De la fréquentation à l’ union: Intégration de la culture élitaire par la jeune élite 

Le 19 novembre 1868, La Gazette de Joliette fait l’éloge de la participation d’un jeune hommne lors de l’inauguration du bâtiment officiel de l’Institut d’artisans et association de bibliothèques de Joliette: «M. McConville était à son début dans le monde; [ … ] L’occasion était belle, l’on l’oblige d’en profiter et il nous dOlma ce joli, cet éloquent discours que la plupart  de vous ont entendu, discours de circonstance, plein d’habileté, de détails et de bon goût ». Fils de John McConville, instituteur d’origine irlandaise arrivé à Berthier en 1833, il décide de s’installer à Joliette comme beaucoup d’autres jeunes hommes qui souhaitent profiter des bonnes occasions d’affaires .

Les évènements comme l’inauguration de l’Institut sont de parfaites occasions pour les jeunes adultes de bonne famille de se présenter honorablement à la société joliettaine et d’y définir leur place. Ils doivent démontrer qu’ils intègrent bien la culture élitaire afin d’être considérés comme des membres à part entière de la nouvelle bourgeoisie qui dirige Joliette. La période des fréquentations qui précède le mariage offre une certaine liberté aux jeunes hommes et aux jeunes femmes. Leurs comportements sont néanmoins observés par leurs familles puisque les derniers instants qui précèdent le mariage sont cruciaux pour leur positionnement social. Comme ils sont à la recherche d’une alliance matrimoniale avantageuse, ils se présentent comme de bons époux et épouses en agissant conformément à ce qui est acceptable selon leur classe, leur âge, leur statut matrimonial et leur genre.

Les fréquentations

Période charnière de la vie des jeunes adultes, les instants qui précèdent leur mariage sont déterminants pour la suite de leur vie. Plus libres que durant l’enfance, ils doivent se comporter de façon responsable pour ne pas faire échouer tous les efforts de positionnement mis en œuvre par leurs parents dès leur plus jeune âge. Ils ne peuvent. plus seulement compter sur le statut social de leur famille. Les jeunes hommes sont tenus de prouver leur stabilité économique pour prétendre à un mariage avantageux. Les demoiselles, contraintes d’ attendre les demandes de prétendants, s’efforcent de mettre en valeur leurs vertueuses qualités.

L’automne: Comment éviter de coiffer Sainte-Catherine? 

L’ arrivée de l’ automne marque généralement la fin des vacances et le retour aux études, particulièrement pour les garçons et les filles de l’élite. Pour les jeunes hommes, la première année suivant l’obtention de leur diplôme est cruciale. La famille et le réseau de contacts jouent un rôle de premier plan dans la recherche d’un bon emploi. JosephMathias Tellier reçoit l’ aide de son frère aîné, Louis, une fois qu’il a terminé ses études en droit à l’Université Laval. Louis Tellier est bien positionné dans le domaine de la justice et de la politique fédérale . En dépit des offres d’emploi et de partenariat de son frère, Joseph-Mathias décide de regarder vers Joliette et se taille une place intéressante dans cette communauté . Ce choix peut s’ expliquer entre autres par le fait qu’il est originaire de Sainte-Mélanie, village voisin de Joliette et qu’il a étudié au Collège Joliette. Durant ses études à l’Université Laval et les quelques années où il a habité à Saint-Hyacinthe, il entretient des relations étroites avec ses amis joliettains.

Pour les jeunes hommes de l’ élite, il est important d’ être à tout le moins admis à une profession pour se présenter comme de bons partis. Peu nombreux sont les parents qui consentiraient à donner la main de leur fille à un homme qui ne peut promettre de subvenir à ses besoins et d’ assurer la reproduction sociale de la famille. Cette idée est bien intégrée par les hommes de l’ élite. En décembre 1880, Joseph-Mathias est absorbé par ses études et son ami Joseph Parent l’invite à continuer dans cette voie et à «prendre garde aux filets de l’ amour ». Il suit son conseil et se marie en 1885, un peu moins d’ un an après son admission au barreau.

Dans certains cas, les journaux locaux relaient des infonnations sur l’admission à une profession. Charles G. Hector Beaudoin, fils de Monsieur Beaudoin, registrateur du comté de Joliette, est un des chanceux jeunes hommes dont on fait mention dans La Gazette de Joliette. Le 3 octobre 1878, il «a été admis à la profession de notaire [… ] après un examen qui lui fait beaucoup honneur». Un mois plus tard, il officialise son union avec Valérie Renaud, fille de feu Joseph Renaud, marchand de Joliette. Un mariage rapide après l’accession à une profession est une situation courante chez l’élite ; Tout porte à croire que les époux se fréquentaient avant l’ admission au notariat d’Hector, mais une famille de l’ élite ne peut courir le risque de marier sa fille à un parti incertain. Les jeunes femmes qui se trouvent dans pareilles situations doivent user de stratégie. Denise Lemieux et Lucie Mercier donnent des exemples de demoiselles qui refusent une demande en mariage d’un bon parti puisqu’elles fréquentent déjà un jeune homme à la situation acceptable, pour qui elles ont des sentiments plus profonds . Certaines jeunes femmes font le choix de suivre leur cœur au risque de ne jamais recevoir de demande de la part de celui pour qui elles s’étaient réservées. Elles risquent ainsi de devenir vieilles filles.

L’automne est justement la saison où l’on fête la Sainte-Catherine. En novembre, L’Étoile du Nord fournit aux hommes des indices pour détecter les vieilles filles  . Une fille est susceptible de «coiffer Sainte-Catherine» si «elle commence à dire que les hommes sont des êtres exécrables et qu’elle ne voudrait pas s’ embarrasser d’un mari pour tout l’ or du monde» ou si «elle commence à tenir un chat à côté d’ elle pendant ses repas pour lui donner du lait sucré» ou encore si «elle Commence à aller à l’église avec un livre de prières du format gros octave, 600 pages ». Les hommes peuvent aussi compter sur une méthode de calcul peu scientifique fournie par les journaux locaux pour connaître l’ âge d’une femme qui ne voudrait pas révéler son année de naissance .

Les femmes ressentent la pression de se marier durant les quelques années où elles ne sont jugées ni trop vieilles ni trop jeunes . Pourtant, certaines ne se pressent pas à trouver un mari. L’image de la femme pure, pieuse, soumise et attachée à la vie de famille véhiculée dans la société peut en effet donner envie aux Joliettaines de repousser le mariage  . C’ est le cas de Joséphine Ferland, cousine de Joseph Mathias Tellier. Dans une lettre concernant le mariage de son frère, Joséphine révèle à son cousin ses véritables sentiments face à cet engagement: «Pour moi, je compte faire une vieille fille . Je veux bien profiter de la jeunesse, de la libelté, pourtant il vient un temps où l’on est plus jeune, mais je renvoie cette pensée à plus tard. [ … ] Parfois, il me vient de singulières idées. J’ai bien envie de m’ enfern1er dans un cloître ».

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Table des matières

INTRODUCTION 
1. Bilan de la production scientifique
1.1 Lanaudière comme terrain d’ enquête
1.2 L’ étude des classes sociales
1.3 Application et critique du modèle des sphères séparées
1.4 La perspective ethnologique: analyse du patrimoine bâti et de la culture matérielle
1.5 Synthèse des constats et approches
2. Questions de recherche et méthodologie
CHAPITRE 1 De la fréquentation à l’ union: Intégration de la culture élitaire par la jeune élite 
1. Les fréquentations
1.1 L’ automne: Comment éviter de coiffer Sainte-Catherine?
1.2 L’hiver: «Le temps du Carnaval s’ enfuit lentement … »
1.3 Au printemps, «les chemins sont déjà bien beaux … »
1.4 «Les amusements d’été les plus en vogue à Joliette»
2. Le mariage
2.1 Le choix du partenaire: composer avec les pressions familiales et ses sentiments
2.2 Les derniers instants de célibat
2.3 Voyage de noces ou lune de miel?
204 Les cadeaux de mariage : symbole de l’entretien des réseaux de sociabilité
Conclusion
CHAPITRE II «Sous l’œil du père et de la grande famille chrétienne»: Éduquer la future élite 
1. «Une bonne famille est celle [ .. . ] où chacun remplit son devoir de son mieux» : l’image de la vie conjugale et parentale véhiculée dans les journaux locaux
1.1 «Dans sa maison, ne pas être un tyran pour sa femme»: apprivoiser la vie conjugale
1.2. «Le tableau d’une bonne famille»
2. «Je vous suis réellement reconnaissante de m’ avoir donné l’heureuse nouvelle de la naissance d’un fils» : le caractère public des naissances
3. L’éducation de la jeune élite
3.1 «Nos filles doivent avoir une éducation solide» : l’ éducation par la communauté
3.2 «Ils ne doivent pas oublier que grande est l’autorité du père et de la mère» :
l ‘éducation dans la sphère privée
3.3 Les vacances d’été : compléter l’ éducation morale et religieuse en famille
Conclusion
CHAPITRE III «Le tout a un petit air d’ aisance qui nous fait plaisir à voir!» : La maison comme outil de construction de l’ identité bourgeoise
1. «C’est aujourd’hui l’ une des plus belles résidences de Joliette» : présenter la maison à la communauté
1.1 «M. Chs. Leblanc est à faire démolir son ancienne résidence pour y reconstruire une maison de première classe» : le progrès du cadre bâti joliettain
1.2 Le choix du style architectural : premier indice de distinction sociale
1.3 «Laisse-moi te dire un mot de mon jardin»
2. Les intérieurs bourgeois: allier intimité et ostentation
2.1. L’architecture intérieure : s’inscrire dans la tradition
2.2 La spécialisation des espaces comme solution à la recherche d’ intimité dans un espace d ‘ostentation : analyse du rez-de-chaussée
Conclusion
CHAPITRE IV Progrès économique, progrès moral : L’ honorabilité bourgeoise au service de l’assainisseIllent de la ville
1. «Concert ce soir! Heureuse nouvelle pour notre ville!» : des occasions de se distinguer
1.1 L’Institut d’ artisans et association de bibliothèques : lieu de rassemblement de l’ élite masculine catholique
1.2 «L’ élite [ … ] était placée comme une avant-garde (redoutable par ses channes)>> : se Inettre en scène
2. «L’ honneur c’est [ .. . ] le sacrifice de soi au bien de ses semblables» : La distinction par la sociabilité religieuse
3. «JI nous faudrait donc à Joliette un parc public» : réfonnateurs sociaux au tournant du xxe siècle
Conclusion
CONCLUSION

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