Suite à un DEA en sinologie et ethnologie, j’ai été recrutée par une association franco-chinoise en tant que médiatrice socio-interculturelle auprès des migrants chinois, majeurs et mineurs, nés en France ou en Chine. Les quatre premières années, mes missions ont porté sur le volet socio-éducatif et le soutien de la parentalité. Mon rôle était le pivot de l’Equipes Pluridisciplinaires de Réussite Educative (désormais EPRE), dispositif développé dans les quartiers en Politique de la Ville de Paris , pour faciliter la communication entre les interlocuteurs d’environnements linguistiques et culturels différents, les parents et les professionnels éducatifs, administratifs ou sociaux, et pour trouver des solutions en cas de situation problématique due à la différence culturelle entre les deux parties. Pendant ces quatre premières années, ma mission de médiation était, classiquement définie, de mener des actions pour mettre en relation et pour trouver un terrain de discussion entre deux parties culturellement différentes.
Après dix ans d’expérience professionnelle, mes missions ont évolué à partir de juin 2012. À la demande des bailleurs sociaux, j’effectue parallèlement des actions sociales et des activités pédagogiques . Hormis l’aide à l’accès aux droits sociaux et le soutien de la parentalité, j’assure de six à huit heures de cours de français pour les mineurs et les adultes de tous âges. Ainsi, mes missions de médiation ne sont plus limitées au volet social et à l’interprétation (orale) et la traduction (écrite), inter-linguistique et interculturelle, mais je suis aussi formatrice, c’est-à-dire pratiquante de la médiation pédagogique, qui transmet sa compétence de la médiation inter-linguistique, du plurilinguisme et du pluriculturalisme aux apprenants chinois.
Depuis le début de ma carrière, les questions et les discussions sur les migrants, la transmission des langues d’origine, la situation inter/transculturelle et le plurilinguisme m’intéressent. Par intérêt personnel et pour mieux répondre aux demandes des bailleurs sociaux, j’ai suivi donc parallèlement le DU « Pratiques de médiation et de traduction en situation transculturelle » à Paris 5 et le Master 1 «Didactique des langues » à Paris 3. Au contact des enfants qui fréquentent les ateliers d’accompagnement scolaire, j’ai constaté avec étonnement leur méconnaissance de l’usage des notions grammaticales, du vocabulaire et de la culture générale. Cet étonnement provient de mon propre parcours d’apprentissage et d’immigration qui est différent de celui du public accueilli par ma structure.
Mes expériences de l’apprentissage des langues et du contact des langues dans mon environnement sont plutôt positives. De plus, le contact des langues dans ma ville natale est relativement moins conflictuel. Au sein de ma famille, la langue régionale et le mandarin coexistent. La diglossie est très présente dans ma famille et dans la société actuelle. Très spontanément, je suis bilingue et parle ces deux langues apparentées en les utilisant en alternance selon la circonstance et le locuteur. Quand j’étais écolière, par le biais des séries et des films américains qui étaient en VO avec un sous-titrage en chinois, l’anglais était la langue étrangère la plus répandue dans mon environnement. Comme cette langue est aussi une des matières principales du concours d’admission du lycée et de l’université, l’apprentissage de l’anglais était donc courant parmi les écoliers. Mais, au contraire de mes camarades de classe qui ont été forcés par leurs parents, c’était moi qui avais réclamé d’apprendre cette langue, par curiosité.
En retraçant mon propre parcours d’apprentissage des langues, je m’aperçois que mon apprentissage débute rationnellement par une motivation personnelle, notamment une raison culturelle et affective. Étant très influencée par ma première expérience d’apprentissage de langue étrangère, les cours formels (proposés par l’école privée ou publique) sont pour moi un moyen indispensable d’acquisition des langues. En absence d’un programme organisé et d’une explication concrète de la grammaire, je perds facilement le fil. Ainsi, si je commence à apprendre une langue, mon premier choix est toujours de suivre un cours.
Cependant, les méthodes informelles restent des moyens nécessaires pour accompagner les cours de langues. Parce que je souhaite, dès le début, m’immerger au maximum dans la langue cible. La lecture des romans ou d’albums, les films, les séries télévisées et la participation à des activités culturelles sont aussi des moyens pour perfectionner ou pour maintenir le niveau, ainsi qu’approfondir mes connaissances culturelles et sociolinguistiques des langues apprises. Mes pratiques informelles sont principalement pour m’entraîner à la réception orale et écrite. Quant à l’expression orale et écrite, j’utilise très rarement les actes et les ressources informels répandus, comme l’échange linguistique, le correspondant ou la rencontre organisée pour pratiquer les langues, parce que je ne suis pas à l’aise pour entretenir une longue conversation avec un inconnu. Je préfère participer aux sorties organisées par les camarades ou les formateurs de langue. En résumé, j’utilise consciemment les moyens formels et informels lorsque j’apprends une langue.
Au sujet du français, être capable de parler cette langue était mon rêve d’enfant, car j’étais fascinée par les romans d’Arsène Lupin en version chinoise et le contexte historique et géographique de la France d’entre les deux guerres. J’ai souhaité vivement lire un jour la version originale. Les cours de la faculté à Taïwan m’ont offert une base solide en grammaire, mais j’étais faible en réception et production orales à cause du manque d’occasions de les pratiquer. J’ai vraiment fait des progrès après mon arrivée en France. En complète immersion dans le bain de la langue, j’ai réussi à améliorer mes quatre compétences linguistiques et à enrichir mes connaissances culturelles. Ainsi, pour moi, apprendre la maîtrise du français et sa culture en milieu homoglotte est une chose évidente.
Quant à l’identité culturelle, grâce à ma propre histoire familiale et à l’ambiance de la société taïwanaise, une réflexion sur la constitution de celle-ci est un sujet que je travaillais déjà à un jeune âge. Ainsi, après avoir dépassé la période du choc culturel, mon identité biculturelle s’est également fondée sans que je sois confrontée à trop de contraintes de loyauté. La réflexion de Marie-Rose Moro concernant son parcours de construction d’identité éclaire proprement le mien : « … je suis devenue capable d’imaginer que les femmes et les hommes circulent et qu’ils peuvent utiliser des identités multiples, en mouvement » . Grâce à cette capacité d’employer les identités multiples en mouvement, je ne suis pas figée dans un seul rôle et une seule identité nationale ou linguistique. J’ai donc moins peur de rencontrer d’autres cultures, différentes. À travers l’analyse de Marie-Rose Moro, je me rends compte que mon ouverture aux autres vient de considérer « son identité comme un processus » . Le métissage des identités multiples me permet de m’identifier aux différents rôles selon les moments. Comme en témoigne Marie-Rose Moro : « j’ai un sentiment de continuité, qui encore une fois protège contre une angoisse, un effondrement que l’on constate parfois, collectivement et individuellement » . En conséquence, grâce à mon propre vécu, le questionnement de mes élèves sur l’identité nationale et culturelle attire mon attention. J’étais impressionnée par leur isolement face au conflit de loyauté. Ni à l’école ni avec les parents, ce sujet n’a jamais été discuté.
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Table des matières
Introduction
1. Parcours personnel et question de départ
2. Problématique de la recherche
3. Organisation du mémoire
Première Partie Cadre conceptuel
Chapitre 1 Contextualisation de la problématique
1. Définition du public étudié
2. Profil sociolinguistique des familles migrantes wenzhounaises
Chapitre 2 Élèves d’origine chinoise nés en France
1. Difficultés d’apprentissage du français avérées
2. Enseignement-apprentissage des langues éloigné de la réalité
3. Avantages du plurilinguisme/pluriculturalisme
4. Limites du sujet
Chapitre 3 Notions clés
1. Biographie langagière
2. Dessin réflexif
3. Médiation
Deuxième Partie Terrain de recherche et public étudié
Chapitre 1 Terrain et cadre d’intervention
1. Présentation du terrain, lieu de travail et de recherche
2. Accompagnement à la scolarité en tant que cadre de recherche
Chapitre 2 Méthodologie et données recueillies
1. Les informations fournies par les instituteurs
2. Les entretiens auprès des élèves et des parents
3. Les observations
Troisième Partie Analyse et interprétation des données
Chapitre 1 Analyse verticale des biographies langagières et des dessins
1. Niveau asymétrique entre les différentes matières scolaires
2. Langues, cultures et identités cloisonnées
3. Stéréotypes des langues
4. Absence de la langue wenzhounaise dans le répertoire linguistique
5. Manque de variété dans les méthodes d’apprentissage des langues et des
cultures
Chapitre 2 Analyse horizontale des discours : les parcours et leur
transformation
1. Premier élève : langue de stress et langue de détente
2. Deuxième élève : dégagement des stéréotypes sociaux des langues
3. Troisième élève : identité culturelle et nationale à constituer
4. Quatrième élève : perte de la langue première pour entrer dans
l’apprentissage du français
Chapitre 3 Les approches plurielles en didactiques des langues
1. Activités d’éveil aux langues
2. Ouverture à l’altérité et sensibilité au plurilinguisme
Conclusion
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