 90, sur la réforme de la PAC et se sont concentrées rapidement sur la promotion des circuits courts, et le maintien d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
Aussi les Parcs naturels régionaux, souvent à l’initiative de la mise en œuvre de « Projets Alimentaires Territoriaux », accompagnent les différents acteurs de la chaine alimentaire autour de la reterritorialisation de l’agriculture (Houdart et al., 2020) et de la relocalisation en soutenant entre autres, le développement des filières courtes au travers de l’approvisionnement de la restauration collective par exemple (Lamine et Chiffoleau, 2012 ; Poisson et Delfosse, 2012), et la valorisation de l’agriculture par une stratégie de qualité (Lamine et Chiffoleau, 2012) associée à une rémunération plus équitable des producteurs (Poisson et Delfosse, 2012).
Et selon Lamine et Chiffoleau (2012), ces projets s’inscrivent dans un principe « d’écologisation du territoire », dans lequel les pratiques de l’ensemble des acteurs du système alimentaire (domaine des transports, urbanisme, agriculture) concourent au respect de l’environnement.
Ainsi, la question alimentaire dans les Parc naturels régionaux constitue « un outil de bonne gouvernance territoriale » (Poisson et Delfosse, 2012) dont le fonctionnement implique une additionnalité écologique.

A l’origine d’une nouvelle exclusion d’une catégorie d’agriculteurs dans les PNR

Néanmoins cette injonction de préserver l’environnement dans les Parcs naturels régionaux (PNR) polarise les rapports sociaux entre les gestionnaires et les conventionnels, et entre les agriculteurs selon leur approche environnementale (Gaveau, 2017 ; Deffontaines, 2018). Cette opposition profonde s’enracine non seulement dans une lutte pour le partage de ressources naturelles tenues pour rares et « valorisées par différents groupes dans des logiques opposées » (Roulet et Valiorgue, 2019 ; Rétif et Chevalier, 2018), mais elle tire aussi son origine d’un rejet de la soumission à un impératif de préservation de la nature émanant des Parcs. Si l’on s’intéresse à la thèse de Morère (2017), nous comprenons que les espaces protégés habités, comme les PNR, sont construits sur « un paradigme intégrateur » (Ibid.), dans lesquels les activités des hommes ne sont pas incompatibles avec la nature si tant est qu’elles soient écologiquement vertueuses. Alors comment concilier l’approche participationniste des PNR avec la valorisation durable des ressources, sans générer une nouvelle forme d’exclusion sociale (Deffontaines, 2018), dont les agriculteurs conventionnels se sentent victimes ?
La littérature met en exergue le rôle d’une transformation sociale dans le renouvellement des circuits courts. La résurgence de ces marchés apporte aux divers acteurs qui participent à sa mise en œuvre ou aux territoires qui la développent des bénéfices socio-économiques, parfois remis en question. Toutefois, ses effets ne se cantonnent pas à l’impact socio-économique, mais invitent à explorer également la dimension environnementale. Objet de débats dans la littérature, entre idéalisation et « mépris » (Chiffoleau, 2019), la performance environnementale reste une question qui requière pour la traiter dans son ensemble, un élargissement des indicateurs aux effets de la commercialisation sur les modes de production. Dès lors, nous questionnerons le rôle des différents acteurs issus de ces nouvelles « arènes d’échange » (Holloway et al., 2007 cités dans Denéchère et al., 2008) dans un changement de pratiques.

La relation entre circuits courts et environnement : quelle efficacité ?

La perception des circuits courts comme critère d’un produit agricole plus écologique : une représentation erronée de la réalité ?

Une perception communément partagée chez les consommateurs et les collectivités locales, qui n’est ni totalement fausse ni totalement vraie

Qu’il s’agisse des collectivités locales ou des consommateurs, ils sont inclinés à considérer l’objet circuit court (CC) comme synonyme de local et d’une agriculture respectueuse de l’environnement, bien que la définition officielle des circuits courts ne fasse état ni du mode de production ni de la distance géographique (Maréchal et Spanu, 2010 ; Chiffoleau, 2019, p.83). Une enquête effectuée auprès de consommateurs (Chiffoleau, 2019, p.83) révèle que, pour 44 % des répondants les produits agricoles issus des circuits courts sont certifiés Bio, pour 71 % l’agriculture respecte les équilibres naturels et pour 95% ils sont locaux (Ibid.). Cet amalgame qui prête aux circuits courts des bénéfices environnementaux laisse à penser que soit les consommateurs commettent une erreur sur le sens des circuits courts ou soit ils ont su en déceler les vertus (Maréchal et Spanu, 2010 ; Chiffoleau, 2019, p.83).
Cette perception communément partagée est en réalité plutôt fondée si l’on s’en tient aux statistiques et au recensement agricole. La proportion d’agriculteurs Bio (biologique) ou pratiquant une agriculture « raisonnée » en circuits courts se révèle largement supérieure à la moyenne nationale (Ibid.). Aussi, Maréchal et Spanu (2010) proposent un éclairage sur la région Bretagne, connue pour sa forte logique productiviste, où selon une enquête 38 % des agriculteurs en circuits courts sont certifiés Bio contre 7% en circuits longs à la même époque. Toutefois cette disposition à pratiquer une agriculture écologiquement vertueuse se focaliserait plus sur certaines modalités de commercialisation (point de vente collectif, AMAP, marché de plein vent) que d’autres (vente à la ferme) (Ibid.). Par ailleurs, comme l’agriculture biologique repose sur le respect d’un cahier des charges, elle a le mérite de présenter des « repères clairs » (Maréchal et Spanu, 2010) pour saisir plus facilement un lien entre les circuits courts et des pratiques agricoles plus durables, même si elle n’est pas l’apanage « d’une agriculture écologique ». En effet, des agriculteurs font le choix de ne pas payer la certification pour des raisons économiques ou idéologiques (Chiffoleau, 2019, p.83) mais sont tout aussi soucieux de l’équilibre des écosystèmes.

Bilan énergétique des circuits courts : vers une logistique plus verte ?

Souvent inscrits à l’échelle territoriale, (bien que la proximité géographique ne soit pas une condition sine qua non du circuit court), les CC se caractérisent, en général, par une réduction des distances de distribution qui porte à croire que le bilan carbone est inférieur à celui réalisé par les circuits longs (Redlingshöfer, 2008 ; Goncalves et al., 2014 ; Raton et al., 2017 ; Chiffoleau, 2019 ; Maréchal et al., 2019). Mais à la suite de l’apparition des travaux de Schlich et al. (2005), la littérature fait le constat paradoxal que la filière longue offre une meilleure efficacité énergétique, si l’on ramène par unité de poids de produit transporté les émissions de CO2, et de consommation d’énergie (en tenant compte du taux de remplissage, du mode de transport, etc.). Cette étude aboutit au concept « d’écologie d’échelle » (Schlich cité dans Redlingshöfer, 2008 ; Maréchal et al., 2019).

Les déterminants à l’engagement dans l’écologisation des pratiques agricoles

Motivations à s’engager dans des pratiques agricoles plus durables

À ce titre, il est opportun de rappeler que la littérature sur l’écologisation des pratiques agricoles permet de relever chez les agriculteurs (indépendamment de la commercialisation), des déclencheurs et des motivations (d’ordre économique, pragmatique, militante, sanitaire et environnementale), fondés sur des déterminants exogènes ou endogènes à l’exploitation, et propres à l’exploitant (Padel, 2001), qui favorisent ainsi l’intégration d’un autre mode de production dans leur système d’exploitation (Maréchal et Spanu, 2010 ; Lamine, 2017 ; Chiffoleau, 2019).
Les difficultés financières peuvent inviter les exploitants à s’inspirer des réussites des pairs convertis en Bio (Lamine, 2017, p.29). Par ailleurs, les agriculteurs qualifiés de « pragmatiques » par la littérature anglaise (Lamine, 2017), perçoivent dans l’agriculture plus durable un débouché additionnel, une opportunité de se différencier d’un marché de masse (Lamine, 2017), et un moyen sur une petite surface agricole d’optimiser les revenus (Mcbride et Greene, 2009). Ils sont à opposer à « l’homo faber » (Dufour et Lanciano, 2012), pour qui le choix d’un mode de production plus respectueux de l’environnement fait partie « d’un grand tout » (Maréchal et Spanu, 2010), et prend naissance dans un mode vie alternatif, souvent revêtu de couleurs militantes (Guyard, 2010 ; Lamine, 2017, p.62 ; Chiffoleau, 2019). Pour d’autres, la longue exposition aux intrants chimiques a déclenché, d’abord, une prise de conscience sur les risques sanitaires, puis un changement de pratiques (Maréchal et Spanu, 2010 ; Van Damn et al., 2010 ; Lamine, 2017, p.33). Sur ce point, Lamine (2017) et Van Dam et al. (2009) mettent au jour le rôle de la femme (de l’agriculteur) comme figure fondamentale dans l’aide, et au soutien à une réorientation des systèmes de production. Et parfois, l’engagement dans des pratiques plus douces d’un point de vue environnemental fait suite au constat d’une dégradation de l’environnement associée à des pratiques (Lamine, 2017, p.30). Là où différents mondes agricoles se côtoient en milieu rural, les motivations et déclencheurs à s’engager dans une logique de production plus écologique sont aussi variés qu’il existe des parcours de vie divers.
Représentations de l’écologisation des pratiques agricoles
Au-delà des motivations, l’investissement des exploitants dans des pratiques plus durables est intimement lié à leurs représentations de l’environnement. Si pour des exploitants la question environnementale « ne fait pas partie de leurs préoccupations premières » (Maréchal et Spanu, 2010), pour d’autres le concept de « l’environnement » est soumis à la question : quelles pratiques et démarches peuvent se considérer plus écologiques que d’autres ? (Rétif et Chevalier, 2018). Rétif et Chevalier (2018) ont questionné l’engagement des agriculteurs inscrits en circuits courts dans l’écologisation des pratiques à travers le concept de « capital environnemental », définit comme suit : « L’ensemble des investissements (socio-économiques, idéologiques, émotionnels, politiques, artistiques…) dans l’environnement réalisés par des acteurs selon leurs représentations, intérêts et systèmes de valeurs spécifiques » (Rétif et Chevalier, 2018).
Il ressort de cette étude une représentation hétérogène de ce qui « fait » une, ou nous dirons plutôt des agricultures respectueuses de l’environnement. Parfois qualifiée de « non conventionnelle », ou « ferme de taille humaine » (Chiffoleau, 2019), « presque Bio » (Chiffoleau, 2019), et « traditionnelle » (Rétif et Chevalier, 2018), les perceptions oscillent entre pratiques agricoles et taille de l’exploitation, mais toutes ont en commun de s’opposer au modèle dominant. Selon Rétif et Chevalier (2018), sous cette notion « d’environnement », presque abstraite, se dissimule toutefois chez l’ensemble des acteurs un attachement à la nature et à « l’authenticité des produits agricoles » (Rétif et Chevalier, 2018).
Résistances à un changement de pratiques agricoles
Une abondance de la littérature sur les freins à l’adoption de pratiques plus durables nous a emmené à sélectionner les déterminants les plus pertinents dans le cadre de cet état de l’art. L’engagement dans une démarche plus écologique peut faire l’objet d’une évaluation des risques en termes économiques, notamment pour les grandes exploitations hautement spécialisées dans un secteur de production (Kallas et al., 2010) et dont la renouvellement des facteurs de production implique un investissement supplémentaire trop élevé (Fargeas, 2009).
La littérature illustre aussi les contraintes techniques liées à un basculement de pratiques. Les conditions naturelles (climatiques, pédologiques) souvent inadaptées à un type de production confortent les exploitants dans un système conventionnel dans lequel le recours aux intrants chimiques minimise les aléas naturels et les abstient d’adapter leurs productions et pratiques à l’environnement (Stengel, 2000 ; Faugère, 2001). Par ailleurs, il existe des réticences, voire des résistances sociales à l’investissement dans les circuits courts, et l’écologisation des pratiques agricoles. Maréchal et Spanu (2010) mettent le doigt sur la difficulté pour les agriculteurs attachés au modèle dominant de s’en extraire, même à petite dose. Inclure les circuits courts à son mode de commercialisation, et faire évoluer ses pratiques vers plus de durabilité compromet leur légitimité professionnelle auprès des pairs (Van Damn et al., 2010), et peut être considéré par le groupe de référence comme « une volonté de rupture » (Ibid.), même si ces décisions sont motivées par des raisons financières. En outre, des auteurs rappellent que les conditions intrinsèques à l’exploitant tel que son âge (McBride and Greene, 2009), son niveau d’éducation, son « capital environnemental » (Rétif et Chevallier, 2018) joueraient un rôle dans le « rejet » de nouvelles techniques agraires (Guyard, 2010 ; Rétif et Chevallier, 2018). L’âge et l’éducation sont néanmoins
à nuancer selon Lamine (2017) qui, à la suite d’une longue étude sociologique portant sur l’écologisation de l’agriculture, n’a pas relevé dans ces déterminants une valeur significative.

Les mécanismes inhérents aux circuits courts dans l’écologisation des pratiques

Le rôle des mécanismes de l’influence sociale dans une dynamique de réorientation des pratiques vers plus de durabilité

Selon le concept de l’influence sociale largement étudié dans le champ de la psychologie sociale, les interactions sociales peuvent, dans un contexte donné, être à l’origine d’une pression exercée par un individu sur un autre, et aboutissent in fine à une « uniformisation sociale » (Fischer, 2020) générée par un processus d’incorporation (Ibid.) des habitus de la culture dominante (Balez et Sanquirgo, 2015). Ce processus duquel découle une relation dynamique de pression (Ibid.) à laquelle se plie un groupe implique une adaptation, et une modification des attitudes (Fischer, 2020). Derrière le terme « d’influence sociale », Fischer (2020) met en lumière les différents mécanismes à l’œuvre dans ces relations (comparaison sociale, l’imitation, etc.), et leurs conséquences en termes de changement comportemental. Au travers de ces mécanismes s’ajoute la dissonance cognitive, un processus psychologique par lequel « les individus agissent à partir de ce qu’ils croient et de ce qu’ils éprouvent, vis-à-vis des autres, vis-à-vis d’eux-mêmes » (Fischer, 2020). Décrite comme un état de tension cognitif, c’est-à-dire une contradiction interne, la dissonance cognitive résulte de l’évaluation d’éléments de connaissance discordants à laquelle l’individu va mettre un terme soit en ajustant son comportement à ses convictions de sorte à diminuer ce sentiment « d’inconfort psychologique » (Van Damn et al., 2010), et fait dès lors preuve d’une « rationalisation comportementale » (Ibid.) ou soit, l’individu fait taire ses injonctions paradoxales « en justifiant ses croyances à ce comportement » (Aronson, 1972 cité dans Van Damn et al., 2010), et adopte alors une stratégie de « rationalisation cognitive » (Van Damn et al., 2010). La stratégie de rationalisation comportementale, qui peut émaner de l’environnement socio-affectif (les consommateurs, les pairs, etc.) (Ibid), est celle, comme le souligne Van Damn et al (2010), qui active une dynamique d’engagement dans des pratiques plus soutenables écologiquement.

L’influence des consommateurs dans un changement de pratiques

Si les chercheurs mentionnent souvent le rôle des consommateurs dans un changement de pratiques (Redlingshöfer, 2008 ; Raton et al., 2017 ; Chiffoleau, 2019 ; Brives et al., 2020), l’analyse de son influence sur les modes de production a fait l’objet, à notre connaissance, d’une seule étude en France, celle de Maréchal et Spanu en 2010. Cette enquête revêt un caractère particulier, ayant été réalisée dans un « contexte Breton » (Maréchal et Spanu, 2010) empreint d’une forte logique productiviste, où l’agriculture spécialisée dans l’élevage alimente les filières longues d’un marché de masse. Les chercheurs ont mené une quinzaine d’entretiens auprès d’agriculteurs représentatifs de la population agricole commercialisant en circuits courts. La définition de l’échantillonnage a tenu compte de la diversité du phénomène étudié « type de production, part de la production vendue en circuits courts, formes de circuits courts utilisées, […] » (Maréchal et Spanu, 2010). À partir d’une démarche compréhensive, ils se sont concentrés à identifier les parcours de vie des agriculteurs et leurs représentations des pratiques, la trajectoire de leur exploitation, et à questionner l’évolution des modes de production.
Il en ressort, contrairement à l’opinion commune, que la vente en face-à face, entre producteurs et consommateurs, n’influence nullement les pratiques des exploitants. Les agriculteurs et consommateurs aborderaient en fait très peu la question environnementale. Rétif et Chevalier (2017) apportent un éclairage sur ce point : parler d’environnement serait une source de clivage (Ibid.).
À cet égard, nous pouvons supposer par rapport aux informations fournies par la littérature que la proximité relationnelle en circuits courts implique une relation de confiance réciproque, qui ne laisse peut-être pas de place à l’interrogation sur les pratiques, ou alors les consommateurs n’interrogent pas, parce qu’ils ne disposent pas des connaissances nécessaires à l’évaluation de ce qui « est environnemental ».
Par ailleurs, selon Maréchal et Spanu (2010), l’influence des consommateurs sur les pratiques serait indirecte, c’est-à-dire que les agriculteurs projettent les demandes sociétales relayées par les médias sur la figure du consommateur qu’ils fréquentent. Les exigences environnementales sont donc conscientisées, et aboutissent in fine à une adoption de pratiques plus écologiques. Maréchal et Spanu (2010) précisent toutefois que cette enquête se veut exploratoire, et ne permet pas de tirer des conclusions en raison du faible nombre d’entretiens réalisés, et du contexte productiviste de la région Bretagne. Pour des résultats plus rigoureux, il aurait été opportun, soit de mener des entretiens supplémentaires ou soit de mettre en perspective cette étude avec un autre terrain de recherche pour comparer les résultats.

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Table des matières

Remerciements
Résumés
Sommaire
Liste des sigles et abréviations
Introduction
PARTIE 1 : CADRE GÉNÉRAL DE LA RECHERCHE
CHAPITRE 1 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRAGE CONCEPTUEL : LE RENOUVEAU DES CIRCUITS COURTS ALIMENTAIRES ET LEURS CONTRIBUTIONS AUX PILIERS DE LA DURABILITE
11. De la modernisation de l’agriculture à une reconfiguration des activités agricoles
12. L’essor des circuits courts alimentaires : une innovation sociale au service d’une transition
13. La relation entre circuits courts et environnement : quelle efficacité ?
CHAPITRE 2 : TERRAIN, DEMARCHE METHODOLOGIQUE, ET CAMPAGNE D’ENTRETIENS
21. Présentation du terrain de recherche
22. Protocole méthodologique et déroulement de la démarche d’enquête sur le terrain
23. La campagne d’entretiens
PARTIE 2 : L’INFLUENCE DES INTERACTIONS SOCIALES DANS L’ADOPTION DE PRATIQUES PLUS DURABLES
CHAPITRE 3 : LES GROUPES SOCIAUX DE CONSOMMATEURS ET LEURS ATTENTES EN MATIERE ENVIRONNEMENTALE 
31. Portrait des consommateurs-répondants en circuits courts, des catégories d’acteurs spécifiques à une logique d’attentes différenciées en matière environnementale
32. Une différenciation des attentes en matière environnementale plus ou moins contrastée selon les filières agricoles, et les groupes sociaux de consommateurs
CHAPITRE 4 : DES GROUPES SOCIAUX DE PRODUCTEURS A DES LOGIQUES D’INVESTISSEMENT DISTINCTES DANS L’ECOLOGISATION DES PRATIQUES AGRICOLES
41. Les groupes sociaux des agriculteurs, des trajectoires sociales et des représentations différenciées
42. Une différenciation plus ou moins contrastée de l’engagement dans des pratiques plus durables selon les filières agricoles, et les groupes de producteurs
43. Les démarches collectives entre pairs en circuits courts, une innovation sociale collective à l’épreuve d’une logique d’efficacité économique et entrepreneuriale
Discussion
Conclusion
Bibliographie

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